RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
Monde arabe

Samir Amin « C’est un mouvement qui va durer des mois et des années » (L’Humanité)

Pour l’universitaire et chercheur égyptien, plus rien ne sera comme avant : ce mouvement de protestation remet en cause à la fois l’ordre social interne aux pays et la place des pays arabes dans l’échiquier politique régional et mondial.

Quel regard portez-vous sur ce qui se passe dans le monde arabe six mois et plus après la chute de Ben Ali en Tunisie et d’Hosni Moubarak en Égypte ?

Samir Amin. Ce qui est sûr, c’est que plus rien ne sera comme avant. Car il ne s’agit pas d’un soulèvement avec pour seul objectif celui de se débarrasser des dictateurs en place, mais d’un mouvement de protestation de très longue durée, qui remet en question à la fois l’ordre social interne dans ses différentes dimensions, notamment les inégalités criantes dans la répartition de revenus, et l’ordre international, la place des pays arabes dans l’ordre économique mondial, c’est-à -dire la sortie de la soumission au néolibéralisme, et dans l’ordre politique mondial, c’est-à -dire la sortie de la soumission au diktat des États-Unis et de l’Otan. Ce mouvement, qui a aussi pour ambition de démocratiser la société, réclamant la justice sociale et une autre politique économique et sociale, nationale et, je dirai, anti-impérialiste, va donc durer des années, avec, bien sûr, des hauts et des bas, des avancées et des reculs parce qu’il ne va pas trouver sa solution dans les semaines ou les mois à venir.

Cela vous a-t-il surpris que ces soulèvements soient portés, voire impulsés, par de nouveaux acteurs - les jeunes en particulier ?

Samir Amin. Non, et c’est très positif. Les nouvelles générations se sont en fait repolitisées. En Égypte, par exemple, la jeunesse est très politisée. Elle l’est à sa manière, en dehors des partis traditionnels de l’opposition qui, dans la tradition égyptienne, sont les partis de tradition marxiste. Mais elle ne s’est pas repolitisée contre ces partis. Je peux vous dire qu’à l’heure actuelle il y a une sympathie profonde et spontanée entre ces jeunes et les partis de la gauche marxiste radicale, à savoir ceux de tradition socialiste et communiste.

Vous dites que c’est un mouvement de longue durée, mais si on prend l’exemple de l’Égypte, est-ce qu’il n’y a pas un risque que ces révolutions soient récupérées par les forces conservatrices ?

Samir Amin. Il y a certes des risques de natures diverses, dont celui à court ou à moyen terme de mise en place d’une alternative islamiste et réactionnaire. C’est d’ailleurs le projet des États-Unis et, malheureusement, l’Europe les suit, du moins en ce qui concerne l’Égypte, c’est-à -dire l’alliance entre les forces réactionnaires égyptiennes et les Frères musulmans, avec de surcroît le soutien des alliés de Washington dans la région, Arabie saoudite en tête, et même d’Israël. Alors est-ce que cela réussira ou non ? Il est possible que cela fonctionne dans le moyen terme, mais cela n’apportera aucune réponse aux problèmes du peuple égyptien. Par conséquent, le mouvement de protestation et de lutte continuera et s’amplifiera. En outre, il faut savoir que les Frères musulmans sont eux-mêmes en crise...

En rapport avec ce que vous venez d’évoquer, que pensez-vous de ce qui se passe d’abord en Syrie, où le régime de Bachar Al Assad vient d’autoriser le multipartisme, escomptant ainsi ramener le calme ?

Samir Amin. La situation syrienne est extrêmement complexe. Le régime du Baas, qui avait été légitime il y a longtemps, ne l’est plus du tout : il est devenu de plus en plus autocratique et policier, et en même temps, sur le fond, il a fait une concession gigantesque au libéralisme économique. Je ne crois pas que ce régime puisse se transformer en régime démocratique. Aujourd’hui, il est contraint à des concessions, ce qui est une bonne chose, parce qu’une intervention extérieure comme celle en Libye - heureusement elle n’est pas possible dans le cas de la Syrie - serait une catastrophe supplémentaire. En outre, par rapport à l’Égypte et à la Tunisie, la faiblesse en Syrie est que les mouvements de protestation sont très disparates. Beaucoup, je ne veux pas généraliser, n’ont même pas de programme autre que la protestation et ne font pas le lien entre la dictature du régime et ses options libérales en matière économique.

Ne craignez-vous pas une implosion de la Syrie en raison d’un risque d’affrontement interconfessionnel entre sunnites et alaouites, druzes, chrétiens ?

Samir Amin. C’est un risque. L’implosion des États de la région est un projet des États-Unis et d’Israël. Mais ce ne sera pas facile parce que le sentiment national syrien est une composante forte et présente dans tous les mouvements qui contestent aujourd’hui le régime, et ce en dépit des divergences existantes entre eux.

Il y a aussi le Yémen, allié des États-Unis ?

Samir Amin. Les États-Unis soutiennent le régime d’Ali Abdallah Saleh. La raison est leur crainte du peuple yéménite, surtout dans le sud du pays. Ce dernier avait eu un régime progressiste marxiste, légitime, bénéficiant d’un soutien populaire puissant, et dont les forces aujourd’hui sont présentes et actives dans le mouvement de protestation sociale. Washington et ses alliés craignent donc un éclatement du pays et le rétablissement du régime progressiste dans le Sud-Yémen. Par conséquent, en laissant al-Qaida, qui est un instrument largement manipulé par les États-Unis, occuper des villes du Sud, le régime yéménite, avec l’aval américain, veut faire peur aux couches progressistes afin de leur faire accepter le maintien de Saleh au pouvoir.

Et s’agissant de la situation en Libye, où le risque d’implosion existe ?

Samir Amin. La situation est dramatique mais très différente de celles de l’Égypte et de la Tunisie. Les forces qui s’opposent en Libye ne valent guère mieux les unes que les autres. Le président du Conseil national de transition (CNT), Moustapha Abdeljalil, est un démocrate très curieux : c’était le juge qui avait condamné à mort les infirmières bulgares avant d’être promu ministre de la Justice par Kadhafi. Le CNT est un bloc de forces ultraréactionnaires. Quant aux États-Unis, ce n’est pas le pétrole qu’ils recherchent, ils l’ont déjà . Leur objectif, c’est mettre la Libye sous tutelle afin d’y établir l’Africom (commandement militaire pour l’Afrique) - aujourd’hui basé à Stuttgart en Allemagne - après que les pays africains, et ce, quoi qu’on en pense, ont refusé son établissement en Afrique. Concernant le risque d’éclatement du pays en deux ou trois États, Washington peut très bien opter pour le schéma irakien, à savoir maintenir formellement une unité sous la protection militaire occidentale.

Entretien réalisé par Hassane Zerrouky

»» Source l’Humanité
URL de cet article 14306
  

Même Thème
La poudrière du Moyen-Orient, de Gilbert Achcar et Noam Chomsky.
Noam CHOMSKY, Gilbert ACHCAR
L’aut’journal, 8 juin 2007 Les éditions Écosociété viennent de publier (2e trimestre 2007) La poudrière du Moyen-Orient, Washington joue avec le feu de Gilbert Achcar et Noam Chomsky. Voici un extrait qui montre l’importance de cet ouvrage. Chomsky : Un Réseau asiatique pour la sécurité énergétique est actuellement en formation. Il s’articule essentiellement autour de la Chine et de la Russie ; l’Inde et la Corée du Sud vont vraisemblablement s’y joindre et peut-être le Japon, bien que ce dernier soit (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Tout pas fait en avant, toute progression réelle importe plus qu’une douzaine de programmes » - Karl Marx dans Critique du programme de Gotha (1875)

Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.