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De L’Etat à l’Autogestion ? Idées choisies chez Henri Lefebvre.

«  La Somme et le Reste », revue d’Etudes Lefebvriennes, publie dans son numéro 19, de mars 2011, de larges extraits de la thèse de doctorat en philosophie soutenue le 20 décembre dernier par Sylvain Sangla, docteur en philosophie .

Le tout est précédé d’une courte présentation de Armand Ajzenberg, animateur de la revue, sous le titre : «  Henri Lefebvre, le retour », qui met en évidence différentes initiatives, séminaires, publications, colloques qui justifient largement le titre.

Sylvain Sangla, pour sa part, intitule sa thèse : «  Politique et Espace chez Henri Lefebvre », et c’est dans les extraits de cet ouvrage que j’ai «  pioché » ces idées choisies relatives aux deux thèmes annoncés.

UN LEFEBVRE MECONNU

Pour Sylvain Sangla, Lefebvre reste profondément inconnu ou en tout cas méconnu.

Trop marxiste pour les uns, dit-il, Lefebvre ne le fut pas assez pour d’autres. Mis à part une brève période de l’immédiat après guerre (1945-48), il dut lutter contre l’orthodoxie dogmatique marxiste. Sans jamais renier le marxisme, il refuse toujours «  la bêtise au front de boeuf » de tout dogmatisme.

UN MARXISME «  CHAUD », «  DIONYSIAQUE ».

Selon Sylvain Sangla qui reprend là des expressions de Labica, le marxisme de Lefebvre est un marxisme «  chaud », «  dionysiaque ». Cela veut dire, précise-t-il, que, d’une part, il n’hésite pas à critiquer certains points de la théorie marxiste quand les développements du monde moderne rendent nécessaire une actualisation des idées ou des méthodes, ou quand l’inachèvement des travaux de Marx oblige à inventer du nouveau à partir des principes marxistes.

D’autre part, cela signifie que Lefebvre associe toujours révolution et subversion, n’hésitant pas à reprendre certains éléments nietzschéens, ce qui le conduit à faire une critique radicale de la version économiste, étatique et autoritaire du marxisme.
Je dois préciser là qu’il n’est pas question de Marx lui-même, lequel a été largement «  travesti » par nombre de ses principaux «  successeurs ».

UN OUTIL D’ANALYSE DE NOTRE PRESENT

Pour Sylvain Sangla, l’oeuvre de Lefebvre n’est pas seulement intéressante au titre de moment de l’histoire des idées, mais aussi et surtout comme outil d’analyse et de compréhension de notre présent. «  Nous le vérifierons à propos de l’urbain », précise-t-il. Notre but ne sera pas uniquement de dresser l’état des lieux de la pensée lefebvrienne de la ville, mais également de voir la validité et l’intérêt de ses écrits par rapport à la situation actuelle. »

LES CINQ MOMENTS DE L’OEUVRE

Sylvain Sangla met en évidence cinq moments dans cette oeuvre.

Entre 1924 et1936, le premier moment de la formation, d’un certain mysticisme, des études sur la philosophie allemande, notamment Schelling et Hegel.

Puis celui d’une première maturité avec les débuts de la critique de la vie quotidienne, la découverte du marxisme, les monographies d’histoire de la philosophie et de la littérature, entre 1937 et 1956.

Le troisième moment, celui de la pleine maturité, avec la rupture avec le dogmatisme marxiste de 1957 à 1965.

«  DE L’ETAT », UN OUVRAGE MONUMENTAL

Le quatrième moment se situe entre 1966 et 1979 et correspond aux études sur l’urbain, la ville et l’espace, à la lutte contre le structuralisme, à l’analyse de mai 1968, puis à celle de l’Etat menant à l’ouvrage monumental «  De l’Etat » en quatre volumes.

Ce livre, dit Sylvain Sangla, est la charnière qui ouvre sur la cinquième période, celle du dernier Lefebvre, de 1980 à sa mort en 1991, caractérisée par un retour à la philosophie et à la réflexion sur l’art et la poésie, par l’analyse de la question du temps et de la rythmanalyse, par le projet de nouvelle citoyenneté, avec les fondations de la revue «  M » et du groupe de Navarrenx. (1)

«  Le relatif regain actuel des études lefebvriennes passe en grande partie par la thématique urbaine et donc avec la perte de cohérence par rapport à l’ensemble de l’oeuvre », dit Sylvain Sangla.

POURQUOI «  ESPACE ET POLITIQUE » ?

«  Pourquoi dans notre titre parler d’espace et de politique ? On pourrait croire, dit-il, dans un premier temps, que les deux domaines étaient distincts, voire distants, et qu’il était possible de faire une monographie centrée sur l’espace, la ville et l’urbain...Mais, d’une part, Lefebvre ne dissocie jamais les deux éléments (Droit à la ville et Espace et Politique) et, d’autre part, il réinvestit les acquis de ses travaux sur l’urbain dans ceux sur l’Etat, la politique, la vie quotidienne, le temps...

Aussi, paradoxalement, pour bien comprendre ses théories sur l’espace, il ne faut pas se limiter à leur compréhension interne mais voir aussi en quoi et comment elles s’articulent à la critique de l’Etat et de la politique. Ses travaux ne s’arrêtent donc pas à «  La production de l’espace » mais débouchent sur une autre somme, «  De l’Etat. »

DU QUOTIDIEN AU MARCHE ET A L’ETAT

«  De l’Etat » synthétise une grande partie des livres et des concepts lefebvriens. Un de ses points de départ est l’analyse de la vie quotidienne, ce qui lui semble en être le coeur : la quotidienneté en prise avec les puissances du marché capitaliste et de l’Etat..

Il développe ainsi une constellation de concepts : aliénation, mystification, différence, urbain, centralité, mondial, rythmes, nouvelle citoyenneté, utopie, autogestion...

Ces concepts rentrent dans des rapports déterminés dont l’une des clés d’articulation est l’autogestion. En effet, dit Sylvain Sangla, Lefebvre prenant très tôt conscience de l’aliénation multiforme de l’homme, il n’aura de cesse que de chercher des moyens de libérer l’humanité de cette aliénation fondamentale.

ET A L’AUTOGESTION

«  La révolution de la quotidienneté, dit-il, qui est le critère même de toute révolution, sera le but à atteindre grâce à l’autogestion généralisée, étendue à tous les aspects de la vie quotidienne... »

«  Ce projet autogestionnaire est tout d’abord présent en creux, par la négative, puisqu’il s’agit de mettre fin à l’aliénation en tant que perte du sens et de la pratique de la communauté, que dissociation des activités humaines devenant des abstractions («  la politique », «  la culture », «  l’économie », etc...).

«  Cette aliénation produit une atomisation de la société en individus isolés, véritable individualisme de pauvres individualités.

«  Lefebvre retrouve le projet communiste de Baboeuf, Saint-Simon et Fourier ce qui fait dire qu’il fait une lecture anarchisante de Marx. »

UNE LECTURE ANARCHISANTE DE MARX

«  Ce jugement nous semble vrai, ajoute Sangla, nous le confirmerons à propos des théories de l’Etat, Lefebvre ajoutant qu’il s’agit de positions que l’on trouve chez Marx, notamment dans la «  Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt », et chez Lénine, notamment dans «  L’Etat et la Révolution.

«  Penser le marxisme et l’anarchisme comme antithétiques ou, au contraire, comme des variations au sein de la pensée communiste, sera une alternative à examiner, par rapport à la pensée lefebvrienne et par rapport à la situation actuelle... »

Aussi, Sylvain Sangla met-il en évidence que la définition lefebvrienne de l’autogestion et du rôle qu’elle tient dans sa pensée sera un fil conducteur de son étude, inséparable de ses analyses de l’urbain et de l’Etat, sans oublier l’arrière-fond de la vie quotidienne.

«  C’est peut-être ce couple «  vie quotidienne/autogestion » qui structure toutes les analyses de l’urbain et de l’Etat, comme, dit-il, noue essaierons de le montrer dans notre chapitre sur «  De l’Etat », en revenant brièvement sur les heurs et malheurs de l’autogestion en France... »

DU PRESENT AU FUTUR, DANS LES CONTRADICTIONS

En avançant, Sylvain Sangla attire l’attention sur, toujours chez Lefebvre, cette perpétuelle attention au futur, c’est-à -dire aux mouvements et contradictions du monde présent, indissociable du marxisme, ou du moins du marxisme véritable.

«  Rappelons, dit-il, que Lefebvre s’est toujours voulu marxiste.

Par exemple, il évoque en 1983 la nécessité «  d’aller au-delà du mode de production existant et dominant, c’est-à -dire du capitalisme », alors que «  la lutte des classes, multiforme, s’étend à l’espace, au temps, aux institutions. »

UNE EXIGENCE ANTIDOGMATIQUE

Ce qui ne l’empêchera pas, montre Sylvain Sangla, d’appliquer au marxisme lui-même son exigence critique, antidogmatique. Ainsi, toujours en 1983, lors de la célébration du centenaire de la mort de Marx, il anajyse certaines de ses lacunes : réduction de la ville à un simple support du processus de production/consommation ; survalorisation du travail par rapport à l’ensemble des dimensions de la vie quotidienne (transports, loisirs, famille, culture, etc...) ; sous-valorisation des problèmes liés aux temps et espaces sociaux («  Cette lutte pour l’espace et le temps, c’est-à -dire pour leur emploi et leur usage, est une forme moderne de la lutte des classes que n’a pas prévu Marx. ») ; survalorisation de l’industrie au regard de l’agriculture et des problèmes de la réforme agraire ; négligence de la sphère de l’informationnel ; écueil historique de l’Etat, de son analyse et de sa critique.

APPROFONDIR MARX, COMPRENDRE LA MODERNITE

Sylvain Sangla nuance : «  Il faut remarquer, dit-il, que la plupart de ces critiques visent plus les marxistes que Marx lui-même, étant donné l’incapacité dans laquelle il se trouvait de saisir des phénomènes inexistants ou simplement en germe à son époque. »

Et il ajoute que, dans le même texte, Lefebvre fait remarquer qu’il se permet d’insister sur ces concepts, notamment celui de mode de production étatique, qui ont fait dire qu’il n’était plus marxiste, mais qu’il s’élève contre cette assertion.

«  Réfléchir sur l’influence de Marx, approfondir ses concepts, les utiliser comme des instruments pour comprendre la modernité et pour poser ses problèmes, serait-ce incompatible avec le marxisme ?

«  A coup sûr, c’est incompatible avec le dogmatisme marxiste.

«  Au cours d’interminables controverses, tout ce qui n’était pas strictement dogmatique était considéré comme révisionniste et tout ce qui n’était pas révisionniste se traitait de dogmatique.

«  Ces deux termes étaient devenus des espèces d’injures rituelles que l’on se lançait à la figure, en croyant former deux camps opposés.

«  De telles controverses font partie de l’influence de la pensée marxiste ainsi que de son histoire. Elles n’ont pas contribué à se fécondité. »

L’OEUVRE DE MARX DEMEURERA UNE REFERENCE

Lefebvre poursuit : «  On est amené aujourd’hui à poser quelques questions en ce qui concerne le rôle de Lénine et du léninisme dans ces querelles et surtout dans leur ton...

«  En ce qui ne concerne, dit-il, j’ai toujours refusé et je refuse de me laisser enfermer dans l’alternative «  dogmatisme »- «  révisionnisme », alternative aujourd’hui quelque peu désuète.

«  D’autre part, je récuse l’appellation encore fréquente «  marxisme-léninisme » et je me déclare beaucoup plus marxiste que léniniste.

«  Je pense et j’affirme que l’oeuvre de Marx doit rester pour nous et notre époque une référence constante, un point de départ - mais non un point d’arrivée.

«  Elle doit aussi passer par une critique vigilante et incessante.

«  Quant à Lénine et au léninisme je dois reconnaître que j’aurais à ce propos une certaine autocritique à faire. A une certaine époque et malgré beaucoup de précautions, certains écrits sur Lénine et le léninisme n’ont pas échappé à un certain dogmatisme.

«  Mais comment échapper complètement à son époque. »

Bien évidemment, il n’est pas question, et en aucune façon, de conclure l’analyse de l’apport de Lefebvre à cette seule pensée. Mais que d’autres soient à même de faire une autocritique de ce genre aiderait sans doute à faciliter les réflexions pour l’avenir en de nombreux domaines.

Michel Peyret

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