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Scoop ! Le chômage va baisser (son expression statistique tout du moins…)

Depuis plusieurs semaines, ils sont nombreux à se sentir privilégiés. Non parce qu’ils sont fonctionnaires. Mais parce qu’ils peuvent assister, de l’intérieur, à un abus de biens sociaux à grande échelle. Un scandale auquel ils apportent leur modeste contribution. Sans aucune gloire (pour la plupart d’entre eux, en tout cas).

Tout le monde n’a pas une telle chance ! Vivre un « événement » en direct. En acteur et non en spectateur. Un événement que les chaines de désinformation continue passent sous silence. Elles parleront du résultat (évidemment !) mais certainement pas du processus ayant conduit au résultat en question.

Mais de quoi s’agit-il exactement ?

« Le président de la République a annoncé le 18 janvier dernier les grandes orientations du plan d’urgence pour l’emploi et plus particulièrement un plan massif de 500 000 actions de formation supplémentaires. Cela revient à doubler le nombre de formation au bénéfice des personnes en recherche d’emploi. » lit-on sur le site du Ministère du Travail.

L’objectif « officiel » de ce plan est simple : faire baisser le chômage.

Personne ne sait si cet objectif sera atteint. Pour le coup, il faudrait être devin…

Mais, une chose est d’ores et déjà acquise, sans nécessité de recourir à une boule de cristal, les chiffres du chômage vont diminuer.

Et comme les chiens de garde confondent allègrement les chiffres du chômage et le chômage, le Gouvernement ne manquera pas de se vanter des résultats obtenus sur le « front » de l’emploi.

N’est-ce pas là l’essentiel pour des politiciens obnubilés par les prochaines échéances électorales ?

Vu les volumes en jeu – on parle de 500 000 formations supplémentaires qui devraient concrètement être mise en œuvre d’ici la fin de l’année 2016… une bagatelle – le résultat devrait être mécanique.

En effet, un chômeur inscrit à Pôle emploi change de catégorie lorsqu’il entre en formation financée sur fonds publics. Il passe en catégorie D. [1]

Or, les chiffres du chômage, relayés tous les mois par nos inénarrables médias de à la masse, portent sur les chômeurs inscrits en catégorie A. [2]

Toute l’astuce est là.

Chapeau bas, messieurs de l’Elysée et Matignon ! Personne n’y avait pensé avant… La seule différence avec vos prédécesseurs, c’est que vous y mettez le paquet : «  L’État accompagne financièrement la réalisation de ce plan, par un effort exceptionnel à hauteur de 1 Md€. » (Ministère du Travail, op. cit.)

1 milliard d’euros : c’est là que commence l’abus de biens sociaux à grande échelle.

1 milliard d’euros pour un plan qui fera baisser les chiffres du chômage (intérêt « politicien » du tandem élyséeno-matignonesque) sans aucune garantie quant à la réduction du chômage réel (enjeu politique de premier plan). Le détournement de l’argent public à des fins électoralistes est incontestable.

Et que dire du détournement des missions des agents de l’Etat, de Pôle emploi et des Régions ? Eux qui, du global au local, sont sommés de s’activer pour que ces « 500 000 actions de formation supplémentaires » se mettent en place rapidement et, surtout, trouvent preneur.

- Identifier les besoins de formation au plus près des entreprises et des territoires,

- Solliciter les organismes de formation quant à leurs capacités d’accueil supplémentaires,

- Compiler les « données » pour permettre aux décideurs d’effectuer des arbitrages,

- Lancer les consultations (marchés publics) supplémentaires ; étudier les offres ; organiser les CAO (Commissions d’appel d’offres) ; préparer les décisions ; notifier les attributions de marchés,

- Mener des actions d’information diverses et variées auprès des institutions et surtout des demandeurs d’emploi (campagnes de mailing, entretiens individuels, réunions collectives, forums « formation », etc.)

J’en passe… Un travail de l’ombre effectué par les milliers de salariés des services publics de l’emploi et de la formation professionnelle. Salariés dont, en principe, la raison d’être n’est pas d’agir sur les chiffres du chômage mais sur le chômage lui-même.

Sans compter l’exigence de répondre en « urgence » aux impératifs gouvernementaux. Dans certains cas, 48h ou 72h étaient accordées aux agents de base pour identifier les formations nouvelles qui « [répondront] aux besoins en compétences des entreprises et des branches professionnelles, territoire par territoire. » (Ministère du Travail, op. cit.). Autant dire : mission impossible.

Aussi, en plus du milliard d’euros dépensé à la va-vite, combien d’heures de travail d’agents publics (dont les salaires sont financés par les contribuables) auront été utilisées, mieux dénaturées, pour rendre possible cette mascarade ?

En définitive, à combien se chiffrera le coût de cette opération bassement politicienne ?

La Cour des comptes, et ses petites sœurs les Chambres régionales des comptes, nous renseigneront-elles sur cette gabegie ? Pourra-t-on compter sur une Commission d’enquête parlementaire ?

Las, indignation de masse il n’y aura certainement pas. Lutter contre le chômage, c’est un peu comme lutter contre le SIDA : qui pourrait décemment être contre ? Tout heureux d’être associé à une cause si noble, le lampiste jettera-t-il la lumière sur ce qui est hors-cadre ?

Et pour les petites mains (qui ne se résignent pas à devenir des petites frappes) aller au clash avec la hiérarchie n’ira pas de soi. Alors, on se rassurera en se répétant que ces formations supplémentaires seront, malgré tout, une opportunité pour toutes celles et tous ceux qui en bénéficieront… Ce qui n’est pas totalement faux. Alléluia !

Heureusement, en attendant une improbable insurrection des professionnels de l’emploi et de la formation qui contribuent depuis plus de 30 ans à la mise en œuvre de politiques inefficaces [3], il est encore possible de participer à la convergence des luttes.

Car, comme l’écrit à deux reprises dans son journal intime Winston Smith, le personnage principal de 1984, « s’il y a un espoir, il réside chez les prolétaires » [4]. Et il se trouve que nombre d’entre eux sont en grève et dans la rue. Ici et maintenant.

Lambert OLIVA-TORRES

Notes

[1] Pour une présentation claire et simple des cinq catégories de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, on se reportera au site internet www.service-public.fr
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F13240

[2] Parfois, les médias de masse comparent les évolutions des catégories A, B et C. Ce fut le cas, par exemple, à l’occasion de la publication des chiffres du chômage du mois de mars 2016. En revanche, la catégorie D est étrangement passée sous silence. Ce propos est illustré par les deux références suivantes :
http://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/chomage/chomage-baisse-en-t...
http://www.france24.com/fr/20160426-forte-baisse-nombre-chomeurs-franc...

[3] cf. Philippe Askenazy, Les Décennies aveugles, Seuil, 2011. Analyse de 40 années de politiques de l’emploi (1970-2010) inefficaces contre le chômage.

[4] cf. George Orwell, Nineteen Mighty-Four, Secker and Warburg, 1949. Cette phrase rythme 1984 (quatre occurrences) et donne quelques lueurs d’espoir à l’œuvre sombre d’Orwell.


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