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Voilà pourquoi le libéralisme est insensé

Un commentaire sur l’Accord transtlantique et « l’exception culturelle »

(Voici un cri du cœur. Il s’agit d’un commentaire sous un article de Mediapart. - Dwaabala)

Bon, fini de rire. Je crois bien que c’est fichu. Plus la peine de tenter de sauver des miettes, de s’accrocher ou de négocier à tel ou tel aspect du monde qu’on a connu. On tire la chasse. Le piège est si bien conçu, si parfait que nous n’avons plus aucun levier pour en sortir.

D’abord l’Europe, qu’on nous avait vendue comme un grand rassemblement idéaliste alors qu’elle était un outil de dérégulation ; aujourd’hui, le dernier volet se déplie et nous voyons se dresser devant nous l’accord transatlantique grâce auquel nous allons devenir les États-Unis.

Nous sommes en train de déconstruire tout ce qui faisait la qualité de notre vie, et de perdre toute possibilité de faire valoir notre façon de voir les choses. Notre modèle d’un État actif, impliqué, dans lequel nous pouvions nous impliquer en retour en ayant notre mot à dire. D’une société dotée de tous les filets de sécurité qui faisaient que nos jobs, revenus, toits, éducation, justice, étaient relativement assurés. Il n’y aura plus rien de tout ça, nous entrons dans le règne du chacun pour soi et de la loi de l’argent. Oh, nous y étions déjà, bien sûr, mais attendez de voir combien ce sera pire.

Restera le choix individuel de continuer à se montrer solidaire.

J’aimerais tout de même qu’on continue à faire un peu d’Histoire – vite, avant d’oublier dans quel monde nous avons vécu, avant que l’inculture généralisée ne gomme la mémoire de la chance immense, fabuleuse que nous avions. La génération qui grandit aujourd’hui ne le sait déjà plus clairement, elle a été élevée dans le climat anxiogène, impuissant, déresponsabilisé qui croule sur nous depuis les années 80. Il faudrait ne pas oublier qu’on a eu un vrai système de protection sociale, des soins réellement gratuits pour ceux qui ne pouvaient pas payer ; qu’on a été puissants, écoutés, qu’on a pu forcer quelques décisions, au temps où les travailleurs avaient encore un poids parce qu’on avait encore besoin d’eux – cela non plus, les jeunes gens ne le savent pas. Mais là, le capital avait encore un ennemi (tout aussi répugnant, et composé d’ailleurs des mêmes ressorts, soif de pouvoir, désir de contrôle...), il fallait tenir en respect la tentation du bloc de l’Est.

Tant de choses qui validaient notre place d’acteurs responsables de la société.

L’humain est un être tenté par le pouvoir. Individuellement, nous avons tous, un jour ou l’autre, pesé pour imposer la décision qui nous arrangeait, et qui n’était pas forcément la plus équitable. Tous, nous avons contourné les règles pour nous avantager, nous avons été violents, dans les paroles ou dans les actes. L’être humain n’est pas très recommandable. Pas assez adulte pour vivre sans les garde-fous d’une société. Si on ne le cantonne pas dans un cadre, il déborde, forcément. La seule chose qui puisse le contenir, dans sa multitude, c’est la loi. Voilà le but d’une société, obliger l’être humain à être meilleur qu’il n’est, en le forçant à respecter son semblable, à partager les ressources nécessaires à tous, à se doter collectivement de services qui serviront à tous et de lois qui protègeront le plus grand nombre.

Voilà pourquoi le libéralisme est insensé.

Le libéralisme, c’est chacun pour soi, plus de limites. On parle doctement d’autorégulation – comme si les grands joueurs, ceux qui ont beaucoup obtenu (et même les petits !) allaient un jour se limiter en disant « j’ai ma part, j’arrête ». Bien sûr que non ! Jamais ! Pas ceux qui profitent du système. Ceux-là voudront toujours la plus grosse part. Quand ils ont leur voisin à leur merci, ils ne diront jamais : « je ne franchis pas ce pas ».

Notre éducation se réfère à des valeurs généreuses, mais qu’est-ce qui nous éduque réellement, au-delà de mots de plus en plus creux, à aller vers plus de générosité ? Presque rien, quelques exemples ! Des individus magnifiques, il y en a, mais nous sommes, dans notre immense majorité, mesquins et profiteurs, et nous nous apprêtons à basculer dans un monde à notre image.

Nous allons vers la vision états-unienne, éternelle énigme pour nous dans son rapport aux armes à feu, par exemple. À leurs yeux, le principe même de l’État est une ingérence. Ce qu’on a, on l’a arraché à de haute lutte à une nature sauvage, ou plus récemment à une société qui ne l’était pas moins. Si le voisin a été moins doué, moins « travailleur », s’il a été moins malin ou s’il a eu moins de chance – tant pis pour lui. Pourquoi, dans ses conditions, ne ferait-on pas justice soi-même ? Pourquoi ne se baladerait-on pas avec une arme pour protéger ses biens et sa famille ?

C’est dans ce monde qu’on nous prépare à nous fondre avec cet accord transatlantique dont on nous dit que « considérant que l’Union et les États-Unis partagent des valeurs communes et ont des systèmes juridiques comparables ainsi que des normes d’une rigueur analogue, même si elles sont différentes, en matière d’emploi, de protection des consommateurs et de protection de l’environnement ; » (merci M. Jennar, j’ai trouvé la citation dans votre formidable billet). Parce que ça va nous apporter de la croissance, n’est-ce pas ? Qui, à part quelques allumés, pourrait refuser la croissance ? Puisque la croissance doit nous apporter de l’emploi ?

Mon oeil...

Malheureusement, avec la logique qui la caractérise, je vois mal l’Europe tourner bride (un seul type pour négocier ça, un clampin libéral parlant au nom de tous nos peuples !!), se réveiller, et se mettre à réfléchir. Elle a allègrement sacrifié des populations entières en son sein, pourquoi ne pas y aller à fond et se jeter tout entière dans le gouffre ? Notre président a un tout petit peu râlé au nom de l’exception culturelle, mais vous voulez parier que ça n’ira pas plus loin ?

Alors oui, une société bis, peut-être. Pendant que les pantins qui font semblant de gouverner s’agitent dans les hauteurs, pendant que les banquiers échangent des impulsions électroniques en disant que c’est de l’argent et que les multinationales font leur loi, des îlots de solidarité et d’échange qui permettront aux gens du commun de se faire une vie tout de même. Une foultitude de petits pays, chacun à l’échelle d’une commune, chacun orienté par ses dirigeants, avec toute les couleurs possibles de la palette, entre les ultras prêts à abattre à vue quiconque vient de plus de douze kilomètres et les bons vivants qui sauront encore jouir des bonnes choses. La fragmentation à l’extrême. Voilà à quoi aura abouti la mondialisation.

»» http://www.mediapart.fr/journal/int...
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