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Au deuxième temps de la valse…

Nos gouvernants – qui, tous comptes faits, gouvernent bien peu – aiment donc les entreprises. Leur aveuglant amour leur fait du coup oublier de se poser la bonne question : les entreprises aiment-elles les hommes et les femmes qui travaillent en leur sein ?

Depuis trente ans les gouvernements se suivent et se ressemblent. Ils se ressemblent mais chacun, tantôt par petites touches, tantôt par saccades, amplifie la marque de la trajectoire lancée à l’orée de l’ère néolibérale. A la fin du mois d’août dernier Valls 2 a succédé à Valls 1 qui n’a pas tenu deux saisons au calendrier grégorien. Valls 3 lui succèdera peut-être pour faire bonne mesure dans l’adaptation funeste de la Gauche française de gouvernement à l’air du temps. Si d’ordinaire la musique adoucit les mœurs, la partition jouée par Manuel Valls est destinée à les bousculer si ce n’est les mettre à la renverse. C’est l’air du mépris pour ce à quoi l’on a sincèrement cru hier, ce pour quoi l’on a vibré vraiment, ce que nos aïeux avaient arraché de haute lutte à « la loi d’airain du capitalisme ». Le Premier Ministre déclare que le socialisme est une idée du 19ème siècle qui a réussi à survivre au cours du 20ème siècle mais va disparaitre au 21ème siècle. Il a prononcé cette sentence péremptoire avant d’être intronisé à Matignon. La valse ne faisait là que commencer. La suite ne saurait donc nous étonner.

L’adaptation inavouée de la Gauche aux lois du capitalisme néolibéral ne date pas d’hier. On en fixe communément l’origine au tournant de la rigueur « négocié » en 1983 par Laurent Fabius. Certes le jeu de l’alternance politique a permis des pauses, voire de timides reprises en main à l’instar des trente-cinq heures, mais la trajectoire fatale des renoncements est durablement inscrite dans l’Histoire contemporaine. Il faut rendre justice à Manuel Valls : son discours est en accord avec sa pensée et les réformes qu’il entend mener. Avec lui, l’hypocrisie n’est pas de mise. Il « aime l’entreprise » et pas seulement devant le Medef. Il oublie que celle-ci, avant d’être une machine à investir , est une association d’hommes et de femmes au travail. Il prend tous les chômeurs inscrits à « Pôle emploi » pour des fainéants en puissance qu’il serait bon de contrôler sévèrement. Puisque les principaux dogmes du néolibéralisme sont d’ordre financier il nomme à Bercy un ancien jeune banquier d’affaires. Il va poursuivre – et sans doute intensifier – la traque des rigidités « économiques et sociales qui entravent « la bonne marche des marchés » et des affaires, à commencer par celles qui pèsent sur le marché de l’emploi et sur le monde du travail. Ses oreilles sont particulièrement attentives aux propositions innovantes du patronat qui le plus souvent ne sont rien d’autres que la suppression de ce que l’on avait autrefois nommé conquêtes sociales. Il en va ainsi de la remise en cause des « seuils sociaux ». Le Medef jubile et aurait bien tort de ne pas surenchérir. Puisque désormais on rase gratis, réclamons la généralisation de l’ouverture des commerces le soir et le dimanche, la création d’un salaire inférieur au SMIC, la fin des « trente-cinq heures » , etc. Tout ceci fait déjà peine à voir mais nous ne sommes pourtant pas au bout de nos peines !

Au deuxième temps de la valse on pousse la sincérité jusqu’à appeler un chat un chat et à ne plus prendre de gants. Ainsi, face aux ouvrières de quelque entreprise agro-alimentaire bretonne qui sont allées peu à l’école. Au lieu de les en plaindre – ou à tout le moins de les comprendre - comme le faisait autrefois l’homme de gauche, il est aujourd’hui grand temps de se rendre à l’évidence : à l’heure de « l’efficience optimale » de la production ces femmes sont inemployables. Le jeune banquier de Bercy aurait pu se contenter de dire cela, après tout d’autres ministres de gauche se sont servis de ce vocable gestionnaire avant lui, toute honte vue. Mais, il lui fallut ajouter de surcroît son mépris, par médias de « masse » interposés, en proclamant que certaines de ces femmes sont illettrées. Elles le sont, en effet. Et, bien sûr, elles le savent. Doivent-elles l’entendre dire par un ministre de la République à la France entière. Le mépris fut à son comble lorsque nombre de journaux prirent la défense du ministre indélicat qui selon eux n’avait rien fait d’autres que d’affirmer une triste réalité. Au travers de ces ouvrières de Bretagne ce sont évidemment des pans entiers de la population active française que l’on incrimine. Tous ces inadaptés font prendre du retard au pays, empêchent son alignement nécessaire aux règles de la « mondialisation heureuse ». Ils vont devoir rapidement faire les efforts souhaités pour se mettre au bon niveau. Ou sinon… Des discours de père fouettard, voilà à quoi l’on est réduit quand la plupart des principes moraux de la gauche ont été lâchement mis à bas. Affligeante décrépitude !

Nos gouvernants – qui, tous comptes faits, gouvernent bien peu – aiment donc les entreprises. Leur aveuglant amour leur fait du coup oublier de se poser la bonne question : les entreprises aiment-elles les hommes et les femmes qui travaillent en leur sein ? L’abattoir Gad de Lampaul-Guimiliau a fermé ses portes l’an dernier. A ce jour, seulement 10% de ses anciens salariés ont retrouvé un emploi. L’effectif ne comprenait que 40% de femmes et les « illettrés » des deux sexes y étaient en fait peu nombreux. Tous souhaitent travailler pour peu qu’un emploi leur soit offert. Nous constatons là que M. Macron n’est pas seulement méprisant à leur égard : il est pitoyablement ignorant des réalités économiques et sociales de notre pays. A ce niveau-là il est permis de plaider l’incompétence. Ses excuses formulées a posteriori n’y changent rien. Un fossé s’est lentement creusé entre la classe politique supérieure et l’humaine substance de la société civile au point d’être devenu infranchissable. Ne transformons pas le fossé en gouffre engloutissant les derniers vestiges de l’idéal socialiste honni. Sur leurs cendres naitrait une société à la face vraiment hideuse.

Yann Fiévet

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