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Avec Onfray, l’histoire du nationalisme patine

En lisant le formidable livre de Stephanie Roza "La gauche contre les Lumières", j'ai découvert l'existence en 1910 d'un cénacle maurrassien baptisé "Cercle Proudhon" . Ce machin me fait fortement penser à l'aventure d'un polygraphe nommé Onfray et qui assassine la mémoire du camarade philosophe, l'un de maître de l'Anarchie. Le patron du "Front Populaire" bégaie...

Bien qu’il ait été publié en janvier dernier, le livre de Stéphanie Roza, La gauche contre les Lumières, chez Fayard, n’avait pas allumé mon réverbère. Il a fallu qu’un ami, magistrat de grand talent, très érudit et un peu espiègle me signale l’ouvrage. A une exception près, le fait que la philosophe soit convaincue que le mouvement « Hirak » algérien est le fruit d’une révolte spontanée, sans aucun coup de pouce de « l’Occident », le livre permet de saisir comment l’idée même de « gauche » s’est évaporée. A disparu dans la nuit de notre temps. Comme le diraient Beauche ou Vachette, ce bouquin est une clé. Quand j’aurai relu l’ouvrage en suivant les lignes du bout du doigt, je tenterai, peut-être et en béotien, de participer à cette entreprise de serrurier.

A la page 79 de cette « Gauche contre les Lumières », un éclat m’a atteint l’œil, et ça fait mal : j’avais sous les yeux un résumé du Onfray pour les nuls. Cet auteur, et machine à écrire, cessait d’être une énigme. En effet, depuis la création de son « Université populaire » de Caen, qui n’était qu’une annexe du Rotary payée par des fonds publics, je me brisais les neurones sur la référence perpétuelle, faite par Onfray, au camarade Pierre-Joseph Proudhon. Qui ne mérite pourtant pas de pareils amis. Donnons un petit échantillon de la pensée d’Onfray, ainsi le polygraphe tente de nous convaincre que Guy Moquet était un supporter des nazis ; et les Palestiniens des complices de leur malheur en étant des admirateurs d’Hitler... Donc en cette précieuse page 79, l’ignorant est informé de l’existence récurrente, depuis 1910, de « Cercle Proudhon ». Et voilà comment Onfray a perdu son mystère : avec son « Front Populaire » il fait réchauffer une vieille tambouille du début du XXe siècle. Ce nouveau « Front » est aussi nouveau que la traction avant, et sans doute voué à la même lamentable histoire que celle du « Cercle Proudhon ».

Le premier de ces cénacles est fondé par Edouard Berth, disciple de Georges Sorel, théoricien du syndicalisme révolutionnaire, qui estimait que les travailleurs devaient se tenir autonomes, éloignés de tout mouvement politique constitué. Et Sorel est l’un des inspirateurs d’une CGT qu’il va renier dès 1910, 15 ans après sa fondation. Déçu, Sorel adhère au nationalisme intégral où l’ouvrier pourrait être l’ami d’un roi ou de tout « patriote ». Il publie même dans L’Action Française de Charles Maurras. Comme cela ne suffit pas à la divulgation de ses idées, son ami Jean Variot crée la revue L’Indépendance, décrite par les historiens comme « sociale-nationaliste et antisémite ». Le syndicaliste révolutionnaire Alfred Rosmer écrira que Sorel « s’installa dans le syndicalisme...Les militants syndicalistes l’ont toujours ignoré ». Et Lénine enfonce le clou dans le cercueil : « Sorel, ce brouillon notoire ! ».

C’est donc Berth qui prend un relai de son maître en fondant, avec des monarchistes, un mouvement sans frontières, le premier « Cercle Proudhon ». Les amis de Maurras y sont dominants et l’ambition est de « convertir des syndicalistes à la monarchie ». La première réunion se tient le 17 novembre 1911 et, manque de chance, au fil des mois, à part quelques égarés, les ouvriers ne se précipitent pas dans ce Cercle qui ne tourne pas rond. Portant, pendant trois ans jusqu’au début de la guerre, ces nouveaux philosophes publient sous le drapeau de Proudhon. Le Camelot du roi Henri Lagrange, mort en 1914, vide ici son encrier, Georges Valois et Gilbert Maire aussi. Le premier mourra dans un camp de la mort, le second s’en ira se désaltérer à Vichy.

Maurras, chef cuisinier de cette sale popote précise ses intentions : « Les Français qui se sont réunis pour fonder le Cercle Proudhon sont tous nationalistes. Le patron qu’ils ont choisi pour leur assemblée leur a fait rencontrer d’autres Français, qui ne sont pas nationalistes, qui ne sont pas royalistes, et qui se joignent à eux pour participer à la vie du Cercle et à la rédaction des Cahiers. Le groupe initial comprend des hommes d’origines diverses, de conditions différentes, qui n’ont point d’aspirations politiques communes, et qui exposeront librement leurs vues dans les Cahiers. Mais, républicains fédéralistes, nationalistes intégraux et syndicalistes, ayant résolu le problème politique ou l’éloignant de leur pensée, sont également passionnés par l’organisation de la Cité française selon des principes empruntés à la tradition française, qu’ils retrouvent dans l’œuvre proudhonienne et dans les mouvements syndicalistes contemporains... ». Et, dans son Histoire des idées politiques, le très droitier et libéral Philippe Nemo rappelle : « quand le fascisme triompha en Italie, les anciens du Cercle Proudhon revendiqueront d’avoir été les premiers fascistes et nationaux-socialistes dès avant-guerre ».

Mais les deux guerres mondiales, l’horreur de l’extermination nazie, le passage de certains adeptes du « Cercle » par Vichy, n’a pas éteint le désir de résurrection. Et c’est en 1984, à Genève, que le sphinx s’en revient nous gratter les pieds. Un groupe d’étudiants reprend la vieille boutique moisie, le « Cercle Proudhon » sous la férule de Pascal Junod, un jeune juriste qui prolonge ainsi le chemin de Berth. Ce Cercle organise des conférences et des débats avec le néo-fasciste Dominique Venner, qui finira par se suicider devant le grand autel de Notre Dame, avec un autre personnage de la même eau, Gabriele Adinolfi qui souhaite aujourd’hui une Europe « Nationale-révolutionnaire et impériale ». Conférence encore, histoire de varier l’histoire, avec Alain de Benoist théoricien de l’extrême droite tricolore, et père fondateur du GRECE. Mais ne voyez aucun signe politique au fait qu’Alain de Benoist ait aujourd’hui rejoint le « Front Populaire » de Michel Onfray. Amour de Proudhon oblige, et je le partage. Mais l’histoire de ce « Cercle » nous montre que, sans une solide ceinture de sécurité, toute tentative de marier le monde ouvrier à l’extrême droite provoque toujours un crash meurtrier

COMMENTAIRES  

28/09/2020 00:17 par béotien 1er

Merci Mr Bourget pour cette analyse du Sieur Onfray, dont la culture et l’intelligence ne sont pas à démontrer mais qui me laisse quand même un gout désabréable dans la bouche.

28/09/2020 11:01 par cunegonde godot

« monde ouvrier « veut dire classe ouvrière, j’imagine.

Refaire l’histoire, sous forme de farce., rien de plus facile.
La victoire de l’Allemagne, Laval l’avait rêvée, le compromis de gauche Maastrichien l’a fait. Désopilant, non ?....

28/09/2020 18:31 par gerard bordes

onfray et son front « populaire », c’est du simili par rapport à du vrai cuir.

28/09/2020 20:04 par JEAN DUCHENE

Il conviendrait peut être aussi d’analyser le "socialisme" de Proudhon, favorable à la petite propriété bourgeoise, d’un antiféminisme résolu (les femmes doivent rester à leur place, au foyer). C’est donc la pensée même de Proudhon qui facilite cette récupération par l’extrème-droite et le triste sire Onfray. Plus difficile de récupérer Marx qui en son temps avait déjà réglé son compte au socialisme petit bourgeois de Proudhon.

28/09/2020 20:15 par cunegonde godot

@gerard bordes
Le front populaire d’Onfray, du simili certes, mais toute la gauche maastrichienne d’aujourd’hui n’est même pas du simili comparée à celle des années 30...

28/09/2020 21:53 par Pierre le libraire

Pas si vite...
Préférer Bertrand Binoche à Stéphanie Roza.
Son bouquin édité à La fabrique est, il me semble, d’un tout autre niveau...
Cordialement,

29/09/2020 13:36 par Tassedethe

Comme le disait Fadi Kassem du PRCF ; " Front populaire ? plus Front que populaire."

29/09/2020 14:46 par Buffaud

Intéressant article.
Après avoir dédouané le maire de Bézier élu grâce au RN, voilà que Onfray est rejoint dans son « Front » qui, comme son université, n’a de populaire que le nom, par Alain De Benoist, célèbre figure de l’ultra droite française, et le voici également rejoignant l’infâme Eric Zemmour dans des conversations dignes du comptoir du café / tabac / PMU « Le Chiquito ». Mais on comprend mieux, à la lecture de l’article, à quelle famille historique appartient le pseudo philosophe ex – « anar », éternellement encensé par les hebdos de droite « le Point » et « l’Express » qui lui ont largement ouverts leurs colonnes pendant des années (étonnant pour un homme « de gauche » ?), et depuis toujours en attaque contre les forces de gauche ou progressistes en France et dans le monde entier.
Beurk
https://www.telerama.fr/television/eric-zemmour-et-michel-onfray-unis-pour-denoncer-lislamo-gaucho-narco-feminisme-des-verts-6662795.php

29/09/2020 18:30 par gerard bordes

BHL COHN BENDIT et KOUSHNER étant grillés et tant que PANTOCHES attitrés, le système nous en sort un nouveau ( ONFRAY) de sa boite.
PANTOCHE, néologisme issu d’une contraction de PANTIN et FANTOCHE.

30/09/2020 04:23 par calame julia

Je ne comprends pas où vous voulez en venir !
Pas PROUDHON ? Pas ONFRAY ?

30/09/2020 22:35 par Beaujean

Bonjour M. Bourget,
vous êtes pertinent et référent concernant ce cuistre. Onfray aussi bien, et sans difficultés.
On peut cuisiner Proudhon à toutes les fièvres politiques.
Si vous aviez été ce chef gastro à propos du covid et de la "secte Raoult", c’aurait été rassurant.
Hélas. Vous êtes sorti voici quelques semaines du sérieux journalistique qui était censé être le vôtre.
La ceinture de sécurité, amour sécuritaire que je partage, de l’analyse "masquée" que vous boucliiez
de façon rédhibitoire, avait un parfum péremptoire d’Onfray qui m’avait déçu.
Nul doute que vous retrouverez vos pénétrantes capacités d’analyse à propos d’une infection littérale mais
peu littéraire. Le Cercle Covid mérite une vraie sortie de la quadrature que vous dessiniez de façon peu proudhonienne.

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