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850 salariés vendus pour 1 euro… et une fraude à la loi ?

L’affaire a été rondement menée depuis fin juillet 2014 par Thierry Breton, PDG du groupe ATOS. Photo : Nicolas Tavernier/Réa

Atos, le géant des services informatiques a vendu pour 1 euro son activité « support », employant 850 salariés. Les conditions de cette cession
 à une sous-filiale de Manpower laissent soupçonner une infraction à la loi, visant à éluder l’obligation de mettre en place un plan social.

Le 1er mars dernier, leurs accès aux outils informatiques Atos ont été brutalement coupés. Ce jour-là, 850 techniciens de la multinationale de services informatiques, dirigée depuis fin 2008 par l’ancien ministre de l’Économie Thierry Breton, sont passés sous la coupe de PWS, filiale de Proservia, elle-même filiale du groupe d’intérim Manpower. Simple changement d’employeur, après une banale cession ? Oui, mais lourd d’interrogations et de menaces sur la pérennité de l’activité, et de leurs emplois.

Car d’après les expertises financière et juridique commandées par le comité d’entreprise d’Atos Infogérance, les conditions de cette vente font planer un sérieux doute de fraude à la loi. Selon ces documents, que l’Humanité s’est ­procurés, Atos se serait débarrassé à peu de frais d’une activité et de 850 salariés, en éludant l’obligation de mettre en place un plan social, coûteux en temps, en argent, en image. L’affaire a été rondement menée. C’est fin juillet dernier que 
la direction annonce son ­intention de vendre au groupe Manpower son activité «  workplace & service desk services  » (WSDS), qui concerne 850 salariés des branches Atos Infogérance et A2B du groupe. Il s’agit des services de support aux postes de travail d’entreprises clientes – assistance à distance et intervention physique –, un métier historique de l’informatique, mais en perte de vitesse, et dont la plupart des grands groupes informatiques se sont déjà débarrassés, soit en le sous-traitant, soit en le délocalisant vers des pays à bas coût.

Les salariés sont des techniciens, ayant même parfois le statut d’employés, et quasi-smicards. En 2010 déjà, Atos avait évoqué un projet de cession, sans pousser plus loin. Entre-temps, le groupe a laissé l’activité péricliter, en supprimant les forces commerciales dédiées, en laissant le chiffre d’affaires et les effectifs chuter, pour mieux justifier l’opération par l’absence de rentabilité. «  Après cette annonce juste avant les vacances d’été, nous avons eu un tunnel de quatre mois sans information  », dénonce Kenneth Brace, délégué syndical central CGT d’Atos Infogérance. Le 20 novembre, la direction lance la procédure d’information-consultation du comité d’entreprise, et présente enfin son projet précis, qui met le feu aux poudres. Les salariés apprennent qu’ils ne seront pas transférés chez Manpower, ni même vers sa filiale Proservia (1 500 salariés), ­spécialisée dans les services informatiques, mais vers Arkes, une sous-filiale créée ad hoc pour l’opération, employant zéro ­salarié et dotée de 10 000 euros de capital. Autrement dit, une coquille vide avec un peu d’argent de poche. «  Notre crainte, c’était qu’ils nous laissent dans cette boîte aux lettres et qu’en cas de dépôt de bilan, on n’ait que nos yeux pour pleurer  », résume Kenneth Brace. Le projet de la direction se veut rassurant, puisqu’il prévoit une «  garantie d’emploi  » de trois ans pour les salariés transférés, Proservia s’engageant à ne procéder à aucun licenciement économique individuel ou collectif pendant cette période. Il contient également un accord de «  partenariat  » entre Atos et Proservia, consistant à maintenir un certain niveau d’activité à Proservia. En fait, Atos conserve la majeure partie des contrats avec les clients, et sous-traitera l’activité «  support  » à Proservia, avec un engagement dégressif de facturation sur trois ans : 100 % en 2015, 85 % en 2016, 60 % en 2017. Mais au-delà de trois ans ? Gros point d’interrogation. Comme la direction refuse de livrer certaines informations, le comité d’entreprise saisit la justice, qui le déboute en bonne partie, mais oblige tout de même Atos à révéler le prix de la cession. Le 16 janvier, nouveau coup de bambou pour les salariés, qui apprennent qu’ils sont vendus pour 1 euro symbolique. L’impression qu’Atos veut se débarrasser d’eux à tout prix, et qu’il s’agit d’un plan social déguisé, ne fait que croître.

«  On a la rage, de la manière 
dont s’est passé ce transfert  »

L’analyse des experts confirmera ces craintes. Remis au comité d’entreprise début février, le rapport du cabinet d’expertise comptable Sextant commence par dénoncer des «  conditions d’exécution de la mission rendues difficiles par une transmission des informations tardives et incomplète  », signe d’une certaine frilosité d’Atos à faire la ­lumière sur son projet. Malgré la carence d’informations, il soulève de nombreuses interrogations sur le devenir des salariés transférés vers Proservia – ou plus précisément sa filiale Arkes, depuis ­rebaptisée PWS. Reprenant l’historique de l’opération, les experts relèvent que depuis 2010, Atos n’a pas cherché à relancer WSDS mais a «  géré la décroissance de l’activité  », «  la décroissance d’efforts commerciaux  » se traduisant par «  une nette contre-performance par rapport au marché  », qui lui permet aujourd’hui de se dire «  contraint  » de la vendre. Une politique qui a des conséquences graves pour les salariés, qui n’ont fait l’objet d’aucune formation et se retrouvent «  fragilisés  » car bloqués au niveau 1 de qualification, fortement exposé à l’automatisation et à l’offshore (délocalisation), autrement dit au chômage. Au lieu de «  gérer l’existant en faisant évoluer les salariés de leur métier vers les métiers stratégiques de demain  », Atos s’est orienté vers une «  logique financière de gestion de portefeuille d’activités, basée sur la sortie du périmètre des activités et métiers amenés à décroître ou disparaître, et sur l’acquisition des activités et métiers porteurs via les ­acquisitions et recrutements externes  », soulignent les experts. Ils ­s’inquiètent des conditions d’intégration des 850 salariés transférés – 76 % ont plus de trente-cinq ans, et 70 % sont de niveau 1 –, dans la société Proservia aux effectifs nettement plus jeunes et plus qualifiés, et aux salaires inférieurs. Et de conclure que les techniciens qui ne bénéficieront pas d’actions de ­formation «  risquent d’être menacés au terme de l’engagement de maintien de l’emploi  » de trois ans.

L’analyse juridique du projet est plus sanglante encore. Invités par le comité d’entreprise à se pencher sur le transfert d’activité, les avocats d’affaires du cabinet Kaza y détectent une possible «  fraude à la loi  ». Atos a présenté l’opération comme la cession d’un fonds de commerce à Manpower, ce qui entraîne le transfert automatique des contrats de travail, comme le prévoit l’article L.1224-1 du Code du travail. Mais pour que cela soit licite, l’entité vendue doit répondre aux critères de définition d’un fonds de commerce, autonome, doté d’une clientèle, bref, viable économiquement. Or, selon les avocats, WSDS ne dispose pas de force commerciale et une fois cédé, restera sous la dépendance totale d’Atos. Des éléments qui plaident pour le caractère «  artificiel  » du fonds de commerce, permettant «  à Atos d’éluder l’application, pourtant d’ordre public, des règles relatives au licenciement économique  », pointent les juristes. Si Atos n’avait pas choisi la cession sous cette forme, il aurait dû, pour mettre fin à l’activité WSDS, engager une procédure de plan de sauvegarde de l’emploi pour les 850 salariés. «  Atos est coté au CAC 40, l’annonce d’un plan social ne serait pas du meilleur effet, il préfère dire qu’il vend une activité  », complète Olivier Bongrand, l’avocat du comité d’entreprise. «  Il se désengage de ces 850 salariés, dans trois ans il ne sera pas responsable de leur sort et renverra vers le repreneur qui se présentait comme solide  », estime le juriste, qui se demande même si Atos n’a pas versé une contribution à Proservia pour prendre en charge les salariés éjectés. «  Il y a ­clairement un détournement de l’article L.1224-1, un habillage pour éviter le plan social, on va aller en justice  », affirme Philippe Talini, élu Unsa (majoritaire) au comité d’entreprise. S’il est démontré que les critères permettant le transfert automatique du personnel n’étaient pas réunis, les salariés peuvent obtenir la réintégration chez Atos, ou des dommages et intérêts, explique 
Me Bongrand. Contacté par ­l’Humanité sur le soupçon de fraude, le service communication d’Atos se contente de rappeler, laconique, qu’Atos et PWS «  se sont engagés dans un partenariat commercial d’une durée minimum de cinq ans et sur le maintien dans l’emploi de chaque salarié de WSDS pour une durée minimale de trois ans  ». En attendant, la mobilisation des salariés a permis d’arracher quelques garanties, du moins pour l’avenir proche. Malgré leur éclatement sur de nombreux sites ou chez les clients, et la faible culture syndicale du secteur, entre 
200 et 300 informaticiens de WSDS ont répondu aux deux appels à rassemblements lancés par l’intersyndicale CGT-Unsa-CFE-CGC, en novembre et janvier, sur le site principal de Bezons (Val-d’Oise). La deuxième journée d’action, juste après la découverte du prix à 1 euro, a tourné en envahissement du comité d’entreprise, qui a forcé les directions d’Atos et Proservia à négocier avec les syndicats. Discussions qui ont débouché sur la signature d’une «  charte sociale  » entre les deux sociétés et le syndicat Unsa. Si la revendication d’une prime de transfert n’a pas été satisfaite, le document garantit aux salariés de WSDS le maintien de leurs accords d’entreprise et de la mutuelle pendant dix-huit mois (au lieu de quinze mois, d’après la loi), des indemnités de licenciement au niveau prévu chez Atos (deux fois et demie supérieur à la convention collective), une augmentation des salaires de 1,3 %, le maintien d’une représentation du personnel. Surtout, elle prévoit que la société Arkes (ou PWS) sera absorbée par Proservia au 1er janvier 2016. Autrement dit, les salariés ne resteront dans la coquille vide que dix mois. Entre-temps, il est prévu que Manpower signe avec sa sous-filiale une «  convention de trésorerie  » pour «  assurer sa pérennité économique et sociale  ». Mais quelle valeur aura cette charte, quel point d’appui auront les salariés ou les syndicats si elle n’est pas respectée ? «  Si on est en liquidation judiciaire, les engagements tombent, suppose Kenneth Brace de la CGT, qui fait partie des salariés transférés. On a essayé de limiter le risque, les salariés sont un peu rassurés, mais il y a toujours un risque. L’avenir le dira.   » À Grenoble, la dizaine de techniciens employés sur une plate-forme Atos d’assistance aux clients a constitué un collectif de mobilisation parallèle aux syndicats. «  On se sent trahis par Atos, lance l’un d’entre eux. Ils ont détérioré 800 gars pour les faire partir ensuite. Où on va ? On ne sait pas. Quand j’étais chez Atos, je ne voyais pas de porte finale à mon emploi, aujourd’hui chez ­Proservia, je vois trois années et après, je ne sais pas.  » «  On est en colère et on a la rage, de la manière dont s’est passé ce transfert, renchérit un collègue. Atos vient de racheter trois sociétés pour 1 milliard d’euros chacune, mais il n’a pas d’argent pour nous verser au moins une prime. Pour seul remerciement, on a eu une poignée de mains et un coup de pied aux fesses.  »

Un géant de l’informatique

C’est fin 2008 que l’ancien ministre 
de l’Économie et ex-dirigeant de France Télécom Thierry Breton a été nommé président du directoire d’Atos, groupe spécialisé dans les services informatiques, puis PDG en mars 2009. Avec 10 milliards de chiffres d’affaires par an, Atos emploie 86 000 salariés dans le monde et environ 15 000 dans l’Hexagone, en net recul.

Fanny Dumayrou

13 mars 2015

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