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Féminisme, races et sécateur du réel

L’arrivée en masse des femmes sur le marché du travail a permis de déprécier celui-ci. Le capitalisme industriel nordiste étasunien a constitué un sous-prolétariat noir qui est rentré en concurrence avec le prolétariat blanc en venant mordre à la marge sur le marché du travail. Le patronat européen et en particulier français a procédé quasiment de la même façon. Le patronat importateur d’ouvriers ‘indigènes’ y trouvait un double bénéfice.
La réponse à cette manœuvre de division aurait dû -devrait- consister à refuser le fractionnement entre ethnies (ou religions) face au système qui élabore l’émiettement des luttes.
Quand une femme musulmane se retranche dans son vêtement et se soustrait à la nudité, c’est pour s’appartenir à elle-même. Son geste pourrait être de dire mon corps n’est pas une marchandise, mais cet implicite ne s’adresse pas spécifiquement à l’homme blanc ! Il n’est pas non plus un acte de soumission à une prescription patriarcale.

Avant de parler du féminisme, citons deux femmes remarquables, elles marquèrent leur temps d’une empreinte qui perdure jusqu’à nos jours.

Fatima Al Zahra al Fihri, fille d’un savant de Kairouan émigré à Fez avait fondé grâce à ses propres deniers, provenant de l’héritage paternel dont elle disposait librement, la première université au monde [1]. En 859, était construite à Fez l’université de la Qaraouyine avec la cité universitaire attenante capable d’accueillir des centaines d’étudiants étrangers à la ville ou venant de plus loin, comme le futur pape Gerbert d’Auvergne plus tard investi sous le nom de Sylvestre II. Fatima Al Fihri avait légué des biens habous, gérés par des institutions religieuses, fours à pain et hammams, dont les revenus étaient destinés à l’entretien de l’université, de la cité universitaire, de l’habillement, des soins et de la nourriture des étudiants. Il est à noter que cette institution académique a fonctionné sans discontinuer depuis sa création jusqu’à nos jours, fait unique dans l’histoire.

La marquise du Deffand, d’une petite noblesse provinciale, une fois introduite dans la vie de cour de la Régence, tiendra le salon littéraire et scientifique le plus couru de son époque, fréquenté par toutes les célébrités du XVIIIe siècle [2]. Les encyclopédistes, hommes de théâtre, peintres, sculpteurs, tous les esprits brillants participaient à des échanges intellectuels intenses au cours de conversations élevées au niveau d’un véritable art. Belle, cultivée, de mœurs légères et très bon écrivain, par sa fonction de salonnière, elle a contribué à l’élaboration des ‘Lumières’.

Ces deux femmes appartenaient, chacune dans son univers historique et culturel bien distinct, à des classes sociales favorisées. Elles étaient libres de leur fortune, libres d’entreprendre l’aventure intellectuelle ou spirituelle qu’elles ont souhaité mener.

Jusqu’à très récemment, avant que le capitalisme occidental ne vienne dévaster l’ordre économique et social de façon très violente sous la forme d’une conquête et d’un assujettissement colonial, le mariage dans le pourtour méditerranéen et en particulier en Afrique du Nord était endogamique. Les cousins se mariaient entre eux. Ceci garantissait une double stabilité [3].

D’abord, la propriété agricole ne se divisait pas à l’infini et pouvait conserver une dimension d’unité de production viable. Ensuite, la fille mariée dans la famille était protégée par toute la parentèle, proche géographiquement, qui intervenait en cas de conflit entre époux.

Les mariages arrangés l’étaient pour les deux sexes, ils étaient congruents avec un ordre symbolique qui organisait la matrice sociale et obéissaient à un impératif économique qui structurait le groupe social dont l’activité était essentiellement agricole.

La question du féminisme est datée historiquement

Il a fallu que le capitalisme industriel commence à trouver très étroites les frontières et que les différentes nations européennes construites dans les guerres de religion pendant des siècles et dans le sang des conflits territoriaux plus tard soient en compétition pour des expansions impériales coloniales pour que la question féministe surgisse sous sa forme ‘moderne’. Edward Bernays dans son ouvrage Propaganda [4] narre comment le marketing s’est saisi de la question féminine pour accroitre les profits des fabricants de cigarettes. Il avait fait convoquer toute la presse pour une manifestation inédite et qui sera divulguée lors de la procession de Pâques en 1929 à New York. Au signal donné, des mannequins ont allumé leur nouveau flambeau de liberté, les femmes du monde ont été induites à consommer du tabac pour célébrer leur « liberté ».

L’égalité des droits entre hommes et femmes est devenue une revendication quand le capitalisme a effacé la division du travail entre les sexes

Cela s’est concrètement réalisé quand les usines ont été vidées de leurs hommes au cours de la boucherie de 1914-1918 et que les ouvriers partis mourir pour les banquiers et les industriels de leur ‘patrie’ furent remplacés par leurs femmes et leurs sœurs [5]. Chefs de famille, elles avaient à assumer un double travail, domestique et d’élevage des enfants avec celui fourni pour un patron contre un salaire toujours inférieur à celui accordé à un homme.

L’arrivée en masse des femmes sur le marché du travail a permis de déprécier celui-ci. Quand dans les années cinquante, un seul salaire faisait vivre une famille, depuis plus de trente ans, deux salaires y suffisent à peine puisque chaque ménage est contraint de s’endetter.

Pour quitter le monde des Idées et des luttes microscopiques cantonnées à des spécificités exotiques, il serait bon de rappeler quelques éléments d’histoire.

Capitalisme et mise en compétition « raciale »

Le capitalisme industriel nordiste étasunien a libéré des forces de travail considérables en abolissant l’esclavage. Il a constitué un sous-prolétariat noir qui est rentré en concurrence avec le prolétariat blanc en venant mordre à la marge sur le marché du travail.

Le patronat européen et en particulier français a procédé quasiment de la même façon. Par camions et cars entiers, il est allé quérir des Nord-africains dans des villages reculés où les engagés sont en bonne santé et illettrés [6].

Le pays exportateur faisant une bonne affaire avec un double gain. Il se débarrassait d’une partie de sa population active mâle adulte qui serait susceptible de vouloir poursuivre les guerres de libération coloniale en récupérant les terres confisquées par les colons. Il bénéficie du rapatriement des salaires gagnés chez l’ancien colon, ce qui pouvait correspondre à plus de la moitié des ressources en devises des pays en voie de perpétuel sous-développement.

Le patronat importateur d’ouvriers ‘indigènes’ y trouvait un double bénéfice.

L’acquis trivial est de payer moins cher l’OS (ouvrier spécialisé) qui ne parle pas la langue autochtone. Le deuxième consiste en l’organisation consciente et délibérée d’un antagonisme entre blancs et indigènes immigrés au sein de la classe ouvrière, trop bien protégée syndicalement. L’aveuglement des centrales syndicales par rapport à cet enjeu a fissuré très durablement le front de la lutte anticapitaliste pour l’émousser et l’amoindrir encore sous d’autres assauts, comme le financement de syndicats félons par des services de renseignements ultra-atlantiques.

La réponse à cette manœuvre de division aurait dû – devrait – consister à refuser le fractionnement entre ethnies (ou religions) face au système qui élabore l’émiettement des luttes.

Les dirigeants politiques des anciens pays colonisés doivent être tenus comme coresponsables de cette hémorragie humaine qui les démunit de ses forces vives et nourrit une catégorie de citoyens de moindres droits dans les pays receveurs. Aujourd’hui, l’accent est mis sur la limitation de l’émigration. En réalité, l’économie européenne s’effondrerait sans les travailleurs ‘sans papiers’, l’inexistence de contrôle dans le secteur du bâtiment et de la restauration est la preuve irréfutable de l’hypocrisie des dirigeants politiques qui ne sont en fait qu’un comité de gestion pour la classe possédante. Les haines interethniques sont alimentées par des discours xénophobes et des plus-values fantastiques sont engrangées par des transnationales qui ne paient ni charges sociales - travailleurs non déclarés - ni impôts – évasions et fraudes fiscales.

Dévoiler l’hypocrisie de la question du foulard « islamique »

L’apparition du recouvrement du cheveu chez les femmes musulmanes en Europe et en Occident de façon générale est secondaire à sa ré-émergence dans les pays musulmans [7].

Dès les débuts des années 1980, les jeunes filles ont porté le foulard dans les universités de Tunis, du Caire et de Rabat. Cette montée a été contemporaine de l’avortement des mouvements sociaux de la gauche laïque dans les différents pays méditerranéens musulmans. Le reflux de la contestation sociale sous sa forme laïque de gauche a été mondialisé, le renversement de Salvadore Allende par une dictature militaire au Chili en a été l’élément augural. Les disparitions et les emprisonnements des ‘gauchistes’ marocains à partir de l’année 1973 ont étêté la jeunesse marocaine de ses éléments les plus dynamiques en matière de projet social équitable et progressiste. Dans le même temps s’enregistraient les succès de la République islamique d’Iran. Les régimes oppressifs autocratiques ne pouvaient interdire la fréquentation des mosquées et bientôt le port de signes religieux visibles devenait une affirmation d’une contestation politique. Le port du foulard par les Tunisiennes ‘émancipées’ sous Bourguiba et par les Palestiniennes dans les territoires occupés est emblématique.

Ces deux phénomènes ont été sûrement plus déterminants dans le rejet de l’habitus moderne et considéré comme « occidental » que la non intégrabilité des femmes d’ailleurs dans le contexte européen. Au contraire, à ces filles et à ces femmes, l’insertion sociale a été plus facile que pour leurs frères ou maris. D’une façon apparemment paradoxale, la France patriarcale et raciste s’est montrée plus discriminatoire vis-à-vis des hommes d’origine extra-européenne ou dont les parents proviennent des ex-colonies au niveau de l’emploi que vis-à-vis de leurs femmes ou de leurs sœurs.

La perte en Europe de l’ennemi communiste avec ladite chute du mur de Berlin, la résistance palestinienne, la résistance libanaise soutenue par le Hezbollah sont quelques facteurs parmi ceux qui ont déterminé la construction de la doctrine politique de l’entité hégémonique d’un Islam désormais identifié au terrorisme et ennemi de la Civilisation [8].

Les musulmans en Europe ne sont que les victimes secondaires et accessoires de cette scénarisation.

Imaginer que le port du foulard serait une réponse protestataire jetée à la face du patriarcat blanc et raciste est un contresens absolu. C’est renvoyer la femme musulmane à un rôle subalterne de femme dépitée qui n’a d’autre ressort existentiel que d’être une identité en creux, en négatif, une anti-quelque chose. C’est lui porter le plus grand des mépris, à elle et à la culture et la spiritualité qui l’animent, la définissent et la comblent.

Quand une femme musulmane se retranche dans son vêtement et se soustrait à la nudité, c’est pour s’appartenir à elle-même. Son geste pourrait être de dire mon corps n’est pas une marchandise, mais cet implicite ne s’adresse pas spécifiquement à l’homme blanc ! Il n’est pas non plus un acte de soumission à une prescription patriarcale. C’est un comportement de pudeur qui n’est pas réservé au sexe féminin [9].

L’affirmation de l’identité culturelle et spirituelle se suffirait à elle-même mais dans le contexte du capitalisme actuel uniformisant, sénescent, prédateur et meurtrier, elle constitue en fait un acte de résistance.

Ritualismes formels et émancipation réelle

L’islam n’est pas seulement l’accomplissement de quelques rites et l’observance de quelques règles. Il va bien au-delà, il implique une éthique sociale qui exclut deux fondements du capitalisme, le prêt avec intérêt et la spéculation, dénoncée comme jeu de hasard [10].
Avec l’inscription de ces deux interdits absolus dans une future Constitution, l’activité humaine reprend ses droits sur le jeu spéculatif et ses destructions irréversibles de la planète et de l’humanité.

En cela, l’islam est un très grand danger pour les sociétés occidentales déliquescentes et dans le même temps, leur grande chance.

Nous sommes à une période où les identités nationales se perçoivent comme troublées. En Europe, elles mettent en avant les afflux de couches successives d’immigration ‘non européennes’ au point que l’exécutif au pouvoir entre 2007 et 2012 en France a créé un ministère de l’immigration et de l’identité nationale. La menace ressentie qui porterait sur un universel républicain, très monétisée électoralement et amplifiée par les organes de propagande que sont les médias de masse, a au moins une triple origine.

La visibilité des post-coloniaux sur la scène publique est marquée par un accoutrement vestimentaire par lequel ils se signalent. Le turban sikh et le foulard des femmes musulmanes étaient peu repérables dans les rues il y a trente ans. L’écrasante majorité des femmes et des filles voilées ont eu des mères qui ne l’étaient pas.

L’incompressible chômage en expansion dans les pays du Nord assorti d’une croissance impossible résultant d’une globalisation de l’économie dérégulée désespère une partie de la population à laquelle est désigné le bouc émissaire idéal, différent dans son apparence et peut-être dans son essence.

Enfin, les particularités nationales sont progressivement effacées d’une part sous l’intégration de 28 unités disparates dans le carcan européen et d’autre part sous l’hégémonie étasunienne économique et culturelle qui impose son universalité : jeans, la boisson gazeuse noire, films hollywoodiens, ses chaînes de nourriture rapide.

Ces causalités se croisent et s’enrichissent les unes les autres

Non seulement l’immigré, et la femme immigrée de surcroît, ne trouve pas de réponse dans le répertoire des propositions politiques et sociales offertes, mais pas non plus le sujet autochtone. Ce qu’il est convenu d’appeler la Crise n’est pas seulement financière car elle affecte et met en péril la survie de l’espèce humaine en détruisant tous les liens sociaux et en rendant invivable la planète. Elle appelle de chacun de nous un effort, un ‘ijtihad’ pour reformuler non seulement une grille de lecture universelle mais des outils de résolution de cette impasse capitaliste qui s’alimente de l’intérêt et de la spéculation [11].

La compréhension du social uniquement au travers d’analyses interethniques, diasporiques et inter-communautaires restreint dramatiquement le réel, même si elles sont légitimes en cette période de reviviscence des mémoires coloniales et de l’esclavage [12]. Elle l’ampute des instruments nécessaires pour le transformer.

Angela Davis, la figure de proue du mouvement de libération des Afro-américains consacre son temps à la cause des pensionnaires de prisons étasuniennes qui dans leur écrasante majorité sont noirs, jeunes, innocents et exploités car travaillant pour un salaire d’esclave pour de grandes firmes transnationales. C’est bien la nécessité pour le capitalisme d’une main d’œuvre quasi-gratuite logée dans des prisons construites et gérées par des firmes privées mais payées par l’impôt qui stabilise la situation inférieure des Afro-américains, hommes ou femmes. Un Noir américain sur neuf âgé entre 15 et 40 ans est détenu dans une prison [13].
Le motif principal de l’incarcération est lié au trafic ou à la consommation de drogues illicites. Le système est particulièrement pervers à cet égard. L’usage de la drogue avait été introduit par les services de renseignement et de sécurité dans les ghettos noirs et parmi les mouvements des Black Panthers pour les neutraliser et les criminaliser. La CIA finance ses actions secrètes par le commerce qu’elle fait des drogues illicites. Une situation analogue a été observée dans les banlieues en Europe et en France. La drogue a été diffusée, offerte au moment de la prise de conscience de celles-ci et de l’élaboration des mouvements et des marches pour l’Égalité.

La catastrophe imminente qui vient excède les communautés, elle affecte l’humanité entière. Il est donc urgent de ne pas limiter le débat politique à des revendications exclusivement ethniques et identitaires ou catégorielles (« genre », « orientations sexuelles », etc.).

Depuis quarante ans, la contre-révolution conservatrice, et donc objectivement de droite, a prospéré en cultivant en particulier (mais pas seulement) deux champs. Le premier a consisté à confondre le communisme et les conquêtes sociales sans précédent auxquelles il a donné lieu dans le monde avec le totalitarisme et l’hitlérisme, réduisant même la révolution de 1789 et l’abolition des privilèges à une simple Terreur. Tout cela dans une ambiance de moralisme permettant de camoufler les questions sociales, les rapports de forces internationaux et les questions de classe. Le second a entretenu la focalisation sur des luttes partielles, en particulier celles des minorités ethniques et sexuelles en faisant abstraction du contexte global de leur oppression.

De nombreuses autres diversions furent proposées et parmi elles, l’écologisme ou le capitalisme vert. Toute lutte locale émancipatrice est la bienvenue. Elle doit être ancrée dans une ambition plus vaste de libération universelle.

Parmi elles, se préoccuper de l’émigré sans-papier provenant des ex-colonies est une expression concrète de solidarité avec des sans-droits tout en étant une mise à nu de la perversion du système capitaliste. D’un côté, les politiciens dénoncent un excès d’immigration qui dilue l’identité, d’autre part, ils évitent de contrôler en réduisant le nombre des inspecteurs de travail dans les secteurs économiques qui les emploient à moindre coût amputé des contributions sociales obligatoires.

Sans le transfert de richesses des pays pauvres vers les pays riches, l’émigration économique et bientôt de plus en plus liée aux bouleversements environnementaux induits par les pays du Nord serait infime et imperceptible.

Les résidents des pays du Nord, indépendamment de leur origine, profitent des flux financiers qui appauvrissent l’Afrique en particulier par le mécanisme de la dette [14]. Ils bénéficient encore des conquêtes sociales qui assurent aux plus démunis un minimum de revenus et de couverture maladie.

En tout premier lieu, les Européens d’origine africaine s’ils veulent se placer dans une perspective anti-impérialiste se doivent de dénoncer les spoliations financières et le pillage des matières premières qui entretiennent le circuit de renforcement de l’émigration économique. Même relégué dans une banlieue ghetto, bénéficiant du RSA et de la CMU, un ‘indigène’ de la république tire avantage d’une électricité peu chère car Areva assure son approvisionnement en uranium au Niger en soutenant une guerre au Mali.

Badia Benjelloun, médecin. Été 2013.

[NDLR] = Note De La Rédaction du site lapenseelibre.org

[3Germaine Tillon, Le Harem et les cousins, éditions du Seuil, 1966 ; Youssef Courrbage et Emmanuel Todd, Le rendez-vous des civilisations, éditions du Seuil, 2007

[4Voir Edward Bernays, préface de Normand Baillageon, Propaganda : Comment manipuler l’opinion en démocratie, Zones, 2007. En ligne

[5NDLR. En même temps qu’ils étaient aussi remplacés en Europe par les premiers « travailleurs coloniaux » complétant ainsi le travail forcé non rémunéré déjà exigé d’eux dans les colonies.

[6NDLR. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le patronat occidental privilégiait l’immigration en provenance d’Europe de l’Est et du Sud dans la mesure où ces populations semblaient plus proches géographiquement et plus facilement adaptables aux normes productivistes et à la culture dominante. Ce qui, en dépit d’une légende récemment répandue, n’empêchait pas les manifestations d’un racisme violent visant tant les immigrés juifs que les immigrés chrétiens d’origine slave ou méditerranéenne. C’est seulement grâce à la mobilisation de la résistance antinazie et aux politiques interventionnistes d’État des « trente glorieuses » que ces populations purent être progressivement intégrées dans leur milieu de travail et dans la vie sociale. La politique de soumission ayant rendu avec le temps les populations coloniales plus « compatibles » avec les exigences du patronat après 1945, au moment où les communistes lançaient de leur côté des politiques de développement endogène en Europe de l’Est limitant l’émigration, le recours à l’exploitation de la main-d’œuvre des colonies et ex-colonies devint dès lors à leurs yeux préférable. C’était juste avant l’organisation de la « crise » à partir du milieu des années 1970 et qui allait empêcher le prolongement des processus d’intégration des classes populaires.

[7NDLR. Depuis l’antiquité, y compris dans la Grèce antique et partout dans le monde chrétien, les femmes « de bonne tenue » couvraient leurs cheveux, leurs oreilles et souvent leur cou par pudeur ou pour éviter d’être importunées. C’est dans les milieux des élites des cours princières européennes que cette tradition commença à disparaître avec le découvrement des cheveux puis les décolletés. La Révolution moderne, partie des pays occidentaux, a donc été autant un processus de promotion sociale de certaines catégories populaires qu’un processus d’acculturation des classes dominées par les valeurs des classes dominantes. Le féminisme, dans ses diverses moutures socialement contradictoires, pouvant dans ce contexte être utilisé autant comme moyen d’embourgeoisement de certaines femmes que comme un élément dans la lutte plus générale pour l’émancipation des classes populaires et l’affirmation de leurs valeurs propres.

[8NDLR. Qui reprenait sur un mode plus « moderne » et en les recyclant les vieux préjugés islamophobes hérités des croisades et de la période coloniale, un peu sur le modèle de l’antisémitisme judéophobe moderne qui recyclait plusieurs préjugés de l’anti-judaïsme chrétien.

[9NDLR. L’incompréhension mutuelle sur cette question entre l’Occident post-chrétien et l’islam provient entre autre du fait que dans le Nouveau Testament, Saint-Paul impose le foulard aux femmes au nom de ce qu’il affirme être leur infériorité par rapport aux hommes alors que dans le Coran, cette prescription (reprenant la tradition abrahamique et méditerranéenne), n’est justifiée que par le droit des femmes à se protéger des éventuelles agressions masculines.

[10NDLR. L’islam sunnite ignorant l’existence d’une hiérarchie religieuse établie, ses règles sont stables et ne peuvent être modifiées par une quelconque décision épiscopale. Chaque musulman/e est laissé/e libre de son choix de suivre ou de ne pas suivre les différentes interprétations possibles du texte sacré émises par différents savants et écoles de pensée religieuses. Dans le monde musulman, c’est traditionnellement le pouvoir politique qui a plutôt cherché à dominer et exploiter le religieux, alors que la religion tendait à constituer un espace de liberté et de libre discussion. D’où les malentendus entre modernistes occidentalistes et partisans de la liberté s’appuyant sur les traditions religieuses libertaires inhérentes à l’islam. Concernant l’usure et la spéculation, et même si les pouvoirs politiques dominant à l’heure actuelle dans les pays musulmans poussent à faire des compromis sur cette question, il n’en reste pas moins que la loi de l’interdiction absolue des règles de bases du capitalisme ne peut être levée par aucune institution religieuse, ce qui donne à l’islam son potentiel révolutionnaire incompressible. Raison qui explique entre autre la méfiance à son égard de toutes les puissances capitalistes qui souhaitent manifestement diaboliser l’islam tout en forgeant un islam « soft », un « islamisme » purement ritualiste et « identitaire », violent ou pacifique selon les besoins impérialistes, mais ne portant plus aucun projet social, politique et économique alternatif. Processus de stérilisation des questionnements sociaux qui était plus facile à réaliser dans le christianisme par le biais de la soumission des Eglises hiérarchisées et dans le judaïsme à cause de sa tribalisation et de sa prise en main par le sionisme. Processus constatable y compris dans le monde « laïc » avec la stérilisation des idées révolutionnaires au sein de beaucoup de partis socialistes et communistes.

[11NDLR : Ijtihad : Terme islamique signifiant l’effort que tout musulman doit faire pour étudier et interpréter librement le texte sacré. Méthode qui fut appliquée dans les premiers siècles de l’islam jusqu’à ce que le gros des chercheurs religieux liés aux pouvoirs politiques arrivent à la conclusion que toutes les questions sociales, juridiques, économiques, politiques, éthiques ayant été examinées et ayant obtenu des réponses, il ne restait plus qu’à examiner les questions directement liées au seul développement des techniques,. Ce qu’on a appelé « la fermeture des portes de l’ijtihad », phénomène qui n’a jamais fait consensus et qui a été remis en cause, encore assez partiellement, depuis une centaine d’années, en réaction au colonialisme et à la stagnation des sociétés musulmanes. Par extension, le Coran étant pour les musulmans un guide expliquant le « Livre explicite » englobant toute la création, la démarche d’ijtihad peut être étendue à toute activité de recherche scientifique, le Coran soulignant que la foi ne peut s’opposer à la raison.

[12Voir la contribution de Nicolas Bancel dans Postcolonial studies : mode d’emploi, publiée aux Presses universitaires de Lyon, 2013

[13NDLR. Rappelons par ailleurs que si les USA, donneurs de leçons en matière des droits de l’homme, représentent 5% de la population mondiale, 25% de tous les prisonniers dans le monde se trouvent dans les prisons des USA, pour beaucoup privatisées. Main-d’œuvre désormais rentabilisée donc, au point d’être en état de concurrencer pour le bénéfice des patrons les bas salaires des maquiladores qu’ils avaient implantés du côté mexicain de la frontière avec les USA.

[14Le Comité pour l’annulation de la dette des pays du Tiers Monde avait évalué il y a quelques années que pour un dollar US prêté à l’Afrique, les pays du Nord en recevaient quatre.


 http://www.lapenseelibre.org/article-feminisme-races-et-secateur-du-reel-n-85-119088729.html#_ftnref3

COMMENTAIRES  

28/12/2013 14:45 par anonyme

Il y a des femmes qui trahissent la cause des femmes comme il y a des palestiniens qui trahissent la cause des palestiniens, et des ouvriers qui trahissent celle du prolétariat.

Le discours de Badia Ben jelloun que vous vous complaisez à nous servir ici n’a rien de nouveau. Si l’on en croit une prétendue féministe et historienne du PS (Isabelle Badinter, en l’occurence) ce seraient même quelques hommes célèbres qui auraient les premiers tenté de nous libérer, au 19e siècle .

Ca ne mérite pas vraiment un commentaire, mais, pour les copines, je rapellerai seulement qu’à Athènes au Ve siècle avant Jésus Christ les femmes surent s’unir pour faire la grêve du sexe, qu’Angela Davis était et reste féministe, même si elle ne s’est pas investie dans le MLF, on ne peut pas être partout, et que Louise Michel, l’était également ; sans oublier Kolontaï, citée récemment par d’éminents lecteurs marxistes du GS, et bien d’autres, trop nombreuses pour qu’on puisse les citer, d’autant que la majorité d’entre elles n’ont jamais pu accéder à l’éducation et sont restées anonymes : voir les cahiers de doléance des blanchisseuses parisiennes (rédigés au 18e siècle).

Enfin je rappellerai à la rédaction et à ses plus chers lecteurs que des mouvements féministes, il n’y en a pas que dans le bloc BAO, il y en a aussi dans tous les pays dits arabes ou musulmans. Comment pouvez-vous l’ignorer vous qui savez tant de choses ?

28/12/2013 17:39 par Sheynat

28/12/2013 à 14:45, par anonyme
« Il y a des femmes qui trahissent la cause des femmes comme il y a des palestiniens qui trahissent la cause des palestiniens, et des ouvriers qui trahissent celle du prolétariat. »

Oh, merci pour la grande nouvelle, mais quel est le rapport avec l’article ?

« Le discours de Badia Ben jelloun que vous vous complaisez à nous servir ici n’a rien de nouveau. Si l’on en croit une prétendue féministe et historienne du PS (Isabelle Badinter, en l’occurence) ce seraient même quelques hommes célèbres qui auraient les premiers tenté de nous libérer, au 19e siècle . »

Personnellement, je ne leur demande pas de tenter de nous libérer, et je ne vois toujours pas le rapport avec l’article...
« Ca ne mérite pas vraiment un commentaire, mais (…) », en effet, cela ne mérite vraiment pas le style de commentaire que vous nous servez, d’autant plus qu’il n’a toujours aucun rapport avec le texte.

BAO, comme le rappelle de temps en temps Gérard, utilisant régulièrement cette expression, signifie « Bloc Américano-occidental »... 
Le fait que vous versiez autant dans le hors sujet annule vos tentatives de contradiction.
Cet article est excellent et je félicite son auteur d’aborder avec profondeur un sujet aussi intéressant.

28/12/2013 20:46 par anonyme

Pour Sheynat.

Les mariages arrangés l’étaient pour les deux sexes, ils étaient congruents avec un ordre symbolique qui organisait la matrice sociale et obéissaient à un impératif économique qui structurait le groupe social dont l’activité était essentiellement agricole.

C’est vrai pour toutes les sociétés agricoles du bassin méditerranéen ; c’était vrai dans les campagnes françaises, même après la révolution de 1789. Je ne vais pas développer ce point, je veux juste dire par là que si le mariage était arrangé pour les deux membres du couple cela ne faisait pas pour autant d’eux des égaux, ni de ces sociétés un paradis pour les femmes.

La question du féminisme est datée historiquement
Il a fallu que le capitalisme industriel commence à trouver très étroites les frontières et que les différentes nations européennes construites dans les guerres de religion pendant des siècles et dans le sang des conflits territoriaux plus tard soient en compétition pour des expansions impériales coloniales pour que la question féministe surgisse sous sa forme ‘moderne’. Edward Bernays dans son ouvrage Propaganda [4] narre comment le marketing s’est saisi de la question féminine pour accroitre les profits des fabricants de cigarettes.

Non, la question féminine n’est pas datée du 20e siècle, ni du 19e. On en trouve des traces bien avant l’avènement du capitalisme, quand on veut bien les voir. Il est vrai que peu de femmes ont pu s’exprimer par écrit sur leur condition, car très peu d’entre elles, même dans les milieux les plus favorisés avaient l’occasion d’apprendre à écrire. Il y a quelques années encore, une camarade de lutte issue de la noblesse (eh oui, ça arrive !) m’avait appris que dans son milieu on traitait dédaigneusement de « bas bleu », les filles qui faisaient des études poussées . Il est facile de ce fait de dénoncer le féminisme des quelques femmes qui ont pu se défendre par écrit, en leur reprochant leurs privilèges.
Et pourtant, il se trouve que nous avons aussi des témoignages de femmes de condition modeste, dont la travail était tout à fait conforme à la division du travail entre les sexes que le capitalisme n’avait pas encore "effacé" : celui des blanchisseuses parisiennes de la fin du 18e siècle dont les revendications sont d’une surprenante actualité (Ariane Mnouchkine et le théatre du soleil les ont reprises dans la pièce 1792).
Que les capitalistes exploitent, a posteriori, le fruit de nos luttes n’est pas spécifique des luttes féminines ; je ne donnerai pour exemple que l’industrie des loisirs qui s’est développée après la conquête des congés payés. Est-ce que quelqu’un envisage aujourd’hui de renoncer aux congés payés sous prétexte qu’ils ont été récupérés par le capitalisme ?

L’égalité des droits entre hommes et femmes est devenue une revendication quand le capitalisme a effacé la division du travail entre les sexes

Comment peut-on prétendre au 21e siècle, que le capitalisme a effacé la division du travail entre les sexes, quand aujourd’hui encore, même dans les pays où la législation garantit aux femmes le droit d’exercer tout métier de leur choix, non seulement on continue d’orienter les filles vers les filières les moins rémunératrices, mais même lorsqu’elles ont réussi à s’imposer dans des formations traditionnellement réservées aux hommes, il leur est pratiquement impossible de se faire embaucher conformément à leur qualification. Cela fait toujours partie des revendications des femmes dans les pays capitalistes.

Cela s’est concrètement réalisé quand les usines ont été vidées de leurs hommes au cours de la boucherie de 1914-1918 et que les ouvriers partis mourir pour les banquiers et les industriels de leur ‘patrie’ furent remplacés par leurs femmes et leurs sœurs [5]. Chefs de famille, elles avaient à assumer un double travail, domestique et d’élevage des enfants avec celui fourni pour un patron contre un salaire toujours inférieur à celui accordé à un homme.

Les femmes ont alors dû ou pu faire ce qui était jusque-là réservé aux hommes. Mais le travail en usine, elle y participaient déjà, aux champs aussi, ainsi que les enfants, sauf que soudain on a dû le reconnaître, leur travail. Certaines n’ont pas du tout apprécié d’être renvoyées à leur statut antérieur quand les hommes sont revenus. Je dis « certaines », parce que la misère est toujours terrible pendant les guerres, et l’on ne peut regretter la misère surtout quand elle touche aussi les enfants et qu’on est une femme, et c’est à mes grand-mères que je pense en disant cela qui se trouvèrent l’une et l’autre seules pour cultiver et labourer leur lopin de terre avec cinq enfants chacune dont le plus âgé n’avait pas sept ans, et se trouvèrent encore enceintes pendant la guerre, suite à une permission de leur mari.

Le second a entretenu la focalisation sur des luttes partielles, en particulier celles des minorités ethniques et sexuelles en faisant abstraction du contexte global de leur oppression.

Badia Benjelloun reprend mine de rien le tour de passe passe machiste qui veut que les revendications féministes soient celles d’une minorité sexuelle. Si le capitalisme a concédé quelques droits aux femmes c’est d’abord parce qu’elles se sont battues pour les imposer, et parce qu’il était difficile d’ignorer leur combat quand elles étaient capables de s’unir, parce que nous sommes, comme disait Mao, la moitié du ciel.
Quand nous avons pratiqué massivement des avortements, grâce à la méthode Karman qui ne détruisait ni les femmes ni leurs organes de reproduction, le capitalisme n’a pas eu d’autre choix que de le légaliser ; à contre coeur, certes, mais s’il ne l’avait pas fait, non seulement nous aurions continué, ce qui aurait de toute façon privé les bénéficiaires de la clandestinité de leurs bénéfices, mais en plus, nous avions commencé à remettre en question les conditions d’accouchement et de naissance dans les maternités, leur médicalisation à outrance, qui était quand même pour certains médecins une bonne affaire, le traitement , ou plutôt le non traitement, de la douleur, et finalement la médecine elle-même dans sa version légale alors en vigueur. Jusqu’où serions-nous allées, si on n’avait pas voté d’urgence la loi de 75 ?!

En Tunisie, en Algérie les femmes se sont battues aussi pour leur indépendance et ont conquis de haute lutte les droits qui leur ont été concédés lorsque leur pays y a enfin accédé. Au début des années 60, les tunisiennes avaient conquis des droits que les françaises n’avaient toujours pas su imposer. Et parce que c’est un sujet qui vous préoccupe plus particulièrement, je maintiens qu’il y a des femmes vivant dans les pays à majorité musulmane qui sont mieux informées que Badia Benjelloun sur l’histoire des femmes et des revendications féministes dans le monde, et il y en a même beaucoup.

28/12/2013 22:44 par Safiya

J’éprouve un bien incommensurable à la lecture de votre lumineux article. Il conforte, sinon cimente ce que je pense. Il y a longtemps, du temps où je visitais ce site, j’avais abordé le sujet de l’usure lors d’un commentaire en réponse à un article de Stephany ??? (je ne me souviens plus de son nom, hélas) sur Oumma.com et j’avais dit qu’à mon sens, je pensais que la diabolisation de l’Islam venait du fait que l’ultralibération craignait cette dimension-là (la réprobation et l’interdiction de l’usure).

Je me suis fait moquer par une commentatrice aux bagages "intellectuels" beaucoup plus conséquents que les miens qui ironisait en faisant référence à Karl Marx. Depuis, je n’osais plus en parler mais la pensée prégnante de la chose continuait à m’habiter. De même pour le foulard et sa dimension de résistance.

Merci Badia Benjelloul, vous êtes pour moi le reflet de cette Lumière nichée au coeur d’une lampe de cristal dont l’éclat est pareil que celui de l’astre-soleil...

Lumière sur Lumière, Allah guide vers sa lumière qui Il veut, Il propose aux Hommes des paraboles et le libre arbitre reste leur. C’est en cela que pour moi l’Islam hisse l’âme, homonymie et rime parfaites, n’est-ce pas Badia ? Merci d’être, merci d’exister.

28/12/2013 23:23 par Dwaabala

L’islam n’est pas seulement l’accomplissement de quelques rites et l’observance de quelques règles. Il va bien au-delà, il implique une éthique sociale qui exclut deux fondements du capitalisme, le prêt avec intérêt et la spéculation, dénoncée comme jeu de hasard [10].
Avec l’inscription de ces deux interdits absolus dans une future Constitution, l’activité humaine reprend ses droits sur le jeu spéculatif et ses destructions irréversibles de la planète et de l’humanité

Il faut peut-être rappeler ici que le capitalisme est par essence spéculatif  : quand le capitaliste (qu’il soit industriel ou armateur ou informaticien, etc.) investit C dans une entreprise, c’est qu’il espère en tirer au bout du compte C + PV (la plus-value).
Le banquier, lui, prête avec intérêt au capitaliste pour lui permettre d’investir.
Cette plus-value PV représente pour le capitaliste et le banquier (qui se la partagent et pour ceux qui partagent leur idéologie à défaut de leurs profits) la prime qu’il percevront pour le risque qu’ils ont couru.
S’il suffit d’inscrire l’interdiction du capitalisme et de la banque dans la future Constitution pour que l’activité humaine reprenne ses droits, alors les choses sont simples. Chacun pourra alors faire ses dévotions dans le temple de son choix et rendre grâce à l’Éternel. Ainsi l’activité humaine reprend ses droits.

28/12/2013 23:24 par Safiya

C’est ultralibéralisme au lieu de ultralibération, vous l’aurez corrigé sans doute.

28/12/2013 23:50 par Sheynat

@ anonyme 28/12/2013 à 20:46 :
D’accord, je comprends mieux le sens de votre intervention et vous remercie pour les développements.

Cependant, lorsque vous précisez que « C’est vrai pour toutes les sociétés agricoles du bassin méditerranéen », elle parle bien du « pourtour méditerranéen » et « jusqu’à très récemment » ; ensuite, lorsque vous évoquez l’égalité et le bien être de la femme, elle aborde plutôt l’aspect économique et la protection sociale, par comparaison avec les ravages du capitalisme.

Je poursuis sur votre 2ième paragraphe :
Quand Badia Benjelloun dit que la question féministe a surgi sous sa forme ‘moderne’, cela présuppose qu’elle existait avant sous une autre forme, n’est-ce pas ? Et non qu’elle n’existait pas avant. Personnellement, j’interprète son rappel historique comme une manière de montrer dans quel contexte le capitalisme a récupéré « la question » féministe.

« Il est facile de ce fait de dénoncer le féminisme des quelques femmes qui ont pu se défendre par écrit, en leur reprochant leurs privilèges. » Certes, mais là vous répondez à tous ceux qui décrètent que le féminisme est un truc de sales petites bourgeoises et non de vraies révolutionnaires (oubliant opportunément les origines sociales de Karl Marx et Ernesto Guevara, pour ne citer qu’eux), mais pas, je l’espère, à l’auteur de cet article ? Quand elle parle des deux femmes remarquables c’est en termes élogieux et leurs conditions sociales favorisées ont aidé à défendre des valeurs féministes, mais ce n’est ni une critique, ni une dévalorisation de celles qui ont lutté dans des conditions plus difficiles. Ou alors quelque chose m’a échappé ?

« Que les capitalistes exploitent, a posteriori, le fruit de nos luttes n’est pas spécifique des luttes féminines », je suis totalement d’accord avec vous, mais cela va justement dans le sens de ce que Badia Benjelloun exprime. Ce sont plutôt les interprétations de certains machistes et sexistes (qu’on voit même commenter ici sur LGS) qui prétendent que c’est à cause des femmes que le travail a été déprécié (alors que c’est à cause du capitalisme), et prétextent que le féminisme divise les militants et détourne des vraies luttes. Par contre, l’auteur déclare en clair et net que ce que le patronat a fait aux femmes pendant que les hommes étaient partis à la boucherie en terme d’exploitation et de profits sur plusieurs tableaux, il l’a fait aussi en créant un sous-prolétariat noir et indigène et ouvrier, et que ce constat aurait du réunir l’ensemble des militants quelles que soient leurs ethnies ou religions, au lieu de les diviser.

« Comment peut-on prétendre au 21e siècle, que le capitalisme a effacé la division du travail entre les sexes, quand aujourd’hui encore (…) » : attention, elle dit bien que les femmes « avaient à assumer un double travail, domestique et d’élevage des enfants avec celui fourni pour un patron contre un salaire toujours inférieur à celui accordé à un homme. » et que l’égalité des droits est devenue une revendication. Ceci dit, en effet, la division du travail perdure encore sous les formes que vous dénoncez.
Mais je suppose que par « division du travail » l’auteur pensait à l’époque où les tâches assignées aux femmes (le foyer) étaient bien plus limitées que lorsqu’elles durent remplacer leurs camarades aux usines, ce qui a permis aussi une reconnaissance, quoique diminuée, de leur travail.

« Badia Benjelloun reprend mine de rien le tour de passe passe machiste qui veut que les revendications féministes soient celles d’une minorité sexuelle. »

Non, mais ?? !! j’ai lu l’inverse.
Je reprends ce qu’elle dit :

« Depuis quarante ans, la contre-révolution conservatrice, et donc objectivement de droite, a prospéré en cultivant en particulier (mais pas seulement) deux champs (…)
Le second a entretenu la focalisation sur des luttes partielles, en particulier celles des minorités ethniques et sexuelles en faisant abstraction du contexte global de leur oppression. »

Ce qui pour moi correspond avec ce que je dénonce, par exemple ici à propos du FN :

« tandis que les anciennes génération du parti rejetaient le féminisme comme une atteinte aux valeurs françaises « traditionnelles », c’est au nom de celles-ci et en opposition aux cultures supposées « archaïques » et « patriarcales » de l’islam que les nouvelles générations opèrent ce retournement . »

Et encore :

« C’est une tendance générale, parmi les droites extrêmes européennes, à modifier leur discours en se présentant en championnes de la défense des libertés, des minorités sexuelles, des droits des femmes, contre la menace que représenterait l’immigration et particulièrement les minorités musulmanes (Akkerman, Hagelund, 2007) »

Lorsque les machistes veulent que les revendications féministes soient celles d’une minorité sexuelle, donc reléguées à la cave, ils dénient le contexte global de leur oppression, tout comme les conservateurs de droite... et c’est ce que Badia Benjelloun déplore.

29/12/2013 02:16 par Leo Lerouge

Je trouve également cet article intéressant. Un peu dispersé, cependant, puisque Badia Benjelloun aborde plusieurs thèmes, ce qui explique sans doute qu’elle n’ait pas épilogué sur l’histoire du féminisme et qu’il y ait des ambigüités.
Mais il montre, entre autres, comme le souligne Sheynat, que ce ne sont pas les femmes ou les immigrés qui ont fait baisser les salaires, comme certains le prétendent, mais bien le patronat.
D’autre part, quand elle dit que " la question féministe a surgi sous sa forme ‘moderne’," je comprends la même chose que Sheynat. Je ne pense pas que Badia Benjelloun ignore les luttes féministes antérieures.
Etc.

Quant à Angela Davis, elle est antiraciste, anti-impérialiste, marxiste ET Black feminist.

Et, donc, si Angela Davis n’a pas adhéré au MLF, ce n’est pas par manque de temps, mais parce qu’elle militait activement dans le mouvement " Black feminism".

"L’histoire des rapports entre féministes blanches et féministes africaines-américaines trouve son origine dans les relations qu’ont eues ces actrices à l’occasion des luttes pour le droit de vote à la fin du XIXème siècle : le système raciste et profondément ségrégationniste entre Noirs et Blancs avait pénétré toute la société américaine, y compris nombre de féministes Blanches. Cette partie de l’histoire ne sera pas oubliée par les féministes noires, quand le mouvement reprend dans les années 60-70". Lire la suite ici.

Angela Davis définissait les mouvements féministes des années 1970 comme "blancs et bourgeois" et explique qu’alors que les Afro-américaines étaient victimes d’un programme de stérilisations contraintes, les femmes blanches étaient contraintes aux avortements clandestins.
Elle a également déclaré : ""En grande majorité, elles étaient blanches et se battaient pour le droit au travail et à l’avortement. Les Noires avaient déjà un travail, mais comme domestiques".

Et selon elle, les femmes noires n’étaient pas les seules à être marginalisées par ces mouvements. Etaient également exclues les femmes de la classe ouvrière, les immigrées et les femmes d’autres minorités.
Le mouvement Black Feminism combattait simultanément le sexisme, le racisme et l’oppression de classe, et comprenait également des femmes chicanas, orientales, et autres.

Davis luttait pour la libération de tous et toutes, pensant que l’oppression devait être combattue sous tous ses aspects et non pas seulement sous l’angle de la "race" ou du genre. (Voir "Davis & feminism").
Davis a publié en 1983 un livre appelé "Women, Race, and Class".

Si elle milite également contre les injustices dans les prisons US et contre la peine de mort, elle est de toutes les luttes pour les droits humains, en Palestine, au Vietnam (elle a rejoint le « Comité international de soutien aux victimes vietnamiennes de l’agent orange et au procès de New York », conduit par André Bouny.) et ailleurs.

Lors d’une rencontre, le 18 mars à Paris, elle déclare qu’elle ne comprend pas cette "obsession pour le voile, même de la part de féministes" en France, et même, que cet acharnement antivoile faisait du voile un outil de résistance pour certaines femmes voilées, ce qui les rendaient « plus féministes » que celles qui ont entrepris de les dévoiler.

29/12/2013 05:51 par anonyme

A Sheynat,

Nos interprétations du texte divergent mais nous sommes je crois fondamentalement d’accord .

Il y a ceux (et celles) qui surfent sur l’oppression spécifique des femmes pour promouvoir le racisme et la xénophobie, sous forme notamment d’islamophobie (comme si le christianisme et les pères de l’Eglise nous étaient plus favorables !), et ceux (et celles) qui surfent sur le racisme et l’islamophobie pour promouvoir la remise en cause de nos acquis.
Les premiers nous divisent, les seconds nous font taire. Ne nous laissons pas faire !

30/12/2013 00:40 par Dominique

En fait le problème est très simple. Il commence avec les religions de l’Antiquité qui ont adopté des dogmes de base qui attribuent aux choses des qualités qu’elles n’ont pas comme le bien, le mal, le yin ou le yang. Or nous savons tous que les choses sont. Point. Par contre nous avons le choix, quand nous voyons un caillou, de le prendre et de le jeter sur la figure du voisin ou de l’utiliser pour construire un mur de maison. Le caillou est le même mais les conséquences de ces deux actions ne sont pas les mêmes. À propos de ce choix, l’Islam est un pas dans la bonne direction car il laisse le choix de ses actions à l’homme, alors que dans le christianisme et le judaïsme, tout est déterminé par dieu. Il est juste dommage que l’Islam n’ait pas su se débarrasser du dogme du conflit du bien et du mal. Avec le taoïsme (yin-yang) et ses nombreux dérivés, même dieu ne peut rien changer, seul la réincarnation le peut.

À partir de cette attribution de caractéristiques surnaturelles des choses, il est possible de créer une première hiérarchie entre les dieux (le bien), les hommes et le reste de la création (le mal) - ce qui revient à séparer l’homme de la nature, une deuxième hiérarchie entre l’esprit et la chair - ce qui revient à séparer l’homme de sa nature, et de créer encore une troisième hiérarchie entre les hommes, certains se retrouvant plus près des dieux que les autres - ce qui revient à séparer les hommes entre eux, l’homme et l’autre. La seule différence avec le capitalisme est que dans celui-ci certains sont plus riches que les autres, richesse qui comme on peut le voir avec l’actionnariat est souvent héréditaire. Avec la démocratie, comme le disait si bien Coluche, certains sont plus égaux que les autres.

Le fond de tout ça est que toutes ces hiérarchies superstitieuses permettent d’instaurer toute les formes de racisme, depuis celui fondamental qui nous fait mépriser notre seule source de vie, la Terre, et ainsi de cautionner toutes les formes de pollution et de destruction des biotopes, jusqu’à celle qui nous fais considérer nos voisins comme des gens inférieurs et ainsi cautionner toutes les formes d’exploitation et de guerre, en passant par le mépris de la chair qui nous transforme en frustrés incapables de penser de façon rationnelle ni de maîtriser l’usage que nous faisons de la violence.

Dans tout ça il n’est pas étonnant de constater que ces formes de religions apparaissent en même temps que le rabaissement de la femme à un rang inférieur à celui du cochon. Au mieux, elle pouvait espérer devenir prostituée sacrée, ce qui ne durait généralement que le temps de sa jeunesse. Et vous savez quoi, déjà à l’époque elles n’étaient pas dupes car c’est aussi à cette époque qu’en plus du guerrier et du commerçant, un nouveau personnage est apparut dans l’histoire : le cocu.

Avant cette époque, la polyandrie était considérée comme tout autant normale que la polygamie. Avec le patriarcat, la polyandrie a été réprimée. La prostitution et le cocu étaient nés. Tout ça pour dire que diviser pour régner, déjà à cette époque, était le fond de commerce des exploiteurs, et que sans racisme, le diviser pour régner n’existe pas. Et aussi que le diviser pour régner est inscrit dans les dogmes de base de toutes les religions organisées, nous pourrions dire dans leurs gènes. Ce qui amène à une question fondamentale pour tout croyant : les valeurs véhiculée par ma religion correspondent-elles au sens que je veux donner à ma foi ?

Ce qui nous amène au problème de la transcendance. Les religions du bien et du mal croient, que comme les choses ont des qualités intrinsèques, nous sommes condamnés à errer dans un monde de merde jusqu’à ce que dieu y mette un terme. Dans cette croyance, une vie meilleure n’est possible que dans une hypothétique vie après la mort (la bible n’a rien inventé, cette croyance du paradis apparaît en premier chez les scandinaves avec la Walhalla) ou après l’apocalypse. La transcendance est l’exclusivité de dieu. Dans les religions du yin et du yang même les dieux ne peuvent rien changer à cet ordre des choses où les dés sont pipés, seule une tout autant hypothétique autre vie le peut. La transcendance est liée au karma et elle se manifeste dans le cycle des réincarnations de l’âme. Dans les deux cas, le destin des gens ici et maintenant ne leur appartient pas, il leur est juste promis que ce sera mieux après, et encore, qu’à la condition qu’ils se tiennent sages et qu’ils n’essaient surtout pas de renverser l’ordre établi. Donc d’une façon ou d’une autre, toutes ces religions ne sont que la justification morale de ce qui est.

Depuis Marx, nous savons que l’homme, s’il entend être un être humain et non pas simplement un homme ou une femme en lutte contre les autres, est capable d’utiliser sa compréhension des choses pour se fixer des buts de manière consciente, et toujours consciemment, de travailler à la réalisation de ses buts, le tout ici et maintenant. Ceci implique que pour Marx, le dogme n’est pas un concept superstitieux qui fixe les limites de la société. Au contraire, le dogme chez Marx est le travail réalisé de façon consciente vers un but déterminé de façon consciente, ce qui permet de dépasser les limites de la société et de la réinventer. Cela s’appelle la transcendance. De plus, Marx nous a également rendu attentif au fait que face aux exploiteurs, notre meilleure force est l’unité. Non pas l’uniformisation des luttes mais leur union. C’est uniquement pour avoir dit ces deux choses que Marx est autant détesté par les bourgeois.

L’homme est la femme sont complémentaires. C’est la nature qui nous le montre : il faut un homme et une femme pour faire un bébé. Même avec toutes les avancées de la science, nous n’avons pas encore trouvé mieux, ceci surtout parce que la science ne remplacera jamais l’amour et qu’il faut beaucoup d’amour pour faire un être beau. Dans une meilleure société que la nôtre, la question de l’adoption par les couples gais et lesbiens ne se poserait même pas car l’amour ne serait pas la propriété exclusive des parents biologiques.

Tout ceci implique que le combat des femmes doit être respecté et intégré dans la lutte révolutionnaire des hommes, et que celui des hommes doit être respecté et intégré dans la lutte révolutionnaire des femmes. Ceci implique aussi que les luttes des autres doivent être respectées et intégrées dans nos luttes, et que les autres doivent faire de même avec nos luttes. Ceci implique enfin qu’une lutte qui n’est pas capable de respecter et d’intégrer les luttes des autres est une lutte qui s’inscrit dans la logique bourgeoise du diviser pour régner et que ce n’est donc pas une lutte révolutionnaire.

31/12/2013 14:36 par Lionel

@Dominique, attention aux croyances et autres assertions fausses et sans fondement, la polyandrie a certes existé mais n’a toujours été pratiquée qu’à toute petite échelle de société et très rarement sur la planète ( de ce que nous en connaissons ).
Pour tenir un long discours comme celui-ci, il faut bétonner et ne pas construire sur du sable, les croyances sont multiples, tant à propos de l’histoire du "Moyen-âge" que de la démocratie et de la violence envers les femmes qui sont de mise dans nos sociétés occidentales ( je sais, pas que, mais j’aime commencer par me servir... ).
Bonne année à venir !

31/12/2013 19:04 par Sheynat

@ Safiya :
Concernant l’usure, il y a cette note [10] dans l’article qui pique ma curiosité, surtout qu’il s’agit d’un aspect de l’Islam qui semble assez peu relayé (sans doute à cause de cette propension de le dénigrer plus spécifiquement que les autres religions ) :

« Concernant l’usure et la spéculation, et même si les pouvoirs politiques dominant à l’heure actuelle dans les pays musulmans poussent à faire des compromis sur cette question, il n’en reste pas moins que la loi de l’interdiction absolue des règles de bases du capitalisme ne peut être levée par aucune institution religieuse, ce qui donne à l’islam son potentiel révolutionnaire incompressible. »

@ Léo Lerouge : merci pour votre intervention qui me permet de constater que, malgré l’ambiguïté de certains passages faute de développement (les notes publiées en complément par l’équipe du site de La Pensée Libre en sont d’autant plus enrichissantes), on est globalement d’accord sur la façon d’interpréter cet article.

« Lors d’une rencontre, le 18 mars à Paris, elle déclare qu’elle ne comprend pas cette "obsession pour le voile, même de la part de féministes" en France, et même, que cet acharnement antivoile faisait du voile un outil de résistance pour certaines femmes voilées, ce qui les rendaient « plus féministes » que celles qui ont entrepris de les dévoiler. » : après ce qui s’est passé pour Mandela, je me demande combien de féministes et sexistes anti-voiles viendront, dans un futur que je souhaite lointain, rendre hommage aux obsèques d’Angela Davis pour s’offrir, en une journée, une bonne conscience...

@ Anonyme :
Oui nous sommes d’accord sur le fond. Je vous avoue qu’à la première lecture de votre commentaire je vous ai pris pour un troll-à-la-Gérard, intervenant juste pour le plaisir de contredire, tant j’étais loin d’imaginer qu’on pouvait prendre cet article en tant que message anti-féministe.

@ Dominique : une étude de l’œuvre de Nicole-Claude Mathieu (« Une maison sans fille est une mais on morte. La personne et le genre en sociétés matrilinéaires et/ou uxorilocales » 2007.) part Jules Falquet révèle, dans le dernier chapitre de ce texte : « Loin du viriarcat et du matriarcat : quand les filles sont une bénédiction », ceci :

Les ouvertures théoriques de cet ouvrage sont passionnantes et impossibles à résumer ici. Cependant, soulignons-en quatre. D’abord, sur les fondements de l’oppression. On s’accorde généralement à penser que les religions, notamment monothéistes, assoient le pouvoir des hommes sur les femmes. Or, d’une part, on trouve dans l’ouvrage des populations christianisées ou islamisées où le sort des femmes paraît fort enviable. D’autre part, on constate que religions et mythes peuvent tout à fait
constituer une importante source de pouvoir pour les femmes — lorsqu’elles s’en réservent le monopole. (à propos des mythes d’origine Kavalan) : Le groupe des hommes est privé de l’appropriation et de l’accumulation des richesses. De plus, ce n’est ni une unité de production, ni une unité de consommation. Ils ne chassent ni ne pêchent collectivement dans le cadre des classes d’âge. (p. 395)

01/01/2014 21:43 par quimporte

A Leo,

Merci de me remettre ne mémoire la position précise d’Angela Davis.

A Sheynat,

L’oppression des femmes est si profondément inscrite dans de nombreuses cultures qu’il nous est difficile de faire la part entre ce qui relève de la culture dominante et ce qui nous est propre, entre l’inné et l’acquis, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres. C’est la raison pour laquelle, par exemple le MLF(à la différence du MLAC) excluait les hommes : il était important que les femmes se retrouvent entre elles pour confronter leurs expériences et faire la part de ce qui relevait de leur commune oppression, car il était très difficile d’approfondir ce vécu en présence de ceux qui étaient fatalement, au moins dans un premier temps, mis en accusation et mieux préparés à se défendre, y compris verbalement.
En 68, par exemple il était pratiquement impossible à une femme de prendre la parole dans un amphithéatre : avant qu’elle ait ouvert la bouche, c’était le chahut, les cris, les sifflets. Elle pouvait tenter de passer outre, mais elle restait inaudible. Je crois me souvenir que ce fut l’une des raisons de la création du MLF.

De la même manière il me semble important que les femmes d’une même culture, surtout quand il s’agit d’une culture minoritaire ou dominée, se réunissent entre elles, dans un premier temps, pour analyser leur commune oppression et leurs communes aspirations, et définir de façon indépendante leurs axes de lutte.

Cela ne doit pas empêcher, une fois ces axes définis, la solidarité entre les femmes en lutte contre les violences qui leur sont faites, ou pour l’égalité des droits ; cette revendication-là est d’ailleurs commune à toutes celles et à tous ceux qui sont opprimés...

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