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Qu’attendre des élections législatives en Algérie ?

Notre correspondant sur place n’a pas de grandes illusions

A 55 jours d’une échéance électorale majeure, les acteurs du microcosme politique, qui plane sur une autre planète que le peuple, sont préoccupés soit par leur survie, soit par la gestion de leur victoire qu’ils annoncent haut et fort, la présentant comme inéluctable.

De ce fait, tout ce beau monde s’agite d’une façon frénétique. L’essentiel est de faire une bonne moisson, maintenant que l’on nous a promis des élections propres et honnêtes, quelque vingt ans après celles qui nous ont valu des milliers de morts et le chaos en héritage. L’unanimisme de tous les partis politiques est total quant au fait que la rente réglera tout et tout le temps. Que se passera-t-il le jour d’après ?

Avons-nous fait le bilan de ces vingt ans d’errance et sommes-nous vaccinés contre le chaos destructeur ? Ces élections promises déboucheront-elles sur une vision claire de l’avenir ? Et ces dizaines de partis, comme en 1992, ont-ils un programme capable de donner, enfin, un cap à cette jeunesse dont on dit qu’elle ne croit plus à rien ? Dangereuse certitude qui tendrait à comprendre qu’elle croit à tout et, ce faisant, qu’elle pourrait renouer avec la division et la haine, qui ont amené l’Algérie au bord du gouffre.

Qu’avons-nous fait depuis 1992 ?

Chacun sait que l’Algérie a payé le prix fort, qui a été, de mon point de vue, le paroxysme de l’antagonisme entre deux projets de société : celui du retour aux sources -arrimé à la sphère moyen-orientale- d’une façon totale, sans discernement et sans prise en compte de la réalité du monde. Le deuxième courant, traité de mécréant, donnait l’impression de s’arrimer à une sphère occidentale, qui n’est pas celle de nos « valeurs » et qui est, de plus, par une extension savamment entretenue, celle du pouvoir colonial honni.

Résultat des courses, la guerre de tranchées, qui a commencé en 1962 entre les arabisant et les francisant, a eu du grain à moudre par l’apport de deux facteurs. D’une part, l’émergence de l’Islam, qui était invisible tant que l’empire soviétique tenait debout, et qui fut désigné comme « le nouveau Satan de rechange » quand l’empire soviétique fut défait, après la chute du mur de Berlin.

Le deuxième aspect, qui me paraît essentiel, est que le moteur de l’insurrection -en dehors des idéologues- était représenté par une jeunesse, importante en nombre mais dramatiquement sous-éduquée, donc perméable aux discours extrêmes qui lui proposaient une utopie : assainir la société du mal -car trop occidentalisée- se battre pour l’avènement d’une société juste, qui respecte à la lettre la religion.

Il faut dire que le contexte était favorable. Nous venions de sortir, difficilement, d’une décennie de « déboumédienisation » qui avait détricoté minutieusement toutes les avancées sociales et techniques de l’Algérie. Ce fut, on se souvient de la période euphorique et ô combien trompeuse du « Pour une vie meilleure » avec, à la clé, le fameux PAP « programme anti-pénurie ». Il donnait à l’Algérien l’illusion qu’il était développé, puisqu’il pouvait se permettre d’acheter du fromage Emmenthal comme un Suisse, d’acheter des hors-bord comme un Américain, vendus même à Tamanrasset, au nom de l’équilibre régional... . Ceci sans le moindre effort, la moindre petite goutte de sueur, simplement par la bénédiction-malédiction de la rente, qui faisait que, en 1985, le baril était à 40$ de l’époque (plus de 100$ actuels).

Comme tout mirage, la rente disparut presque totalement quand le prix du baril descendit au-dessous de 10$. L’Algérie dut s’endetter lourdement pour se nourrir -on a parlé de 26 milliards $. Conséquence tragique expliquant, en partie, la révolte d’octobre 1988 qui fut, d’une certaine façon, une révolte du pain. Plus de 500 morts passés par pertes et profit. Sans faire dans la concurrence victimaire, on sait que la somme de toutes les révolutions des Printemps arabes -égyptien, tunisien, bahreïni et yéménite- n’atteignirent pas le nombre de morts d’Octobre 1988. L’Algérie -par décence- ne s’est pas autorisée à parler de révolution planétaire qui est un tournant dans l’histoire de l’humanité...

L’interruption des élections en décembre 1991 ouvrit la boîte de Pandore de l’horreur. La société, dans son ensemble, fut traumatisée et l’Algérie perdit des dizaines de milliers de ses fils ; on parle de 200 000 morts. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas su, depuis l’Indépendance, réconcilier les Algériens avec leur histoire, leur identité culturelle. Nous n’avons pas su dépasser les ambitions de chacun pour former l’homme nouveau bien dans son identité et sa religion, que personne ne devrait instrumentaliser pour en faire un fonds de commerce. L’Algérie, durant cette décennie rouge, servit de « laboratoire », selon le mot de Hassan 2. Personne ne l’aida à transcender ses contradictions. Car, parallèlement à la terreur, l’Algérie tomba sous les fourches caudines du FMI, qui nous intima l’ordre de nous ajuster structurellement.

Les causes de la révolte sont toujours là 

Mutatis mutandis ,nous en sommes toujours au même point, sauf qu’une rente insolente a permis, en 11 ans, de rembourser la dette. Mais nous n’avons pas construit quelque chose de pérenne, quelque chose qui crée de la richesse. Certes, nous avons construit une autoroute, nous avons construit des centaines de milliers de logements, après trente ans nous avons un métro de 13 km. Certes, nous avons construit plus de 60 barrages, mais pourquoi notre agriculture est insignifiante, au point que la facture alimentaire frise les 10 milliards de dollars ?

Certes, nous avons des milliers d’écoles, de lycées et près de 70 établissements supérieurs, mais que valent-ils quand on sait que notre école est en miettes et que nos diplômés ne répondent pas au minimum de normes requises ?

Faire dans le quantitatif dans le siècle du Web 2.0 du data speeding, du Dow Jones est un pis-aller. Dans toute la démarche actuelle, c’est l’infitah à outrance, on ne sait plus rien faire, on s’en remet aux Chinois, Japonais, Français, Turcs pour nous nourrir, nous vêtir, nous construire des logements, nous distribuer l’eau...

Pour Chawki Salhi, secrétaire général du Parti socialiste des travailleurs, « l’argent du pétrole a financé la désindustrialisation et la précarisation sociale. Notre argent a payé le monopole de Djezzy, qui saigne la balance des paiements. On offre 700 ha sur les hauts d’Alger au dinar symbolique ? On aide le géant Mittal qui laisse mourir El Hadjar. Et des sidérurgistes débutants, financent, pour une somme moindre, une aciérie géante à Bellara. L’argent du pétrole, lui, ne sert à rien. Il est prêté aux USA et à l’UE pour des taux dérisoires. Sonatrach crée Tassili pour affaiblir Air Algérie, achète ses tubes à l’étranger et sous-traite ses activités hors de ses propres filiales !!! Naftal est fière de viser 50% du marché qu’il contrôle à 100% ». (1)

Le pouvoir gère le statu quo

« Le patronat privé fustige le modeste cours patriotique actuel malgré les cadeaux fiscaux indécents dont il bénéficie. Pour procurer une main-d’oeuvre soumise et bon marché aux investisseurs, on étend la clochardisation sociale. Il faut stopper ce suicide libéral, protéger le marché national, dénoncer les traités inégaux avec l’UE, la Zale et refuser l’OMC. Nationaliser ou renationaliser les banques, les secteurs stratégiques de l’économie et les services publics essentiels. Interdire les emplois indécents du filet social. Imposer un contrôle populaire, seul à même de garantir contre la corruption. Les logements nécessaires, les voies ferrées, les équipements, sont une opportunité pour développer notre production et notre savoir-faire et non un moyen d’aider les pays riches en crise. Il faut mettre en place un plan national de développement de l’agriculture, de l’industrie et des services au service de la satisfaction des besoins du peuple. Cela suppose une direction politique indépendante de la bourgeoisie et de l’impérialisme. » (1)

Résultat des courses : les causes multidimensionnelles de la révolte sont toujours là . Elles sont même accentuées par un manque de vision flagrant. Le pouvoir, dos au mur, achète du temps et pense calmer la foule, qui gronde, par un saupoudrage proportionnel à des classes dangereuses.

Dans l’Algérie de 2012, la compétence n’est plus un ascenseur social. Il ne faut pas travailler, avoir un diplôme, être un besogneux, soucieux du bien public et d’honorer consciencieusement ses engagements par une assiduité et un travail bien fait. Au contraire, on est pris pour un naïf !

Dans l’Algérie de 2012, brûler un pneu peut vous valoir comme punition...un appartement que vous n’aurez jamais, si vous êtes un cadre moyen et ,plus encore, diplômé du supérieur ou de ce qu’il en reste. Dans l’Algérie de 2012, l’école ne fait plus rêver. Il vaut mieux être footballeur et toucher, en une fois et d’une façon scandaleuse, le gain d’un enseignant dans toute une vie. On comprend sans peine les stratégies développées par les parents qui inscrivent leurs enfants dans des club de football pour enfants.

Dans cette même Algérie de 2012, c’est l’informel qui est la norme. Le gain facile est le plus sûr moyen de s’en sortir. Dans l’Algérie de 2012, il vaut mieux investir pour être député, car il y a un bon retour sur investissement ; peu importe d’ailleurs la couleur, l’essentiel est d’y être.

Des partis politiques sans imagination

Justement, à propos des élus -ce terme a une connotation biblique- doit-on espérer quelque chose ? A l’instar des autres partis politiques, les formations islamistes, dont certains participent au gouvernement, ne se distinguent pas par un programme économique, se limitant le plus souvent à énoncer des promesses. Le MSP, qui est le premier parti islamiste à faire partie du gouvernement, a, jusqu’à un passé très récent, été membre de l’Alliance présidentielle et exécutait, au même titre que le RND et le FLN, les choix économiques du gouvernement.

Dans son programme, écrit Safia Berkouk, « le MSP promet ainsi d’encourager la création des banques islamiques, de renforcer l’octroi de microcrédits et des crédits sans intérêt au profit des jeunes promoteurs, d’initier l’allocation chômage aux diplômés demandeurs d’emploi ou encore d’alléger les charges fiscales et parafiscales au profit des petites bourses. » (2)

Amel Boubekeur, chercheur au Carnegie Middle East Center, spécialiste de l’islam politique, explique cela dans une étude intitulée « L’impact de l’évolution de l’Islam politique sur la cohésion nationale en Algérie » (2009) par « la cooptation ». Selon lui, pour les partis politiques islamistes, « leur cooptation s’est accompagnée d’opportunités nouvelles afin de se greffer aux différents réseaux de redistribution de la rente qui se sont recomposés dans le champ politique depuis les années 1990 ». (2)

La dépendance alimentaire est un grave handicap qu’on aurait dû prioriser plus tôt. Le dépôt de nos réserves chez les ennemis de notre développement est aussi une faiblesse tragique.

En fait, l’Assemblée populaire ne pèse pas grand-chose sur les décisions du gouvernement, quelles qu’elles soient. C’est d’autant plus vrai s’agissant des questions économiques. Il n’y a aucun contenu économique, aucun cap pour le futur, aucune stratégie pour le système éducatif en miettes et aucune stratégie pour le futur, concernant le tarissement inéluctable de la rente, malgré le nouveau soporifique constitué par les gaz de schiste, qui sont à la fois une malédiction en termes de rente et une calamité écologique. Le discours populiste prime sur tout le reste. De plus, quelle est la force réelle de chaque parti ? Les effets d’annonce participent de la méthode Coué. En fait, rien n’est joué.

Il reste à savoir si la jeunesse de 2012, celle des réseaux sociaux, de Facebook, de Twitter, bref, de l’Internet, est aussi vulnérable que celle d’avant. Gageons que cette jeunesse est plus à même de comprendre les grands enjeux du monde et qu’elle donnera sa voix à bon escient. Il n’y a pas plus déstabilisant, dans un pays, que de voir des gens prétendre au pouvoir avec, comme agenda, de faire table rase et repartir de zéro... Ou, en termes plus directs : déstabiliser l’économie et les engagements internationaux de l’Algérie.

Le président de la République parle d’une révolution. Pourquoi pas ? Notre expérience tragique, depuis deux décennies, doit nous servir de leçon pour aller vers une Algérie apaisée du vivre-ensemble, tenant à ses fondamentaux ,mais fascinée par l’avenir en allant à marche forcée vers le progrès. Alors, qu’on s’y mette sereinement et prions pour ce pays qui sera ce que nous ferons pour lui.

1. Chawki Salhi : « Il faut stopper ce suicide libéral » El Watan 27.02.2012
2. Safia Berkouk : « Les partis islamistes sans doctrine économique » El Watan 27.02.2012

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