Les feux de la nuit

Occident ! Pourquoi cette appellation ? L’empire de Charles Quint ne voyait point le soleil se coucher, selon la rhétorique. Sans jouer les rabats joie, un esprit taquin penserait au mot occire. Une civilisation qui naît après les voyages de Colomb et d’Amerigo Vespucci en se prolongeant par le saccage de l’humanité ? Bon, n’évoquons point de détail afin d’éviter toute posture victimaire ravivant le passé et interrompant l’avenir, comme qui dirait. Cependant, le passé se montre têtu et refuse de s’éclipser. Mieux, il se confond au présent et corrompt l’avenir. Les genoux du policier caucasien ne sortaient pas du néant. L’habeas corpus dont bénéficiaient les natifs des treize états initiaux ne se sentait nullement dérangé par la présence d’êtres humains enchaînés dans les plantations de coton. Mais arrêtons de regarder dans le rétroviseur ! Ce n’est point de cette façon que l’Africain d’Amérique gagnera sa place dans ce monde des dieux.

Déboulonner des statues d’esclavagistes ? Ho, pardon ! De civilisateurs, un rien trop, zélés ? Débaptiser des rues, des places, effacer les noms de gens aux mains rouges aux frontons des immeubles ? Voyons ! La faute revient à l’époque qui imposait cet écart, selon le sophisme désormais en vigueur. N’y percevons point malice, nul désir de jouir de l’autre afin de s’éloigner de la pauvreté, de se développer ! Ne pensons surtout pas que pour coloniser, il faut être raciste ! Où êtes-vous allé chercher cela ?

Pas du tout dans les bagages des philosophes des lumières et encore moins dans ceux du pape Nicolas le quatrième, le saint humaniste de la bulle. Non, les biens des sauvages sont les intérêts des nations d’occident. De nos jours, cette conception régit, hélas le monde. Nul n’évoque le rétroviseur à ignorer. On se complaît dans ce miroir du passé pour mieux asservir. Manque de respect envers le reste de l’humanité ou incapacité du démiurge à jouer son rôle ? Cela étant, les lueurs dans la nuit en cette fin de novembre d’ordinaire calme de ce coté de la Caraïbe, réveillent le dormeur. Des crépitements, des pneus s’enflamment, l’asphalte brûle. Les tirs de flash-ball et autres résonnent en couvrant la mélodie des grillons, cabri-bois et grenouilles. Inefficaces, les bêtes à feu se replient vers les sous-bois. Quelque chose se prépare ! Une grève générale s’annonce ! En Martinique, grève générale et insurrection, souvent, se confondent. Comment expliquer la situation dans cette île, dite paradisiaque, comblée par les bienfaits de la « métropole » ? « Métropole » ! Un mot qui traduit l’obscurité de la relation entre cette île caribéenne à la population africaine et la nation européenne détentrice à ce jour des derniers esclaves de la période qui suivit Colomb.

En effet, la France demeure la seule entité au monde propriétaire d’esclaves. Suite à un accord entre les colons békés et les autorités coloniales françaises, de l’argent fut versé aux propriétaires d’êtres humains afin de permettre l’application du décret d’abolition. En accomplissant ce marché déshonorant, la nation démocratique, républicaine, fille aînée de l’église et championne toutes catégories des droits de l’homme devenait à son tour acquéreuse d’êtres humains. Ces derniers, nécessairement illettrés, furent aisément trompés. Les pauvres virent dans ceux qui brandissaient le décret, des libérateurs. Toutefois, ce peuple reste le seul au monde à ignorer la liberté sans exercer la moindre souveraineté sur son propre territoire. Pire, le libérateur enfonça le clou en pratiquant l’assimilation. Résultat, ce peuple ne jure que par la France en se disant européen. La dégénérescence produite par cette confusion rendit le naturel du pays incapable de concevoir une sortie de la soumission. Peureux, craintif, le désormais créolisé ne conçoit son avenir que dans le cadre français. L’envers du décor, seul, le colon poursuit son ascension. Sa volonté régit le pays ! La jeunesse est conviée à aller voir ailleurs. Des forums sont organisés pour trouver du travail au Canada, aux États-Unis, voire en Australie. Soucieux de les remplacer, les colons organisent l’arrivée d’une population venue du dit vieux continent, plus conforme à leur souhait.

L’époque des camps de travail forcé refermée, la perspective de conserver cette masse indésirable à demeure n’a jamais séduit le colon. Quarante mille personnes furent expédiées au Panama afin d’aider au percement du canal. Aucun ne revint. L’île possédait en ce temps à peine deux cents cinquante mille âmes. Du temps de l’ange déchu, le fameux amiral, les colons aux commandes réactualisèrent certains principes d’avant mille huit cent quarante-huit : l’interdiction faite aux bateaux de pêche de prendre la mer. Une famine conçue et menée avec méthode ennuya la population. Aucun visage d’affamé ne trouble le repos de personne. Dans les années soixante, le bureau des migrations des « départements d’outre-mer » expédia la jeunesse menaçante, souvenez-vous de l’affaire Marny, de l’autre coté de l’Atlantique. Le phénomène se poursuit encore. Des milliers de Martiniquais ne possèdent plus un seul enfant dans l’île et leur descendance naît ailleurs. Le symbole, cet homme âgé accompagné d’une aide-soignante venue d’une province française et se rendant au bureau de poste. A quatre-vingt-cinq ans, ses trois enfants sont en Europe, il vit seul sa fin de vie. Cinquante ans, plus tôt, un député du sud disait : si la Martinique n’était pas un « département français, je ferais tout pour qu’elle le soit ». Cela étant, la gestion du covid 19 rejoint la vision coloniale de notre cas. Un aéroport ouvert à tout vent convoie le virus dans l’île. La maladie n’est que la goutte d’eau, ce n’est point l’essentiel qui déclencha le feu. La Martinique est fatiguée. Éteinte par quatre siècles de mensonge, de mépris, de soumission, de captivité, de dévalorisation, de créolisation et d’abrutissement.

La population africaine du pays est épuisée d’être éjectée du genre humain. Inconsciemment le créolisé est las. Ce dernier ne sait plus à quel saint se vouer. En décrépitude après tant de siècles d’obscurantisme colonial, le sujet demeure aveuglé. La lâcheté cultivée et entretenue pour le détruire, le rend incapable de promouvoir une vision différente du projet colonial létal. Son jugement est pauvre, voire inexistant. L’esprit critique est absent. Bardé de diplômes obtenus dans les universités françaises, il ne sait nullement établir une différence entre ses intérêts et ceux du colon. L’assimilé voue une confiance sans borne à ceux qu’il appelle ses élus, les amateurs de trente deniers, de gloires équivoques et véritables auxiliaires de la colonisation. Oui ! Le pays martiniquais est malade de la colonisation française ! Un peuple qui ne dispose d’aucune liberté politique, économique et culturelle sur son propre sol est un peuple esclave. L’abolition fut une adaptation au temps qui s’ouvrait, afin de permettre au colon de poursuivre son infamie de manière démocratique, républicaine, fille aînée de l’église et droit de « l’hommesque ». Autrefois, travaillant à la prison de la santé à Paris, je me souviens des ordres de mise en liberté immédiate que nous recevions parfois tardivement dans la nuit. Le magistrat ayant constaté l’absence de motif justifiant le maintien en détention du prévenu, libérait ce dernier. Que nous reproche le peuple français pour nous maintenir en détention après notre capture, la conduite forcée vers la cote, l’embarquement toujours forcé sur un navire, la séquestration, le maintien en captivité puis le travail forcé durant deux cents ans dans les camps de la mort joliment baptisés « habitations » ? Le temps ne modifie point la nature des faits, un crime même impuni reste un crime. Le sophisme en vigueur pour tromper et dédouaner l’entité responsable, produira l’effet contraire en désignant le bourreau.

D’où l’Occident puise-t-il cette assurance d’être dans son bon droit en soumettant les autres, surtout un petit peuple désireux de vivre dignement loin des illusions, des mensonges et des chimères, en faisant appel à son génie créateur comme tout peuple sain ? Ces pneus, qui brûlent, sont un éclair dans la nuit. En dépit des mensonges, des lâchetés et de la trahison des amateurs de trente deniers, l’espoir renaît comme l’herbe reverdit après la sécheresse.

Non, créolisé ! La sauvegarde de quelques emplois ne représente aucunement l’intérêt profond du peuple martiniquais !

Non, être en perdition ! Le saccage criminel d’établissement innocent n’est point l’œuvre d’êtres sains d’esprit. Nos tourmenteurs connaissent votre réaction, toujours prompte à dénigrer nos frères et sœurs au moindre faux pas. Dans ces conditions, il demeure aisé de soudoyer un assoiffé de sous sans conscience pour accomplir une basse besogne et jeter l’opprobre.

Non, sujet dénaturé par la soumission ! La sécurité sociale et le RSA ne sont nullement les seuls moyens de redistribuer les richesses ou de pratiquer la solidarité. Transformer le fer en voiture ou en bateau, n’est point le seul type d’industrie qui vaille.

Il existe une multitude de façons de vivre, pour cela, utiliser son cerveau demeure nécessaire !

Fidèle à lui-même face à un mouvement populaire de décolonisation, le gouvernement français propose une autonomie afin de préserver l’essentiel pour la partie békée. Une autonomie entre les mains des affidés du régime produira un résultat identique à celui que nous déplorons. La preuve, la réaction du Guadeloupéen Lurel s’inquiétant de la somme qui sera allouée à la nouvelle administration. Ceci, sans avancer le moindre projet. Nous ne sommes aucunement des mendiants, la Martinique travaille et produit. Autrement, comment expliquer la fortune de ceux qui jouissent de nous ? Toutefois, le fruit du labeur du peuple ne lui profite pas comme à l’époque captive. L’autonomie ? C’est une option à explorer en attendant mieux, mais avec des femmes et des hommes inconnus du système nauséabond et servile. Des responsables prêts à inviter le peuple à participer à l’élaboration d’un projet à son avantage. Pour cela, l’autonomie doit nous permettre de récupérer la terre et l’appareil productif d’une part. La seconde, à penser humain et collectif, à privilégier la vie saine.

Nous avons un niveau de vie supérieur à celui des autres îles de la Caraïbe, nous sommes riches. Lâche, sur de lui, le créolisé est en perdition. Les autres entités de l’archipel ne voient point leur population diminuée de façon préoccupante et remplacée par d’autres en provenance d’Europe, comme subit la notre. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre ! Vivre vingt ans cousu d’or serait l’ambition de l’assimilé. Cependant, l’être sain d’esprit privilégiera une existence de cent ans menée de façon humble, en pénétrant le concert des nations afin de préserver son peuple.

COMMENTAIRES  

19/12/2021 13:15 par Xiao Pignouf

Je me demande ce qui a arrêté l’auteur de ce texte de prononcer le mot que ce texte crie : indépendance.

19/12/2021 14:49 par Assimbonanga

Ce texte est poignant. Il demande un certain recueillement.
J’espère qu’on va pas le taxer de wokisme ??
A un horaire bien tardif, rédhibitoire pour le bon Chrétien, Arte TV diffusait un documentaire sur la colonisation au Vietnam, gros coup de poing là aussi : Pornotropic - Marguerite Duras et l’illusion coloniale

19/12/2021 15:20 par Assimbonanga

La colonisation ou comment transformer un pays de Cocagne en pays de misère.

Comment se fait-il que les territoires d’outre-mer ne fassent jamais cas de Cuba ? Ni l’écologie, la permaculture, la gestion autonome, les jardins en tous lieux, enfin bref des lueurs d’espoir de s’organiser différemment.

Qui est Emmanuel du Morne ? Un pseudo de circonstance ou quelqu’un de connu ?

20/12/2021 18:16 par brotteaux

Texte très intéressant qui devrait faire du chemin dans les consciences.

Sa richesse nous prend, son ton nous remue, sa pertinence nous ravit.

Il n’y a plus qu’à.
C’est à dire changer de régime, passer de l’exploitation des gueux par les mafieux à la démocratie de sociétés humaines.

Impossible, car cela fait des siècles qu’on nous fait croire à son existence grâce au Spectacle que nous donnent nos dirigeants mafieux.
En effet, il y a impossibilité pour les mafieux : ce serait se priver de se gaver du sang des autres, si facile à obtenir avec une milice suffisamment armée, entretenue par la misère, carotte et bâton.
Pourquoi se priver d’un luxe à portée de knout ?

Pourquoi ne pas faire comme depuis la nuit des temps et asservir les faibles, ces êtres humains incapables d’imaginer que certains peuvent vivre en exploitant les autres ? Qu’il a en face de lui non plus une personne mais un malade mental, prêt à tout pour assouvir ses moindre désirs ? Mieux, que quelques malades mentaux tenus par leurs désirs, s’entendent pour exploiter le bétail humain, partout où c’est possible. Où la raison sert la bestialité, où le cerveau reptilien pilote la faculté de penser, comme un prédateur qui invente des tactiques de chasse pour obtenir ses proies.

Homo reste une bête, un prédateur sur homo. Homo pourrit la vie de homo en restant prédateur et proie. Homo n’est pas encore un humain capable de raison par respect de homo comme un égal. Ce concept est encore trop étranger à ce néocortex à peine formé, encore entièrement dominé par 500 millions de sélection par élimination. Je reste prédateur car je suis un animal, je reste proie car je suis un animal, c’est la Nature donc ma Nature.

Depuis des millénaires quelques esprits tentent de sortir homo de cette bestialité en encourageant l’usage du néocortex mais les malades mentaux savent manipuler les cerveaux, trouvant à franchir la barrière de la raison et réveiller l’animal, celui qui n’a qu’une loi, manger ou être mangé avant reproduction. 500 millions d’années de câblage génétique par extermination ne se surmontent pas en quelques siècles d’émergence de pensée rationnelle énonçable. Les mafieux l’apprennent dans leurs écoles de prédateurs et parviennent à maintenir homo proie dans la servitude animale, le mafieux prédateur sait fabriquer homo proie, c’est à ça qu’on le reconnait.

Le capitalisme s’est donné cette école de prédateurs.
En rationalisant l’asservissement, le prédateur capitaliste a détruit toutes les normes instituant les concepts d’équité, de solidarité, de paix sociale. Il a détruit ces règles longuement élaborées, construites sur des ruines, après les atrocités des conflits mondiaux. Il fait tout pour générer la violence sociale, faire des guerres dont il se gave. Le capitalisme est la plaie de l’humanité, de l’écoumène, de la Nature. Les capitalistes sont des salopards.

Et comme des crétinisés que nous sommes, nous laissons-faire. Incapables de nous organiser, hypnotisés, lobotomisés, nous acceptons de nous laisser pourrir ce bien unique, éphémère, notre vie par une poignée de salopards.

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