A propos de la nouvelle guerre menée par une coalition de pays « démocratiques », en Libye, Edwy Plenel, co-fondateur et président de Mediapart, pose une question très judicieuse :
« Ne peut-on, à la fois, souhaiter la chute rapide du dictateur Kadhafi et ne pas être dupe de l’opération orchestrée par Nicolas Sarkozy ? » [1].
Cette question aurait pu être posée, telle quelle, en modifiant simplement les noms, pour Slobodan MiloÅ¡ević, Saddam Hussein (2 x), les Talibans, comme aujourd’hui, monsieur Plenel la pose très justement à propos du colonel Kadhafi.
Malgré les coûts directs et indirects, humains et matériels [2-3-4-5] de nos interventions, comment nous, les populations « pacifiques » de ces pays « démocratiques », pouvons-nous suivre aussi passivement, voire avec une pointe de fierté, nos gouvernements va-t-en-guerre ?
Il est vrai que nous sommes nourris depuis notre tendre enfance par des films et des séries hollywoodiens qui, du fond de nos fauteuils, nous font nous sentir héroïques, et nous font croire au bien fondé de nos interventions meurtrières à travers le monde entier.Nous sommes les Bons. L’Autre est méchant.
La raison en est peut-être l’ignorance, car en nous basant uniquement sur les présentations manichéennes et partisanes de nos médias écrits et télévisés, comme ce fut le cas pour la première guerre du Golfe (et la seconde), nous pourrions croire effectivement que par la guerre et la destruction, nous apporterons la paix, la liberté et la démocratie à ces peuples opprimés.
Toutefois, cette explication, l’ignorance, ne tient plus la route depuis l’accès à l’internet grâce auquel nous pouvons tous nous forger des opinions beaucoup plus nuancées et proches de la vérité.Cette « ignorance » ressort davantage de la naïveté volontaire.
Ainsi, comme ce fut déjà le cas pour les guerres d’Irak et d’Afghanistan (et du Viêt-Nam [6] en son temps), de nombreux articles d’auteurs sérieux et spécialisés nous révèlent les véritables dessous de notre intervention en Libye [7-8-9-10]. Celle-ci n’a rien d’humanitaire.
Est-ce par grand coeur, le genre de celui que seule une « démocratie » peut façonner, que nous nous prenons d’amitié soudaine pour des populations dont nous ne connaissons rien, au point de vouloir leur apporter la « liberté » à coups de bombes, de rafales et de F-16 ?
Ou sommes-nous tellement habitués à suivre docilement nos gouvernements, sans jamais les interpeler ni demander des comptes ? Les manifestations sociales de plus en plus larges, la mobilisation humaine contre un capitalisme destructeur semblent le démentir.
Il est en effet très étrange qu’à l’époque des plans d’austérité féroces, du recul de tous les acquis sociaux, de la dégradation interminable des secteurs publics, de la paupérisation de ces mêmes populations des pays « démocratiques », nous tous, quidams, prêts à travailler des années de plus pour gagner moins d’argent et jouir d’une vie de moindre qualité, nous laissions nos gouvernements dépenser autant d’argent public en essence pour des F-16 et des rafales.Certains brandissent même le poing, fièrement !Encore un cul de dictateur à botter !
Aimons-nous tant que cela « jouer » à la guerre, au point de compromettre nos pensions, nos santés, l’éducation de nos enfants, leur futur environnement ainsi que leur droit à vivre dans un monde juste et en paix, où tout le monde mangerait à sa faim, comme cela serait possible, aujourd’hui [11] ? A condition d’arrêter d’utiliser la guerre, les bombes et les porte-avions comme seul moyen de faire la paix.
Entre nos gouvernements « démocratiques » dont l’allergie aux dictatures est très sélective et très amnésique, ces gouvernements modèles qui ne recourent à la guerre que par nécessité car selon eux il n’y aurait pas d’alternative, entre eux et les habitants dont l’esprit critique s’éveille enfin, se trouve « l’opinion publique », celle dont la réalité du monde est résumée par les présentations manichéennes et partisanes de nos médias écrits et télévisés.
Cette opinion publique pourrait faire rentrer ces Sarkozy, Cameron, Obama à la maison et exiger qu’ils s’occupent correctement, honnêtement et justement de leurs populations plutôt que des multinationales du pétrole et de la reconstruction.
Tant que cette opinion publique ne s’éveillera pas, il y aura encore beaucoup de guerres comme celles de Yougoslavie, d’Irak, d’Afghanistan, et celle du jour, en Libye.
Mais très peu de paix, beaucoup de faim, de tristesse et d’injustices.
Pascal Sacré