Je remarque qu’hélas, certains écrits de ce blog s’avèrent prémonitoires. Je finissais le billet précédent, d’ailleurs sous le titre “No signal”, par une photographie bien évocatrice. La... fin du signal est alors imposée déjà ce mardi, car d’après porte-parole du gouvernement, Simos Kedikoglou, l’ERT est un “cas d’absence exceptionnel de transparence et de dépenses incroyables. Et tout ceci prend fin aujourd’hui”. Dans l’après-midi déjà, les employés fort inquiets, attendaient la nouvelle.
Il faut savoir que dans la nuit de la veille 10 juin, une loi-décret, promulgué en dehors de toute concertation et en absence de tout débat au “Parlement”, “autorise désormais la liquidation de toute société publique ou assimilée” et vers 22h30, la radio publique a été de fait réduite au silence, au moment d’ailleurs où ses journalistes estimaient que “cette fermeture, est un crime contre le peuple et la nation, car les médias publiques demeurent les seuls à pouvoir coordonner enfin, un mouvement populaire... si besoin est”. Ensuite, et vers 22h40, tous les émetteurs d’ERT ont cessé de fonctionner. Vers 23h15, les cloches de certaines églises à Agia Paraskevi, dans les quartiers nord de l’agglomération d’Athènes ont sonné, les citoyens, les habitants convergeaient déjà vers les le bâtiment de la radio télévisons publique, vraisemblablement aussi, les forces de la Police mais ce dernières, de manière bien discrète.
J’ai vécu une partie de cette journée parmi les employés de la radiotélévision publique. Leurs visages étaient déjà graves, très graves bien avant l’annonce de la mise à mort. Ensuite, il y a eu la colère, les larmes, le vide ou le trop plein mais de quoi, impossible à déterminer. Des employés téléphonèrent alors à leurs proches sous le choc, “Yorgos, viens, viens vite ici, c’est la mort, la nôtre... qu’allons-nous devenir ?”
Les employés ont alors ainsi découvert le décret ministériel, car l’imprimé a aussitôt circulé entre les mains, “incroyable”. Certains chefs politiques de la gauche grecque ainsi que ceux de la droite anti-mémorandum hors Aube dorée, étaient déjà sur place vers 17h. Alexis Tsipras est arrivé vers 18h30, précédé de plusieurs députés de SYRIZA, comme Panagiotis Lafazanis et surtout, Manolis Glezos. “C’est une exigence de la Troïka, c’est elle qui réclame ce sacrifice humain. Il s’agit d’une forme de décret royal... On décide et on ordonne comme du temps de la dictature. Désormais, la désinformation et la désinformation seule régnera sur le pays. Je dis ceci à destination des deux autres formations qui participent au gouvernement, le PASOK et la Gauche démocratique : changez de cap ce soir. Je dis ceci à Antonis Samaras, il faut faire marche arrière. Ils n’oseront pas interrompre la diffusion, c’est un acte contre la démocratie, tel est notre avertissement”, a dit Alexis Tsipras. Quant à Manolis Glezos, il a déclaré visiblement ému, “que cette manière dictatoriale d’exercer la politique, c’est à dire fermer par décret la radiotélévision publique ne s’était pas encore pratiquée dans aucun État démocratique. Nous sommes alors dans une dictature. Il va falloir que nous arrachions alors tous ensemble et une fois de plus, le drapeau allemand qui flotte sur l’Acropole”. Entre-temps et juste après la venue d’Alexis Tsipras, certains membres du personnel, ont commencé à refermer la grille de l’entrée, “afin de mieux contrôler les mouvements et surtout éviter les éventuelles infiltrations”.
D’autres, préparaient déjà les banderoles et les slogans, tandis qu’une surveillance toute relative, s’installait également devant les entées du bâtiment, “pour éviter tout débordement, voire les pillages”. On sentait la colère et le désespoir monter du fond du cœur : “Il ne me reste plus rien d’autre à faire que de m’allonger en face, sur l’avenue Mesogeion pour ainsi me faire écraser par les voitures et... en finir” a dit un technicien de la radio. Déjà, de nombreux journalistes des autres télévisions, radios ainsi que de la presse écrite étaient sur les lieux. “Ni Metaxás, le dictateur de 1934, ni Papadopoulos le dictateur de 1967, ni même Berlusconi avec ses télés, n’avaient osé fermer les medias publiques de cette manière” a fait remarqué un journaliste d’une radio privée. Des syndicalistes électriciens, ainsi que des représentants de l’operateur de téléphonie historique OTE, “se sont déclarés déterminés à ne pas permettre l’interruption des émissions”, mais en vain.
Depuis couloirs à l’intérieur du bâtiment, dégageait comme une certaine impression du vide, comme dans un hôpital de nuit, c’est selon. Dans l’après-midi, je suivais sans trop le savoir, les dernières émissions de notre Troisième programme, une radio culturelle et musicale, refondée par Manos Hadjidakis car il fut son directeur vers la fin des années 1970. Dans le hall de l’immeuble, on y découvre d’ailleurs toujours son piano ainsi que sa photo. Nous nous sentons bien seuls ce soir sans lui, je dirais et je ne suis pas le seul à le penser. Son Troisième programme n’est plus. Au même moment et d’après la radio Real-FM peu avant minuit, tous émetteurs, ainsi que ceux de la télévision on cessé de fonctionner lorsque des techniciens les ont mis hors service, escortés par les hommes de certaines unités MAT, les CRS grecs, lesquels les surveillaient toujours durant la nuit, à Égine par exemple ou à Hortiatis, au nord de Thessalonique. “Qu’ils fassent tomber le gouvernement maintenant, s’ils ont des c... sinon qu’ils se taisent. Qu’attendons-nous ? Bloquons l’avenue Mesogeion en y déplaçant nos voitures depuis le parking, tout de suite” a lancé un employé, s’adressant aux représentants syndicaux ainsi qu’à ceux des partis de la gauche grecque. Désormais hors micro, tout le monde se disait que “notre régime ce n’est rien d’autre qu’une dictature ouverte, imposée par la Troïka”, effectivement, la “mort subite” serait alors aussi, une forme de politique faite par d’autres moyens.
“Nous bénéficions du soutien de l’essentiel de la société”, déclare-t-on du côté du gouvernement tard dans la soirée du mardi, tandis que l’Aube dorée, dans un communiqué officiel, s’estime déjà “victime de la partialité de la télévision publique, laquelle n’a déjà aucunement respecté ces citoyens qui ont exprimé leur soutien à l’Aube dorée”. Étrange pays en tout cas, étant donné que de nombreuses chaînes de télévision et de radio privées, fonctionnent sans autorisation et ceci depuis des années, voilà que sur les fréquences publiques, c’est-à-dire légales, c’est désormais la loi du silence qui s’impose. “Il ne faut pas quitter les lieux, il faut que nous restions bien unis” se disent certains employés, tandis que d’autres ont fustigé “les grands népotismes et les clientélismes, hélas résiduels chez nous, le PASOK et la Nouvelle démocratie ont toujours considéré et géré l’ERT comme leur baronnie, et parmi nous, certains... petits princes en ont bien profité, le ministre Kedikoglou déjà, du temps où faisait partie de la maison et voilà qu’à présent, voilà qu’il décrète sa mort, c’est-à-dire notre mort”.
Ces heures étaient bien sombres, comme nos jours, nos semaines et nos mois depuis 2010, c’est-à-dire, depuis l’installation du mémorandisme... trop réellement existant. Dans la nuit de mardi à mercredi les forces de la police avaient déjà pris position discrètement autour des bâtiments de la radiotélévision publique à Athènes et ailleurs, au centre d’Athènes par exemple, et pour ce qui est de certains bâtiments appartenant à l’ex-ERT, des policiers laissaient alors sortir les employés tout en leur interdisant évidemment, tout retour à leur lieu de travail. La nuit fut alors longue pour certains et bien brève pour d’autres.
Peu avant l’annonce officielle de “l’euthanasie” de l’ERT en ce 11 juin, les employés pressentaient déjà la tempête, le député du versant gauche de SYRIZA, Panagiotis Lafazanis déjà présent, était interrogé par les journalistes qui le suivaient partout, puis, au moment de la déclaration de Kedikoglou, ce fut le grand mais précaire silence devant les postes de télévision. Le moment fut bien bref pour eux, et pourtant si long pour d’autres. “Ah voilà, ils nous ont tué en dix minutes...”, certains et certaines étaient déjà en larmes. D’autres, regardaient la scène, la leur, par les fenêtres, on y croit pas parfois, car c’est si soudain, et c’est en ceci que le choc permanant est un succès. On nous annonce une grève de 24h initiée par les syndicats des journalistes du pays, à compter de six heures du matin mercredi 12 juin, ce qui n’est pas tout à fait une très bonne idée, c’est le moins qu’on puisse dire. Les enjeux sont énormes. Pourtant, la radio de SYRIZA n’a pas reporté sa fête et concert mardi soir, et seuls les membres des organisations SYRIZA des quartiers nord de l’agglomération de la capitale ont été invités à “prendre position là où il faut”. C’est dire combien nos gauches ont déjà quelque part perdu la guerre des... boutons, de la radio et de la télévision en tout cas. Et voilà surtout, que c’est le gouvernement Samaras qui prétend “moraliser le service public en mettant fin aux pratiques d’antan”, alors un comble.
Des analystes du fait politique très éphémère, estimaient ce soir sur Real-FM que “le calendrier politique sera sans doute accéléré, évoquant même certaines sources alors proches du gouvernement, qui n’excluent plus la probabilité, de la tenue d’élections législatives anticipées pour bientôt”.
Le calendrier politique existentiel des employés est pourtant déjà plus urgent : “Alors, on vient demain ou pas ?” a brusquement demandé une femme relativement âgée, à sa collègue, vers la fin des discours des représentants syndicaux et des politiques. Tard dans la nuit, les représentants du personnel de l’ex-ERT ont de leur côté demandé aux nombreux citoyens présents, à ne plus pénétrer à l’intérieur du grillage, “car désormais, il va falloir surveiller les entrées”. D’autres manifestations ont eu lieu déjà durant la nuit et ceci partout en Grèce. Sauf que mercredi matin, tous nos medias seront en grève, au moment justement où une page de plus à travers notre étonnante histoire sous le mémorandum vient d’être tournée quoi qu’on dise. Nous avons dit encore tant de choses encore ce soir à propos de l’inacceptable et de la mort subite. Sauf peut-être le dernier mot.