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Au loup ! Au loup !

Jusque dans certains milieux écolo-libertaires se véhiculent de drôles d’idées noires. Voilà qu’on y crie « au loup » ! Qu’on y fait la propagande de films apparemment documentés, mais à l’argumentaire plus que biaisé, pour exiger la « régulation » des loups en insistant sur les images des carnages et sur la fin de l’agriculture paysanne. Pourtant cette intimidation cinématographique, qui a valeur d’une thèse à charge contre la vie sauvage, ne peut guère faire croire que l’élevage serait en péril en France à moins d’une très grosse manipulation.

Pour 24.7% de « parcs naturels », il n’existe sur le territoire français que 2% de zones en réserve pour le maintien de la faune sauvage quand l’espace naturel et nos montagnes sont de plus en plus avalés par les aéroports, par des barrages, par l’intensification des cultures, par le tourisme et par la croissance urbaine. Il est probable pourtant que cette invasion continuelle des espaces soit de plus en plus incompatible avec la présence de la faune sauvage. Alors, la solution serait, sinon de détruire tous ces animaux qui gênent, au moins de les écarter ailleurs, plus loin encore, de réduire leur prétendue « prolifération » ?

Mais que viennent faire tous ces moutons seuls et sans défenses dans nos montagnes et sur nos causses ? Pourquoi ces territoires fragiles sont-ils entre les mains de propriétaires terriens qui admettent un pâturage aussi brutal ? D’autant que la plus grande part de la production ovine reste largement industrielle ou quasi industrielle et dépendante des subventions bien qu’elle se présente comme extensive. Il y a environ 7 millions de moutons en France (seulement 38000 en bio soit 0.5%) dont 2 millions pour la production laitière, mais tout cela finit toujours à l’abattoir où un agneau se vend 6 € la tête. Car ce qui menace la filière, c’est le modèle économique lui-même. A peu près 14 tonnes sont exportées sur un total de 65 tonnes soit quasiment 1 agneau produit pour l’étranger sur 5. Dans les élevages, 60% de la mortalité des agneaux survient pendant les 3 premiers jours. Et à l’âge adulte, les conditions atroces du transport des brebis domestiques à des densités réglementaires de 5 moutons par m² (!) durant jusqu’à 19h (mais le voyage peut durer 2 semaines) entraînent à elles seules la mort de milliers d’animaux. Enfin, moins de 1800 élevages ont admis les mesures de protection contre le loup. Or, d’après les chiffres maximum, les loups emportent à peine 0.08% du cheptel un peu avant l’abattoir. Quelle place reste-t-il pour la faune sauvage ? Les lions, les tigres, les panthères et les ours attaquent bien davantage ailleurs, prélevant aussi régulièrement des animaux domestiques. Il existe, même au Canada, des accidents avec les humains. Et j’en suis désolé, du point de vue de la détresse humaine, un paysan espagnol, un ouvrier agricole indien, ou un éleveur tanzanien valent bien autant qu’un producteur d’ovins français.

Les détracteurs du loup répètent toujours la même chose, il faut « réguler ». Mais les éleveurs ont déjà droit à effectuer des tirs de défense pour tuer ou effaroucher les loups qui approchent les herbages. Ils ne s’en privent pas. Il s’ajoute désormais nombre de battues, menées tambour battant. L’élimination exceptionnelle d’individus agressant un troupeau peut se comprendre, mais l’élimination indifférenciée ne s’avère jamais une solution durable. A combien de loups tués s’arrêteront ils ? Car ici, le mot « régulation » n’est qu’une autre forme du mot « élimination ». On tue tout ce qui est vu. On a déjà « régulé » c’est-à-dire tué 33 loups en France (15 femelles et 18 mâles au 30 novembre 2014), soit 11% de la population des 300 loups français (il y a 3000 loups en Espagne), dont des femelles gestantes ou allaitantes. Les chasseurs « régulent » c’est-à-dire massacrent tous les ans 200 000 putois, 150 000 martes, 300 000 belettes et nombre de renards, de blaireaux, de fouines et de visons pour « protéger » leur gibier. Et pourtant, le petit putois de nos campagnes est juste accusé de manger des grenouilles, des lapins et... des rats !

A-t-on été si mauvais dans l’enseignement que l’écologie n’est plus vécue que comme une économie du monde ? Quand et à combien d’animaux tués cesseront ils de dire qu’il y a trop de renards, de loups, de blaireaux ? Cette prétendue « régulation » est une incongruité écologique. Les prédateurs ne prolifèrent jamais. Plus même, chez des animaux vivant en communautés sociales, le groupe familial constitue la clé de la survie. Tuer des loups au hasard entraîne juste l’éclatement des groupes. Le territoire atteint environ 200 km². Les survivants inexpérimentés qui n’ont rien pu apprendre risquent alors de mener une vie plus ou moins erratique et, s’en prenant aux proies les plus faciles, ils peuvent au contraire aggraver le problème des attaques contre les moutons. La proie « naturelle » du loup reste le chevreuil, et le prédateur a besoin d’environ 3 à 5 kg de viande par semaine, soit en moyenne 1 à 2 chevreuils par mois, moins de 2% de ce que l’activité cynégétique tue. Car les chasseurs tuent 500 000 cervidés en France par an et entre 1985 et 2000, le nombre de chevreuils abattus a été multiplié par 4. On le constate, les chiffres n’ont rien de comparable.

Il n’y a pas à être pour ou contre le loup, mais juste à apprendre à vivre avec les animaux sauvages qui nous accompagnent durant notre passage sur cette planète. Vivre avec les animaux comme les agriculteurs biologiques apprennent à cultiver en tolérant les plantes sauvages. Cela n’est pas facile, mais la nature n’est pas la seule affaire des petits propriétaires qui industrialisent nos vies. Notre monde est comme un château de cartes et la biodiversité est nécessaire à notre survie, comme les abeilles et les syrphes pollinisent des millions de plantes à fleurs, depuis nos courgettes à nos assiettes, comme les vers de terre labourent et digèrent des millions de tonnes de déchets et comme les oiseaux, les blaireaux et les fouines dispersent des milliards de graines. On ne sait pas bien à partir de quelles altérations les écosystèmes perdent leur intégrité fonctionnelle mais ôter une carte, puis une autre, encore une autre et c’est l’ensemble de notre monde qui s’écroulera... On a pourtant vu défiler à Paris des cortèges de tracteurs demandant à continuer à user des pesticides encore, et encore.

Au lieu de précariser les ouvriers agricoles, d’exploiter les pauvres et de détruire les milieux naturels, il faut réinventer une agriculture humaine avec des bergers, de vraies communautés et où la survie des uns ne dépendra pas du prix de vente d’animaux regardés comme marchandises, ni de la destruction des autres espèces. Ce n’est pas le loup qui menace l’agriculture paysanne, c’est l’industrialisation de nos vies !

Doit-on considérer la nature comme un espace mercantile dévolu à toujours plus d’échanges marchands ? Doit-on exploiter toutes les « ressources », braconner tous les rhinocéros ? Détruire tous les tigres ? Massacrer tous les putois ? Eliminer tous ces animaux dont on affirme qu’ils dérangent afin de garder seulement des espèces condamnées à perpétuité à être contemplées dans des « réserves » où seuls Mickey et Goofy seraient bien gentiment derrière des grilles ? Partout l’érosion de la biodiversité s’aggrave et la détérioration des milieux s’empire, et, cependant, jamais autant d’éléphants, de tigres, d’hermines et de rhinocéros n’ont été braconnés.

Alors, qui orchestre cette nouvelle fable du loup et de l’agneau ? Je me refuse à vivre dans un monde dépeuplé d’animaux sauvages où la seule réalité serait l’économie de nos vies assujetties aux marchandises. Ce que veulent ces gens-là, c’est une nature vide, bien propre, sans dangers ni animaux sauvages, dépeuplée de tout ce qui en fait l’écologie vitale. Apparemment, les hérauts de« chasse pêche nature et tradition » et autres réactionnaires semblent encore posséder bien de la marge. Ne nous trompons pas d’ennemis. Nous ne voulons pas de ce monde-là, vide des êtres vivants et seulement rempli de leur police, de leurs producteurs et de leurs marchands. Oui, la nature n’est pas un monde de petits pandas gentils, la vie sauvage peut être inquiétante, vivre c’est prendre des risques.

Mais le vrai danger en France, ce n’est pas la survie d’à peine 300 loups sauvages, c’est la gigantesque propagande idéologique de 3 millions de fachos dans l’hexagone.

Thierry Lodé
« Manifeste pour une écologie évolutive » Eds O Jacob, Nov. 2014.

 http://bellaciao.org/fr/spip.php?article143827
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COMMENTAIRES  

07/12/2014 22:24 par gérard

je ne peux que confirmer que le phénomène décrit dans cet article Ô combien salutaire, est totalement affolant. Cela tient au fait que le rural, déconnecté de la nature sur son tracteur de 90cv et plus, ne prend plus corps avec son environnement, il n’en a plus le temps ; et le néo-pseudo rural en est toujours à traiter la couleuvre comme un animal nuisible. Quant au renard, si par malheur il lui vient l’inconscience de visiter un poulailler, son forfait est immédiatement répercuté à mille lieues à la ronde. Prendre des précautions pour calfeutrer son poulailler, ce n’est pourtant pas bien sorcier. Les chiens errants sont de bien pires destructeurs. Mais les renards ont l’exécrable réputation de faire le vide dans les faisans d’élevage lâchés (très) peu de temps avant la chasse. Sacrilège ! Ce sont des bestioles d’élevage industriel, tellement sauvages que j’en ai attrapé une à la main, ou que certains matins je suis obligé d’arrêter ma voiture sur le chemin pour les laisser passer. En plus elles sont sans aucun intérêt culinaire, style poulet en batterie.
Alors des battues au renards sont enclenchées.
Ce ne sont que de petits exemples, car ce sont en définitive les pesticides de l’agriculture industrielle qui font le plus de dégâts.
Voir ce formidable documentaire : "comment les loups changent les rivières" :
https://www.youtube.com/watch?v=rWOb8qKGbOU
Cela se passe au Canada si je me souviens bien, mais il doit bien y avoir le même phénomène ici.

08/12/2014 09:02 par Fiona

Très bel article, intéressante analyse que l’on retrouve aussi dans le nouveau livre de Thierry Lodé ! Tout est une question de regard que l’on pose sur l’autre, différent de nous, et, bien sûr, sur toutes ces espèces qui partagent avec nous cette fabuleuse planète, unique, pendant notre bref passage ... Quel est le degré de tolérance que l’on a par rapport à la faune sauvage ? Comment apprendre à vivre avec des espèces comme les loups qui ne sont pas toujours les bienvenus ? La situation n’est pas simple et nécessite de prendre en compte différentes approches et cet article présente l’intérêt de nous interpeller sous un angle nouveau...

08/12/2014 10:09 par Rouge

Un bon texte, bien documenté qui montre que le loup a toute sa place en France. Oui, le loup est un prétexte, comme un autre pour vider la nature et nombre d’élus sont complices, bien que plus de 80% des gens sont pour la survie des loups en France. Oui, il faut arrêter de dire n’importe quoi sur les brebis dont plus de 20% meurent durant leur élevage et comme le souligne Lodé seulement entre 0.06% et 0.08% à cause du loup ! Il existe de bonnes mesures d’effarouchement d’ailleurs comme la "ligne fladry" qui sont bien plus efficace que le tir (pardon, l’extermination) pour protéger les brebis...
Un texte à diffuser bien que je doute que les anti loups sachent le lire....

15/12/2014 03:10 par Marc ARAKIOUZO

Le même texte a été publié sur BELLACIAO (FR)... Il a abouti à 37 commentaires...
Après lecture et vérification : je suis partisan de capturer tous les loups du MERCANTOUR + ARDECHE + SISTERON et de les installer aux frais des contribuables dans les bois de BOULOGNE et VINCENNES...
J’ai appris que les loups avaient exterminé les MOUFLONS... DONC les brebis ne se font plus niquer par les mouflons et la viande d’agneaux du MERCANTOUR-SISTERON-HAUTE ARDECHE va devenir aussi dégueulasse que celle des agneaux néozélandais + les très gentils chiens de berger du MERCANTOUR ont dû être remplacés par des gros cons dissuasifs qui, s’ils retournent à l’état sauvage (inévitable !) vont s’attaquer aux troupeaux...etc...etc...

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