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Pour sauver la planète, mangeons les pauvres (ou les Confessions d’un riche après le sommet de Johannesburg)

Je hais les pauvres. Vous aussi, non ? Comme je vous comprends.

De notoriété publique, les pauvres sont sales et sentent mauvais. Tout petit déjà , j’en avais acquis la certitude lorsqu’un jour ma mère rappela à l’ordre la nourrice africaine qui n’avait pas stérilisé correctement mon biberon. C’est vous dire si ça ne date pas d’hier.

Depuis le sommet de Johannesburg, et grâce à l’extraordinaire travail des média occidentaux, j’ai désormais une raison de plus de les haïr : ils polluent la planète. Jusqu’à présent, j’avais un vague sentiment de culpabilité que les écolos avaient réussi à m’inculquer, même si l’écologie n’est pas à franchement parler ma tasse de tisane. "Nous" étions les prédateurs des ressources de la planète, "nous" avions des habitudes de consommation en contradiction avec la survie de l’espèce, que sais-je encore. Nous passions notre temps dans une sorte de "rave-party" économique et les pauvres se cachaient dans les buissons du jardin pour nous espionner, avec une pointe d’envie, à travers les rideaux du salon. Terminé tout ça. Les pauvres, après avoir échauffé la planète, commencent à m’échauffer les oreilles. Vous en doutez ? Vous avez tort.

Tenez, savez-vous que pour fabriquer une voiture, il faut consommer plus de 20 fois son poids en matières premières ? Votre voiture pèse une tonne ? Il a fallu consommer 20 tonnes de matières premières pour la fabriquer. Ca peut vous paraître beaucoup, mais c’est comme ça. C’est scientifique. On n’y peut rien. Et qui est-ce qui fait tous les efforts pour préserver la planète ? Moi, rien que moi. Et pendant que l’on m’oblige à poser un pot catalytique au bout des 20 tonnes de matières transformées en scène de frime sociale ambulante à quatre roues, que font les pauvres à l’autre bout de la chaîne ? Ils polluent, voilà ce qu’ils font. Il suffit de voir une mine de cuivre au Chili pour se rendre compte que quelque chose ne colle pas. Vous avez vu toute cette poussière ? Il y en a tellement que les pauvres ouvriers n’arrivent pas à tout respirer et en rejettent une bonne partie dans l’atmosphère. Pollution. J’ai l’air malin avec mon petit pot catalytique. Pendant ce temps, à l’autre bout de la chaîne, les autres se déchaînent. Pardonnez-moi cette petite pointe d’humour glacée et sophistiquée.

J’ai aussi appris qu’il y avait un gigantesque nuage noir au-dessus de l’Inde, ou de la Chine, enfin d’un de ces pays hyper-peuplés qu’on trouve sur les bords des mappemondes. Un nuage comme celui que j’avais vu il y a plus de vingt ans au-dessus de Los Angeles. A priori, celui-là aurait disparu. En plus, leurs frontières doivent être de véritables passoires. Pas comme les nôtres, qui ne laissent passer que les immigrés munis d’une commande de matériel d’armement et les nuages non-radioactifs. Nous voilà à l’abri. Mais pour combien de temps ?

J’ai appris que les pauvres font disparaître des pans entiers des forêts. Ils sont fous ou quoi ? Si ça continue, nous irons passer nos vacances écologiques sur la lune et ça sera bien fait pour les pauvres. Plus de pourboires, ni rien. Chez les Indonésiens, ce sont les arbres de bois rares qui tombent au rythme des têtes des patrons de gauche des entreprises d’état sous un gouvernement de droite. Heureusement que nous avons Ikea pour récupérer ce bois qui tombe pour rien et fabriquer des meubles de luxe vendus chez nous. J’ai d’ailleurs moi-même un salon en teck. C’est plus fort que moi, c’est mon esprit de recyclage. Mais encore une fois, on constate que tout l’effort est accompli chez nous.

Au Brésil, c’est pas mieux. Des millions d’hectares de forets qui sont brûlés chaque année pour faire brouter les vaches. Les vaches que nous achetons pour faire des hamburgers. Il parait que pour chaque hamburger fabriqué, 20 mètres carrés de forêt disparaissent. Alors, ne serait-ce que par respect pour la foret amazonienne, il vaut mieux le manger ce hamburger plutôt que de le laisser moisir. A chaque fois que j’en mange un, je vois une vache en train de brouter et je pense à ces salauds de paysans brésiliens qui ont tout brûlé. C’est ça le problème d’avoir une conscience politique : ça vous coupe l’appétit.

L’autre jour sur France-Inter, j’ai entendu un éminent spécialiste se révolter contre le pessimisme ambiant. Il s’agissait de Claude Allègre, ancien ministre socialiste de l’Éducation Nationale en France. C’est un savant de renommé mondiale, savez-vous ? Il nous a expliqué qu’il en avait assez d’entendre dire n’importe quoi sur l’écologie de la planète. Il disait qu’il n’y avait aucune preuve que le réchauffement de la planète serait dû à une activité humaine quelconque. Il disait qu’il n’y avait aucune preuve que les OGM représentaient un danger pour la santé. Il faut dire aussi qu’il n’y a aucune preuve non plus que Claude Allègre soit de gauche ou intelligent. Mais ce n’était pas l’objet du débat.

Vous avez remarqué qu’un des produits les plus polluants qui soit s’appelle l’uranium "appauvri" ? Appauvri, comme par hasard. Décidément, même l’uranium trouve sa forme la plus polluante lorsqu’il est pauvre. C’est pas une preuve, ça ? Cela fait déjà 10 ans que des morceaux d’uranium appauvri traînent sur des millions de kilomètres carrés en Irak, et les arabes n’ont encore rien fait pour les enlever. Qui est-ce qui va encore se taper tout le sale boulot ? C’est encore nous.

Même pour mourir, les pauvres s’y prennent salement. Que ce soit par le SIDA, dans les territoires occupés ou sous les bombes à Kaboul, et bientôt Bagdad, ils ont une manière bien à eux d’exploser en morceaux. Autant de morceaux qui iront ensuite éparpiller les paysages bucoliques. Ca ne nous facilite pas le travail pour prendre des photos de vacances. Fini les plans panoramiques, car il y aura toujours une jambe qui traînera dans le champ de la caméra. Nous voilà désormais condamnés à travailler en gros plan. Font chier ces pauvres.

A titre d’exemple pour les pauvres, ma famille a depuis plusieurs générations déjà fait l’acquisition d’un caveau familial au cimetière. C’est du travail propre. Bien alignés dans des emplacements prévus à cet effet, nous occupons un minimum d’espace pour un maximum de propreté. Comme dans la société, "une place vous est réservée et vous devez l’occuper". On n’emmerde personne et personne ne nous emmerde. Je serais personnellement d’accord pour exporter gratuitement cette technique vers les pays pauvres.

Bref, depuis Johannesburg, mon sentiment de culpabilité s’est estompé. Enfin je respire (si j’ose dire). Les média ont eu le tact de ne pas trop parler des "droits à polluer" que les Etats-Unis avaient imaginés, ainsi que l’exportation des industries les plus polluantes vers les pays du tiers-monde. Je ne sais plus quel grand ponte avait préconisé le transfert des ces usines vers les pays sous-développés. Il disait que cela ne présentait que des avantages et que les gens de ces pays étaient moins "regardants" sur les questions de pollution. Il disait aussi qu’il y avait plus de place dans ces pays. En un mot comme en cent, il disait qu’il fallait polluer les pays pauvres pour épargner nos pays à nous. La globalisation aidant, ça a l’air d’avoir pas trop mal marché.

Le nuage qui planait sur Los Angeles n’a pas disparu. Dans le cadre de la globalisation, il a juste été, comme beaucoup de choses, délocalisé vers New Delhi. Je ne suis enfin plus coupable de rien. Et moi, vivant à l’intérieur de mes frontières hermétiques et bien gardées, vous voudriez que je broie du noir ? Ca se voit que vous ne manquez pas d’air.

Viktor Dedaj


Viktor Dedaj est le webmaster de Cuba Solidarity Project. Il vient de publier avec Danielle Bleitrach et Jean François Bonaldi "Cuba est une île". Ed. Le Temps des Cerises.


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