Nicole Belloubet a révélé l’attaque par un tweet : « J’apprends avec indignation et émotion l’agression de la présidente de la cour d’assises de Versailles. Toutes les forces de l’ordre sont mobilisées pour retrouver les auteurs. Tout mon soutien à la magistrate, à sa famille et à la communauté judiciaire de Versailles »
Les sources de presse ne sont pas en mesure de confirmer qu’il s’agit d’un LBD, de toute façon souvent bien incapables de faire la distinction entre Flash Ball et Lanceur de Balles de Défense.
Pour autant, une enquête est ouverte contre X pour « tentative d’homicide » et les journalistes s’empressent de reprendre le vocabulaire des faits divers, affirmant que le « pronostic vital » de la juge « n’est pas engagé ».
Les centaines de blessés graves et la trentaine de personnes gravement mutilées au cours des six derniers mois doivent apprécier qu’on ouvre aussi rapidement et spontanément une enquête pour « tentative d’homicide » lorsqu’il s’agit d’une juge attaquée devant chez elle, alors qu’aucun chef d’inculpation de ce type n’a presque jamais été invoqué contre les dizaines de policiers impliqués dans des agressions au Flash Ball et LBD au cours des vingt dernières années.
Quant au “pronostic vital” de la juge, il est tout à fait étonnant qu’on s’inquiète de savoir s’il est engagé, alors que les journalistes ne s’en inquiètent jamais quand il s’agit de manifestants, de supporters ultra ou d’habitants des quartiers populaires ? Si on nous jure sur tous les dieux que ces armes ne sont pas létales, pourquoi soudainement s’inquiéter de savoir si la vie d’une victime du LBD est en danger ? Les juges seraient-ils des êtres humains particuliers ou plus vulnérables ?
Magali Tabareau siège à la Cour d’Assises, elle traite donc des affaires de crimes ou de tentatives de crime. On ne doute pas que ses agresseurs, s’ils sont attrapés (et nous ne doutons pas non plus que des moyens démesurés seront mis en œuvre pour les identifier, alors même que l’IGPN dit parfois ne pas pouvoir identifier un policier tireur au sein d’une unité déployée dans le cadre d’une mission de maintien de l’ordre) seront traînés devant une Cour d’Assise, alors même que des centaines de policiers n’ont jamais été amenés ne serait-ce que devant une Cour correctionnelle pour des blessures y compris plus graves (perte définitive d’un oeil). On connaît bien ce système et on a une expression adaptée à ces logiques d’impunité : la Justice de classe.
Il est utile de rappeler que les agressions commises par des policiers à l’aide de Flash Balls ou autres Lanceurs de Balles de Défense n’ont quasiment jamais été portées devant une Cour d’Assises, hormis dans le cas de Boris Roumiantseff, gendarme qui avait éborgné Nassuir Oili, un jeune Mahorais de 9 ans en 2011. Il y avait été condamné à 2 ans de prison assortis du sursis, ce qui est bien le maximum dont un policier ou un gendarme peut écoper en France quand il arrache une partie du visage d’une personne. Et encore, le lobby pro-flic estime que c’est déjà trop lourd payé, comme en témoignait l’ignoble avocat des policiers, Laurent-Frank Liénard, à l’annonce de ce verdict, qualifiant la décision de justice de “grosse déception” et déplorant que “les gendarmes qui font usage de leur arme dans le cadre de la loi soient jugés en cour d’assises et condamnés” (sic !)
Le 26 juin 2008, la Cour d’Assise de La Réunion avait acquitté Alain Michelot, le gendarme qui avait éborgné Théo Hilarion le 7 mars 1994 lors d’une manifestation de dockers, avec une arme interdite.
Plus récemment, on a appris qu’un policier de la BAC du Port (La Réunion) sera jugé par une nouvelle juridiction, la Cour Criminelle, pour avoir éborgné le jeune Steve C. le 1er février 2014, là encore avec une arme interdite de type Flash Ball (que la presse appelle « P40 »). Ce sont les seuls cas, tous outre-mer, pour lesquels des agents des forces de l’ordre ont été ou doivent être jugés pour « crime » ou « tentative d’homicide » après avoir mutilé des personnes désarmées à l’aide de lanceurs de balles de plastique.
Mais revenons au sujet initial. Que sait-on de Magali Tabareau ?
La presse de préfecture s’est empressée ces derniers jours de présenter la juge comme une pourfendeuse de personnages peu fréquentables : un animateur périscolaire accusé de viol, un ex policier condamné à 10 ans de prison pour avoir tué sa femme avec son arme de service, une affaire de trafic de cocaïne à l’encontre de Jean-Luc Delarue, etc. Bref, des faits-divers sordides dans lesquels on a du mal à éprouver de l’empathie pour leurs auteurs.
Magali Tabareau, c’est aussi cette juge qui avait condamné à 7 ans de prison un dealer présumé, Mohamed Fodil, sur la base de faux en écritures, encourageant ainsi une pratique courante chez les policiers consistant à se couvrir en produisant des procès verbaux mensongers.
Magali Tabareau est aussi cette magistrate qui, lorsqu’elle était juge d’instruction dans l’affaire de la mort de Lakhamy et Moushin en 2007 à Villiers le Bel, avait prononcé en 2009 un non-lieu en faveur des policiers impliqués, dont le conducteur du véhicule de police qui avait renversé la moto sur laquelle se trouvaient les deux jeunes, Franck Viallet.
Enfin, Magali Tabareau est cette juge qui, comme pour jeter de l’huile sur le feu, avait renvoyé cinq jeunes de Villiers le Bel devant la Cour d’Assises en 2010 sur la base de témoignages anonymes, les accusant d’avoir organisé les émeutes qui ont suivi le meurtre de Lakhamy et Moushin. Parmi ces accusés, les frères Kamara avaient été finalement condamnés à 12 et 15 ans de prison ferme.
Magali Tabareau n’est donc pas étrangère à des décisions emblématiques ayant considérablement conforté l’impunité policière et la répression d’État. Elle a contribué à mettre au pas un quartier par des décisions judiciaires lourdes, avec cette logique implacable : « en viser un pour faire peur à tous les autres ».
Cette logique, c’est la « logique du LBD » que nos collectifs dénoncent depuis des années, cette logique visant à user de la terreur pour dominer un quartier ou une foule. C’est d’ailleurs tout à fait symbolique que le LBD fut utilisé pour la première fois de façon expérimentale le 27 novembre 2007 lors des émeutes de Villiers le Bel ! Rappelons qu’exactement le même jour, à Nantes, la même arme avait éborgné le lycéen Pierre Douillard alors qu’il manifestait contre la loi de réforme des universités.
L’histoire est souvent faite de symboles. Magali Tabareau pourrait avoir payé le prix d’une vengeance ciblée dont peut-être nous connaîtrons les motivations bientôt. Si les auteurs devaient être des policiers, ce qu’on est obligé d’envisager dans la mesure où seuls des policiers peuvent se procurer des LBD, l’interprétation de cette attaque pourrait changer du tout au tout.
En tout cas, si une décision devait être prise dans cette affaire et qui légitimerait la thèse de la tentative d’homicide, soyez certains que cette nouvelle jurisprudence sera utilisée autant que possible dans des affaires où les policiers ont attaqué et mutilé des personnes au LBD.
Nous sommes pour autant obligés de préciser ici que nous ne nous réjouissons aucunement, ni de ces faits en particulier, ni de l’utilisation de telles armes en général, et cela quelle qu’en soit la justification, dans la mesure où nous avons toujours plaidé pour leur interdiction pure et simple. Leur utilisation massive contre la population n’a fait qu’augmenter d’un palier la violence déjà trop présente dans cette société.
On en profite pour renvoyer vers la liste des personnes mutilées depuis 20 ans par des armes de type Flash ball / LBD : https://desarmons.net/index.php/2019/02/10/1999-2019-en-20-ans-letat-francais-a-rendu-borgne-au-moins-60-personnes/