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Le mythe Maradona contre la "vie nue".

L’un de nos ex-Présidents a disparu... et il ne nous manque rien. Au contraire, la mort de Maradona a creusé un grand vide dans le monde, même chez ceux qui ne connaissent rien au foot. A l’époque où ils jouaient, on comparait Maradona et Pelé : lequel est le plus grand joueur ? Aujourd’hui, il n’y a pas photo, l’Histoire a tranché : face au « roi » Pelé, il y a le « Dieu » Maradona. A quoi tient la dimension unique de Maradona ?

On oppose souvent les dons extraordinaires de Maradona balle au pied à sa calamiteuse conduite privée (alors que Pelé était déjà un champion du politiquement correct, ce qui lui a permis de devenir Ministre des sports au Brésil) : c’est la meilleure façon de ne rien comprendre au phénomène. Aujourd’hui, ses défauts mêmes deviennent des qualités : à l’heure où les sportifs manient la langue de bois comme des politiciens au rabais, où ils n’osent pas dire un mot qui n’ait été préparé et appris par cœur, où ils entonnent tous, pas seulement le si consensuel Thuram, le grand chœur de l’anti-racisme, où on ne peut être un bon joueur si on n’est pas en même temps une dame de charité, l’intempérance verbale, les excès de toute sorte de Maradona deviennent un modèle, et un kit de survie.

Dirty Diego symbolise tout ce qui donne du piment à la vie, et dont, depuis de longues années, le politiquement correct a entrepris de nous spolier. On a commencé par interdire dans les stades les insultes entre supporters, et nous en sommes à voir des stades sans spectateurs, des matchs dont les commentateurs sportifs continuent à nous donner les résultats, feignant de ne pas s’apercevoir qu’on n’a plus là qu’un cadavre de football.

Le Covid19 a accéléré cette évolution mortifère, mais les interdictions et contraintes dont il quadrille nos activités résiduelles ne font que continuer cette opération d’appauvrissement de la vie et de ses plaisirs – dont les rapports humains « présentiels » sont le premier, et le plaisir fondamental, sans lequel il n’y a pas de vrai plaisir. Aujourd’hui, de vagues experts nous déclarent que nous devons réduire notre vie à « l’essentiel », c’est-à-dire la pure survie biologique (faire les courses, manger, dormir, chacun dans sa cage) : c’est ce que le philosophe Giorgio Agamben appelle « la vie nue ».

Contre cette réduction, qui annule toute notre civilisation, qu’elle soit chrétienne, au Moyen Âge, ou qu’elle soit une exaltation de l’homme, depuis la Renaissance, il faut renouer avec ce qui prolonge et exalte nos vies, et, d’abord, le mythe, non pas, bien sûr en potassant un manuel de mythologie grecque, mais en épousant les mythes modernes et vivants : Hô Chi Minh, Fidel Castro, Maradona. Tout ce qui élève la stature de ces héros nous enrichit, et le caractère divin de Maradona est un fier démenti lancé à la « vie nue ».

La vie privée de Maradona a été aussi malsaine que possible : on ressent de la peine en le voyant, sur certaines photos, avec 40 kilos de trop ; mais on sourit aussi en pensant, par contraste, à toutes ces momies (Jack Lang, Jane Fonda...) dont le but dans la vie est de garder à 80 ans la silhouette de leurs vingt ans. Le souci fanatique de la forme physique est, sur le plan social, une manifestation élitiste, mais aussi, sur le plan métaphysique, un refus du temps qui passe, c’est-à-dire de la vie. Maradona, lui, a pris la vie à bras-le-corps, il en a joui sans précaution, sans se couvrir, sans se soucier, bourgeoisement, des conséquences, comme il ne se souciait pas des conséquences de ses attaques contre les puissants. Maradona, par sa vie, a transgressé les vrais tabous de notre époque, qui sont hygiénico-sécuritaires, et défié l’idéologie dominante.

Héros de la transgression, c’est cependant dans les stades que sa divinité s’est manifestée, par des buts invraisemblables imposant l’idée d’une intervention surnaturelle. En 1985, jouant dans l’équipe de Naples, il marque contre la Juventus un but impossible : tirant un coup franc sur le côté, il semble d’abord lancer le ballon devant lui, parallèlement à la ligne de but, mais, à un certain point, la trajectoire du ballon oblique, comme attirée par un aimant, pour plonger dans les filets. Mais c’est au Mondial 86, contre l’Angleterre, que Maradona connaîtra l’apothéose : dans son duel avec le gardien de but anglais, plus grand que lui de 20 centimètres, la victoire ne semblait pas douteuse. Mais c’est Maradona qui saute le plus haut, comme si, à cet instant, une divinité l’avait soulevé en le tirant par sa tignasse. Le caractère numineux, de descente du sacré dans le monde profane, selon les termes de Mircea Eliade, est confirmé par toutes les circonstances qui accompagnent le but de la Main de Dieu : l’arbitre ne voit pas la main ! Et cette « faute » ne lui sera pas reprochée, au contraire elle apportera la gloire au Tunisien Ali Bennaceur, qui dira du premier but, celui que marque Maradona en conduisant la balle, en un dribble effréné, depuis son camp jusque dans la cage adverse : « J’étais fier de participer à ce but qui a été élu meilleur but du siècle ». Bennaceur, une sorte d’archange Gabriel, ou Jibril, qui contempla le miracle de l’Incarnation, le saint Esprit descendant sur la main de Maradona ! Même le fair play de l’équipe anglaise (fair play ou conscience du sacré ?) confirme cette interprétation : contester ce but aurait été sacrilège, ç’aurait été s’opposer à la volonté divine. Et pourtant, ce but semblait être un jugement de Dieu, ou de la Némésis, contre la trop facile, et sanglante, victoire de l’Angleterre dans la guerre des Malouines.
Il est bon, à l’heure où le premier imbécile venu se croit le droit d’insulter et ridiculiser un personnage sacré révéré par des millions, des milliards d’hommes et femmes, de réaffirmer les droits du sacré et la réalité de la notion de sacrilège ou blasphème (ces notions sont du reste introduites par les blasphémateurs eux-mêmes ; naguère, on aurait parlé de simple méconnaissance du respect humain) : humilier et faire moralement souffrir des millions, des milliards de personnes, non, cela ne relève pas de la « liberté d’expression ». Mais qu’on cherche à nous obliger à « blasphémer » (en termes laïcs : manquer au respect humain) - car blasphémer risque de devenir bientôt un exercice obligatoire dans les écoles, une épreuve obligatoire pour obtenir la nationalité française - est cohérent avec l’idéologie de la « vie nue », qui fait des hommes du bétail à nourrir, à soigner, vacciner, et, le cas échéant à sacrifier, comme les 17 millions de visons danois massacrés pour suspection de Covid.

Les « esprits forts » s’imaginent encore que la lucidité et la liberté d’esprit consiste à bouffer du curé et se moquer de toute manifestation du sacré : ce sont au contraire des moutons de Panurge, qui hurlent avec les loups. Défendre notre liberté et la valeur de l’être humain, aujourd’hui plus que jamais, c’est revendiquer ce qui nous grandit, nous rattache à un arrière-plan sacré, c’est-à-dire le mythe (de nature religieuse ou non, de toute façon un mythe a toujours une fonction religieuse). L’Homme-Maradona qui, avec toutes ses faiblesses, se doublait d’un Maradona-Dieu, est ainsi un mythe irremplaçable et il faut ici, non pas se montrer bêtement ironique, voire méprisant, comme certains commentateurs, mais veiller à entretenir la flamme de ce mythe, pour éviter de voir nos vies rabaissées jusqu’à la simple animalité. Qui veut faire l’ange fait la bête, disait Pascal ? L’évolution de notre société et de son idéologie a renversé cet adage : faisons l’ange pour qu’on ne nous fasse pas faire la bête, et pour qu’on ne tombe pas dans l’horreur de la « vie nue », annonciatrice de nouveaux génocides.

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