@ Jean Cendant
Je me vois mal prôner la fraternité comme but : liberté, égalité, fraternité sont des principes d’inspiration valides que la république a dévoyés, en les spoliant de leur dimension universelle pour en faire des qualités à géométrie variable. Pour la politique et l’économie c’est pareil : si l’organisation collective poursuit l’objectif de prospérité générale en donnant voix à chacune et chacun pour se déterminer, ça me va. En l’état actuel du monde, il me paraît paradoxalement dangereux d’afficher comme vous le faîtes que le but des transformation politiques puisse se résumer à établir un idéal fraternel. Ceci d’une part parce que dans son ressort, au plan psychologique, cela revient à vouloir imposer aux personnes l’inclinaison de leurs sentiments, avec tout ce que ça peut impliquer de "ré-éducation"...Et surtout, cela me parait bâti sur une conception mécaniste de l’être humain, alors que précisément son respect passe nécessairement par la considération pour le caractère déterminant mais non-contrôlé du goût et des affinités. Je dirais donc ok pour rebâtir une société juste en se basant sur les principes d’une égalité et de libertés rationnelles, en rompant avec la société de la tromperie et du mensonge (celle des fausses égalités, du faux progrès et de l’intérêt privé captieux), mais en gardant bien en vue que la précieuse des libertés soit celle de nos inclinations ; autrement dit le politique se doit de limiter son action et sa portée aux termes rationnels de la vie collective ; il n’a pas a spécifier de but idéaliste à l’existence de chacune ou chacun, sauf de verser dans des sectarismes pratiques pour opposer entre eux les peuples. Aspirons déjà à un contrat social juste et sincère, sans y mettre en cause ni la conscience ni encore moins les sentiments et les visions transcendantes de l’existence des individus.
Le propre de la mise en scène actuelle des prétendus chocs civilisationnels ou religieux, c’est précisément de nous faire oublier que la gouvernance dont nous dépendons soit d’autant plus vicieuse qu’elle soit bâtie sur des illusions mensongères qui, ramenées à leur rationalité factuelle, n’aient à nous proposer que le suicide collectif pour avenir. Nous gagnerons donc à nous attacher à cette rationalité, à la démonter pour ce qu’elle est, en en décrivant les mécanismes, en proposant des solutions pratiques pour les déconstruire. Ce dont nous avons besoin n’est pas d’utopie ni de rêve, mais au contraire d’établir un programme de transformations radicales concrètes, argumentées, accessible et compréhensible, à la fois quant à l’horizon de ses motifs qu’à celui de ses buts.
À l’approche du centenaire de 1917, nous devons avoir bien en vue que l’échec du collectivisme du XXe siècle tienne pour bonne part au fait qu’il ait eu l’ambition de transformer l’être humain au lieu de se contenter d’une approche pragmatique à construire une société de prospérité générale. C’est de l’héritage du positivisme, désormais devenu la religion scientiste qui inspire nos actuels dirigeants, et qui ni l’un ni l’autre ne se rapportent à la raison pure, qu’il faille nous méfier. C’est le progressisme vrai, dans sa capacité à d’abord freiner les cycles de guerre et de compétition, puis à ré-orienter l’activité humaine vers le recours à des instrumentations donnant priorité à la satisfaction partout des besoins vivriers humains d’aujourd’hui et de demain. L’ampleur de la tâche suffit à définir un "grand chantier" comme il n’en a jamais été engagé à aucune ère de l’existence humaine. Il est là le but pour l’instant, à partir duquel à ce moment là, oui, nous pouvons discuter de juste répartition des tâches, de modalités et d’universalité d’accès aux biens, aux richesses, au confort et aux ressources, des nécessités de l’instruction, des garanties nécessaires à chacune et chacun d’accès aux soins, des plus pointues et pertinentes méthodes de choix de décisions collectives politiques, juridiques et techniques, de l’importance à cultiver prioritairement la créativité chez l’enfant, etc.