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Le film Zero Dark Thirty ou comment apprendre à aimer la torture (Tomdispatch.com)

Sept étapes simples et en images pour nous vendre la politique de torture et de détention des Etats-Unis

Le 11 janvier, 11 ans jour pour jour après l’ouverture de la célèbre prison de Guantanamo par l’administration Bush, le film Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow sur la chasse d’Oussama Ben Laden sort sur tous les écrans (aux Etats-Unis - NdT). A l’évidence, les producteurs et distributeurs ignorent tout de la signification de cette date - une illustration parfaite de l’insouciance et inconscience de ce film qui sera malheureusement perçu par de nombreux esprits Américains comme un documentaire historique.

Le fait est que Zero Dark Thirty aurait pu être écrit par le cercle rapproché des conseillers à la sécurité nationale qui ont assisté le Président George W. Bush dans la mise en place de la politique post-11/9 qui a abouti à l’ouverture de la prison de Guantanamo et d’un réseau global de «  sites noirs » clandestins et constituer dans la foulée tout un monde clandestin d’injustices et de tortures sordides - qualifiées par euphémisme de «  techniques d’interrogatoires poussés ». C’est aussi un film qui aurait pu être promu (et il l’a d’ailleurs été) par l’administration Obama qui a défendu l’impunité pour de tels actes. Il aurait pu être intitulé «  Retour vers le Futur, 4ème partie », car le film, comme la population à laquelle il s’adresse, semble être coincée pour toujours dans un espace-temps marqué par le désir de vengeance et d’orgueil qui a balayé le pays au lendemain des attentats du 11/9.

Le message éhonté transmis par le film de Bigelow est que la torture a effectivement aidé les Etats-Unis à traquer l’auteur des attentats du 11 Septembre. Zero Dark Thirty - pour tous ceux qui ne sont toujours pas au courant - est l’histoire de Maya (Jessica Chastain), jeune agent de la CIA qui est convaincue qu’un détenu appelé Ammar détient des informations qui pourraient mener à Ben Laden. Après des semaines, peut-être des mois, de tortures, il livre un bout d’information qui mène à ... bon, vous voyez le topo. Le nom du messager de Ben Laden finit par être révélé. Dès la première mention de son nom, Maya se dévoue à le retrouver, et celui-ci finit par mener la CIA à la maison où Ben Laden se cache. Bien-sûr, vous connaissez déjà la fin.

La détermination de l’héroïne à retrouver Ben Laden est peu-être émouvante, mais le fait est que Bigelow relaie sans états d’âme la version de l’administration Bush et de ses partisans. C’est comme si elle avait suivi un vieux rapport officiel et avait décidé de livrer sous forme de fiction les étapes à suivre pour créer, mettre en oeuvre et vendre au public la politique de torture et de détention de l’époque Bush.

Voici donc les sept étapes qui réhabilitent l’administration Bush et devraient vous apprendre à aimer la torture, à la manière de Bigelow.

1 - Faire Peur. Dés la scène d’ouverture, Zero Dark Thirty établit une relation entre nos frayeurs post-11/9 et la nécessité de torture. Le film commence dans le noir avec d’authentiques appels au secours émouvants provenant de personnes piégées dans les tours du World Trade Center : «  je vais mourir, n’est-ce pas ?... Il fait si chaud. Je brûle... » crie une voix de femme. Tandis que les voix s’estompent, l’écran noir cède la place à un plan large sur Ammar en train d’être violenté par des hommes portant des cagoules noirs, et se retrouver pendu par les bras largement écartés.

Les appels de victimes sont remplacés par les bruits de torture. «  Est-ce qu’il sortira un jour ? » demande Maya. «  Jamais », lui répond son collègue de la CIA (Jason Clarke). Ces paroles sont censées répondre aux horreurs du 11/9. La première étape de Bigelow consiste donc à reprendre le mantra de l’ancien vice-président Dick Cheney de l’époque où il affirmation que le pays devait passer du «  côté sombre ». Cela faisait partie de son plaidoyer passionné selon lequel, étant donné l’ampleur de la menace posée par Al-Qaeda, la seule manière d’obtenir justice et de retrouver la sécurité était de violer la loi.

Bigelow suit aussi les pas de Cheney pour nous mener dans un monde de peurs. L’administration Bush avait compris que, pour faire aboutir leurs rêves globaux, dont la future invasion de l’Irak, leur meilleur allié était la peur. De Terre Haute à El Paso, de Portland, Oregon, à Portland, Maine, les Américains allaient être régulièrement rappelés qu’ils étaient terriblement et éternellement menacés par des terroristes.

De façon similaire, Bigelow fait tout pour maintenir le niveau de peur. Entrecoupé par l’histoire de la chasse à Ben Laden, elle montre régulièrement des images d’attaques terroristes à travers le monde depuis le 11/9 : l’attentat de 2004 contre les installations pétrolières à Khobar, Arabie Saoudite, qui fit 22 morts ; l’attaque suicide de 2005 à Londres, 56 morts ; l’attentat de 2008 contre l’hôtel Marriott à Islamabad, 54 morts ; et l’attentat raté de Times Square en mai 2010. Bigelow veut nous rappeler que nous sommes en danger permanent et se sert de Maya pour le répéter de façon récurrente tout au long du film.

2 - Saper l’état de droit. En droit américain comme en droit international, la torture est illégale. Elle n’est devenue «  légale » que dans une série de rapports secrets produits pas le Département de Justice de Bush et approuvée aux échelons les plus élevés de l’administration. (De hauts-officiels, dont Cheney et Condoleezza Rice, Conseillère à la Sécurité Nationale, ont même assisté à des démonstrations de techniques de torture présentées à la Maison Blanche avant de donner leur feu vert). En affirmant qu’on ne pouvait garantir la sécurité des Américains par des méthodes purement légales, ils ont secrètement demandé et obtenu l’autorisation d’inclure la torture dans la panoplie de la Guerre contre le Terrorisme. Et pourtant Bigelow ne se pose pas la moindre question devant cette nouvelle interprétation de la loi. Elle avalise la légalité des actes qu’elle décrit en long et large et en gros plan, et enfonce même le clou vers la fin du film où elle fait dire en passant que le système juridique constituait un frein potentiel à la capture de Ben Laden. «  Mais Bon Dieu, à qui suis-je censé poser la question [sur la confirmation du nom du messager]  ? A un type à Gitmo [Guantanamo - NdT] entouré d’avocats ? » demande un conseiller à la sécurité d’Obama dans le version cinématographique des préparatifs du raid contre le cache de Ben Laden.

Parallèlement à la mise en place d’une politique de légalisation de la torture, la détention de suspects sans accusation ni procès (y compris des personnes, nous le savons désormais, qui ont subi des traitements horribles malgré leur innocence) devint un des fondements de l’administration. Plus précisément, des avocats du gouvernement furent employés pour rédiger en termes particulièrement torturés (si je puis m’exprimer ainsi) de documents qui exemptaient les détenus des protections garanties par les Conventions de Genève, autorisant ainsi des interrogatoires dans des conditions en violation flagrante de la loi, nationale et internationale.

Zero Dark Thirty accepte sans hésitation ou questionnement l’importance de cette politique de détention inconstitutionnelle, présentée comme étant tout aussi essentielle que le programme de torture. Dés les premiers jours de la guerre contre le terrorisme, le gouvernement US a raflé des individus à travers le mode et a commencé à les interroger de manière brutale. Qu’ils soient ou non en possession d’informations, que le gouvernement ait eu ou non des preuves contre eux, des centaines - et au final des milliers - ont été détenus par les Etats-Unis dans des sites clandestins de la CIA à travers le monde, dans des prisons d’états alliés connus pour leur pratique de la torture, dans le centre de détention de Bagram en Afghanistan et, bien-sûr, à Guantanamo qui représentait le joyau de la couronne du système de détention offshore de l’administration Bush.

Dan et Maya se rendent non seulement dans des sites clandestins pour obtenir des informations des détenus, mais visitent aussi les cages et les cellules d’interrogation à Bagram où des hommes vêtus des désormais tenues orange attendent une expérience cauchemardesque. Le film de Bigelow laisse entendre à répétition qu’il était crucial pour la sécurité nationale de garder à portée de main ce pool d’informations potentielles - c’est-à -dire de détenus - juste au cas où quelqu’un aurait un jour une information à donner.

3 - Ressasser l’horreur. Pendant pratiquement toute la première heure du film, la torture est montrée à l’écran avec une crudité qui ne peut être qualifiée que de pornographique. Ainsi, Zero Dark Thirty mime de façon effrayante l’approche obsessionnelle, fondamentalement fétichiste, des hauts-conseillers de Bush sur le sujet. Cheney, l’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, l’ancien directeur de cabinet de Cheney, David Attington, et John Yoo du Bureau Juridique, entre autres, se sont plongés avec minutie dans les tactiques d’ « interrogatoires poussés », en supervisant dans les moindres détails les niveaux de torture qu’il fallait ou non appliquer et ce qui constituait ou non de la torture au lendemain du 11/9.

Passant d’un site clandestin à l’autre, d’une victime à l’autre, le film montre des séances de torture dans tous leurs détails exquis. La caméra de Bigelow semble se complaire dans le sordide : simulations de noyade, positions de stress, tabassages, privations de sommeil provoquant des pertes de mémoire et des désorientations graves, humiliations sexuelles, enfermements dans des petites boites, et plus encore. A chaque fois que l’occasion lui est offerte, Bigelow semble s’en saisir pour laisser entendre que cet enchevêtrement de chairs et d’immersion dans la brutalité des Américains serait pour le moins compréhensible et probablement utile. Le message à peine subliminal du film sur la torture devrait nous rappeler comment une forme de «  sadisme sous couvert de devoir patriotique » s’est emparé des soldats sur le terrain, comme le montrent les désormais célèbres photos de 2004 d’Abou Ghraib où des soldats américains souriants sont fiers de nous montrer leur capacité à humilier et blesser des prisonniers portant des colliers de chiens.

4 - Déshumaniser les victimes. A l’instar de l’appareil de sécurité nationale qui ont promu la politique de torture, Bigelow déshumanise ses victimes. Malgré les tabassages à répétition, les humiliations et les techniques agressives de torture de différents types, Ammar n’attire jamais ne serait qu’un semblant de sympathie de la part des personnages du film. Le résultat est que les spectateurs ne peuvent pas s’identifier avec quelqu’un qui serait émotionnellement déstabilisé par les traitements infligés. La déshumanisation était un outil indispensable pour promouvoir la torture ; elle est désormais devenue un outil indispensable pour promouvoir Zero Dark Thirty, qui désensibilise les spectateurs d’une manière qui devrait nous effrayer et nous interroger sur ce que nous sommes devenus depuis le 11/9.

5 - Ne jamais mettre en doute l’efficacité de la torture. Considérant tout ce qui précède, il n’y a qu’un petit pas à franchir pour se convaincre de l’efficacité de la torture pour obtenir la vérité. «  Tout le monde finit par craquer, mon pote : c’est biologique, » dit Dan à une de ses victimes. Et il ne cesse de répéter, «  Si tu me mens, je te ferai du mal » - impliquant par là que «  si je te fais du mal, tu ne me mentiras pas. » Maya approuve, en disant à Ammar, blessé, ensanglanté, et suppliant qu’on l’aide, qu’il peut mettre fin à la douleur en disant la vérité.

Combien de fois faut-il répéter que la torture n’a «  pas encore » produit les résultats promis par le gouvernement ? Combien de fois faut-il répéter qu’avoir soumis Khalid Sheikh Mohammed, le cerveau du 11/9, 183 fois à des simulations de noyade n’a à l’évidence rien donné ? Combien de fois faut-il souligner que la torture peut - et cela a même été le cas - donner des informations erronées, notamment lors de la torture d’Ibn al-Shaykh al-Libi, le Libyen qui dirigeait le camp d’entraînement d’Al-Qaeda en Afghanistan qui a avoué sous la torture qu’il y avait des armes de destruction massive en Irak ?

6 - Ne tenir personne pour responsable. L’administration Obama a décidé que tenir des personnalités de l’administration Bush, des responsables de la CIA, ou même des tortionnaires pour responsables de leurs actes devant la loi poserait plus de problèmes qu’il n’en résoudrait. Au lieu, le président a décidé d’aller de l’avant en oubliant le passé. Bigelow tire parti de cette passivité pour suggérer aux spectateurs que le seul défaut de la torture est le risque d’avoir un jour à rendre des comptes. Lors de ses préparatifs pour quitter le Pakistan, Dan dit à Maya, «  Il te faudra faire très attention avec les détenus maintenant. La politique est en train de changer et tu ne veux pas te retrouver la dernière à tenir une laisse lorsque la commission d’enquête se pointera... »

La triste vérité est que Zero Dark Thirty n’aurait pas pu être produit sous sa forme actuelle si un des officiels qui ont crée et mis en oeuvre la politique de torture US avait eu à rendre des comptes, ou si un éclairage quelconque avait été jeté sur les événements. Sans pratiquement aucun débat public et aucune coupable désigné, Bigelow se sent libre d’ignorer ne serait-ce qu’un semblant de critique à l’encontre du programme de torture. Son film constitue ainsi une démonstration de plus que sans responsabilisation, la narrative pernicieuse se poursuit avec la possibilité même qu’elle se répande.

7 - Faire appel aux médias. L’administration Bush avait la série «  24 » de la chaîne Fox pour nous rappeler chaque semaine que la torture apportait la sécurité. L’administration actuelle, arc-boutée sur sa politique de «  zéro coupables », a le film de Bigelow. Celui-ci constitue l’oeuvre de propagande parfaite, avec tout l’attrait que la brutalité crue, la peur et le désir de vengeance peuvent engendrer.

Hollywood et la plupart des critiques ont exprimé leurs louanges pour le film. Il a déjà été nommé comme un des meilleurs films de l’année et est considéré comme un candidat aux nominations aux Oscars. Hollywood, jadis un bastion progressiste, a apporté la touche finale à l’oeuvre de réhabilitation de la torture. Encore une histoire qui finit bien.

Karen J. Greenberg

Directrice du Centre d’études sur la sécurité nationale à Fordham Law School. Auteure de «  The Least Worst Place : Guantanamo’s First 100 Days » et co-éditrice de «  The Torture Papers : The Road to Abu Ghraib. »

Original : http://www.tomdispatch.com

Traduction «  pourquoi se torturer puisque nous sommes en démocratie ? » par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement les fautes et coquilles habituelles.

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