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La France se situe en effet dans le peloton de tête au niveau mondial pour la productivité du travail

Des chiffres

L’Empire des chiffres ayant définitivement supplanté la République des lettres les « décideurs » politiques sont passés maîtres dans l’art de choisir les opportunes données leur permettant d’appuyer leurs desseins le plus souvent dictés par « les forces du marché ».

Ces données, quand elles ne sortent pas d’un chapeau, leur sont souvent fournies par des « boîtes à penser » forgées à leur mesure. Ensuite, la plupart des médias de masse, eux-mêmes sur mesure, n’ont plus qu’à les reprendre fidèlement. Depuis l’avènement du néolibéralisme et son cortège mortifère de plans d’austérité, les chiffres les plus prisés par la classe politique en place sont évidemment ceux qui reflètent des coûts trop élevés, soit pour la Nation, soit pour une catégorie particulière – non choisie au hasard – au sein de la population. Ainsi, le coût du travail ou les indemnités prudhommales sont trop élevés, les fonctionnaires coûtent trop cher, la protection sociale est dispendieuse, l’aide au logement pourtant modeste est encore trop généreuse, les « emplois aidés » sont subitement décrétés inefficaces, les retraites ne seront bientôt prétendument plus finançables, etc. Au fil des quarante dernières années la liste des coûts qui « handicapent la France » est devenue interminable !

Nous le savons d’ores-et-déjà, Emmanuel Macron ne dérogera en rien à la double règle de l’orthodoxie gestionnaire néolibérale. Il va s’y entendre pour s’efforcer de tenir les comptes publics « en bon père de famille » et contenter à l’envi la classe des possédants au sein de laquelle il compte la plupart de ses amis, amis qui savent du reste se rappeler à lui à chaque occasion. Ainsi, 46 % des gains issus des mesures fiscales prévues par Emmanuel Macron seront empochés par les 10 % des contribuables les plus riches. La réforme sous couvert d’ordonnances du code du travail est, quant à elle, motivée par deux prétextes : réduire le chômage, améliorer la compétitivité des entreprises françaises. Et elle repose sur un diagnostic éculé : si le chômage est tellement élevé dans notre pays et la compétitivité si faible c’est que le travail n’est pas assez flexible et qu’il coûte trop cher aux employeurs. C’est tellement facile ! Il va suffire de poursuivre – en les amplifiant – les remèdes des dernières décennies. Le diagnostic est sournoisement erroné : les deux maux énoncés ont bien d’autres causes que l’on se garde de prendre en considération. Nous pouvons ici ironiser : quand le diagnostic du docteur Macron est si mauvais ses ordonnances ne pourront qu’aggraver l’état de santé des malades. On appelle alors à la rescousse les chiffres de l’étranger. Ceux du modèle allemand que l’on envie tant ! La forte baisse du taux de chômage et le nombre d’emplois créés outre-Rhin sont brandis – et matraqués par les médias – comme les preuves des bienfaits de la flexibilité du travail. On oublie simplement de dire quel est le juste prix social de ces mirobolants succès. On va donc copier l’étonnant modèle, sans oublier de lorgner du côté de l’Italie qui elle aussi a su y faire. Et la précarité de l’emploi chez nous va croître et embellir comme chez nos voisins ces dernières années. De fait, la vraie raison de la réforme du travail est bien sûr ailleurs : soumettre définitivement le travail au capital.

Il existe cependant des chiffres autrement plus éloquents pour qui daigne chausser d’autres lunettes. Des chiffres déprimants qui n’en sont pas moins incontestables. Dans son dernier rapport sur l’état de l’économie des pays les plus développés, l’OCDE place la France dans les dernières positions en ce qui concerne le taux de transformation des contrats de travail à durée déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée (CDI). Admirons la performance déjà atteinte : 10% seulement ! Avec le nouveau code du travail la France devrait pouvoir viser la toute dernière place. D’autant plus que l’on y invente le CDI précaire avec le « CDI de chantier ». D’autres chiffres donnent le vertige. En 2016, 55,7 milliards d’euros ont été distribués en dividendes aux actionnaires des entreprises du CAC 40. À l’envers du décor, en deux ans, 407 usines ont été fermées (2014-2015), une hécatombe qui complète la destruction de 1,4 million d’emplois en 25 ans dans l’hexagone. Aujourd’hui, la France compte 6 612 700 chômeurs et salariés occasionnels précarisés, auxquels il convient d’ajouter 4 800 000 chômeurs invisibles qui ne sont pas comptabilisés dans les statistiques officielles. Un paradoxe se pose ici : comment une production marchande déclinante peut-elle générer des profits en croissance ?

Si moins de temps de travail salarié a permis de produire globalement plus de valeur ajoutée et de générer des profits en hausse, c’est que l’intensité du travail s’est accrue. Chaque salarié a produit en moyenne davantage de valeur en moins de temps ce qui fait que moins de salaires engagés a généré plus de valeur ajoutée et de valeur marchande commercialisée. En ce qui concerne la productivité du travail, la France se situe en effet dans le peloton de tête au niveau mondial. Avec des salariés qui rapportent 54,8 €/heure, la France est loin devant la moyenne européenne de 43,9 €/heure…et même devant l’Allemagne à 53,4€/heure. Il va être ainsi difficile de trouver en France beaucoup de fainéants !

Dans l’effort d’Emmanuel Macron pour tenter d’équilibrer les finances publiques il y aura, au bout des comptes, une redistribution des richesses à l’avantage des plus riches. On va donc continuer de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Les inégalités de revenus – et surtout de patrimoine – vont croître encore. Il existe pourtant des dépenses publiques que l’on pourrait sérieusement dégonfler sans nuire directement au pouvoir d’achat de la plupart des ménages : celles qui sont liées à l’escalade délirante des grands projets d’infrastructures. Citons un seul exemple, tellement éloquent. Le Grand Paris Express (GPE), pharaonique réseau de transport du Grand Paris, a vu son coût estimé passer de 22 milliards d’euros en 2010 à 35 milliards d’euros en 2017. Et l’envolée n’est sans doute pas terminée. Il semble temps de réviser à la baisse l’envergure de ces chantiers soutenus par les apôtres de la Croissance sans fin. Emmanuel Macron aura-t-il le courage de se pencher sur les chiffres de ce gaspillage d’argent public bien peu compatible avec la nécessité de bâtir rapidement une économie écologique ? Il est permis d’en douter . Il lui faudrait alors déplaire aux actionnaires de Vinci et consorts, véritables maîtres de l’économie désormais. Eux aussi ont des chiffres à défendre !

Les Zindignés - No 48 – octobre 2017

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