Il est lumineux le geste de Bagdad, ce lancer de ses chaussures par le journaliste Muntazer al Zaidi contre Bush en pleine conférence de presse avec le premier ministre irakien Al Maliki. Deux coups de soulier qui donnent un rôle neuf au journalisme et qui, même avec une trajectoire et une impulsion précises, ont été malheureusement esquivés par le pathétique intéressé. Tout le Moyen-Orient (1) demande la liberté pour le journaliste, qui a immédiatement été arrêté et risque sept années de prison. Nous savons maintenant qu’apparaît sur la scène mondiale un nouveau sport de pauvres, après la récente victoire de l’Afghanistan au mondial du « foot de rue » : le lancer de chaussures contre le tyran. Une agone à homologuer aux prochaines Olympiades. Et à pratiquer, peut-être aussi chez nous.
Mais revenons à l’infortuné Irak, où le président américain (étasunien), pour peu de temps encore, a rappelé que « la guerre n’est pas finie » : le geste athlétique de rage et de protestation exprime des contenus qui vont bien au-delà de la représentation théâtrale. Les journaux étasuniens parlent de « tragédie qui se termine en farce » ; d’aucuns félicitent même Bush de son esquive, d’autres rappellent les coups de chaussures sur les bancs de l’ONU du leader soviétique Kroutchev. Cette fois, ce qui est à l’ordre du jour est justement le rôle direct de la Maison Blanche dans la dévastation provoquée en Irak par le choix de la guerre à tout prix de Georges W. Bush. Le lancer de chaussures, en même temps qu’il conclut dignement, et par une marque indélébile, la présidence Bush, ouvre avec son mépris impuissant et tardif, le chapitre des responsabilités du président sortant, non seulement de ses responsabilités historiques mais aussi pénales et criminelles.
On a trop peu réfléchi sur les admissions de Bush à propos de la guerre en Irak. « Je me suis trompé… », « Mistake » a-t-il déclaré, mais en confirmant la « nécessité de la guerre » (sic) même face à l’inexistence des armes de destruction massive. Une fois de plus en déchargeant les fautes sur les « informations erronées » des services de renseignement. Alors que tout le monde se souvient bien que la CIA de Georges Tenet niait la présence d’armes de destruction de masse, et que c’est seulement après la mise en scène à l’ONU de Colin Powell qu’elle les « confirma ». Si bien que, face à un conflit en Iran, c’est cette fois la CIA qui freine des quatre fers en rappelant que non, Téhéran est bien loin d’avoir l’arme atomique.
L’affirmation d’ « erreur » veut effacer l’horreur de l"occupation militaire. Qui a provoqué : 75.000 morts selon « Body Count »(2), le site international qui compte les victimes irakiennes (le lecteur appréciera l’indépendance annoncée par cette association à l’ampleur de la différence de chiffres, même avec le ministère de la santé irakien…NdT) ; pour le ministère de la Santé de Bagdad, 150.000 morts, et, selon la revue scientifique The Lancet au moins 650.000 victimes (en septembre 2006, au colloque de l’Adif sur « L’impunité des Etats Puissants : le cas des USA », un rédacteur de Lancet annonçait un chiffre encore plus élevé, proche du million de victimes civiles irakiennes, NdT). Ce n’est que vendredi dernier qu’un rapport du Sénat étasunien a accusé Georges Bush et Donald Rumsfeld de système de torture pratiqué à Abu Ghraib (2) et avant même, en Afghanistan et à Guantanamo. Dimanche a explosé le scandale des comptes gonflés par le Pentagone. Le fait est que la portée de la crise économique internationale change le décor. Mais la question du droit international réapparaît dans toutes les zones d’ombre. Parce qu’il n’est pas exclus que la profondeur justement de cette crise économique ne rende pas plus aigu le scénario mondial des conflits, du moins sur le contrôle des sources énergétiques décisives. Le poids des choix de guerre et des bilans de la défense après le 11 septembre sont un héritage très lourd pour le nouvel élu Obama. Qui a cependant promis la fermeture de Guantanamo et de ses infamies illégales. Revient ainsi sur le devant de la scène le noeud jamais résolu de la non reconnaissance de la part des Etats-Unis du Tribunal pour les crimes de guerre, de l’ONU, qui demande de juger aussi les militaires étasuniens coupables de massacres contre des civils.
Voilà donc que, soit sur le plan international soit par peur d’un règlement de comptes intérieur sur les méfaits de guerre, la soi disant admission d’ « erreur » de Bush veut justement éluder ces questions : Bush est-il un criminel de guerre ? Y en a-t-il assez pour qu’une cour de justice internationale le mette sous accusation pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide ? Oui, Bush est un criminel de guerre. Il l’est aussi pour de nombreux juges et juristes internationaux, étant donnée l’ampleur des tueries. Mais tout concourt à définir une sorte d’impénétrable immunité : aucune cour de justice ne se hasardera jamais à une telle inculpation. Une immunité effrayante. Si, comme il est certain, elle était confirmée, qui empêchera de nouveaux massacres de masse faits au nom des dernières armes de destruction de masse « trouvées » ou de la nouvelle guerre « humanitaire » ? En un mot, de la terreur de la guerre justifiée pour arrêter le terrorisme ? Il est temps : à nos chaussures.
Editorial de mardi 16 décembre 2008 de il manifesto
http://abbonati.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/16-Dicembre-2008/art2.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
1) Proche-Orient pour nous, il n’est Moyen que si on le regarde depuis les Etats-Unis d’Amérique, NdT
2) Voir à ce propos le rapport du sénateur Levin :
http://levin.senate.gov/newsroom/release.cfm?id=305734
et l’article de Bye bye Uncle Sam : Sports aquatiques made in USA
http://byebyeunclesam.wordpress.com/