La « pensée » d’Alain Soral : Révolution ou réaction ? (2/4)

Les grandes constantes de la « pensée Soral »

Essayons maintenant de déceler ce qui est constant dans ses écrits, ce sur quoi il insiste. Voyons ce qui se cache derrière la rhétorique droite des valeurs, gauche du travail.

Il n’y a pas de danger fasciste aujourd’hui en France

Mais il doit pour cela pratiquer un double discours sur le danger de la montée du FN et dénoncer tous ceux qui veulent maintenir le cordon sanitaire. « En fait, pour qu’il y ait fascisme, il faut qu’il y ait démocratie " et pour pousser la précision plus loin, qu’il y ait démocratie en crise et risque de prise du pouvoir par les communistes […]. Dès lors, parler de menace fasciste dans le monde unipolaire d’aujourd’hui a très peu de sens [19]. » « Les mêmes qui avaient sponsorisé le fascisme des années 30 ont mis en place, dans les années 60, un système infiniment moins coûteux et bien plus efficace pour enlever au peuple toute volonté séditieuse… Et ce système s’appelle société de consommation [20]. » Nous sommes d’ailleurs en train d’en sortir avec le démantèlement des conquêtes sociales depuis les années 90. Une vérité pour deux gros mensonges :

- La bourgeoisie ne renonce jamais à la possibilité de la répression des masses par l’État à son service. Le fascisme n’est pas assimilable à une simple dictature militaire, il allie le terrorisme d’État à un mouvement de masse basé sur les éléments déclassés et sur les classes moyennes fragilisées par la crise, il fait suite à un échec majeur du mouvement ouvrier.

- Le fascisme n’est pas un phénomène qui émerge du jour au lendemain, il a besoin de temps et d’un climat propice pour apparaître. Aujourd’hui, les capitalistes veulent faire porter aux travailleurs le poids de la crise économique qui a commencé en 2008. En France, les luttes contre la réforme des retraites du ministre Woerth n’ont pas réussi à la stopper. D’autres luttes viendront. Face à la résistance croissante des masses populaires, une alliance FN-UMP brisant le cordon sanitaire est possible. Elle inaugurerait une période de restriction stricte des droits démocratiques donc des possibilités pour les forces de gauche, y compris les syndicats, de résister aux attaques du Capital contre le Travail. Cette alliance existe déjà en Françafrique où beaucoup de cadres du FN font leurs premières armes [21]. Elle existe déjà dans les médias, où le discours du FN est de plus en plus banalisé grâce aux « intellectuels médiatiques » proches de Sarkozy comme Éric Zemmour ou Pascal Bruckner.

Son discours soi-disant réconciliateur masque d’ailleurs assez mal sa haine viscérale contre ceux qui ont efficacement combattu la domination fasciste : « Un antifascisme désormais sans fascistes » issu de l’alliance entre gaullistes et PCF pour masquer la « domination du Capital dans sa forme la plus parasitaire " anti-industrielle et financière [22]. »

A la fin de son livre, Comprendre l’Empire, Soral compare fascisme et communisme pour mieux défendre les expériences fascistes : « Les opposants sérieux à la démocratie moderne : du nationalisme intégral de Charles Maurras à la République islamique d’Iran, en passant par l’Ordre noir de la SS cher à Heinrich Himmler, cette même tentative de juguler le pouvoir de l’argent par le retour au pouvoir absolu d’un ordre à la fois militaire et religieux. La seule puissance militaire, sans le secours du sacré face aux forces de l’argent, conduisant inéluctablement à la défaite, comme en témoignent les expériences communistes et fascistes européennes, le panarabisme, le baasisme [23]. » Mais ce genre de citation révélatrice est noyé dans un flot de diatribes contre le pouvoir des banques, contre Israël, contre l’impérialisme américain, jamais contre l’impérialisme français, cela s’entend.

La France !… Quelle France ?

« Pour ceux qui n’auraient pas compris le raisonnement : il n’existe pas de lobby juif en France, puisque c’est interdit ! » Pour ceux qui n’auraient pas encore compris Soral : le lobby judéo-maçonnique domine le monde puisque tous les présentateurs télé juifs français veulent sa peau. Ce qui lui permet d’affirmer qu’il suffirait de changer d’élite dirigeante (en balayant les juifs pour commencer) pour que tout rentre dans l’ordre, puisque le système ne fonctionnait pas si mal du temps de l’âge d’or, à l’époque de De Gaulle. « Il faut que les élites légitimes, patriotes, françaises reprennent le pouvoir sur ce pays […] refaire une Constitution […] sortir de l’Europe […] arrêter avec l’euro […] reposer la question nationale et identitaire intelligemment […] échapper à la dictature du mondialisme financier [24] » en soutenant l’impérialisme et les bons capitalistes patriotes français…

« Je me souviens de la banlieue populaire des années 60 […] les travailleurs y vivaient en bonne intelligence, et dans le plein emploi […] Aucun racisme contre les anciens immigrés […] les seuls qui posaient problème, déjà , c’étaient les Algériens qui se tenaient à l’écart dans la solitude, la peur, l’islam [25]. » Il fait comme si cette cohésion, cette harmonie supposée des quartiers populaires étaient organiques au « bon peuple français » : « Une communauté française dans les faits, la moins raciste du monde puisque peuplée majoritairement, et jusque-là sans trop de problèmes, d’anciens étrangers [26]. » Les peuples ont des caractéristiques politiques qui sont comme inscrites dans leurs gènes : « Le Français a toujours tendance à prendre le parti du plus faible et de l’humilié [27]. » En bref, la France est la patrie des droits de l’Homme inscrite dans les gènes des Français et non dans l’histoire des luttes de classes acharnées pour les droits sociaux et démocratiques. Quid de la colonisation française, une des plus féroces pourtant (Indochine, Algérie, etc.) ? Quid de la néo-colonisation en Françafrique ? Quid du travail du PCF dans les banlieues après 1945 ; peut-être est-ce là qu’il faut trouver quelque réalité au mythe du « bon peuple français » ? Quid du massacre du 17 octobre 1961 ? Quid des bidonvilles de Nanterre ?

Toute analyse sérieuse d’un discours politique doit tenir compte de ses références historiques : la Commune de Paris ou le mouvement boulangiste visant à instaurer une dictature en France en 1888 ? Le Front populaire ou l’État français du maréchal Pétain ? Le FN, quant à lui, prétend : « nous ne rejetons rien de ce qui appartient à l’histoire de France [28] », dixit Le Pen sur France 2 en 1990, pour pouvoir réhabiliter ses vieux mythes racistes et élitistes, battus en brèche lors de la défaite des nazis en 1945. Ce discours ne prospère que sur le mensonge et la manipulation des masses. Il se croit permis de tout revoir : la traite des noirs, la colonisation, les chambres à gaz, la résistance et la collaboration, etc. Tout revoir, car il veut faire tourner à l’envers la roue de l’histoire.

Aujourd’hui, prétendre vouloir restaurer l’Ancien Régime le couvrirait de ridicule, voilà pourquoi Soral met tellement en avant le modèle gaulliste : un pouvoir présidentiel fort et nationaliste (une France forte et impérialiste).

« On peut globalement considérer la période d’après-guerre 1945-1973 comme une période de prospérité et de consensus social […]. Un régime d’économie mixte, libéral et social, résultant du programme du Conseil national de la résistance. » Et pourtant, il a quelques critiques : « le mythe de la trahison pétainiste et de la Résistance de gauche, profitable aux deux contractants […] [De Gaulle] avait pactisé par deux fois avec l’Empire : en 1940, en rejoignant le camp des alliés contre Pétain, puis en 1958, en achevant de liquider l’Empire français dans l’affaire algérienne [29]. » Soral reprend là deux griefs reprochés à De Gaulle par quasi toute l’extrême droite française après la Deuxième Guerre. Selon lui, De Gaulle n’a pas été écarté par le peuple suite aux actions de Mai 68 et du référendum de 1969, mais parce qu’il s’est opposé à l’Empire qui a manipulé (encore un complot, dont il ne nous dira rien d’ailleurs) pour l’évincer, car il avait la « volonté de retourner à l’étalon-or » et parce qu’il a condamné très mollement l’invasion de la Cisjordanie par Israël en 1967. Rappelons tout de même que la 4e République était le meilleur allié d’Israël et que De Gaulle a continué la politique de livraison massive d’armes à ce pays, en dépit de son double jeu vis-à -vis du monde arabe.

Sarkozy, l’homme des réseaux, traître à la France, car l’ayant réintégré dans l’Otan sous domination américaine (c’est uniquement cela qui dérange Soral). Traître, car ayant ratifié le traité de Lisbonne au mépris du projet d’Europe des Nations de De Gaulle, « l’abandon de la souveraineté nationale », contre l’Europe multinationale de la Constitution européenne. Mais qu’elle soit surtout ultralibérale, Soral n’en dit pas un mot. Traître à la France, car ayant fait entrer des gens que Soral considère comme étant de gauche (Kouchner) et des juifs sionistes (Attali et Klarsfeld) : « Soit en réalité l’union sacrée libérale, atlantiste et sioniste. » Traître, car il n’a pas assez passé les banlieues au karcher : « Un régime sécuritaire envers le peuple du travail sans jamais toucher à la délinquance des prédateurs sous-prolétaires et des prédateurs de l’élite [30]. » Il faut bien lire l’Abécédaire de Soral, afin de se rendre compte que le modèle gaulliste est une référence pour lui depuis dix ans [31].

(à suivre)

Maxence Staquet

historien. Il enseigne dans un collège d’un quartier populaire de Bruxelles. Collaborateur de l’Inem, il est directeur de l’Université marxiste.

[19] Alain Soral, Abécédaire…, op. cit., p. 328-329.

[20] Ibid., p. 21.

[21] François-Xavier Verschave, Au mépris des peuples : Le néocolonialisme franco-africain, La Fabrique éditions, Paris, 2004.

[22] Alain Soral, Comprendre l’Empire, op. cit., p. 225.

[23] Ibid., p. 162-163.

[24] http://www.youtube.com/watch?v=yNcwe9Bmak8

[25] Alain Soral, Abécédaire…, op. cit., p. 33-34.

[26] Ibid., p. 192.

[27] Ibid., p. 449.

[28] http://www.ina.fr/histoire-et-conflits/decolonisation/video/I00000624/le-pen-sur-la-guerre-d-algerie.fr.html

[29] Alain Soral, Comprendre l’Empire, op. cit., p. 176-179.

[30] Ibid., p. 195-199.

[31] Lire à ce propos l’article « De Gaulle, Charles » dans Alain Soral, Abécédaire…, op. cit., p. 297-300.

COMMENTAIRES  

01/06/2012 15:20 par xav'

très très intéressants ces articles monsieur Staquet

merci de nous apporter votre savoir avec pédagogie

01/06/2012 15:50 par Serge Charbonneau

« Voyons ce qui se cache derrière la rhétorique… »

Moi, j’ai plutôt tendance à confronter les mots à la simple réalité des faits et des gestes.

Pour ce qui est de "déceler" ce qui se cache derrière sa rhétorique…

On peut déceler ce que l’on veut.
On peut faire des procès d’intention.

C’est ce que font nos médias de masse contre tous ceux dont ils veulent dénigrer la réputation.
On appelle cela « la diabolisation » !

Peu importe ce que certains peuvent dire, on dira toujours qu’ils mentent ou cachent leur jeu, malgré que la réalité, dans bien des cas, leur donne raison.

On ne peut clairement leur reprocher aucun geste, mais on peut dire qu’ils posent des gestes et disent des paroles pour atteindre un objectif « caché ».

Je suis contre la diabolisation.
Je crois que le débat sur des actes et des points clairs et précis valent mieux que ce que chacun peut décider de déceler afin d’attaquer les réputations.

Monsieur Staquet nous fait la démonstration (sic) qu’Alain Soral serait un fasciste, rien de moins. Alain Soral a combattu les ennemis du fascisme, dit-il !

Il dit :
« Son discours « soi-disant » réconciliateur masque d’ailleurs assez mal sa haine viscérale contre ceux qui ont efficacement combattu la domination fasciste

A la fin de son livre, Comprendre l’Empire, Soral compare fascisme et communisme pour mieux défendre les expériences fascistes… »

Oui, son discours « soi-disant » !!!
Eh oui ! Alain Soral, à l’instar de tous ceux que l’on diabolise, tiendrait des discours « soi-disant » contraires à sa pensée et à ses convictions profondes.

Alain Soral est donc un fourbe de la pire espèce.
Au Québec on dit : « un hostie de crosseur ! »

Nous avons bien compris M. Maxence, nous avons bien compris.

Je trouve désolant que les points soulevés par Alain Soral ne méritent pas à vos yeux suffisamment d’intérêt pour les discuter.
Vous mettez beaucoup d’énergie à "déceler" la face dite « cachée » d’Alain Soral !
Auriez-vous aussi, vous-même, une face « cachée » ?
Devrait-on voir ce qui se cache derrière votre rhétorique de représentant du grand bien et de la Vérité ?

Auriez-vous une "haine viscérale" contre Alain Soral ?
Une haine que vous cachez assez mal ?

Salutations,

Serge Charbonneau
Celui qui a de la difficulté à voir les méchants purs !
Québec

P.S. : Merci au GS de permettre ce commentaire qui va un peu à l’encontre de la ligne éditoriale du Journal.
Pour moi, il s’agit de liberté d’expression, mais pour d’autres il s’agirait d’un agenda caché que j’aurais de faire la promotion d’Alain Soral, du fascisme et du Front National de Marine Le Pen.
Concernant Marine La Pen, je crois fermement que si cette femme avait été élue, la France n’aurait pas déclaré la guerre à la Syrie.

François Hollande marche dans les pas de Sarkozy, tout comme Obama marche dans les pas de George War Bush.
Ceux qui tirent les ficelles des marionnettes qu’on nous fait élire à travers diverses peurs et diverses diabolisations savent étonnamment bien manoeuvrer afin que leurs politiques mondialistes capitalistes de libre-échange et de marché commun visant à annuler le pouvoir souverain des Pays puissent rester intactes.

02/06/2012 01:50 par patrice sanchez

"Ses lecteurs sont des jeunes et beaucoup sont d’origine immigrée."
Permettez-moi monsieur l’historien de vous dire que je fréquente souvent le site égalité et réconciliation à presque cinquante piges et que je ne suis pas d’origine immigrée, que je suis loin de partager toutes les analyses de monsieur Soral et que malgré ses excés il a une vision objective de notre monde tel qu’il est vraiment, à mille lieues de la propagande éhontée et orwellienne que nous imposent nos institutions et nos médias.
Il a le mérite d’argumenter solidement alors que ses contradicteurs n’ont que la calomnie et le dénigrement, un peu à votre manière ...

02/06/2012 14:29 par alexis

Merci au Grand Soir de nous donner à lire cet article.
A Patrice :

il a une vision objective de notre monde tel qu’il est vraiment, à mille lieues de la propagande éhontée et orwellienne que nous imposent nos institutions et nos médias

A lire son analyse du passage de Chomsky ("agent de l’empire" pour Soral) chez Taddei. On y trouve ce passage rigolo a propos de la version classique du 11 septembre « une demi-heure passée sur Internet permet d’acquérir, pour tout honnête homme, la certitude contraire. »

En "une demi-heure sur internet", on peut aussi se convaincre que le monde est dirigé par les illuminatis, les lézariens, le complot judéo-maçonnique, ou que Soral aide à comprendre les problèmes géopolitiques. La vérité de ces propositions est un autre problème et demande malheureusement plus d’une demi-heure....

Il a le mérite d’argumenter solidement alors que ses contradicteurs n’ont que la calomnie et le dénigrement, un peu à votre manière ...

On peut voir sa vidéo d’après le premier tour d’il y a quelques semaines. Les français n’ont pas assez bien voté (c est à dire pas assez LePen ) parce qu’ils sont une bande de « sodomites »

Alors bien sur, entre ses délires sexistes et antijuifs, le culte de son nombril, et les insultes, Soral peut dire des choses sensées, qu’il reprend ailleurs. Mais BHL aussi. Les deux se ressemblent d’ailleurs pas mal, outre la taille de leur égo, en ceci qu’ils profitent de la confusion idéologique de notre époque pour détruire le projet émancipateur de la gauche, même si c est en prenant des positions différentes sur l’impérialisme. Désolé pour Serge Charbonneau, mais l’utopie saucisson pinard et le culte de Jeanne d’Arc, ça ne fait pas rêver tout le monde...

02/06/2012 19:37 par CNR

Je suis d’accord...Soral est parfois excessif mais son raisonnement est claire..Son soutien au FN m’exaspère...mais Soral ce n’est pas que ça

(Commentaires désactivés)