Derrière la façade d’un nouvel épisode de faux pourparlers de paix, le gouvernement israélien et ses défenseurs attitrés paniquent. Pas une semaine ne se passe sans qu’on entende leur complainte sur "l’isolement" d’Israël, ou sur la campagne de "délégitimation" qu’il subit. En février dernier the Reut institute, un think tank israélien a publié un article de propagande particulièrement délirant en matière de désinformation qu’il a présenté comme un rapport académique et qui dénonçait l’existence d’un effort international concerté pour "miner" le statut diplomatique d’Israël, effort qui "pourrait en arriver à poser une menace existentielle de grande envergure dans les années qui viennent." (*) Pour eux, tout individu ou organisme qui critique la politique d’Israël dans les territoires occupés de Palestine est de facto un membre de ce menaçant réseau de délégitimation. Comme toute la Hasbara (explication) israélienne, the Reut Institute blâme d’abord les Palestiniens et ensuite tous ceux qui relatent ou font connaître leurs épreuves.
Depuis, différents officiels israéliens ont consciencieusement répété les soi-disant découvertes de ce rapport. C’est ainsi que le 21 juin, une édition du Jerusalem Post rapporte les propos de l’Ambassadeur israélien à l’ONU, Gabriella Shalev, selon lesquels Israël serait "le pays le plus isolé et le plus seul au monde". "La pire menace à l’existence [d’Israël] n’est pas la prolifération nucléaire de l’Iran" continue l’article, "mais les efforts internationaux pour délégitimiser Israël." Voyez comme Shalev tout comme l’auteur de l’article répètent mot pour mot les allégations du Reut Institute avec le même vocabulaire apocalyptique. Plus récemment encore, Tony Blair, qui s’est depuis longtemps couvert de honte et d’opprobre, a utilisé exactement le même langage. La délégitimation d’Israël est un "affront" non seulement aux Israéliens mais "à tous ceux qui dans le monde partagent les valeurs humaines de liberté et d’indépendance" a dit Blair dans un discours dans un colloque qui s’intitulait, oui, la délégitimation d’Israël.
Mais où exactement trouve-t-on des manifestations probantes de cette campagne malveillante visant à isoler et à délégitimer Israël ? Certainement pas au gouvernement américain. Le 16 juillet 2010 le Secrétaire d’Etat des USA, Andrew J. Shapiro a fièrement annoncé que "pour l’année fiscale 2010 l’Administration avait demandé au Congrès d’octroyer 2 775 milliards de dollars à Israël au titre de l’assistance sécuritaire, la plus importante demande de cette nature dans l’histoire des USA." Il a ajouté "Le Congrès a donné son accord pour l’année fiscale 2010 et nous avons demandé encore plus - 3 milliards de dollars- pour 2011. Ces demandes sont conformes à l’engagement de l’Administration de donner 30 milliards d’assistance sécuritaire à Israël sur 10 ans selon l’accord de coopération signé en 2007 par les deux pays." Une étude des Conservateurs publiée il y a deux ans par le Washington Report on Middle East affairs (rapport de Washington sur les Questions du Moyen-Orient) indique que le montant de l’aide financière officielle des USA à Israël de 1949 à 2008 s’élève à presque 114 milliards de dollars.
Peut-être alors que c’est l’Europe la coupable ? Pas du tout, selon Robert Fisk qui a récemment écrit que Israël était devenu une membre de l’Union Européenne à qui il ne manquait que la reconnaissance officielle. Fisk cite David Cronin selon lequel "Israël a développé des liens politiques et économiques puissants avec l’UE pendant ces dix dernières années qui ont fait de lui un état membre de l’Union à qui il ne manque que le titre officiel".
Vu que les gouvernements américains et Européens restent clairement déterminés à récompenser Israël de ses crimes, qu’est-ce qui peut donc effrayer le seul état doté de la puissance nucléaire au Moyen-Orient et la quatrième puissance militaire mondiale ? Le grand poète palestinien Mahmoud Darwish a écrit un jour : "Tout ce que vous avez fait à notre peuple est inscrit dans des carnets." Mais même Darwish ne pouvait pas se rendre compte de ce que ses paroles avaient de prophétique. Car aujourd’hui ce qui est fait au peuple palestinien n’est pas seulement recensé par des universitaires et des journalistes, mais aussi par les Palestiniens eux-mêmes sur Youtube, Google video, et sur mille autres sites web de vidéos, et par des sites indépendants d’Internet, des organisations humanitaires et des blogs. Aujourd’hui on peut être témoin du processus de colonisation et de nettoyage ethnique à l’oeuvre en Palestine, dans son contexte et sans censure, en naviguant sur le Net. Bien qu’on puisse citer littéralement des centaines de situations de ce genre dans l’histoire de la Palestine, je vais me concentrer sur trois cas récents :
Premier cas - le village de Bil’in
C’est un cas clair de colonialisme, ce qui arrive à Bil’in, un village de 2000 habitants situé dans les territoires occupés palestiniens. On peut le considérer comme un microcosme de ce qui arrive dans toute la Cisjordanie. Depuis 1995 ses habitants ont organisé chaque semaine des marches pacifiques pour protester comme la construction illégale du mur d’annexion qui les a séparés de 60% de leurs terres de culture. Récemment les villageois ont été rejoints par des citoyens israéliens ainsi que par des internationaux. Les manifestants sont à chaque fois attaqués par les Forces d’Occupation Israéliennes et il y a souvent des blessés et même des morts. Le 17 avril 2009, pendant une marche, Bassem Abu Rahma, qui était désarmé a été tué par balles par un soldat israélien. Ce meurtre gratuit entièrement enregistré sur une vidéo a été balayé par un juge israélien l’année suivante. Ceux qui sont encore assez naïfs pour demander : "Où est le Gandhi palestinien devraient commencer par regarder à Bil’in -il y a quelques 2000 Gandhi là -bas.
Second cas - Shekh Jarrah, Jérusalem Est
Selon le droit international, Jérusalem Est fait partie des territoires occupés palestiniens. En tant que tels, l’état israélien n’a pas le droit de transférer une partie de sa propre population dans ces territoires ni de déporter les habitants de ces territoires. Rien qu’en 2008, l’état d’Israël a annulé le droit légal de résidence de 4 577 Palestiniens de Jérusalem Est afin que les Forces Israéliennes d’Occupation puissent les déporter. Comme on le voit dans les reportages incroyables de Sherine Tadros et Jacky Rowland de Al Jazeera, le quartier de Sheikh Jarrah a été la victime de cet incessant nettoyage ethnique "maison par maison, famille après famille". Les Palestiniens en larmes sont littéralement expulsés de leurs maisons et leurs affaires sont jetées dans la rue pendant qu’ils regardent impuissants les colons juifs prendre possession de leur domicile sous la protection de l’armée d’Israël. Ce que nous voyons là n’est pas la conséquence de quelque désastre naturel mais la conséquence de politiques gouvernementales qui sont soutenues et financées par les gouvernements américains et européens. Quand Tony Blair pontifie sur "les valeurs humaines partagées de liberté et d’indépendance" on se demande s’il a jamais mis les pieds à Jérusalem Est.
Troisième cas - Le village de Al-Arakib
Situé dans le Naqab (Negev), Al-Arakib, un village de 300 Bédouins palestiniens, a été détruit plusieurs fois en l’espace de trois mois. En dépit du fait qu’ils sont citoyens d’Israël, l’état refuse de reconnaître leur droits de propriété sur la terre qui datent de la période ottomane. En fait, Al-Arakib est un des 50 villages bédouins dont Israël ne reconnaît pas la légalité. Pendant l’été de 2010 le gouvernement israélien a décidé de faire un exemple avec Al-Arakib, et comme le montre Max Blumenthal dans quelques reportages accablants, il a fait détruire le village à cinq reprises laissant ses habitants sans domicile et complètement démunis. Comme on le voit dans le reportage vidéo de Blumenthal, les maisons sont vidées et écrasées avec des bulldozers et des tracteurs sous les yeux des familles assises par terre. Dans un cas particulièrement odieux de démolition, les élèves d’un collège israélien ont été amenés sur le site, ils sont entrés dans les maisons et ont gribouillé les murs. Puis les affaires qui restaient dans les maisons ont été jetées dehors et les maisons ont été détruites. Israël se justifie en disant qu’il a besoin de la terre pour y planter de la forêt mais c’est une excuse profondément cynique et sans fondement. Les violentes expulsions qu’il fait subir à ses propres citoyens Palestiniens révèle toute la perversion des constantes réclamations d’Israël concernant "ses besoins sécuritaires".
Les enquêtes comme celles de Jacky Rowland, Sherine Tadros, Max Blumenthal et beaucoup d’autres contrastent vivement avec la propagande israélienne usée que répètent comme des perroquets les journalistes grégaires et lâches. On a du mal à comprendre la raison pour laquelle les médias principales d’Amérique et Nord ignorent largement le mouvement palestinien de résistance non-violente à l’occupation israélienne. Bien sur ce que nous voyons aujourd’hui n’a rien de nouveau pour les Palestiniens qui sont dépossédés et expulsés depuis plus de 62 ans ; ce qui est nouveau c’est la méthode : Les "lois" byzantines israéliennes qui visent les quartiers et les villages arabes, les murs d’annexion et les barrages qui séparent les villageois de leurs terres et de leurs sources d’eau pour ensuite les donner aux colonies juives illégales construites à proximité.
Il ne faut pas être un expert en droit international ni posséder de multiples diplômes ou doctorats pour reconnaître le vrai du faux. Les gens ordinaires savent reconnaître le nettoyage ethnique et le colonialisme quand ils en voient. Ils comprennent sa profonde perversion et sa violence inhérente. C’est spécialement vrai des peuples du soit disant "tiers-monde" où la mémoire collective est encore vivement imprégnée de l’expérience du colonialisme et de sa brutalité. Des centaines de milliers de personnes du monde entier regardent encore et encore les images de ces vidéos. Leur contenu est impardonnable, leur impact émotionnel est énorme. De fait, même si on ne connaît pas bien le contexte, il faut avoir le coeur bien dur pour ne pas être touché par les souffrances que les Palestiniens endurent sous la botte des colons israéliens.
En réalité ce ne sont pas des reportages honnêtes et documentés qui obtiendront justice pour les Palestiniens. Cependant, quand ils se combinent avec la campagne de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), avec les efforts pour briser le monstrueux siège de Gaza et avec le mouvement pour faire appliquer le droit international, alors tout à coup les gouvernement israélien habitué depuis longtemps à commettre ses crimes en toute impunité commence à s’en rendre compte. Rien n’effraie davantage l’élite dirigeante et ses défenseurs attitrés que de voir les citoyens se forger une conscience politique, commencer à se poser des questions et à s’engager. Plus exactement rien n’effraie plus le colonisateur que des esprits décolonisés. La marée de la conscience des masses est en train de tourner et comme l’ont appris les ségrégationnistes du Sud des USA, l’Union Soviétique et l’Afrique du Sud de l’apartheid il n’y a pas si longtemps, aucune armée aussi puissante soit-elle, et aucun état aussi répressif soit-il, ne pourra l’endiguer.
Notes : (*) See Reut Institute document.
Pour consulter l’original : http://www.palestinechronicle.com/
Traduction : D. Muselet