Illustration : ATTENTION : CECI N’EST PAS UNE « FAKE NEWS » – Manifestation d’appui au président Nicolas Maduro, le 2 février, à Caracas (malheureusement trop discrète pour être remarquée par les médias).
Le 23 janvier 2019, deux manifestations secouent les rues de Caracas. Celle imposante des chavistes, celle massive de l’opposition. C’est dans la fièvre de cette dernière que, depuis l’estrade dressée place Juan Pablo II, dans le très chic « municipio » de Chacao, le député et président de l’Assemblée nationale [1] Juan Guaidó s’autoproclame « président par intérim » du Venezuela et « prête serment ». Arguments invoqués : les articles 233, 333 et 350 de la Constitution qui établissent que, en cas « d’absence absolue du chef de l’Etat », il revient au chef du pouvoir législatif d’occuper temporairement la présidence et de convoquer des élections. « Absence absolue » ? A quelques kilomètres de là, depuis le balcon du palais présidentiel de Miraflores, le chef de l’Etat constitutionnel, Nicolás Maduro, harangue la foule, au milieu des ovations.
Pour qui ne s’informerait qu’en écoutant les « matinales » de France Culture ou France Inter, représentantes officielles à Paris de la droite radicale et de l’extrême droite vénézuéliennes, on rappellera la déclaration récente de Claudio Fermín, chef de campagne du candidat de la droite civilisée, Henri Falcón, lors de la dernière élection présidentielle : « La victoire du chef de l’Etat le 20 mai 2018 constitue un fait politique et, en conséquence, Maduro est un président légitime [2]. »
Impuissant en interne, privé de tout pouvoir effectif, en l’absence de soutien de l’armée et des corps constitués – Assemblée nationale constituante (ANC), Tribunal suprême de justice (TSJ), Conseil national électoral (CNE), etc. –, le président fantoche Juan Guaidó a dans les faits été « nommé » par la Maison Blanche pour servir de pivot dans la poursuite de la déstabilisation du Venezuela. Le 22 janvier, veille de son auto-proclamation, le vice-président étatsunien Mike Pence avait diffusé ses ordres sous forme d’un message vidéo dans lequel il appelait les manifestants vénézuéliens « à faire entendre leur voix demain » et assurait, au nom de la Maison-Blanche et (supposément) du peuple américain : « Nous sommes avec vous tant que ne sera pas restaurée la démocratie. » Le 23, quelques minutes après la pseudo prestation de serment, c’est Trump en personne qui se chargea par tweet de faire savoir qu’il reconnaissait Guaido comme seul président du Venezuela.
Très emblématiquement, c’est depuis le Forum économique mondial de Davos, symbole de l’argent, du pouvoir et des milliardaires au cerveau plein de chiffres, que Mauricio Macri (néolibéral pur et dur), Ivan Duque et Jair Bolsonaro (extrême droite), respectivement présidents de l’Argentine, de la Colombie et du Brésil, pays chefs de file du Groupe de Lima, violemment hostile à Caracas, ont apporté leur onction à Guaidó.
En avril 2002, lors de l’éphémère coup d’Etat contre Hugo Chavez, les plus rapides à reconnaître le patron des patrons Pedro Carmona « seul président légitime » s’appelaient George W. Bush et José María Aznar. En 2019, un « trio de la honte » euro-américain a assuré la succession : Donald Trump, le « socialiste » espagnol Pedro Sánchez et Emmanuel Macron. Dès le 24 janvier dans la matinée, ce dernier a ainsi twitté : « Depuis l’élection illégitime de Nicolás Maduro en mai 2018, l’Europe soutient la restauration de la démocratie. » Avant, se croyant encore au temps des colonies, de lancer en compagnie de Sánchez un « ultimatum de huit jours » à Maduro pour qu’il organise de nouvelles élections. Faute de quoi Paris reconnaîtrait le « pronunciamiento » (rebaptisé « Juan Guaidó »).
Ne manquant pas d’humour et croquant férocement l’impudence des petits marquis européens, le président vénézuélien a en retour posé un ultimatum à Madrid en lui donnant « huit jours pour reconnaître la Catalogne », faute de quoi Caracas prendrait des sanctions.
Du XVIIe à la presque fin du XXe siècle, la souveraineté nationale a constitué le principal fondement du droit international. Le principe selon lequel « tout Etat a le droit inaliénable de choisir son système politique, économique, social et culturel sans aucune forme d’ingérence de la part de n’importe quel autre Etat » a été confirmé par divers actes juridiques, notamment la résolution du 24 octobre 1970 de l’Assemblée générale de l’ONU et l’acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) de 1975 [3]. Aux « conquistadores » à la petite semaine, il n’est pas inutile de rappeler quelques principes de ce droit international censé garantir le respect de l’article 2, paragraphe 1 de la Charte de l’ONU : « L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres. » Il s’agit, somme toute, de protéger les plus faibles des disparités de puissance entre Etats. En rappelant, par exemple « le devoir d’un Etat de s’abstenir de favoriser, d’encourager ou d’appuyer, directement ou indirectement, les activités de rébellion ou de sécession, au sein d’autres Etats, sous quelque prétexte que ce soit, et de toute action tendant à briser l’unité ou à saper ou à compromettre l’ordre politique d’autres Etats » ; « le devoir d’un Etat de s’abstenir d’exploiter et de déformer les questions relatives aux droits de l’Homme dans le but de s’ingérer dans les affaires intérieures des Etats, d’exercer des pressions sur des Etats ou de susciter la méfiance et le désordre à l’intérieur d’Etats ou de groupes d’Etats et entre eux [4]. » Quant au paragraphe 4 du même article 2 de la Charte fondamentale, que semblent ignorer tant Donald Trump que Luis Almagro, lesquels n’ « écartent pas l’option militaire », il interdit « la menace ou l’emploi de la force contre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance politique du tout Etat ».
En tant qu’association d’Etats indépendants, l’ONU peut admettre un nouvel Etat parmi ses membres. Elle accrédite également les titulaires de la représentation de chacun des pays siégeant en son sein. Dans le cas d’un changement normal d’autorité, au terme d’une élection démocratique, par exemple, la question de l’accréditation du représentant de l’Etat concerné ne se pose pas [5]. Plus complexe se révèle la reconnaissance de l’autorité légitime d’un pays en cas de doute sur les conditions du processus démocratique, après ou pendant des troubles intérieurs, une révolution, un coup d’Etat ou l’existence d’un « gouvernement en exil » (en général autoproclamé). N’étant ni un Etat ni un gouvernement, l’ONU en tant que telle n’est pas habilitée à trancher. Elle dépend du concert des Nations. Au sein duquel certaines dominent et d’autres non. Avec de surcroît, au Conseil de sécurité, dont les décisions ont un caractère obligatoire, cinq membres permanents disposant d’un droit de veto [6].
Dès lors, en l’absence de tout critère qui puisse véritablement la fonder, la légitimation de tel ou tel acteur apparaît éminemment politique, sachant par ailleurs que l’acceptation d’un gouvernement comme représentant d’un Etat au sein d’une organisation internationale ne s’analyse pas nécessairement comme une reconnaissance collective de celui-ci [7]. Et que les tractations se déroulent à l’occasion hors des murs de l’ONU.
Le passé pré et post-ONU fourmille d’exemples faisant pencher le fléau de la balance dans un sens ou dans l’autre, au gré des circonstances et des intérêts en jeu. On mentionnera simplement ici la façon dont les Etats-Unis, après 1917, ont ignoré la révolution bolchévique, ne reconnaissant qu’un gouvernement tsariste, qui n’avait aucune maîtrise effective de son supposé territoire ; le gouvernement de la France libre, reconnu par les alliés et considéré comme un gouvernement légitime de 1940 jusqu’à la fin de la guerre ; Taïwan qui a longtemps représenté la Chine à l’ONU alors qu’il ne contrôlait qu’une île de 36 000 kilomètres carrés ; le général de Gaulle, chef d’Etat français capable de ne pas servir de carpette aux Etats-Unis, reconnaissant la République populaire de Chine le 27 janvier 1964, sept ans avant l’ONU et quatorze ans avant l’établissement de relations diplomatiques entre Washington et Pékin ; plus récemment, en 1991, le président haïtien Jean-Bertrand Aristide qui, renversé par un coup d’Etat et en exil, a continué à siéger à l’ONU à travers ses représentants, les sbires du gouvernement illégitime n’y étant pas admis.
Sous la forte domination de Washington, la mondialisation néolibérale et une forme d’hégémonie euro-atlantique ont contribué, ces dernières années, à une érosion du droit et donné lieu à des actes belliqueux d’un caractère purement discrétionnaire. Avec des résultats généralement calamiteux.
C’est ainsi au nom de « raisons humanitaires » – nourrir la population acculée à la famine – que l’opération hyper-médiatisée « Restore Hope » a été menée en 1992 par les Etats-Unis et les Casques bleus de l’ONU en Somalie. Chacun s’en souvient, faute d’une connaissance des réalités socio-économiques du pays, elle s’est terminée en 1993 par un sanglant fiasco, sans, en rien, améliorer le sort des Somaliens.
Un quart de siècle plus tard, le même type de prétexte – « l’aide humanitaire » – revient pour justifier ce qui n’est en fait qu’une cynique provocation. Asphyxiant le Venezuela par une sournoise « guerre économique » et d’astronomiques sanctions financières, les Etats-Unis et leurs supplétifs annoncent la livraison de cette « aide » de l’USAID à Guaido et son « gouvernement de transition ». D’ores et déjà, avec l’accord du président Duque, la ville de Cúcuta, sur la frontière colombienne, a été choisie comme principale porte d’entrée d’un supposé « corridor humanitaire » destiné à faire entrer au Venezuela un important stock d’aliments et de médicaments (à l’heure où nous écrivons, la présence du socialo-sarkozo-macroniste Bernard Kouchner, avec son sac de riz sur l’épaule, n’a pas encore été confirmée [8]).
Cúcuta est un lieu particulièrement symbolique. Dans une région colombienne hautement pénétrée par le paramilitarisme, cette ville est le centre de la « contrebande » hautement organisée qui participe de la « guerre économique » imposée au Venezuela. Le gouvernement « bolivarien » refusant de laisser se développer ce « show » monté avec la complicité de la Colombie (mais aussi du Brésil et d’une île de la Caraïbe encore non précisée), la tentative de faire entrer cette « assistance humanitaire » dans le pays pour la remettre à un pseudo gouvernement « de transition » va se révéler hautement problématique et pourrait déboucher sur de sérieux incidents – objectif à l’évidence recherché.
Emmanuel Macron n’a rien d’un précurseur. Créé le 27 février 2011 en Libye afin de coordonner la rébellion contre le régime de Mouammar Kadhafi, le Conseil national de transition (CNT) a été d’emblée reconnu par de nombreux Etats. La France de Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et Bernard Henri Lévy a été le premier d’entre eux à recevoir des représentants du CNT. Les Nations unies ont finalement gelé les fonds et les avoirs financiers appartenant à / ou contrôlés par la famille Kadhafi, l’objectif étant à terme de permettre « au peuple libyen » de récupérer ces biens – peuple qui les attend encore, son pays ayant été imprudemment ou cyniquement détruit, livré à la rapine et au chaos. Perspective qu’on ne peut nullement écarter s’agissant du Venezuela où une guerre civile menace si d’aventure Maduro venait à être renversé par l’actuelle tentative de coup d’Etat. Ce qui, bien entendu, n’a rien de certain, le chavisme faisant preuve de belles capacités de résistance. Mais que chacun en soit conscient : outre le Venezuela, une telle catastrophe affecterait fortement la Colombie voisine, où les « accords de paix » battent de l’aile, sabotés par l’extrême droite et ce qu’on appellera pour aller vite « l’oligarchie ». Les conditions sont réunies pour une extension du conflit.
En droit international, l’usage a consacré les « sanctions » comme terme générique pour qualifier les contre-mesures légitimes prises par le reste du monde à l’encontre d’un Etat qui ne respecte pas ses obligations internationales. S’agissant de celles, financières, unilatéralement imposées par Washington à Caracas, qui ne semblent poser aucun problème à l’Union européenne (pourtant elle même parfois affectée par les lois extraterritoriales américaines), elles ne sont nullement sanctifiées par les Nations unies [9]. Bien au contraire. « Je suis particulièrement préoccupé d’entendre des informations selon lesquelles ces sanctions visent à changer le gouvernement vénézuélien », a déclaré le 31 janvier le Rapporteur spécial de l’ONU Idriss Jazairy, avant de préciser : « L’utilisation de sanctions de la part de pouvoirs extérieurs pour renverser un gouvernement élu est en violation de toutes les normes du droit international. » Le 17 septembre 2018, plus avisé que son compatriote et successeur, le « José María Aznar de gauche » Pedro Sánchez, l’ex-président du gouvernement espagnol José Luis Rodriguez Zapatero, fort de son expérience de médiateur entre le gouvernement bolivarien et son opposition, avait lié « l’intensification des flux migratoires [de Vénézuéliens] aux sanctions économiques imposées par les Etats-Unis ».
Transition encore… Avant même les Etats-Unis (6 décembre 2011) et le Royaume-Uni (24 février 2012), Paris est la première capitale, le 23 novembre 2011, à reconnaître comme « interlocuteur légitime » le Conseil national syrien, qui ne représentait qu’une infime partie de l’opposition. Deux jours après l’apparition de la Coalition nationale syrienne, le 11 novembre 2012, et soucieux de faire aussi mal que son prédécesseur avec la Libye, c’est le nouveau président François Hollande qui, sans craindre « d’ajouter la guerre à la guerre » (pour reprendre une expression de François Mitterrand [10]
), déclarera : «
La France reconnaît la Coalition nationale syrienne comme la seule représentante du peuple syrien et donc comme le futur gouvernement provisoire de la Syrie démocratique, permettant d’en terminer avec le régime de Bachar Al-Assad. » Huit années après le déclenchement de la tragédie, on peut
a minima s’interroger sur l’opportunité d’une telle prise de position qui n’a en rien fait avancer la cause de la paix et a totalement marginalisé la diplomatie française dans la région.
Mélange bâtard de ses deux prédécesseurs, le président Macron figure donc en première ligne de cette « communauté internationale » qui, à en croire la sphère médiatique, a reconnu la légitimité de Juan Guaido et de son « gouvernement de transition ». Information ou manipulation ?
Côté pro-coup d’Etat, Washington et ses supplétifs. Le Groupe de Lima (13 pays latinos conservateurs plus le Canada). Le 4 février, depuis Ottawa, celui-ci s’est prononcé « pour un changement de régime sans usage de la force » en appelant… l’armée vénézuélienne « à se ranger derrière Juan Guaido ». Message subliminal : « On cherche un Pinochet sympa. » Et respectueux des nouvelles normes en matière de coup d’Etat.
Traditionnellement, un « golpe » est défini comme la prise illégale et brutale du pouvoir par l’armée ou par une autorité politique bénéficiant de son soutien. Si le pire devait survenir au Venezuela en la figure d’un quarteron de généraux félons, qu’on n’imagine pas un scénario à la chilienne. L’opération porterait le tampon « méthode Honduras ».
Dans ce pays, en juin 2009, ce sont le Parlement, la Cour suprême de justice et, dans l’ombre, Washington, qui se trouvent à la manœuvre pour renverser le président constitutionnel – mais de gauche – Manuel Zelaya. L’astuce (sur ordre impératif du gouvernement américain) : le 28 juin, c’est un commando militaire qui arrête et séquestre le chef de l’Etat, l’expédie à l’étranger et réprime violemment ses partisans. Toutefois, l’exécuteur des basses œuvres, le général Romeo Vásquez, remet immédiatement le pouvoir au président du Congrès. Une manœuvre parfaite : « soumis au pouvoir civil », qui lui a demandé d’agir pour défendre la Constitution, les militaires servent d’instrument à une « succession présidentielle ». Bientôt, le régime putschiste de Roberto Micheletti se verra rebaptisé « gouvernement de transition » [11]. Anesthésiée par la présence omniprésente des « costume cravate », l’opinion internationale n’y verra que du feu.
Le Groupe de Lima, donc [12]. Les boutefeux européens : l’Allemagne, l’Espagne, la France, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, bientôt rejoints par l‘Autriche, qui envoient un l’ahurissant ultimatum de huit jours au chef de l’Etat constitutionnel, lui enjoignant de convoquer une nouvelle élection présidentielle, puis reconnaissent le « fils de Trump » (en espagnol : « HijueTrumpa »). Comme l’a fait le 31 janvier – 430 « pour », 104 « contre » et 88 abstentions – le Parlement européen. Une résolution non contraignante, mais donnant le sens du vent mauvais.
Derniers appuis au « dictateur », soutiennent devant micros et caméras les disciples du faux-semblant, la Russie, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran, la Turquie et Cuba. Une liste qui, puant les « pays parias » à plein nez, est censée mettre un terme à tout débat. Sauf que le monde entier n’est pas obligé de croire ce genre de demi-vérité. Car, à l’examen, même l’Europe se divise. « Aussi incroyable que cela paraisse, s’étrangle L’Express (6 février), il y a au cœur de l’UE des gouvernements qui ne parviennent toujours pas à déclarer ouvertement que Nicolas Maduro, le maître de la clique de Caracas, s’est rendu illégitime (…). » Interdisant une position commune, la Grèce et l’Italie, ou la Roumanie refusent de suivre le troupeau ; seules dix-neuf nations de l’UE sur vingt-huit reconnaissent Guaido.
Pire encore au sein de l’Organisation des Etats américains ! Humiliant son secrétaire général Almagro et le chef de la « diplomatie » américaine (et ex-patron de la CIA) Mike Pompeo, la résolution destinée à adouber le pseudo-président, lors du Conseil permanent réuni le 24 janvier, n’a recueilli que 16 voix sur 34 – c’est-à-dire, pour qui sait compter, une minorité. Par la voix de leur représentant, le premier ministre de San Cristóbal et Nieves, Timothy Harris, les pays de la Communauté des Caraïbes (Caricom) ont vertement exprimé leur « désapprobation et leur grave préoccupation » face aux scandaleux agissements d’Almagro. Tandis que le « nouvel ambassadeur vénézuélien » nommé par l’Assemblée nationale, Gustavo Tarre Briceño, n’était pas autorisé à participer à la session, le Mexique (ex-membre du Groupe de Lima, abandonné depuis l’élection d’Andrés Manuel López Obrador) a enjoint le secrétaire général de vérifier « le statut juridique » de Guaidó. Puis, en compagnie de l‘Uruguay, s’est proposé comme médiateur pour de possibles discussions. Que Maduro a acceptées.
Pour les apprentis sorciers, le coup de grâce provient finalement de l’ONU. Le 26 janvier, au cours de la réunion extraordinaire du Conseil de sécurité, convoquée à la demande du secrétaire d’Etat Mike Pompeo pour essayer d’obtenir la reconnaissance du « gouvernement fantoche », dix-neuf des vingt-cinq pays de tous les continents qui participent au débat se prononcent pour la non ingérence dans les affaires intérieures du Venezuela. Au nom de l’Union africaine, continent qui s’y connaît en matière d’arrogance coloniale, le vice-président Thomas Kwesi Quartey, envoie un message de solidarité au président Maduro.
Certes, Guaido poursuit son « show » en faisant nommer, par l’Assemblée nationale, de nouveaux « ambassadeurs » au Brésil, au Paraguay, au Guatemala, en Argentine, aux Etats-Unis, etc… Que vont faire les nouveaux duettistes Pedro Sánchez et Emmanuel Macron, pour ne citer qu’eux ? Dans leurs capitales respectives, ils ne peuvent autoriser quiconque à utiliser les locaux de l’ambassade vénézuélienne, compte tenu de l’inviolabilité rappelée à l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Cela ne leur interdit pas de déclarer les ambassadeurs du gouvernement qu’ils contestent persona non grata et de les obliger à quitter le territoire. Mais, dans ce cas, comment pourront-ils prétendre à un rôle d’interlocuteur dans le Groupe de contact européen [13] – censé, avec son homologue latino-américain, et à l’initiative du Mexique et de l’Uruguay (qui n’ont pas reconnu Guaidó), aider le Venezuela à trouver une sortie négociée – ce qui implique de parler avec les représentants du président Maduro ? Joli casse-tête pour le brillant (Jean-Yves) Le Drian.
Pour qui demeure attaché au droit international, censé faire sortir l’Humanité de la barbarie, le bon côté de la légitimité saute aux yeux : le 31 janvier, en réponse à une requête de Guaidó, Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a confirmé que les Etats de l’Assemblée générale des Nations unies et du Conseil de sécurité reconnaissent Nicolás Maduro comme président constitutionnel et légitime du Venezuela. Il s’est également félicité de l’initiative du Mexique et de l’Uruguay, organisateurs d’une réunion internationale dans le but de lancer un dialogue politique. Toutefois, vraisemblablement conscient de l’hypocrisie et de la duplicité de certains des participants, le secrétaire général Guterres a fait savoir que son secrétariat ne participera à aucune réunion de groupes qui se forment pour discuter de la crise vénézuélienne, afin de « garder sa crédibilité ».
De son côté, et alors que l’opération « corridor humanitaire » va démarrer sous l’œil des essaims de caméras, à la demande du « président par intérim », le directeur des opérations du Comité international de la Croix Rouge (CICR), Dominik Stillhart, a informé que tout acheminement d’aide au Venezuela ne sera(it) possible qu’avec « le consentement du gouvernement du président Nicolás Maduro ». Cheffe de la délégation du CICR pour les Etats-Unis et le Canada, Alexandra Boivin a même été plus loin en avertissant Washington « des risques qu’implique sa décision d’envoyer de l’aide au Venezuela sans autorisation du gouvernement ».
Trump et ses petits soldats peuvent bien monopoliser les « unes » des ex-journaux d’information, les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur les 197 Etats actuellement reconnus par l’Organisation des Nations unies, seuls 34 ont reconnu Juan Guaido [14]. « Le [supposé] défaut de légitimité [de Maduro] n’est jamais qu’un prétexte d’apparence juridique invoqué pour justifier un refus de reconnaissance inspiré par des considérations purement politiques [15]. » Même avec l’onction de l’impérialisme et du sous-impérialisme, une tentative de coup d’Etat demeure une tentative de coup d’Etat. Aux pages les plus honteuses de l’Histoire de France – la reconnaissance du régime franquiste en 1939 ou le maintien des relations diplomatiques avec le Chili, après le coup d’Etat du général Augusto Pinochet (1973) – , il conviendra désormais de rajouter un chapitre : Emmanuel Macron et le Venezuela.
Maurice Lemoine
[1] Depuis janvier 2016, l’Assemblée nationale, dominée par l’opposition, se trouve dans l’illégalité (« desacato ») pour avoir fait prêter serment à trois députés élus dans des conditions irrégulières.
[2] Globovisión, Caracas, 15 janvier 2019.
[3] Olivia Danic, « L’évolution de la pratique française en matière de reconnaissance de gouvernement », Annuaire français de droit international, CNRS Editions, Paris, 2013.
[4] « Déclaration sur l’inadmissibilité de l’intervention et de l’ingérence dans les affaires intérieures des Etats », résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies 36/103 du 9 décembre 1981.
[5] A chaque session, l’Assemblée générale examine les pouvoirs de tous les représentants des Etats membres participants.
[6] France, Etats-Unis, Russie, Royaume-Uni et Chine.
[7] Résolution 396 (V) du 14 décembre 1950 de l’Assemblée générale des Nations unies.
[8] Le 5 décembre 1992, accompagné d’un fort contingent de journalistes pour immortaliser son courage et son abnégation, Kouchner, alors ministre de la Santé et de l’Action humanitaire du gouvernement Bérégovoy (socialiste), débarqua, un sac de riz sur l’épaule, sur une plage, au nord de Mogadiscio.
[10] Le 28 juin 1992, lors d’une visite éclair à Sarajevo, pendant le conflit en ex-Yougoslavie, Mitterrand, pressé par les inévitables Bernard-Henri Levy et Bernard Kouchner, rejeta toute action militaire contre la Serbie.
[11] Lire Maurice Lemoine, Les enfants cachés du général Pinochet. Précis de coups d’Etats modernes et autres tentatives de déstabilisation, Don Quichotte, Paris, 2015.
[12] La chaîne d’information panaméricaine Telesur s’est vue interdire de couvrir sa dernière réunion à Ottawa (si quelqu’un croise Reporters sans frontières, prière de bien vouloir l’en informer).
[13] Allemagne, Espagne, France, Italie, Portugal, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède.
[14] 16 en Amérique (sur 35) ; 15 en Europe (sur 50) ; 1 au Proche-Orient (sur 16) ; 1 en Afrique (sur 54) ; 1 en Océanie (sur 15).
[15] J. Touscoz, Le principe d’effectivité dans l’ordre international, LGDJ, Paris, 1964.