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Répression policière à Toulouse

L’Etat m’a tabassé, il a fait son travail

Au pays qui forgea l’Etat-nation à partir de la monarchie absolue, en le fondant sur l’esclavage et le génocide des femmes, à travers la colonisation, toutes les exploitations et une suite presque ininterrompue de guerres impérialistes. Dans une région qui fabrique des gaz et des poudres pour des polices et des armées engagées dans le monde entier contre les peuples qui gênent le règne du capitalisme.

Nuit du 22 juin 2013, Toulouse, France.

Avec quelques amis, nous tentons de calmer une bagarre à Arnaud Bernard, un des derniers quartiers populaires du centre ville. Pour accélérer sa transformation en quartier chic, les autorités y déploient la police en permanence. Des CRS en journée et la BAC la nuit. Ces bandes de virils franchouillards sont payées pour assurer un « nettoyage socio-ethnique » du quartier en pourrissant la vie des damnés de la terre qui y galèrent. Ils sont formés et payés pour maintenir le socio-apartheid. Pour cela, ils exécutent des démonstrations de guerre et mènent des chasses aux pauvres durant lesquelles ils jouissent ensemble de maltraiter leurs proies.

Une bande de types colériques et mal sapés, tout à fait dans leur style, surgit hors de la pénombre d’où ils devaient comploter. L’un de ces ratonneurs compulsifs attrape le plus « Nord-Africain » d’entre nous comme ils continuent à dire, et le colle dans un mur par la gorge. Nous comprenons qu’ils sont en fait de valeureux fonctionnaires de police en civil lorsque trois d’entre eux m’attrapent et m’écrasent au sol. Le premier me comprime la cage thoracique en m’enfonçant la colonne vertébrale avec son genou. Pendant ce temps un second me serre les menottes jusqu’à l’os. Tandis qu’un troisième me maintient les pieds. Je ne peux pas me débattre, je suffoque en suppliant qu’on me laisse respirer. Le catcheur-fou resserre alors l’étreinte, je suis au bord de m’évanouir. Une trentaine de personnes assistent à la scène, certaines demandent qu’on me laisse respirer et reçoivent des coups et des insultes.

Elles ont témoigné par écrit qu’à ce moment-là, juste avant mon arrestation, j’avais bien la tête et le corps d’un mec qu’on n’a pas encore tabassé dans le couloir principal d’un commissariat central. L’un de ces beaufs suant la testostérone et régulièrement humiliés par des enfants dans nos quartiers, se reprend pour l’inspecteur Harry et m’entraîne par la chaîne des menottes, passées dans le dos, sur plusieurs mètres jusque dans un véhicule de la Police Nationale.

Cette vénérable institution qui, trop humble pour s’en vanter, s’illustrait dans l’histoire de l’humanité en déportant systématiquement et sans broncher juifs et communistes avant de torturer et de faire industriellement disparaître tous les colonisés et les révolutionnaires qui gênaient l’Etat et le nationalisme français, il y a quelques dizaines d’années.

Menotté dans le dos et face contre terre, cette technique fait peser tout le poids du corps sur les poignets. J’ai hurlé et mon poignet gauche s’est cassé à ce moment-là. Un an plus tard, j’ai encore les marques des menottes autour des poignets et une grande cicatrice pas trop swag en travers.

On m’a ensuite enfoncé dans la voiture en me cognant la tête contre le bord de la carrosserie ; une convention dans le milieu. Un policier pas vraiment créatif m’a extrait de la même manière en tirant encore sur la chaîne des bracelets. Arrivés dans le couloir principal du commissariat central de l’Embouchure, l’une de ces « personnes dépositaires de l’autorité publique dans l’exercice ou du fait de ses fonctions » a placé sa main derrière ma nuque et a envoyé de toutes ses forces ma tête contre un mur. Puis un autre ou le même – je ne sais pas, on m’a toujours frappé par derrière et menotté – a écrasé ma tête avec sa main contre de lourdes portes battantes qui ne lui avaient rien fait non plus. Il a utilisé ma tête pour ouvrir des portes. Je l’écris en souriant car je sais que Dieu pardonne peut-être, mais pas le prolétariat.

Qui sème la hoggra, récolte l’intifada

La répétition de ces gestes et l’absence de réaction de tous les policiers présents dans le commissariat indiquent leur banalisation et leurs caractères habituels, normalisés dans cette enceinte dirigée alors par le commissaire divisionnaire Laurent Syndic. J’ai enfin été jeté à terre, en avant, menotté dans le dos, sur le carrelage de ce couloir de garde-à-vue où l’on m’a laissé jusqu’à l’aube étalé, toujours menotté et hurlant de douleur. Quelques-uns de ces justiciers errants m’ont aussi placé de petits coups de pieds mesquins dans les côtes, en passant. J’aurais pu être en train de mourir, aucun policier n’est jamais venu s’inquiéter de mon état, pas plus qu’ils n’ont protesté lorsque leurs collègues brutalisaient des briques avec mon crâne. Il sont tous responsables.

C’est bien la police qui m’a fait ça.

All Cops Are Brutal.

J’ai été largué à l’hôpital Purpan par des agents en uniforme à 6h du matin. J’avais la tête violette par endroits, la lèvre ouverte, une main explosée, une cheville défoncée, des bleus sur tout le corps. Ils sont partis vers 9h en m’indiquant que « la garde-à-vue » était levée.

J’étais rassuré. Vu qu’on avait omis de m’en parler, j’avais cru qu’une milice de nationalistes armés m’avait défoncé, enlevé, cogné dans des murs, laissé KO par terre puis refilé à une autre bande pour me déposer aux urgences. J’ai passé trois jours à l’hôpital, on m’a opéré le poignet (fracture et luxation). On y a posé une vis que je garderai toute ma vie et qui m’handicape. On a soigné les multiples ecchymoses et plaies sur toute la tête et les côtes. Les super-Dupont m’avaient aussi percé le tympan comme l’a relevé le médecin légiste qui m’a ausculté à la sortie de l’hôpital.

On m’a reconnu 60 jours d’ITT à l’hôpital, transformés en 3 jours « au sens pénal du terme » par la médecine « légale ».

Avec mes proches, nous avons d’abord hésité à porter plainte car nous savions trop bien que la Justice couvrirait la police puisqu’elle le fait toujours, même chaque fois que la police tue. Et la justice n’a pas besoin d’être corrompue. Elle applique normalement les lois faites par les dominants pour protéger les dominants. Il ne sert à rien de s’indigner face à la violence d’Etat. Il est tout à fait normal qu’un Etat opprime le peuple ainsi que celles et ceux qui lui résistent. C’est son boulot. Et c’est la lutte des classes. Nous pensons qu’il vaut mieux s’organiser collectivement pour arracher les racines de ce carnage. Mais le tribunal du maître est tout de même un champ de bataille.

Alors nous avons décidé de porter plainte en juillet 2013, pour tenter de fissurer un peu ce sentiment d’impunité des milices d’Etat au pays des droits de l’homme blanc et riche. Pour contre-attaquer, en accusant non pas quelques policiers mais l’Etat. Car la violence des shtars c’est bien lui qui la fabrique. Et c’est aux classes dominantes qu’elle profite.

Nous l’accusons de gérer un système d’exploitation, d’humiliation, de contrôle et d’oppression, de brutalisation, d’incarcération et de meurtre dans les quartiers et contre les classes populaires pour maintenir l’ordre capitaliste et la ségrégation socio-raciste. Car cette férocité est érigée en industrie rationalisée et quotidienne dans les cités de France comme dans tous les ghettos et les favelas du monde. L’Etat harcèle, brutalise et mutile aussi de plus en plus férocement celles et ceux qui prennent part aux luttes, aux mouvements sociaux et aux mouvements révolutionnaires.

Bien conscient de tout ça, le procureur Michel Valet a tabassé aussi notre plainte en février 2014, jugeant que ” l’examen de cette procédure ne justifie pas de poursuite pénale au motif que les plaintes ou les circonstances des faits dont vous vous êtes plaint n’ont pu être clairement établis par l’enquête. Les preuves ne sont donc pas suffisantes pour que l’affaire soit jugée par un tribunal“.

Malgré les pages de blessures fournies par le médecin légiste – assermenté par l’Etat lui-même – les photos, les récits des témoins, malgré le fait que la police ne nie pas m’avoir déposé elle-même à l’hôpital à l’aube, la Justice ne veut pas avoir à vérifier publiquement si des policiers font réellement à Toulouse ce dont nous les accusons. C’est que le proc la connaît la vérité lui, et comme eux, il sait que la férocité fait partie intégrante du boulot des condés. Ce n’est pas un enlèvement avec séquestration et actes de barbarie, c’est le travail de la police, parce que c’est fait par des policiers. L’institution judiciaire valide ainsi elle-même ce dont nous l’accusons : elle est chargée par l’Etat de couvrir la police et ses violences, elle n’a rien à voir avec aucune notion de justice, elle a pour fonction de maintenir l’ordre capitaliste-raciste-patriarcal en punissant les opprimé.es, en réprimant les révolté.e.s et en remplissant les prisons d’un nouveau genre d’esclaves.

Pour ne rien lâcher, nous portons maintenant plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction. C’est tout aussi systématique, lorsque la police brutalise quelqu’un, c’est elle qui s’empresse de porter plainte pour outrage, rébellion et parfois violences, ce qui permet de couvrir les agents et qu’ils s’octroient par la même occasion des vacances en jours d’ITT et parfois des primes à la sortie des tribunaux qui les cajolent. En plus du refus d’ouvrir une affaire concernant ma plainte, j’ai eu l’honneur de recevoir une convocation à comparaître pour “violence aggravée et outrage” à mon encontre, lors d’une quarantaine d’heures de garde-à-vue « cadeau », fin avril 2014, presque un an après les faits. La GAV, c’est l’abolition de l’espace et du temps, dans un cachot puant la merde, où il faut essayer de dormir sous un projecteur et une caméra, sur un lit en pierre avec une couverture dégueulasse, où l’on vous jette une mixture déjà vomie et des brimades régulières comme seuls contacts humains.

La police a failli me tuer en me tabassant, la justice a classé ma plainte sans même ouvrir de procédure et les deux m’accusent ensemble de « violences ». Selon un Brigadier de la BAC, qui a joué un rôle de premier plan dans cette affaire, je serais apparu, j’aurais crié “La BAC fils de pute, bande de facho, allez niquer vos mères, allez vous faire enculer” puis j’aurais sauté “les deux pieds en avant ” sur le brigadier de la BAC, je me serais ensuite relevé et l’aurais frappé au visage, tout ça sans motif et sans John Wu.

De mon côté, je tiens à affirmer que je ne traite jamais les mères, les putes et les homosexuels, c’est une vieille conviction. Toutes leurs dépositions sont pleines de contradictions. D’ailleurs le policier, prix spécial au festival du rire de Montréal, indique que son collègue s’est fait un lumbago et une hernie dans le dos en me passant les menottes.

Le troisième policier qui témoigne contre moi, m’aurait arrêté en « me posant la main sur l’épaule ». Ces trois-là doivent avoir une idée sur l’identité de ceux qui m’ont défoncé contre les portes et les murs du commissariat.

Mais c’est bien moi qui serais jugé en février 2015. Et nous disons que tout est dans l’ordre des choses. Le système a fonctionné normalement, nous ne voulons pas le réformer, ni le réparer, ni l’améliorer, nous disons qu’il faut en changer complètement et définitivement. Pendant que l’armée massacre à l’extérieur au profit des capitalistes, la police mène la guerre sociale à l’intérieur contre le peuple. Il existe une continuité de pouvoirs et de profits entre les guerres de la bourgeoisie française en Afghanistan, au Mali, ou en Centrafrique et celles qu’elle mène contre les classes dominées en métropole, dans le cadre de la restructuration urbaine notamment. Il n’y a pas de « bavures », l’Etat opprime et assassine les pauvres méthodiquement, et en particulier les non-Blancs. Il écrase de manière encore plus insidieuse et invisible les femmes pauvres et encore plus intensément les non-blanches. Il n’est pas une solution mais une partie du problème.

Nous disons que cette pyramide où les riches et les puissants sont assis sur le peuple en chaînes et lui font élire ses maîtres parmi des bourreaux, devrait être remplacée par quelque chose d’autre. Il est possible d’abolir tous types de relations sociales basées sur la hiérarchie. On peut imaginer des formes de communes libres, autonomes et solidaires où les peuples s’auto-organisent horizontalement, c’est-à-dire sans chefs et sans rapports de domination, où ils partagent ensemble les activités créatrices, les richesses et les décisions sur leurs propres vies, où chacun.e peut s’émanciper dans l’entraide, la liberté et l’égalité réelles et concrètes. On peut imaginer des assemblées de maison, de quartier et de communes associées où toutes celles et ceux qui sont concerné.e.s s’organisent et coopèrent ensemble. Il n’est pas difficile de faire mieux que le désastre actuel mais pour cela il faut rompre collectivement les structures qui le produisent.

Mathieu Rigouste (docteur en sciences sociales).

Original et suite de l’article

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Cité par Serge Halimi, dans le Monde Diplomatique de février 2005, page 2

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