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Géorgie - Ossétie du sud - Russie

« Spasìba, Rossìa ! » Paroles de survivant

TSKHINVALI (Ossétie du Sud) : « Si les Russes n’étaient pas arrivés, à cette heure nous serions tous morts ». Valentin jette son mégot dans les gravats qui jonchent le pavement de son appartement, au dernier étage d’une cité dans la banlieue de Tskhinvali. Les murs et le plafond sont noircis par le feu et éventrés par les obus des canons géorgiens. N’ont survécu aux flammes que les sommiers métalliques tordus des lits et les débris de la vaisselle en céramique. « Cet immeuble a été touché par les missiles Grad, par des bombes aériennes et par des tanks. Les Géorgiens ont employé contre nous toutes les armes qu’ils avaient. Rien que dans cette cage d’escalier deux personnes sont mortes. Pendant trois jours et trois nuits, on a vécu à deux cents dans les caves, sans lumière, sans eau ni nourriture. Et on s’en est bien sorti : dans le centre, les soldats ouvraient les trappes et lançaient dedans des grenades. »

Au centre ville, vit Soslan. Il a une trentaine d’années, les yeux rougis par les pleurs, et une barbe de 40 jours de deuil, comme le veut la tradition chrétienne-orthodoxe. Il est debout, les bras croisés, dans le jardin de sa maison, près du tumulus de terre qui, entre les concombres et les tomates, recouvre les dépouilles de deux femmes. « Ma mère, Liana, et ma grand-mère Elena sont mortes pendant les bombardements géorgiens du 8 août, quand un missile Grad a touché notre maison. Elles étaient sorties du refuge pour aller chercher de la nourriture pour les autres. Nous avons du les enterrer ici dans le jardin parce qu’en ville on se battait : nous ne pouvions pas les amener au cimetière ».

Liana et Elena ne sont que deux des centaines de victimes de l’attaque géorgienne contre Tskhinvali, la capitale d’Ossétie du Sud. Malgré la vitesse avec laquelle les centaines d’ouvriers et ouvrières tchétchènes des entreprises de bâtiment russes reconstruisent et nettoient la ville, Tskhinvali montre encore tous les signes de l"attaque géorgienne. Une grande partie des édifices du centre - trois cents habitations civiles, écoles, crèches, universités, bibliothèques, immeubles du gouvernement - sont complètement détruits par les bombes et les flammes, recouverts de toiles vertes qui semblent vouloir cacher pudiquement la violence subie. Toutes les autres constructions sont criblées de tirs des mitrailleuses ou déchiquetés par les obus de canon.

Mais ce qui laisse le plus stupéfait est la vision de l’unique hôpital de la ville, lui aussi à moitié démoli par les tirs de canons et les mitrailleuses géorgiennes. « Même les nazis n’avaient jamais tiré exprès sur les hôpitaux ! » dit Tina, la vieille infirmière-chef, les yeux bleus encore rougis par la fatigue. En nous montrant les souterrains humides où avaient été transférés des centaines de blessés pendant les bombardements, elle nous raconte son expérience de ces journées. « Nous avons travaillé sans instruments et sans lumière, avec très peu de médicaments. Au-dessus de nous les bombes continuaient à tomber. Moi je ne me suis pas arrêtée une minute, je n’ai jamais dormi, on n’avait pas le temps. Mais maintenant je ne me sens pas très bien », et elle se met à pleurer. « Quand nous sommes sortis de cet enfer - continue-t-elle, la voix brisée - il y a une chose qui nous a fait encore plus de mal que les bombes : découvrir que les télévisions internationales ne parlaient que de la Géorgie, et ne disaient pas un mot de la tragédie que nos avons vécue ici. Je vous en prie, vous au moins racontez-le, dites la vérité ».

« Mais pourquoi vos gouvernements ont-ils soutenu le régime fasciste et criminel de Saakashvili ? Pourquoi vos savantes opinions publiques n’ont-elles pas protesté sur cette agression géorgienne contre nous ? » demande Josiph, maîtrise de droit et ex-employé de l’Osce, avec un intérêt sincère et à notre plus grand embarras. « Vous vous rendez compte qu’ils ont pilonné une ville pleine de civils, à froid, par traîtrise même, parce qu’une heure avant ils avaient dit qu’ils n’attaqueraient jamais. Et ils l’ont fait de nuit, pendant que les gens dormaient dans leurs lits. Les tanks géorgiens ont tiré sur des objectifs civils, des maisons, des écoles, des hôpitaux. Ils tiraient à l’aveuglette, sur tout ce qui bougeait. Les soldats géorgiens jetaient des grenades dans les refuges. Ils ont tiré avec des tanks, avec des snipers, contre des colonnes de voitures pleines de civils qui essayaient de quitter la ville : énormément de gens sont morts comme ça ! Ca ne vous dit rien que l’opération géorgienne ait été baptisée « Terrain propre » ? (« Campo pulito » traduction non garantie, je n’ai trouvé aucun article reprenant le terme en français…NdT) Ils voulaient nous exterminer, nous effacer comme peuple ! Et ils y seraient arrivés s’il n’y avait pas eu les Russes ! Tu parles d’une réaction disproportionnée ! (allusion à la déclaration de Bush après la riposte russe, NDT) ».

Inal est un journaliste local, rubicond, poète à ses heures : « Vous les occidentaux vous nous traites de « séparatistes », comme le font les Géorgiens. Mais si vous regardez l’histoire de ce conflit et le droit international, il est clair que les séparatistes sont les géorgiens, pas nous. En septembre 1990, quand l’Union soviétique existait encore, la région autonome d’Ossétie du Sud, qui à l’époque était une partie de la République soviétique géorgienne, décida de rester une partie de l’URSS. Ce choix, tout à fait légitime et légal, fut ensuite ratifié en mars 91 par un référendum qui eut lieu en Union Soviétique. Un mois après, en avril, la Géorgie déclara sa propre indépendance vis-à -vis de Moscou, avec la prétention de garder la souveraineté sur l’Ossétie du Sud par la force. Tbilissi déclara l’état d’urgence et nous attaqua : plus de cent villages furent brûlés, et plus de deux mille personnes tuées. Trente mille autres s’enfuirent en Ossétie du Nord. Ce n’est qu’en janvier 92, après la chute de l’Urss, que l’Ossétie du Sud se proclama Etat indépendant dans l’espoir, assez vain, de se mettre à l’abri des attaques géorgiennes ».

La cloche de la vieille chapelle orthodoxe de Santa Maria, la seule de la ville, sonne le tocsin. A l’intérieur, dans la pénombre et le silence, les petites flammes de centaines de cierges allumés en souvenir des victimes de cette guerre éclairent les icônes dorées qui tapissent les parois. Les fidèles rendent grâce à Saint Georges, très vénéré dans cette région, le saint qui tua le dragon symbole du mal. Sur le mur à l’extérieur de l’église, une inscription à la peinture vernie, les mots d’un remerciement plus terrestre : « Spasìba, Rossìa », merci Russie.

ENRICO PIOVESANA

© PeaceReporter

Ce texte est extrait d’un reportage en Ossétie du Sud qui sera publié dan le prochain numéro de la revue mensuelle PeaceReporter, en vente dans les librairies Feltrinelli à partir du 15 octobre.

PeaceReporter et Radio Popolare ont aussi réalisé un reportage radiophonique sur les victimes de l’agression géorgienne : Les Victimes en Sud Ossétie. Ce sont les données de la commission d’enquête officielle. Pour les autorités sud-ossètes, au moins 1500 personnes ont été tuées ou ont disparu entre le 8 et le 12 août 2008.

Edition de mardi 7 octobre 2008 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/07-Ottobre-2008/art54.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

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"c’est un cliché de journaliste que de souligner le caractère futile de lancer des pierres contre des tanks. Faux. Il est certain qu’il s’agit là d’un acte symbolique, mais pas futile. Il faut beaucoup de courage pour affronter une monstre d’acier de 60 tonnes avec des pierres ; l’impuissance du lanceur de pierres à arreter le tank ne fait que souligner l’impuissance du tank à faire ce qu’il est censé faire : terroriser la population."

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