Curieux objet, que Jeanne du Barry – en tant qu’objet critique encore plus qu’objet cinématographique.
Alors que le Festival de Cannes sélectionne de plus en plus de films de femmes, comme le réclame la galaxie féministe, on s’attendrait à ce que le film projeté en ouverture ne suscite que des réactions enthousiastes. Or, au rebours, il essuie des tirs groupés justement du côté féministe. On serait tenté de s’en réjouir, cela montrerait qu’il ne suffit plus d’être une réalisatrice femme pour être considérée comme un génie et palmée. Las ! Cela montre plutôt le rétrécissement de la vie culturelle cannoise, puisque la polémique sur le film est purement féministe. En effet, les arguments des critiques sont bien souvent extra-cinématographiques et, sous prétexte de féminisme, se réduisent en fait à du commérage people sur les deux protagonistes du film. Maïwenn a giflé quelqu’un qui disait du mal de quelqu’un qui a été accusé de violences sexuelles dans le cadre de l’opération Balancetonporc : la voilà donc ostracisée par les féministes. Johnny Depp, lui, a été accusé par son ex-femme de violences sexuelles : après des (...)Lire la suite »
L’Etabli raconte l’expérience de Robert, professeur d’Université et militant maoïste, qui se fait embaucher, en 1969, chez Citroën pour organiser des actions de lutte ; le film adapte le livre du même titre de Robert Linhart, qui date de 1978. C’est un film réussi, dans un genre malaisé : les ouvriers au cinéma sont souvent peu vraisemblables, et la rencontre entre ouvriers (ou paysans) et intellectuel est souvent décrite avec arrogance à l’égard des premiers (Le Christ s’est arrêté à Eboli, pourtant d’un grand cinéaste, Francesco Rosi, en fait foi). L’Etabli échappe à ces deux dangers et produit un récit de grève convaincant et émouvant. L’actualité du film est évidente dans le contexte de lutte actuel ; mais que peut-on penser aujourd’hui du mouvement des « établis » ?
L’usine Citroën, cadre de l’action, a été reconstituée à Clermont-Ferrand, dans des locaux désaffectés de Michelin. Robert découvre les difficultés du travail sur une chaîne de montage, et a d’abord du mal à s’y habituer (maladroit, il commence par (...)Lire la suite »
July Jung a à son actif deux films qui se ressemblent beaucoup : dans A girl at my door (2014) comme dans About Kim Sohee, une policière (jouée par la même actrice, Bae Doona) prend sous sa protection une jeune fille persécutée. C’est donc un cinéma très féminin, mais qui ne fait pas de propagande féministe : le sujet de About Kim, c’est les conditions de travail dans notre « société de services ». La mort de l’héroïne, Sohee, n’est pas un féminicide, mais un « sociocide », c’est-à-dire un meurtre social, causé par le système socio-économique, et le film fait un parallèle très net entre le sort de Sohee en centre d’appel et celui de son ami qui empile des colis pour un équivalent d’Amazon, et qui, lui aussi, semble sur le point de craquer.
L’itinéraire qui conduit Sohee au suicide par karoshi est décrit avec une netteté exemplaire : elle est ravie d’avoir décroché un stage et commence son nouveau travail pleine de bonne volonté. Mais on est tout de suite saisi par le caractère inhumain du lieu de travail : on parle (...)Lire la suite »
En général, je ne vais pas voir les films de femmes, œuvres le plus souvent mièvres et médiocres, dont on fait la promotion en guise d’arme de guerre soft contre les pays qui sont censés ne pas donner la même place que nous aux femmes, et qui se trouvent être ceux qui résistent à l’impérialisme étasunien et ses horreurs. Ras le bol des films vus par des yeux de petites filles, avec leurs femmes qui veulent s’émanciper, leur " sororitude ", leurs récriminations contre les hommes qui ne font pas la vaisselle, et j’en passe. Mais j’aurais eu bien tort de ne pas aller voir Alcarràs (le titre français, Nos soleils, ne rend absolument pas justice au contenu du film).
En effet, Carla Simón réunit le meilleur des qualités féminines et des qualités viriles (je sais que j’aurais dû mettre plein de guillemets, mais j’en ai assez de la camisole de force du politiquement correct) : Alcarràs est une chronique pleine de tendresse, mais enracinée dans un contexte socio-économique qui lui donne une valeur universelle.
Le (...)Lire la suite »
Hany abu Assad a été un cinéaste prometteur : Paradise now (2005) était un débat haletant sur le terrorisme, seule issue laissée aux Palestiniens après la dissolution de l’armée palestinienne. Omar (2013) montrait les efforts d’un jeune Palestinien pour sortir du piège où l’avaient enserré les services secrets israéliens.
Dans Huda, c’est une femme qui est prise au piège, mais ici, les cartes sont redistribuées, et l’ennemi n’est plus Israel, mais ces « connards » d’hommes, israéliens et palestiniens, « unis dans leur misogynie » (The New York Times, cité par Courrier international).
L’accueil fait au film par les critiques occidentaux est unanimement positif, et même enthousiaste - de quoi susciter, a priori, la méfiance. Et, en effet, le point de vue choisi pour présenter le film est étonnamment uniforme et le Courrier International en offre une bonne synthèse : « des habitantes de Bethléem victimes autant de l’occupation israélienne que du patriarcat [sous-entendu : palestinien] » ; et on félicite le (...)Lire la suite »
« Provocation », « dérapages », « excès », « c’en est trop », « cette fois, ils sont allés trop loin » ! Ce ne sont que plaintes et jérémiades, y compris officielles, de la part de la FFF, contre les joueurs argentins ; ne dirait-on pas des gamins de maternelle caftant auprès de la maîtresse : « il m’a tapé », « il m’a poussé », « il m’a pris ma poupée ». On parle même (évidemment) de racisme, pourquoi pas d’antisémitisme. Et on oublie que les Argentins réagissent aux propos tenus par Mbappé en mai 2022 : en Amérique du Sud, « le football n’est pas aussi avancé qu’en Europe. C’est pour ça que lors des dernières Coupes du Monde, ce sont toujours les Européens qui ont gagné » - ce qui équivalait à traiter les Sud-Américains d’arriérés, de sous-développés : n’est-ce pas là du racisme ? Mais que veut dire être « avancés » ? Si cela veut dire faire rêver les amateurs de foot du monde entier, les Sud-Américains ont pas mal d’avance !
On retrouve là l’arrogance des Occidentaux, pour qui « le reste du monde », ce n’est que des « paniers (...)Lire la suite »
Pourquoi s’intéresser à une exposition artistique ? Tous les arts sont devenus depuis des décennies de simples véhicules de l’idéologie hégémonique. Or, les productions culturelles modèlent notre imaginaire qui, à son tour, nous prépare à accepter comme une évidence la narrative politique et économique. Une autre fonction, qui lui est liée, des activités culturelles actuelles est de porter au pinacle tout ce qui est médiocre, ce qui nous empêche de reconnaître les vrais créateurs ; en effet, les artistes médiocres, ne pouvant se faire valoir par leur propre vision, s’appliquent à illustrer les clichés en vogue, tandis que les vrais créateurs risqueraient de nous ouvrir des horizons nouveaux. Et il ne faut pas oublier le révisionnisme actuel, qui met parfois en valeur les œuvres les plus réactionnaires.
L’exposition Rosa Bonheur est une vraie caricature de cet état de la « culture » : les autorités culturelles martèlent l’affirmation qu’elle est « un artiste majeur du XIXe siècle » (Connaissance des Arts), une (...)Lire la suite »
Depuis les années 1970 et La Grande Bouffe, la production cinématographique est jalonnée de films culinaires. Cette année, sont sortis presque en même temps, Ariaferma et son détenu cuisinier, et Le Menu, de Mark Mylod. Comparer le rôle de la nourriture, de la bonne ou la grande cuisine au cinéma, de ce côté-ci de l’Atlantique, et de l’autre, permet d’opposer ces deux types de sociétés et de cultures. Dans les films européens, la cuisine tient un rôle soit civilisateur, soit de dénonciation ; dans le film étasunien Le Menu, elle sert de prétexte pour montrer et valider ce qu’il y a de pire dans l’homme.
Dans Le Festin de Babette de Gabriel Axel, (1987), la nourriture fruste et monotone des villageois danois (toujours du hareng), associée à l’austérité du luthéranisme, ce qui les rend amers et acrimonieux, est opposée aux merveilles de la gastronomie française ; en une soirée, le dîner du chef français Babette œuvre ce que les filles dévouées du pasteur n’avaient pas obtenu en des dizaines d’années : le (...)Lire la suite »
Après les années de confinement, le cinéma revivrait-il ? Après les bons, voire grands films de l’automne, suédois et catalan, voici un film italien, ou plutôt sardo-napolitain, Ariaferma, qui réunit, dans les montagnes sardes, trois Napolitains, le réalisateur, Leonardo di Costanzo, et deux monstres sacrés de la scène et de l’écran italiens, Toni Servillo (qu’on ne présente plus) et Silvio Orlando (le subtil cardinal-secrétaire d’État du Jeune Pape).
Le titre n ‘a heureusement pas été traduit (on risquait d’obtenir quelque chose d’aussi grotesque que Tourment sur les îles pour Pacifiction) : Ariaferma suggère un air confiné, à la fois air raréfié et air carcéral. C’est en effet un film de prison, mais sans les péripéties violentes (bagarres, révoltes et répressions) qu’évoque ce terme. Ce n’est pas non plus un film politique de dénonciation, malgré le décor, qui est une épure d’installation panoptique : quelques cellules rangées en cercle autour d’un espace central d’où les gardiens peuvent tout contrôler.
C’est (...)Lire la suite »
L’intérêt du Catalan Albert Serra pour la culture française et son Histoire n’est pas nouveau ; mais, cette fois, il s’agit d’histoire contemporaine et même brûlante : les essais nucléaires français en Polynésie. Ce n’est pas un film engagé, sa facture est trop poétique ; mais il pose un problème que le contexte guerrier rend encore plus actuel.
En prenant possession pour le Roi de France d’Otaïti, Bougainville semblait promettre à cette île un bel avenir littéraire, puisque son Voyage autour du monde, publié en 1771, suscita une réponse célèbre de Diderot : le Supplément au Voyage de Bougainville ; pourtant, Tahiti n’inspirera guère les écrivains français, à l’exception du grand voyageur Pierre Loti, qui tire de son séjour une œuvre plus ou moins autobiographique, Le roman de Loti (1879). Mais c’est un peintre, Gauguin, qui fixera le mythe de Tahiti, tandis qu’au cinéma, Murnau, dans Tabou (1931), donne d’une autre île, Bora Bora, une vision sublime.
Serra ne cherche pas à rivaliser avec ses prédécesseurs ; (...)Lire la suite »