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Grèce : le coup de poker des marchés

La partie qui se joue actuellement en Europe est digne de figurer dans les annales du poker, et le coup de la Grèce semble être la carte-maîtresse qui donnera au «  vainqueur » d’après ce grand coup de bluff un sérieux avantage pour la suite du jeu. En effet avec la rumeur concernant les travaux de l’Eurogroupe sur une sortie possible de la Grèce de la Zone Euro et la tenue d’une réunion «  informelle » des dirigeants européens, les marchés espèrent à travers ce «  coup de poker » faire «  se coucher » son adversaire, la démocratie.

Car il ne s’agit pas seulement de la Grèce. Après ce coup, s’ils le gagnent, ils montreront clairement au reste de l’Europe (ainsi qu’à leurs dirigeants) que le choix des urnes n’a de valeur que s’il correspond à leurs attentes, et que par conséquent il est possible de contraindre un pays soi-disant souverain à accepter des directives que le peuple refuse pourtant. Et les marchés ont tout misé sur la Grèce, «  tapis ».

Cela signifie aussi qu’ils risquent gros. En exigeant de la part du peuple grec des sacrifices qui, s’il les refuse, est menacé de se faire «  sortir de l’Euro » (alors qu’aucune loi ne le contraint, il faut que cela se sache !), les marchés parient en réalité sur les résultats des législatives grecques ; en espérant que cette menace suffise à dissuader les citoyens grecs de se choisir des dirigeants rétifs.

Mais pour le moment rien n’est certain. Sauf que si les Grecs se couchent, alors il est fort possible que tous les autres se couchent à sa suite. Et les marchés comptent bien jouer sur la peur du chaos qu’engendrerait une Grèce qui refuserait et de payer et de sortir pour lui faire perdre l’envie de se choisir une «  autre » Europe.

Pourtant, s’ils veulent éviter de laisser les banquiers trop exposés dans l’embarras, les marchés se doivent de conserver l’Europe unie. S’ils veulent imposer à ses peuples une cure d’austérité drastique et supprimer les élections libres pour les remplacer par un gouvernement économique autoritaire directement choisi par le monde de la finance, ils n’ont aucun intérêt à laisser sortir leurs débiteurs hors des frontières qu’ils contrôlent. Ils ne le feront donc pas…

Et si du coup les Grecs ne se couchaient pas ? Et si les élections législatives en Grèce étaient l’occasion de montrer à tous que l’austérité n’est pas une fatalité, que aux marchés qu’ils ne peuvent pas tout ? Et si en France nous soutenions également (et le même jour !) cette idée non pas de la fin de l’Europe mais d’une autre Europe ?

La plupart des Européens se sentent européens, et ne veulent tout simplement ni austérité ni ingérence extérieure, ni fermeture ni compromission, ni injustice ni corruption. Cette dette n’est pas la notre. Que les véritables responsables se ruinent s’ils le doivent mais nous ne paierons pas pour eux. Ils ont plus à perdre que nous d’ailleurs. Austérité et dictature ou effondrement de la bourse et liberté, qu’avons-nous peur de voir les financiers ruinés ? Il faudra bien un jour prendre le risque de détruire ce monde de la finance si l’on veut en construire un moins injuste… Pourquoi ne pas le faire maintenant, alors qu’il est encore temps ?

Que les Grecs et les Français refusent un peu de se soumettre à ce bluff grossier, et alors nous pourrons enfin retourner les autres cartes, voir le jeu de chacun. Que l’on voit un peu qui, de la finance ou du peuple, à le plus besoin de l’autre pour prospérer…

Le moment est historique, et les élections qui arrivent sont cruciales : nous avons le devoir de montrer aux autres peuples, aux Espagnols, aux Italiens, aux Portugais et à tous les autres, qu’une autre voie est possible. Et alors nous pourrons peut-être enfin rebattre les cartes. Ensemble. En Europe. Sans la dictature des marchés financiers. Tapis.

Caleb Irri
http://calebirri.unblog.fr

COMMENTAIRES  

27/05/2012 18:57 par babelouest

Billet ô combien important. "Ils ont plus à perdre que nous". Qui ? les financiers. Si seulement tous en étaient conscients...

Je le répercute sur mon blog. Avec le lien vers ici, bien entendu.

27/05/2012 19:17 par Michel

Bonjour,
Juste un petit rappel. La dette de la France est de 1800 milliards d’euros. Les intérêts sont de 1700 milliards... La proportion est pratiquement identique pour les pays comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie... Il faut batailler pour que les banques soient écartées du besoin de financement des États en permettant qu’ils s’adressent directement à la BCE au taux de 1% !

27/05/2012 19:24 par Yannik

Ce type de rhétorique irrationnelle est à mon avis totalement contre-productive, c’est à mon sens une excellente façon de se priver des moyens d’identifier les responsabilités réelles et de tenter de réagir de manière adéquate. C’est quoi donc "les marchés" ? Ou plutôt, c’est qui précisément "les marchés" ? Les inquisiteurs du Moyen-âge employaient des concepts de ce genre là …

27/05/2012 19:38 par Yannik

27/05/2012 à 19:17, par Michel

Il faut batailler pour que les banques soient écartées du besoin de financement des États en permettant qu’ils s’adressent directement à la BCE au taux de 1%

"Germany last week found itself able to borrow for two years at the astonishingly low rate of 0.07%. Very nice too : but surely the real message Angela Merkel and her colleagues must take from the successful auction of those zero-coupon schatz bunds is that the single currency simply isn’t working."

The Observer, Sunday 27 May 2012

28/05/2012 00:33 par E.W.

@ Yannik

Il s’agit ici de certains groupes de réflexion - dont les thèmes politiques et sociaux sont considérés quasi-exclusivement pour desservir des intérêts économiques particuliers (l’OCDE en est un exemple mais des clubs privés tel que Le Siècle ou le Club de Rome peuvent être cités) - qui se livrent à leur traditionnel jeu d’influence.

Les salles de marché (à la bourse) et les produits financiers (des banques) étant respectivement leur salle de jeu et leurs jouets favoris, il faut dire que les banquiers et autres économistes libéraux sont souvent des amis et membres. (Le délit d’initié au départ de la situation grecque est surement l’action contemporaine la plus révélatrice des ambitions pécuniaires de ces clubs.)

Tous ces think tank et lobbys de toutes sortes sont de fait les réels gestionnaires du capital global de l’humanité ; or ils n’ont été ni élus, ni mandatés pour cela, ils se sont auto-attribués ce titre, surement sous prétexte de liberté d’entreprendre...

Quelle est la façon adéquate de réagir maintenant ? Voter UMPS ? C’est fait.

28/05/2012 17:15 par Yannik

@28/05/2012 à 00:33, par E.W.

Les analystes pertinents de la crise financière, économique et sociale qui sévit en Europe et plus généralement dans le monde, ont très bien identifié quels en sont les coupables, ce ne sont pas des entités ocultes et diaboliques. Des Paul Krugman ou Alexis Tsipras ou d’autres, vont vous citer des noms et pour chacuns d’entre eux quelles sont précisément leurs responsabilités.

29/05/2012 02:23 par Bonjour

@ 27/05/2012 à 19:17, par Michel

La dette de la France est de 1800 milliards d’euros. Les intérêts sont de 1700 milliards... La proportion est pratiquement identique pour les pays comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie... Il faut batailler pour que les banques soient écartées du besoin de financement des États en permettant qu’ils s’adressent directement à la BCE au taux de 1% !

J’apprécie beaucoup votre approche, et en particulier votre conclusion, je vous rejoints complètement sur le financement des Etats directement à la banque centrale plutôt que sur les marchés.

J’ai une question : j’ai les plus grandes difficultés à trouver des chiffres cohérents sur le principal et la charge de la dette des pays. Par exemple, wikipedia donne d’autres proportions :

Selon le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques rendu public en juin 2009, cet endettement était, fin 2008, de 20 600 euros par habitant et de 47 400 euros par actif ; la charge des intérêts de la dette publique était en 2008 de 850 euros par habitant et 1 950 euros par actif.

Cela dépend-t-il de la manière d’intégrer le calcul de l’intérêt ? J’aimerais trouver un tableau avec les Principal/Charge dette par Pays/Année. Ceci seulement si vous aviez ces chiffres disponibles, sans perdre votre temps.

Salutations

29/05/2012 10:58 par Michail

28/05/2012 à 17:15, par Yannik
...
Des Paul Krugman ou Alexis Tsipras ou d’autres, vont vous citer des noms et pour chacuns d’entre eux quelles sont précisément leurs responsabilités.

Pour sûr ! J’ai une photo de groupe (Toute récente) pour ceux que ça intéresserait :

1337454283_695796_1337455056_noticia_grande.jpg
(Photo en taille réelle)

29/05/2012 12:45 par E.W.

@ Michail

Et ces pantins là n’agissent-ils pas à la faveur de groupes de pressions quelconques ?

http://www.trilateral.org/download/file/TC_%20list_5-12%20%282%29.pdf
http://www.bilderbergmeetings.org/governance.html

29/05/2012 14:51 par Michail

29/05/2012 à 12:45, par E.W.

@ Michail

Et ces pantins là n’agissent-ils pas à la faveur de groupes de pressions quelconques ?

Des pantins ? peut-être ?

Mais en attendant ce sont ces pantins qui signent les traités internationaux, les décrets, les lois, les ordres d’actes de guerre, etc.

Coupez donc la tête à ces patins comme en 1793-94 en France, ou plus tard au Cambodge par exemple, et quoi ? Plus rien ne marche dis donc !

Cette image de pantins est tout à fait intéressante d’ailleurs, les amateurs de littérature d’un certain Philip Kindred Dick y retrouveront des tas de références intéressantes et parfois étrangement tout à fait pertinentes aujourd’hui...

Mais pour ce qu’il s’agit de pantins, tout le monde connait ceux qui se battent contre des moulins, et personnellement tant qu’à me battre je préfère me battre contre autre chose que des moulins...

29/05/2012 15:57 par Bonjour

Voici une illustration de la partie de poker (Bien vu l’auteur ! ) à laquelle se livre la finance de Wall Street en Europe.

Cela ressemble à un assaut final, la masse monétaire dollar étant très largement supérieure du point de vue quantitatif sur les marchés financiers :

Insight : Hedge funds find ways to trade euro misery

EXTRAITS :
- ... hedge fund has been betting against the euro for quite some time
- ... U.S. money managers who are trying to profit from Europe’s misery say they expect the current crisis to produce a lot of winners ...
- ... betting against a single currency ...
- ... John Paulson, among others, bets against European sovereign debt..."
- ... Fisher’s fund, which has more than 80 percent of its money invested in Europe, is taking a somewhat contrarian position by owning the European sovereign debt of Germany, the Netherlands, Italy and Spain
- ... betting on Greece exiting the euro ... possibility other countries will exit the euro zone. ...
- ... involves taking a long position in Italian government debt denominated in U.S. dollars...
- ... playing the European turmoil, some are betting against the fortunes of Spanish and Italian banks instead of simply focusing on sovereign debt ...
- ... Portugal’s debt profile is more consistent ...
- ... its government has enacted more aggressive labor reforms ...
- etc...

http://www.reuters.com/article/2012/05/28/us-hedgefunds-eurozone-idUSBRE8

Il est évident que les Etats ont commis l’erreur stratégique grave de se lancer comme acteur sur les marchés financiers.

L’erreur de confier la "dette souveraine" aux marchés.

Les Etats n’ont pas de vocation commerciale ou financière.

Les élus n’ont pas été mandatés par les citoyens pour faire courir de tels risques à la fonction publique, dévaloriser le patrimoine de l’Etat et la sécurité sociale.

Les Etats n’ont ni la taille, ni les informations, ni la connaissance, ni les outils "technologiques" nécessaires pour rivaliser sur le terrain de la finance privée où les informations sont réservées à un cercle restreint de financiers puissants.

Les transferts de richesses liés à ces attaques sont importants.
Le pouvoir que la finance prend sur les Etats est démesuré.
La stabilité de nos systèmes socio-économiques publics sont menacés.
La pression qui en résulte sur la population est inique.

La presse officielle en Europe n’offre qu’une réponse du mouton au loup, se contente d’y voir une opportunité de devenir plus "compétitif" sur le marché mondial.

De faire marcher la planche à billets pour donner plus d’emprunts et de poids encore aux marchés et aggraver le problème lié à l’excès de masse monétaire.

Alors qu’il est urgent de sortir du jeu de Wall Street  !

29/05/2012 16:33 par Bonjour

Je me permets de reproduire cette citation tournante du Grand Soir avant qu’elle ne change, car c’est une synthèse très pertinente du problème et qui permet d’entrevoir une solution possible face aux attaques financières et au poids démesuré de la finance sur les Etats et la démocratie :

« Depuis 1974 en France, à l’époque du serpent monétaire européen, l’État - et c’est pareil dans les autres pays européens - s’est interdit à lui-même d’emprunter auprès de sa banque centrale et il s’est donc lui-même privé de la création monétaire. Donc, l’État (c’est-à -dire nous tous !) s’oblige à emprunter auprès d’acteurs privés, à qui il doit donc payer des intérêts, et cela rend évidemment tout beaucoup plus cher.

On ne l’a dit pas clairement : on a dit qu’il y avait désormais interdiction d’emprunter à la Banque centrale, ce qui n’est pas honnête, pas clair, et ne permet pas aux gens de comprendre. Si l’article 104, disait « Les États ne peuvent plus créer la monnaie, maintenant ils doivent l’emprunter auprès des acteurs privés en leur payant un intérêt ruineux qui rend tous les investissements publics hors de prix mais qui fait aussi le grand bonheur des riches rentiers », il y aurait eu une révolution.

Ce hold-up scandaleux coûte à la France environ 80 milliards par an et nous ruine année après année. Ce sujet devrait être au coeur de tout. Au lieu de cela, personne n’en parle.

Etienne Chouard

 »

Mais est-il encore temps de réagir, le système est de plus en plus fragilisé ?

Mais qui a encore le pouvoir de décision nécessaire ? Combien de partis politiques, de gouvernements, d’administrations et de pouvoirs publics régionaux ne sont-ils pas déjà gérés aujourd’hui par des sociétés privées ou d’audit ?

J’ai l’impression que nos politiques sont ligotés par une sorte d’appareil financier et technologique "interconnecté".

La question est : peut-on s’attendre à un sursaut de la part de nos politiques en place ?

29/05/2012 17:05 par Bonjour

@ Yannick,

"at the astonishingly low rate of 0.07%"

Bonne observation. Ceci est dû au fait que la construction de l’euro est inachevée et que les taux de financement qu’ils soient publics ou privés ne sont pas unifiés.

Les financiers spéculent sur ces écarts de taux. La différentiation est leur premier cheval de bataille.

Imaginons que l’on résolve le problème de la dette publique en revenant au financement direct à la banque centrale (mais cela est-il encore possible tant la situation est grave...), il faudra aussi unifier d’urgence les taux du financement privé au niveau du système bancaire pour éviter que des pays ne souffrent d’une concurrence déloyale en termes de coûts d’investissement.

La Grèce est l’exemple type d’un pays qui a souffert de taux très défavorables autant pour le financement public que le financement privé.

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