2 décembre 2022
Giorgio AGAMBEN
Ce que dit ce texte de la réglementation draconienne des comportements est particulièrement vrai en ce qui concerne le langage : là, aucune situation d'urgence n'a été nécessaire pour instaurer la censure.
Selon les juristes arabes, les actions humaines se classent en cinq catégories, qu’ils énumèrent ainsi : obligatoire, louable, licite, blâmable, interdit. A l’obligatoire s’oppose l’interdit, à ce qui mérite louange ce qui doit être blâmé. Mais la catégorie la plus importante est celle qui se trouve au centre et qui constitue pour ainsi dire le fléau de la balance qui pèse les actions humaines et en mesure la responsabilité (responsabilité se dit, dans le langage juridique arabe, « poids »).
Si est louable ce dont l’accomplissement est récompensé et dont l’omission n’est pas interdite, et blâmable ce dont l’omission est récompensée et dont l’accomplissement n’est pas interdit, le licite est ce sur quoi le droit doit se taire et qui n’est donc ni obligatoire ni interdit, ni louable ni blâmable. Il correspond à l’état paradisiaque, dans lequel les actions humaines ne produisent aucune responsabilité, ne sont d’aucune façon « pesées » par le droit. Mais – et c’est là le point décisif –, selon les juristes arabes, (...) Lire la suite »
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5 juin 2022
Margaret ATWOOD
Le droit à l’avortement est en phase terminale aux Etats-Unis, où la Cour suprême envisage d’abroger l’arrêt qui le décriminalise depuis 1973. La grande écrivaine canadienne Margaret Atwood avait exploré les risques d’une dictature théocratique étasunienne dès 1985 dans La Servante écarlate, son chef-d’œuvre dystopique. Voici sa tribune, d’abord publiée dans The Atlantic (1)
Au début des années 1980, je m’étais embarquée dans l’écriture d’un roman d’anticipation portant sur un futur dans lequel les Etats-Unis s’étaient désunis. Une partie du pays était désormais une dictature théocratique fondée sur la doctrine religieuse et la jurisprudence de la Nouvelle-Angleterre puritaine au XVIIe siècle.
J’avais planté le décor dans les environs de l’Université Harvard, une institution réputée pour son libéralisme dans les années 1980, mais dont la raison d’être, trois siècles plus tôt, était de former le clergé du puritanisme.
Retour vers le passé
Dans la théocratie imaginaire de Galaad, les femmes n’avaient quasiment aucun droit, au même titre qu’en Nouvelle-Angleterre au XVIIe siècle. Les textes bibliques avaient été triés sur le volet, les passages retenus étaient soumis à une interprétation littérale. Dans la Genèse – en particulier dans la famille de Jacob –, les épouses des patriarches disposaient de femmes réduites en esclavage, appelées « servantes ». Ces épouses pouvaient intimer à leur (...) Lire la suite »
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9 janvier 2022
Barbara STIEGLER
Depuis quinze ans, j’enseigne l’éthique et la santé publique à des soignants qui viennent se former à l’université. Ensemble, nous essayons de comprendre pourquoi le « consentement libre et éclairé » s’est imposé comme la clé de voûte de l’éthique biomédicale.
Pourquoi il permet de compenser l’asymétrie, potentiellement dangereuse, entre les patients (ou les sujets sains d’une expérimentation) et le pouvoir médical. Pourquoi il ne peut être libre que s’il est recueilli sans chantage, ni menace, ni pression psychologique d’aucune sorte – condition indispensable pour qu’il ne soit pas « extorqué ». Pourquoi on ne peut dès lors jamais conditionner l’accès aux soins à l’acceptation du traitement proposé et pourquoi un patient qui refuserait de donner son consentement ne peut être, sous ce prétexte, exclu du système de soin. Pourquoi plus généralement, et contrairement aux dernières allégations d’Emmanuel Macron qui violent tous les principes de notre contrat social, les droits du citoyen ne peuvent, à aucun titre, être conditionnés par l’invocation de devoirs antécédents. Pourquoi enfin le recueil du consentement interdit tout recours à l’argument d’autorité du type : « Obéissez, car c’est moi, ou plutôt les autorités sanitaires, qui savons ce qui est bon pour vous ! »
La (...) Lire la suite »
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2 décembre 2020
Nous sauver en nous privant des nourritures de l’esprit, en nous plongeant dans le vide social, cause de délinquance, de dépressions, de suicides ?
Guy CHAPOUILLIE
Chaque matin, j’ouvre ma boîte aux lettres pour en extraire le journal Le Monde (1) et je me précipite sur la page qui nous présente la situation de l’épidémie de Covid-19. Aujourd’hui c’est le mardi 1er décembre et la tendance se confirme d’une réelle diminution de la contamination. C’est tout simple, le dessin de la courbe en cloche a sérieusement entamé la descente et je me sens mieux.
Mais cela est relatif, car de bavures en bavures, la violence de certains policiers me donne la chair de poule comme si ce mal était endémique. Le débat sur la violence est relancé, dans la rue, sur les plateaux de télé, dans les journaux, à l'Assemblée Nationale au croisement d'une autre affaire concernant l'article 24 de la loi Sécurité Globale qui prévoit de punir la diffusion malveillante de photos ou de films sur les policiers, ce qui est une autre atteinte à la liberté d'expression et à celle d'informer. Ça parle, ça manifeste, j'entends dire qu'il y a une crise du commandement et qu'il serait urgent de former autrement les policiers pour en faire de véritables défenseurs de la démocratie. Or, pendant ce temps, Emmanuel Macron déclare qu'il ne faut pas oublier les réformes auxquelles il tient, notamment celle des retraites ; oui, pendant ce temps Emmanuel Macron oublie la plupart de ses promesses comme celle de mettre fin à l'utilisation du Glyphosate, ce pesticide empoisonneur de l'agriculture (...) Lire la suite »
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19 août 2020
Jean-Claude PAYE, Tülay UMAY
La notion d’état d’urgence juridique nous est familière. Elle fait partie de notre vie depuis une vingtaine d’années, que l’état d’urgence ait été déclaré comme en France ou qu’il résulte simplement d’une transformation constante du droit pénal détruisant, au nom de la « lutte contre le terrorisme », l’essentiel des libertés collectives et individuelles. Ce processus, ayant pour objet la suppression de l’État de droit, a été nommé « état d’urgence permanent ».
A cette transformation, au niveau du droit, s’ajoute aujourd’hui une notion « d’état d’urgence sanitaire ». Ici, dans l’état d’urgence sanitaire, le droit n’est pas suspendu, ni même supprimé, il n’a plus lieu d’être. Le pouvoir ne s’adresse plus à des citoyens, mais seulement à des malades ou à des porteurs potentiels de virus.
Lorsque le droit est suspendu dans l’état d’urgence ou supprimé dans le cadre de la dictature, sa place demeure, même si elle reste inoccupée. Dans « l’état d’urgence sanitaire », c’est sa place même qui disparaît. Le droit n’est plus simplement (...) Lire la suite »
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13 avril 2020
Auteur mystère
Pas de chapeau. Ni de masque d'ailleurs.
Le tracking. Ton téléphone portable devient shérif-adjoint ! Tracking : un mot entre traque et crack. Angoissant et hallucinant. Une façon, parait-il, de « mieux protéger ». Évidemment, il s’agit de « libérer les énergies sur les territoires » en rassurant ceux qui en ont encore (de l’énergie). En effet c’est déjà assez compliqué d’obéir aux consignes du gouvernement et de rester confiné tout en allant au travail. Alors, si en plus on croise des malades sans le savoir ! Et si on doit travailler avec des gens malades sans en être informé ! Brrrrr...
Donc le tracking, une solution simple, tellement simple que même Castaner a compris. Et il se propose de l’appliquer. Il dit : « on y réfléchit ». Ca prouve qu’il le peut, donc c’est rassurant. Descartes y trouve son compte : « je réfléchis, donc je suis ». Castaner a une preuve de sa propre existence ailleurs que dans le regard excédé et navré du Président de la République. Mais disons que ce n’est pas vraiment rassurant : réfléchir avec le préfet Lallement et Nicole (...) Lire la suite »