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Documentaire ou légende dorée ? Zelensky vu par Arte. Deux critiques convergentes

Le mardi 6 mai 2025, Arte a diffusé un documentaire en deux volets signé par le chevronné réalisateur carcassonnais Yves Jeuland, avec l’aide de l’essayiste-journaliste Anne Chemin et par la docteure en science politique Lisa Vapné. Titre de ce documentaire : « Comment Volodia est devenu le président Zelensky ». Le documentaire est constitué d’une interview récente de Zelensky, illustrée par des images d’archives et commentée par ses amis et collaborateurs. Il dure en tout plus de deux heures. Mais on ne s’ennuie pas une seconde. C’est très habilement monté autour d’un « bon client » des médias, passé maître dans l’art de la communication. La première partie https://www.youtube.com/watch?v=DVkPWSGhlLc (qui dure une heure) est consacrée à l’enfance de Volodymyr Zelensky et à sa carrière de comédien et de directeur de troupe, connaissant un grand succès en Ukraine et en Russie. C’est cette première partie, principalement mais pas uniquement, qui est commentée par Vladimir Caller. La seconde partie (https://www.youtube.com/watch?v=fMQkWPsjTaQ) (qui dure une heure et quart) raconte comment l’acteur est devenu président et ce qu’il a fait comme président. C’est à elle que sont consacrés les commentaires d’André Lacroix.

1) Quand Zelensky n’était encore que Volodia
par Vladimir Caller

Le 13 mai de cette année, la chaine franco-allemande Arte-TV a présenté un documentaire sur le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui a connu une très large diffusion internationale. La date de son lancement n’a pas été choisie au hasard ; il s’agissait d’assurer sa présentation au festival de Cannes. Ainsi, le président ukrainien, qui avait déjà ouvert la séance inaugurale de ce gala en 2022 avec un bref message appelant le monde à soutenir son pays victime des « crimes massifs de la Russie », revenait cette fois avec un reportage hagiographique de plus de deux heures entièrement dédié à l’honorer.


Un système bien rodé

Le documentaire, dont la direction politique a été assurée par l’éditorialiste du journal Le Monde, Ariane Chemin ne fait que confirmer l’excellence du système de communication médiatique qui a caractérisée, dès son début, le traitement occidental du conflit en Ukraine. Ainsi, l’écran nous présente un cocktail savant, très équilibré et varié, alternant l’évocation nostalgique des festivités d’antan avec des souvenirs plus sombres de violences. Et ce, sur fond d’un message politique subliminal permanent qui lui, n’est ni équilibré ni varié : le culte du président Zelensky, univoque et sans réserve.

Les premiers moments sont quasi bucoliques, c’est l’enfance de Volodymyr. Encore préadolescent, il donnait déjà des preuves d’attachement à la liberté en refusant de garder la tradition d’accrocher au cou des foulards rouges propres aux élèves soviétiques. Refus, certes chargé de symbole prémonitoire, mais dont le téléspectateur n’aura pas le moindre début de preuve, l’important étant, semble-t-il, que l’on retienne l’attachement inné du personnage à la liberté. L’important, c’est que le message passe.

Le poids des mots

Et le message passera, bien sûr. Toujours dans la préadolescence d’un Volodymyr écolier dans l’Ukraine urbaine encore soviétique, Denis, un de ses copains d’enfance et devenu un de ses plus proches conseillers au gouvernement, commente l’éducation d’alors (1ère partie, 17:09) en disant, mine de rien et presque par inadvertance, que chez les jeunes écoliers ce culte est obligatoire et que « ...le sourire, ce n’est pas soviétique ». Malchance car, pour les besoins du documentaire, sont présentés de vieux bouts de films soviétiques présentant des groupes d’écoliers, souvent souriants.

La minute suivante, c’est plus embêtant. On présente des scènes anciennes, lorsque les jeunes écoliers aspirant à avoir le statut de pionniers font la promesse de suivre l’exemple de Lénine, et le traducteur ajoute en français la phrase « comme nous le demande le parti communiste » : phrase absolument inexistante dans la source orale en russe. Ainsi, le spectateur occidental aura la « preuve » irréfutable de l’encadrement précoce des enfants russes. Tromperie que le spectateur non familier avec la langue russe ne remarquera pas.

Les bruits et les silences

Les moments du récit qu’on pourrait estimer agréables à regarder sont parfois ponctués de passages plus sombres, brefs mais bien percutants. On parle de la guerre et on raconte comment les Russes prennent des Ukrainiens pour les embastiller, les torturer et, pour finir, les tuer. Pas trop répétés ces moments, justement dosés pour qu’ils puissent marquer davantage. C’est le cas de ce passage où Zelensky n’hésite pas, très doctement, à définir ainsi son homologue russe : « ...comme Hitler à l’époque, avec son chauvinisme, avec son absence totale de respect pour la vie humaine, pour la liberté ; c’est ainsi qu’Hitler s’est réincarné en Poutine ». (2e partie, 03:08).

Aussi édifiant ce passage où son ami Denis semble regretter de devoir parler en russe car né, comme Zelenski, à Kryvyï Rih, ville faisant partie de l’Oblast de Dnipropetrovsk, ville russophone depuis toujours, (voisine du Donbass). S’en excusant auprès de ses interlocuteurs français, il n’a pas d’autre explication à leur donner que le fait que (sic) « ...historiquement, dans la ville de Kryvyi-rih, à cause de la culture de ces fascistes russes, on a toujours parlé le russe ». Dans un autre moment, la réponse du président ukrainien à la question sur les influences néonazies dans son gouvernement, nous semble aussi indigente que celle de son collègue Denis sur le fait de parler russe, « Nazi moi ? », s’interroge Zelensky pour y esquisser : « Parlez à mon grand-père qui a passé toute la guerre dans l’infanterie de l’armée soviétique ». (2e partie, 55:00). Deux phrases, et le dossier est clos.

Des collaborateurs suspects

Il faudrait donc s’adresser au grand-père du président pour savoir pourquoi, dans un documentaire de plus de deux heures, on ne touche pas un mot à propos des postes clés de l’administration ukrainienne, en particulier ceux de la sécurité, la défense dans les mains des ‘bandéristes’ notoires (du nom de Stepan Bandera, leader ultranationaliste qui collabora avec l’armée allemande pendant l’occupation nazie). Silence absolu également sur des moments de l’histoire politique d’Ukraine comme le massacre du 2 mai 2022 à Odessa où une cinquantaine d’opposants au régime installé par les ultras de Maïdan furent délibérément brulés vifs par ces derniers dans la maison syndicale de la ville.

Et pourquoi aucun mot non plus sur les liens personnels du président avec des puissants réseaux de corruption dénoncés par les Pandora Papers et dont les médis bien-pensants s’obstinent à ne jamais parler non plus.

Pourquoi ces silences ? La réponse se trouve peut-être dans les bureaux du quotidien Le Monde et du groupe de la chaîne Arte-TV dont le Conseil de surveillance est présidé, depuis plus de 30 ans, par un certain Bernard-Henri Lévy.

2) Quand Volodia est devenu président
par André Lacroix

La seconde partie du documentaire commence par le discours de Zelensky projeté sur grand écran le 17 mai 2022 sous un tonnerre d’applaudissements lors de la cérémonie d’ouverture du 75e Festival de Cannes. Se mettant habilement dans les pas de Charlie Chaplin du Great Dictator (Le Dictateur), il va jusqu’à proclamer « Hitler s’est réincarné en Poutine. J’en suis absolument sûr ! » (2e partie, 03:15).

Vous avez dit Hitler ?

Le ton est donné. On aurait quand même pu s’attendre de la part d’une équipe de réalisation, censée garantir un travail sérieux, à ce qu’elle prenne ses distances par rapport à cette reductio ad Hitlerum. Car il s’agit précisément là d’un argument que Zelensky, n’étant pas lui-même sans reproche, aurait été bien inspiré de ne pas utiliser.

Au lendemain de son élection à la présidence de l’Ukraine, Zelensky s’est adressé en ces termes à la Rada, le Parlement ukrainien (second volet 47:35) : « Les décisions difficiles ne me font pas peur. S’il le faut je suis prêt à y laisser ma popularité. » Ce que le documentaire ne dit pas, c’est la réaction de Dmytro Iaroch, le patron du sinistre mouvement « bandériste » Pravy Sector : « (...) Non, il ne perdra pas sa popularité ni sa position, il perdra la vie. Il sera pendu à un arbre sur Lhrechtchatyk s’il trahit l’Ukraine. » (1). Avec le recul imposé par la déontologie journalistique, les auteurs du documentaire aurait dû mentionner que Zelensky a préféré survivre... et faire allégeance aux ultranationalistes, fussent-ils néonazis. Un fait soigneusement mis sous le tapis par le « documentaire » au nom d’une nouvelle doctrine à la mode, qu’on pourrait appeler : l’« abstractio ab Hitlero », en vertu de laquelle sont écartés tous les traits qui pourraient gâcher l’image de l’irréprochable Zelensky.

Trois réalités cachées

Petits rappels :

Le 21 avril 2019, au second tour de l’élection présidentielle, il récolte 73,2% des suffrages, dont un grand nombre provenant de l’est du pays : c’est qu’à son programme figurait, outre la lutte contre la corruption et la démocratisation de la société ukrainienne, la résolution de la crise dans le Donbass. On sait aujourd’hui qu’il a failli sur ces trois terrains. Mais un rappel de ces faits aurait nui au procès en béatification de Volodymyr, Serviteur du Peuple.

Primo, alors qu’il se présentait comme le Monsieur Propre, voilà que, son nom est cité dans le rapport des Pandora Papers dévoilant le scandale des sommes astronomiques planquées dans les paradis fiscaux par Zelensky et ses amis ! (2) Parmi ces derniers, on compte l’oligarque sulfureux Ihor Kolomoïsky, que l’acteur Zelensky avait abondamment brocardé dans sa série télévisée avant qu’il ne devienne l’investisseur N° 1 de sa campagne électorale.

Secundo, ses prétentions démocratiques se sont révélées n’être que du vent : outre la fermeture des télévisions d’opposition, bientôt suivie par l’arrestation de journalistes indépendants (3), c’est surtout la déception engendrée par sa politique ultralibérale (privatisation des terres et des biens publics, déréglementation des conditions de travail, réduction du pouvoir des syndicats ou encore augmentation des tarifs des services publics) qui explique que sa cote de popularité a été divisée par trois depuis son élection et n’était plus que de à 23% en janvier 2022. (4)

Tertio – que son intention ait été sincère ou non d’apaiser les tensions dans le Donbass – le moins que l’on puisse dire est qu’il s’est laissé dominer par la frange la moins respectable (euphémisme) de son entourage. Trois mois après son élection, le 21 Juillet 2021, dans la ligne des lois réduisant le russe comme langue de seconde zone, il signe une loi discriminatoire envers les Russes ukrainiens, considérés comme ne faisant pas partie des « peuples autochtones d’Ukraine », une loi qui, toutes proportions gardées, rappelle les Lois de Nuremberg de 1935 à l’encontre des Juifs. Raciste ? Pas raciste ? En tout cas, la Constitution ukrainienne dispose bien, en son article 16 que « préserver le patrimoine génétique du peuple ukrainien relève de la responsabilité de l’État. »

Promesses non tenues

Manifestement, ces « détails de l’histoire » ont été soigneusement omis par les distingués documentaristes d’Arte. Tout à la glorification de leur héros, ils répercutent, comme s’il était encore actuel, le discours qu’il a tenu le 1er mars 2014, alors qu’il n’était encore qu’un acteur à succès (07:08) : « Je voudrais m’adresser à notre gouvernement. Si les habitants de l’Est et de la Crimée veulent parler russe, lâchez-leur les baskets ! ». Il en aura fait du chemin en quelques années, n’est-ce pas ?

Excuse de notre tourne-veste, que semblent avaliser Jeuland et compagnie : « La guerre a tout changé (...) Je n’ai pas à tenir certaines promesses » (49:31). Il ira même, le 4 octobre 2022, jusqu’à promulguer un décret entérinant l’impossibilité de négocier avec Poutine, ce qui, entre parenthèses, pourrait poser de sérieux problèmes juridiques dans les futures négociations, voulues par Trump.

Une guerre médiatique

À la guerre comme à la guerre ! Et puisque « l’Ukraine affronte deux guerres : la guerre des bombes et des tranchées, et celle de l’information » (1:04:08), tous les coups sont permis. Ainsi, sous le regard de Charlie Chaplin opportunément rappelé en scène (59:24), vont se succéder pendant plus de trois minutes (de 1:01:06 jusqu’à 1:03:39) les images des horreurs commises à Boutcha sans que n’affleure chez nos réalisateurs le moindre doute sur la responsabilité du massacre, automatiquement collée aux Russes, sans que soit suggérée l’hypothèse d’un nouveau Timisoara destiné à faire capoter les négociations de paix de mars-avril 2022 (5).

Comme le dit une collaboratrice fidèle de Zelensky dans la réalisation de l’émission « Serviteur du Peuple », (1:08:21), « au départ, c’était une série comique, mais ça s’est transformé en cauchemar », après la décision de Zelensky de briguer la présidence et de transformer le scénario de la série télévisée en un programme électoral, tout en continuant à se produire comme acteur. Une scène du dernier épisode, tranchant avec l’esprit de gaudriole de toute la série, résume sa « pensée politique » : sous un filtre conférant à la scène des couleurs rouge sang, on assiste à l’assassinat du Serviteur du Peuple par ... Ivan le Terrible (1:08:03), dans lequel certains ont voulu voir le modèle de Vladimir Poutine. Le message est clair : à usage interne à destination d’un électorat travaillé par une russophobie viscérale, Zelensky présente Poutine comme un avatar du premier Tsar de Russie, tandis que pour le public occidental de Cannes, résolument antifasciste, il a beau jeu d’assimiler Poutine à Hitler. La boucle est bouclée, avec une maestria remarquable.

Une habile présentation

Nous avons même droit, en générique de fin, comme dans des films de fiction, à la présentation, photos à l’appui, des différents protagonistes de la geste zelenskyenne, sur fond de chanson entraînante...

Une remarque toutefois : Jeuland, Chemin et Vapné ont confondu documentaire et hagiographie, journalisme et propagande, en mettant leur indéniable talent au service d’une légende dorée. Une fois de plus, Arte, la chaîne fidèle à Bernard-Henri Lévy, a fait preuve d’une regrettable partialité (6).

(1) Cité, références à l’appui, à la p. 73 du livre de Vladimir Caller, Ukraine, des hommes, des faits, le piège. Un autre regard sur la guerre, éd. Le Temps des Cerises, 2024.
(2) Voir notamment https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/economie-parallele-le-president-ukrainien-zelensky-dans-la-tourmente-des-pandora.
(3) Voir notamment http://www.defenddemocracy.press/zelensky-bans-political-opposition-nationalizes-media-to-create-unified-information/.
(4) Voir l’entretien de Natyle Baldwin avec Olga Baysha : https://lafauteadiderot.net/Repression-censure-neoliberalisme-a-la-Pinochet-La-face-cachee-de-Zelensky».
(5) Lire à ce sujet les pages 182-219 de l’ouvrage magistral de Michel Collon Ukraine, la guerre des images, éd. Investig’Action, 2023.
(6) Voir notamment :
* https://www.legrandsoir.info/arte-une-chaine-enchainee-a-la-sinophobie.html,
* https://www.legrandsoir.info/calunnia-del-arte.html,
* https://www.legrandsoir.info/jean-quatremer-un-perroquet-a-l-aise-sur-arte.html,
* https://www.legrandsoir.info/la-sinophobie-rampante-d-arte.html,
* https://www.legrandsoir.info/arte-d-indecrottables-prejuges.html.

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COMMENTAIRES  

30/05/2025 11:40 par Aquarius15

Merci pour le résumé et débunkage savoureux de ce documenteur Arte dont je ne saurais m’infliger le visionnage.

Le passage avec les 2 guignols qui ne s’expliquent pas pourquoi ils parlent historiquement russe à Dniepro, en s’en excusant et s’en désolant, est particulièrement risible.

30/05/2025 14:51 par CAZA

Bon Arte ,tout le monde sait , mis à part les lecteurs de Ramatélé ( fonctionnaires de l’ EN socialistes ) que c’ est la voix des sionistes cornaqués par Lévy l’ entarté d’ Arté qui produit des navets avec ton argent et qui s’ engraisse comme un porc .
Mais l’ ImMonde c’ est qui qui le cornaque ?
Et l’ équipe de fins limiers qui débusque les secrets les mieux gardés .Comme :
« L’invasion de l’Ukraine est la conséquence du système de corruption généralisée qui gangrène la Russie »
HéHé : Maïdan , Donbass ,Massacre d’ Odessa , Minsk ? Non Non .L’imMonde qui a fait médecine en option parle de gangrène .
Peut être celle qui la ronge .Mais c’ est qui qui finance les salaires des gangrénés de l’ imMonde ?
« L’invasion de l’Ukraine est la conséquence du système de corruption généralisée qui gangrène la Russie »
https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/05/30/l-invasion-de-l-ukraine-est-la-consequence-du-systeme-de-corruption-generalisee-qui-gangrene-la-russie_6609255_3232.html

01/06/2025 10:47 par André LACROIX

Parmi les diverses manifestations du bâillonnement d’Arte, à signaler encore la scandaleuse déprogrammation de l’excellent film réalisé par le chevronné documentariste Jean-Michel Carré, intitulé : "Tibet, un autre regard". Voir https://tibetdoc.org/index.php/politique/mediatisation/718-tibet-un-autre-regard-avant-premiere

01/06/2025 21:00 par act

Salut Caza, pour répondre à ta question cf l’immonde : c’est Xavier Niel milliardaire Français, des débuts "minitel rose" à "Le Monde"...tout s’explique ? ;)
Tout est résumé sur ce graphique du Diplo, "qui possède quoi" : https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/PPA#&gid=1&pid=1

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