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La guerre en Libye et l’approfondissement du conflit entre les impérialistes (WSWS)

dessin : Latuff, 2007

La déclaration conjointe que le président des Etats-Unis Barack Obama, le président français Nicolas Sarkozy et le premier ministre anglais David Cameron ont faite jeudi sur la Libye n’a pas comme seule conséquence l’escalade de la guerre. Elle accroît aussi, à l’intérieur de l’Europe, les divisions politiques qui forment l’arrière-plan de l’opération néo-coloniale en Afrique du Nord. Il y a beaucoup de battage médiatique autour de cette entreprise "humanitaire" mais on ne semble pas accorder beaucoup d’attention, du moins ouvertement, à la dispute qui s’envenime de plus en plus entre la France, les Etats Unis et l’Angleterre d’une part et l’Allemagne de l’autre.

Cette déclaration conjointe est tout à fait remarquable en ceci qu’elle n’a pas été faite par l’Union Européenne (UE) ni même par l’alliance militaire de l’OTAN. Elle est apparue au contraire en français et en anglais, sous la signature du président français Sarkozy, du premier ministre anglais Cameron et du président des Etats Unis Obama. La déclaration n’incluait pas la signature de la chancelière allemande Angela Merkel dont le gouvernement s’était abstenu auparavant de voter la résolution de l’ONU autorisant la première attaque de la Libye. Et pourtant cette déclaration élargit énormément les objectifs des puissances qui participent à cette guerre : on passe de la défense des civils à la détermination de changer le régime libyen. Sous le titre "Le bombardement continuera jusqu’au départ de Kadhafi" la déclaration publiée simultanément dans le Washington Post, the Times of London, Le Figaro, the International Herald Tribune, et al-Hayat, affirme que : "il est impossible d’imaginer l’avenir de la Libye avec [le colonel Muammar] Kadhafi au pouvoir." Toute autre solution du conflit serait selon elle une "trahison" et est donc exclue.

La division entre l’Allemagne et la France est très significative parce que les deux pays ont joué le rôle historique de leader dans la mise en place des structures de l’Europe après la seconde guerre mondiale et sont les deux économies les plus importantes de la zone euro, la monnaie européenne actuelle.

Malgré la surprise exprimée par de nombreux observateurs concernant l’abstention du gouvernement allemand dans le vote du mois dernier, ce vote découlait logiquement des différences qui s’étaient précédemment manifestées quand l’Allemagne s’est opposée aux efforts de Sarkozy pour construire une Union de la Méditerranée (UM) dominée par les français. Sarkozy avait proposé de créer cette institution pour la première fois pendant sa compagne électorale de 2007.

Berlin a critiqué la proposition qu’il considérait comme une initiative personnelle extérieure au contexte européen et conçue pour servir uniquement les intérêts de la France. Dans le projet initial, l’UM ne devait concerner que les pays qui se trouvaient en bordure de la Méditerranée -excluant l’Allemagne, l’Angleterre et les pays scandinaves. Elle aurait procuré à la France des avantages financiers ainsi q’une tribune propice aux affaires avec ses anciennes colonies, la Tunisie, l’Algérie et le la Maroc mais aussi avec des partenaires clés de l’Allemagne dans les Balkans et en Turquie.

Sarkozy estimait que la nouvelle union stimulerait l’influence stratégique de la France tout en générant d’immense profits aux dépens des travailleurs vivant sur les côtes européennes et arabes de la Méditerranée. Dans le contexte de l’augmentation du déficit commercial entre la France et l’Allemagne, les économistes et les politiciens français espéraient que le projet de l’UM aiderait Paris à développer sa politique de délocalisation et de collaboration industrielle avec les pays de la Méditerranée dont les salaires sont bas et à améliorer sa compétitivité par rapport aux entreprises allemandes.

Les dirigeants de l’Europe du nord se sont opposés au plan de Sarkozy parce, selon la banque suisse Neue Zürcher Zeitung, "il voulait jeter des millions d’argent frais au sud, au-delà de la mer." Merkel a persuadé Sarkozy d’accepter tous les pays de l’UE dans son projet d’UM en mars 2008.

Dans l’édition de mars de "Politiques méditerranéennes" Tobias Schumacher de l’institut universitaire de Lisbonne analyse les objections de l’Allemagne :

" Selon Merkel, la création d’une UM qui n’inclurait que des pays riverains de la Méditerranée aurait la potentiel de déclencher des forces de gravité à l’intérieur de l’UE qui pourraient provoquer sa fragmentation et éventuellement sa désintégration. Elle a rappelé à Sarkozy et à tous les autres gouvernements de l’Europe qu’il n’était pas envisageable d’utiliser des fonds de l’UE à des fins exclusivement nationales. Parfaitement consciente que ses paroles pouvait inquiéter les gouvernements d’autres états de l’Union Européenne, elle n’a pas raté une occasion de marteler son message avec l’objectif d’unifier les conceptions des uns et des autres et de faire comprendre à d’autres pays prêts eux aussi à mettre leur veto que l’Allemagne était déterminée à s’opposer à toute proposition basée sur l’exclusion d’états membres de l’UE. Il est clair que cette stratégie avait pour but de peindre Merkel comme quelqu’un qui oeuvrait au "bien commun" c’est à dire à la cohésion nécessaire à l’UE et à la nécessaire identification entre l’Europe et l’UE. Mais cette stratégie avait aussi le but non avoué d’empêcher la France de devenir primus inter pares (premier entre les pairs) dans le domaine de la politique étrangère pour que le statut d’acteur principal de l’Allemagne dans l’UE ne soit affaibli et pour empêcher la recrudescence des ambitions colonialistes françaises."

Il est intéressant de noter que Kadhafi lui aussi s’était ouvertement opposé au projet d’UM de Sarkozy. Il avait dit que l’initiative était une "insulte" qui "nous prenait pour des idiots" et il avait conseillé aux puissances européennes de "passer par le Caire et Addis-Abeba" les sièges respectifs de la Ligue Arabe et de l’Union Africaine.

Kadhafi sans doute conscient des intérêts en jeu et des dangers de ce projet, a finalement renoncé à acheter les avions de combats Rafales pour des centaines de milliards de dollars. Ce qui a achevé d’exaspérer le gouvernement français qui voulait à tous prix vendre ces avions.

Après la crise des sub-primes aux Etats Unis, les déséquilibres financiers à l’intérieur de l’Europe ont provoqué la crise des dettes de l’état qui a commencée en Grèce en 2009. La tension est montée avec la lutte entre les puissances européennes pour sauver leur économie et renflouer leurs banques respectives. Après une réunion en mai dernier au cours de laquelle Sarkozy aurait menacé de sortir la France de l’euro si l’Allemagne refusait de contribuer à un fonds de garantie, le président de la Banque Centrale Européenne, Jean-Claude Trichet, a dit que l’Europe affrontait "la situation la plus difficile depuis la seconde guerre mondiale."

Bien que la France ait dû accepter avec regret le renversement du régime tunisien de Ben Ali en janvier, l’agitation qui s’en est suivie en Egypte et dans tout le Moyen Orient a fourni à Sarkozy le prétexte qu’il cherchait. Il a profité du soulèvement en Libye pour promouvoir en Afrique du Nord les mêmes intérêts que ceux que l’Allemagne l’avait auparavant empêchés de favoriser. Le 10 mars, Sarkozy a été le premier chef d’état à reconnaître le Conseil de Transition basé à Benghazi comme gouvernement libyen avant de faire pression pour obtenir une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU lui permettant de déclarer la guerre à Kadhafi.

En avançant ses pions, Sarkozy savait qu’il pouvait compter sur la solidarité des pseudos partis de gauche, comme le parti socialiste, le NPA et les Verts, pour sanctifier une guerre impérialiste en la baptisant du nom d’opération humanitaire pour la protection des civils. Avec leur mélange habituel de bêtise et de rouerie, ces partis ont fait ce qu’on attendait d’eux, prouvant par là qu’ils sont des rouages fiables de la machine de propagande impérialiste.

On a du mal à croire, cependant, que les gouvernements occidentaux aient pu être complètement inconscients des implications historiques plus larges de leurs actions. L’Angleterre a encouragé les ambitions de Sarkozy afin de briser les liens entre la France et l’Allemagne et saper l’influence politique de Berlin. Washington, en acceptant que la France attaque la Libye, espère que la France ne s’opposera pas à de futures opérations militaires américaines. Le front commun de ce que l’ancien secrétaire à la défense, Rumsfeld, appelait "la vieille Europe" a éclaté. Cependant il n’est pas certain qu’Obama ait saisi toutes les implications de son soutien au plan de Sarkozy. En participant à une guerre à laquelle Berlin s’est opposé ouvertement, Washington a renié la politique qu’il a menée pendant dix ans et dont le but était de maintenir l’unité politique et militaire de l’Europe de l’ouest. Cela exacerbe les tensions entre les pays européens sur un continent déjà perturbé par des conflits sur les politiques économiques. Comme cela est arrivé dans le passé, l’Allemagne -par crainte que ses adversaires historiques ne l’emportent sur elle ou ne l’isolent - va chercher d’autres moyens de protéger ses intérêts. Une fois de plus, Washington a déclenché des événements qui auront des conséquences désastreuses.

La guerre en Libye n’est qu’une pièce sur l’échiquier impérialiste mondial. Cependant les va-t-en guerre ne jouent pas avec des pièces de bois mais avec les vies de millions de Libyens et de citoyens du monde. Etant donné l’ampleur de son impact sur la stabilité géopolitique de l’ordre capitaliste mondial, cette guerre prépare le terrain à des conflits beaucoup plus importants et dévastateurs.

Alex Lantier et David North

Pour consulter l’original : http://www.wsws.org/articles/2011/apr2011/pers-a16.shtml

Traduction : D. Muselet

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