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Le globish : la langue de Wall Street et de la CIA

Dominique Seux et le "globish"

Dans la continuité de mes remarques du 15 mai sur l’imposition de l’anglais dans l’enseignement supérieur, je vous propose ici, sur le même sujet, ce qu’en a dit, le 21 mais à 7 h 20, Dominique Seux, sur France Inter, dans sa chronique "L’édito Eco".

1 TEXTE DE LA CHRONIQUE.

Vous revenez sur la polémique sur l’enseignement de certains cours en anglais à l’université.

On y revient après le zoom de la rédaction proposé hier ici par Sonia Bourhan et avant le débat, demain, du texte à l’Assemblée. Texte dont l’article 2 élargit les possibilités d’enseignement en anglais. Autant le dire : la ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, a raison de tenir bon sur son projet. Du point de vue de l’économie et des entreprises, cette polémique est absurde. Mais ce n’est même pas la peine d’aller chercher l’économie.

Pourquoi ?

La loi Toubon de 1994 avait essayé d’élever des digues pour protéger à tout prix la langue française. Sans succès bien sûr parce que les lignes Maginot et l’Académie française ne sont pas efficaces ! Amélie Poulain et Les Choristes sous-titrés dans le monde entier font plus pour la culture française. Les Américains traduisent-ils "rendez-vous" en anglais et devons-nous, nous, traduire DailyMotion en français ? [MouvementQuotidien, ça aurait de la gueule, non ? ; NDLR] Il convient d’être pragmatique, pas de faire de cette affaire une bataille d’Hernani.

*Mais sur le fond ?

Sur le fond, ce sont les idées, les résultats de recherche et les succès d’une manière générale qui sont les meilleurs ambassadeurs d’une langue. Accueillir des enseignants étrangers non francophones dans des matières pointues est une chance ; recevoir des étudiants du monde entier en est une autre ; enfin, qui ne voit (on ose à peine le dire tant c’est un truisme) que les universités américaines, chinoises et indiennes acceptent des échanges avec des jeunes Français parce que leurs propres étudiants seront reçus chez nous sans avoir l’obligation d’avoir un PhD dans la langue de Molière. On peut le regretter mais les revues scientifiques, la langue des affaires sont anglais. Ce sera peut être le français un jour si l’Afrique décolle, mais ce n’est pas le cas.

*Mais il y a l’argument selon lequel le Français va devenir une langue morte si ce qui est moderne ne se travaille qu’en Anglais...

La langue universelle, c’est plutôt un globish, un anglais « dégradé », qu’une langue en particulier, et ce globish, ce ne peut plus être pour nous une langue étrangère ; mais le plus important est ce qui fait progresser le monde et, ce sont les échanges.

*Cette affaire révèle trois choses...

Un : tant que l’enseignement en anglais concerne les grandes écoles, cela ne choque pas ; s’il s’agit de l’université, c’est un débat national. Peut-on mieux dire que la formation des élites obéit à des règles particulières tandis que les facultés ont un statut de réserve d’Indiens ? Deux : grâce à leurs études (et aux séries étasuniennes !), nombre de 20-35 ans parle enfin un bon anglais ; tant mieux. Trois : en dehors de ces étudiants favorisés, le niveau d’anglais des élèves a reculé ces dernières années (étude CEDRE). C’est le problème. En 2004, le président de la commission du débat sur l’école, Claude Thélot, avait reçu le prix de la carpette anglaise par je ne sais quel jury autoproclamé parce qu’il avait osé proposer que l’anglais appartienne au socle de connaissances dès le primaire. Il avait pourtant raison et c’est ce qui a été fait.

2. REMARQUES.

Remarque 1. La réaction de Dominique Seux est révélatrice, et, en particulier, révélatrice qu’au-delà de la langue, il est question d’autre chose, de bien plus important. Qui est, en effet, Dominique Seux ? C’est un journaliste des Échos, qui officie sur France Inter, et qui, tous les matins, psalmodie la même antienne à la même heure, sur la même radio, que naguère, Jean-Marc Sylvestre. Il ne faut donc pas s’étonner que les ministres de ce culte se montrent d’une sensibilité de rosière lorsqu’on touche à la langue sacrée (celle des Ronald Reagan, des Margaret Thatcher, des Milton Friedman et autres Gary Becker). Ou, qu’en France, comme le signalait – déjà ! – Bernard Cassen (dans Le Monde diplomatique d’avril 1994), la défense sourcilleuse de la "langue des maîtres" soit le fait des dévots, tels Alain Madelin ou Bernard-Henri Lévy.

Remarque 1 bis. Dominique Seux, au passage, emploie (inconsciemment ? Par snobisme ? Par cuistrerie ?) l’abréviation "PhD dans la langue de Molière", en faisant comme si tout le monde la comprenait. Or, c’est loin d’être le cas ! Car qu’est-ce qu’un PhD ? C’est l’abréviation de l’expression "Philosophiae doctor", qui, dans le système universitaire anglo-saxon, désigne l’équivalent du doctorat français. [Comme nous disons, en France, doctorat ès lettres, en incluant sous ce nom de "lettres", les lettres classiques et modernes, mais aussi l’histoire, la géographie, les langues ou la philosophie]. Un "PhD" est simplement un doctorat américain. Mais pourquoi Seux ne le traduit-il pas, en disant, par exemple, "doctorat", ou "diplôme" ou "agrégation" ou n’importe quel équivalent signifiant "haute qualification" ?

Remarque 1 ter. On notera que, de façon révélatrice, Dominique Seux emploie l’adjectif "pragmatique", qui camoufle la soumission à l’ordre existant.

Remarque 2. Dès le début, en effet, Dominique Seux lâche cet aveu : "du point de vue de l’économie et des entreprises, cette polémique est absurde". Que viennent faire "l’économie" et les "entreprises" dans une question censée ne concerner que l’université ? En quoi l’intérêt de "l’économie" et des entreprises serait-il plus important que d’autres missions de l’université comme l’éducation à la vie civique ou à la politique ? Ou la préparation à l’administration et à l’enseignement ? Ou l’élévation du niveau culturel de la nation ? Ou l’épanouissement des étudiants ? Ou la formation de l’esprit critique ? Et pourquoi l’intérêt de l’économie et des entreprises gouvernerait-il les missions de l’université ?

Remarque 2 bis. Au passage, on peut d’ailleurs se demander dans quelles matières l’usage de l’anglais devrait être obligatoire pour des étudiants étrangers. Il ne l’est pas, déjà, au premier chef, pour les disciplines enseignées en faculté des lettres, étroitement liées à la culture française. Mais il ne l’est pas non plus pour la faculté de droit, puisque ce qui est enseigné, c’est le droit civil français, le droit pénal français, le droit constitutionnel français, le droit des affaires français. Or, tous ces droits sont étroitement liés à l’histoire, aux coutumes, des manières de penser françaises [comme, d’ailleurs, le font les droits italien, allemand, britannique, espagnol...] et, in fine, à la langue française elle-même. Comment, par exemple, comprendre intimement le droit allemand sans en saisir les concepts, liés à la langue allemande ?

Même chose pour une matière dans laquelle excelle la France, les mathématiques. [La France a recueilli 11 médailles Fields, ce qui en fait, en nombre, le 2e pays du monde après les États-Unis, mais le premier, et de très loin, par rapport au nombre d’habitants]. Or, nombre d’étrangers, attirés par la qualité de cet enseignement, sont venus travailler en France, comme Alexandre Grothendieck, ou, plus récemment, Ngô Bảo Châu, ou Mikhaïl Gromov, prix Abel 2009. Lorsqu’on possède ce niveau et qu’on est attiré par la qualité d’un enseignement, que représente, comme difficulté, l’apprentissage de la langue française ?

Et la situation est-elle vraiment différente pour des matières scientifiques "dures" telles que la physique ou la chimie, dont le nombre de Nobel obtenus par la France [le dernier en date étant, en 2012, Serge Haroche], atteste l’excellence de l’enseignement français ? Un étudiant japonais, chinois ou brésilien qui a choisi d’étudier la physique en France parce que c’est le pays de Serge Haroche, d’Albert Fert, de Claude Cohen-Tannoudji, de Georges Charpak, de Pierre-Gilles de Gennes, de Louis Néel, d’Alfred Kastler, de Louis de Broglie, n’aurait pas la motivation, la volonté et la capacité d’apprendre le français ?
Il faut être sérieux...

Tout se passe, implicitement, comme si les seules études vraiment sérieuses, pour Dominique Seux, étaient les études d’économie, de gestion ou de commerce, celles qui débouchent sur la direction des entreprises et, surtout, d’entreprises qui font des affaires avec l’étranger. Car, en dehors des Écoles de Commerce [à condition de s’appeler Toulouse School of Economics], en dehors de Sciences-Po – bien sûr cornaquée par Richard Descoings – en dehors de l’E.N.A. [si elle consentait à se baptiser French School of Politics] il n’est point de salut...

Remarque 3 ter. Si ce qui fait progresser le monde, comme dit Dominique Seux, ce sont les échanges, pourquoi ceux-ci devaient-ils avoir lieu en anglais ? Où est "l’échange" lorsque l’un reçoit (un discours dans sa langue) sans donner (un discours dans la langue de l’autre) ?

Remarque 3. Dominique Seux, en contrepoint des choses sérieuses ("l’économie", les "entreprises"), évoque des noms qui, tels Molière, l’Académie française, Hernani, suggèrent les profs besogneux – et mal payés, donc médiocres – , les escaliers cirés à l’encaustique, les connaissances inutiles (en quoi la connaissance d’Hernani permet-elle de se servir d’un smartphone de 4e génération ?). Ce mépris, ce dédain n’est pas sans rappeler le mot de tel chef d’Etat qui s’interrogeait sur l’utilité, pour un attaché d’administration, de connaître La princesse de Clèves...

Remarque 4. Lorsque Dominique Seux dit de Geneviève Fioraso : "Elle a raison de tenir bon sur son projet", on croirait entendre, il y a quelques années, les chroniqueurs des médias dominants (TF1, Le Point, Le Figaro, L’Express, Le Monde...) priant le bon Dieu que François Fillon tienne bon sur la (contre)-réforme des retraites...

Remarque 5. Dominique Seux parle d’Amélie Poulain ou des Choristes sous-titrés à l’étranger. Mais le sous-titrage (qui est de mise, en France, dans les salles d’art et d’essai) est-il si courant que cela à l’étranger ? Et, surtout, est-il même courant dans les pays anglo-saxons ? Dominique Seux croit-il que les spectateurs américains se dont un délice d’écouter la langue française ? Et de comparer l’original avec les mots qui s’inscrivent, en anglais, au bas de l’écran ?

D’ailleurs, Amélie Poulain et Les Choristes sont-ils vraiment représentatifs de ce que la culture française produit de meilleur ou de plus authentique ? En l’occurrence, Dominique Seux ne se place-t-il pas plutôt dans l’optique de ce que les "étrangers" [entendre les Anglo-Saxons] /s’imaginent/ qu’est la culture française, et, où à côté d’Amélie Poulain et des Choristes, on trouve le Français au béret basque et à la baguette sous le bras, travaillant 35 h par semaine, faisant grève tous les quatre matins... et refusant de parler anglais ?

Remarque 6. Dominique Seux dit, de l’anglais : "On peut le regretter mais les revues scientifiques, la langue des affaires sont anglais".

Deux remarques :

D’abord sur le "on". Ce "on", ici, a, apparemment, la valeur habituelle d’un "nous", c’est-à-dire d’un pronom personnel incluant Dominique Seux lui-même [et qui, en théorie, regrette aussi]... sauf que le "mais" qui suit dément ce (pseudo) regret et confère au "on" une valeur de "vous" et donne à la phrase le sens brutal de : "Récriminez tant que vous voudrez, mais c’est comme ça !".

Ensuite, sur l’hypothèse, évoquée ironiquement par Seux, d’un décollage économique de l’Afrique francophone. En effet, lorsqu’on considère le faible niveau économique atteint par cette Afrique par rapport à l’Afrique du Sud (seule puissance véritablement industrielle du continent) et le niveau encore très modeste de cette même Afrique du Sud par rapport aux autres puissances émergentes (Brésil, Russie, Inde, Chine, Argentine, Indonésie...), l’hypothèse de Seux sur le décollage de cette Afrique n’est qu’une façon sarcastique, et assez méprisante, de dire : "Quand les poules auront des dents"...

Ce mépris s’exprime à un autre endroit par l’expression "réserve d’Indiens" - qui évoque une image de fermeture -, réservé aux facultés (par opposition aux grandes écoles, "ouvertes", elles, sur le grand large...), une image d’une société-musée, vieillotte, tout juste bonne pour le folklore touristique.

Remarque 7. Dominique Seux a aussi cette remarque caractéristique : "La langue universelle, c’est plutôt un globish, un anglais « dégradé », qu’une langue en particulier, et ce globish, ce ne peut plus être pour nous une langue étrangère". D’abord sur le "peut", qui, de même que le "on" évoqué plus haut, n’a pas la valeur qu’elle semble suggérer (celle d’une éventualité), mais celle d’un devoir. La pensée de Seux, c’est : "le globish ne doit plus être pour nous une langue étrangère".

En réalité, à côté de son caractère utilitaire, le globish a, aux yeux de Dominique Seux, un caractère social, il marque l’appartenance à une "élite" [terme qu’emploie Seux], celle qui parle avec l’accent qu’apprend My Fair Lady, celle qui, en Grèce, maîtrisait le katharévousa (laissant le vulgaire démotique au peuple), celle qui, jadis, distinguait les fils de bourgeois, qui avaient appris le latin au lycée général de leur ville, des fils d’ouvriers, qui avaient dû se "contenter" du lycée technique, celle qui relègue le français à une langue de ploucs, la langue qui dit courriel au lieu de mail et doctorat au lieu de PhD...

Philippe Arnaus

NDLR : À lire cet article de Bernard Cassen et celui de Claude Truchot publiés par le site MEDELU.

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