Plein écran
10 commentaires
Le degré de civilisation d’une société se mesure à la manière dont elle traite ses prisonniers.

Du retour de la guillotine en France

C’est un fait tristement récurrent : les suicides en prison font chaque année en France à peu près cinq fois plus de morts que n’en a fait l’usage de la guillotine du temps de la Vème République. Et, en cette fin du mois de novembre, force est de constater que l’année 2010 ne fera pas exception.

Si le « rasoir national » a fait couler autant d’encre que de sang en son temps, le chapitre de la peine de mort, touchant à sa fin sous l’action de Robert Badinter, alors garde des Sceaux, semble définitivement clos de par la consolidation constitutionnelle en date de janvier 2007, prévoyant d’inscrire l’abolition de la peine capitale dans le marbre du texte fondateur de nos institutions. Et pourtant.

Pourtant, quoique officiellement proscrit, l’usage de la guillotine que résume la capacité légale qu’a eu l’Etat français à priver un homme de sa vie, à distinguer arbitrairement parmi ses citoyens qui doit vivre de qui doit mourir, a cédé place à un mal insidieux et bien moins formel, les suicides en prison.

Car l’Etat, tant par ses silences que par ses manquements en matière de politique carcérale, se rend complice du taux affolant de suicide en milieu de détention. La guillotine d’hier a été supplée par le suicide, que l’Etat, par omission, cautionne au travers de sa passivité alourdie de lacunaires dénégations.

Les données à ce sujet sont rendues publiques : l’Hexagone est détenteur du bien peu glorieux record européen de surpopulation carcérale, expliquant pour partie cette statistique effrayante : le taux de suicide est six fois plus élevé en milieu carcéral que dans le monde libre. Quid de nos voisins européens ? D’après les chiffres du Conseil de l’Europe, la France accuse de chiffres affolants : les suicides en prison sont deux fois moins nombreux en Allemagne et en Grande-Bretagne, trois fois moins en Espagne.

Régulièrement accablé par les témoignages de militants associatifs ou de proches de détenus, Paris a par ailleurs été épinglé au mois de juillet dernier par le Comité des droits de l’Homme des Nations unies pour les conditions de détention régissant ses prisons. Et au gouvernement, comme à l’accoutumée, de faire le dos rond.

Car si la chancellerie communique à ce sujet ponctuellement, le plus souvent en faveur de tragiques faits d’actualité, les effets d’annonce laissent place, sitôt l’étau médiatique desserré, à l’habituelle mais pernicieuse inaction.

Par l’absence d’une réelle volonté politique, l’Etat français persiste dans une logique moralement répréhensible mais politiquement peu coûteuse. Car au fond, pourquoi se soucier du suicide des détenus ? Et, au-delà du suicide, des conditions de leur détention ? Pourquoi donc vouloir poursuivre la folle idée d’humaniser les prisons ?

Parce que le choix d’agir dans et autour de ce lieu d’exclusion qu’est la prison relève de la défense nécessaire de certaines valeurs fondamentales communes ? Parce que, quel que soit l’acte qui les a conduits en prison, les détenus dont il est question demeurent des hommes ? Parce que le poids de leur condamnation touche aussi leurs proches qui pourtant, eux, n’ont pas été condamnés ? Parce que l’humiliation, qui empêche tout retour sur soi et donc tout changement de conduite, ne doit pas faire partie de la peine ? Parce qu’il y a un "après" la prison et que celui-ci dépend beaucoup de la façon dont aura été vécu le temps d’incarcération ?

S’il nous faut, à en croire Fédor Dostoïevski, prendre la mesure du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses prisonniers, que penser de la France, mère des droits de l’Homme mais aux si nombreux orphelins ?

Déjà , par une circulaire du 29 mai 1998 émise par les services de la direction pénitentiaire, était établi qu’ « une politique de prévention [du suicide en prison] n’est légitime et efficace que si elle cherche, non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension d’acteur et de sujet de sa vie ».

Alors, oui, en réponse aux suicides, on peut toujours tenter d’humaniser les prisons. Mais parce que le plus souvent, la prison est précédée de la misère, de la précarité, de la violence subie, d’autres formes d’exclusion déjà ; serait-il plus pertinent d’essayer d’humaniser la société : peut-être alors y aurait-il moins de prisonniers et donc moins d’efforts à déployer afin d’humaniser les lieux privatifs - de droits ? - de liberté.

Mais coupons court à ces dangereuses divagations et retournons à la quiétude du quotidien. Jusqu’à demain.

Print Friendly and PDF

COMMENTAIRES  

25/11/2010 13:41 par Samuel Moleaud

"Le degré de civilisation d’une société se mesure à la manière dont elle traite ses prisonniers"
N’est-ce pas une citation de Michel Foucault dans "Surveiller et punir" par hasard ?
Rien à ajouter, bone comparaison avec la guillotine. Au moins l’Ancien-Régime ne décapitait que les prisonniers politiques et les criminels.

Au XXI siècle, en France, on remplit les prisons de fumeurs de petite drogue douce, des activistes qui passent en comparution immédiate, au pénal, au même titre que les violeurs d’enfants...

25/11/2010 13:42 par JM

Même en dehors de la prison on se suicide de + en +...
N’accusons pas la prison de tous les maux ! Normalement la suspopulation entraîne la promiscuité qui elle diminue plutôt le taux de suicide comme on le contate dans les ville du 1/3 monde où le taux de suicide est faible alors que les problèmes sont plus grave que chez nous.

Faudrait faire une étude internationale pour pouvoir lier le taux de suicide à la surpopulation carcérales et aux conditions... dans le tiers monde, il y a des prisons infiniment pire où l’on suicide moins qu’en Europe...

Moralité...au lieu d’améliorer les prisons rendons les pire... peut être que le taux de suicide diminuera !

De toute façon, il y a d’autres causes à défendre

25/11/2010 14:02 par rosa

la misère est partout dans notre
socièté posez ce problème de cette façon s’est s’illusionner sur la réelle volonté des institutions et les moyens adéquats pour y rémédiez.
Un changement pour une autre planification des lieux fermés dits"prisons"est une volonté politique aussi bien qu’humaniste et certainement beaucoup plus politique qu’il n’y parait.
Je suis contre la peine de mort etl’enfermement à vie qui est aussi une autre forme de torture nous devons envisager une préparation à la réinsertion (travail extérieur...)possibilité de voir les famille de participer à la vie malgré tout bref ouvrir les prisons vers l’extérieur c’est repenser l’homme c’est permettre la distance des évènements tragiques dans une vie"d’homme" et accepter les tragiques différences qui nous interpellent.

25/11/2010 14:56 par raison ,

La logique de JM est très ... je dirai froid , et en même temps faux .
Ce n’est pas avec la tiers monde , qu’il faut faire le comparaison , mais avec nos voisins , ou , on peut , on doit y aller encore plus fort dans la négligence ?? Dans le tiers monde les hommes et les femmes sont sûrement plus fort , ils endurent beaucoup plus , que chez nous .
Produisons les même conditions , et vous allez voir le cascade de suicide .
Par contre la méditation donne des excellent résultats !
Si on traite les prisonniers comme des "merdes" , ils vont se comporter comme des merdes , et il y as beaucoup de faible , qui vont tomber .
Si tu les enlève tout leurs dignité , comment ils pourrait changer ?
Sur quelle base ils pouvait se reconstruire ??

25/11/2010 15:13 par EW

@ JM :

Ah oue, c’est rigolo ça tiens, tu peux priver un pauvre sous éduqué de liberté sans qu’il se suicide alors qu’un occidental a priori plus riche et jouissant de plus de privilèges ne le supportera peut-être pas.

Solution : devenir tous pauvres et sous éduqué.

T’as raison, dossier suivant, celui là est réglé...

25/11/2010 21:10 par raison ,

Décidément le truck de JM. est de passer a autre chose , hopp le prochaine dossier , il y as autre causes à défendre c’est reglé etc., sans qu’il aurait le moindre proposition le moindre solution . C’est exactement le style de la politique gouvernemental depuis un bon moment . C’est rigolo !! Le Joker de Batman

25/11/2010 21:20 par rouge de honte

Il me semble qu’il y a une autre explication au fort taux de suicide en occident que l’on ne retrouve pas dans les pays du sud : Le manque de solidarité. Il faut vraiment se sentir complètement inutile face à autrui pour mettre un terme à ses jours. Et cette inutilité de l’Être est -me semble-il- propre à l’occident. Ecraser son prochain, le réduire à l’état de chose dans une optique de frustration totale puis pousser à la consommation et à la production...Fracture, prison, suicide.
Oui il faut améliorer les conditions de vie à l’extérieur des prisons afin d’en finir avec ces notions stupides de liberté. Qui est libre aujourd’hui ??

26/11/2010 03:18 par sandino

au manque de solidarite je rajouterais le manque d amour et d humanite
nous vivons dans une societe deshumanise et deshumanisante ou seul le marche compte
et le marche ne fonctionne pas avec les valeurs morales et humaines mais avec le vice, la jalousie, l envie, et le fait de faire de chaque etre humain est un adversaire
et le pire c est que nous voulons imposer ce modele au monde entier

depuis le nicaragua

comme dirait le sub Marcos
" l humanite bat dans toutes nos poitrines et comme le coeur, elle prefere le cote gauche"

26/11/2010 08:41 par Anonyme

Absolument d’accord avec toi Sandino !
Ce qui me frappe et me désespère c’est que l’on arrose les fleurs avec du vinaigre...Quel père, quelle mère est encore capable de dire à son enfant : Je t’aime, tu es intelligent, vivre c’est apprendre à aimer.
A l’intérieur des prisons comme à l’extérieur nous sommes tous prisonnier du manque d’Humanité.
J’ai vu mourir bien des amis par la vitesse, la drogue, l’alcool, le suicide. Et tous les autres qui sont morts avec un corps qui continu à vivre ralenti par la chimie.
C’est une étrange guerre que nous vivons : les combattants tirent sur eux mêmes et nous ne serons jamais des vétérans, juste des dépressifs
Salut depuis cette prison dorée nommée suisse.

27/11/2010 19:31 par JM

Pardon d’avoir choqué certaines personnes. Je voulais exprimer le fait que le suicide est un sujet qui déborde largement du cadre de la prison. Le suicide est un problème selon nos valeurs judéo chrétienne mais d’autres cultures n’ont pas la même approche. Chez les Japonais, cela fait partie du code d’honneur. Chez les musulmans, les pulsions suicidaires peuvent être canalisées dans le Jihad. Une question à se poser : le droit au suicide est il une liberté fondamentale de l’être humain ? Dans certains pays on légifère pour autoriser l’euthanasie, ce qui prouve que cette question est pertinente. Le fait d’être privé de liberté en prison doit il aussi inclure la privation de la liberté de se suicider ? Interdire à une personne de se suicider ne relève t il pas d’un manque de respect pour la personne en question ? Le suicide en prison est il une solution individuelle ou est il un problème de l’institution carcérale ? Se poser la question n’est pas y répondre.

Personnellement je suis convaincu que les pulsions suicidaires ne sont pas liées aux conditions matérielles de vie. Imaginons qu’on loge les prisonniers dans un 5 étoiles, Est ce que les désespérés ne s’y suicideraient pas ? On observe en dehors de la prison que le suicide existe dans toutes les couches sociales et que ce ne sont pas les plus misérables qui se suicident le plus...Ce qui est probable, c’est que si la France logeait ses prisonniers dans des 5 étoiles, elle produirait beaucoup de criminels en cols blancs...A mon avis, un bien mauvais investissements que d’améliorer les conditions de vie des prisonniers pour lutter contre le suicide.

Peut être est il nécessaire d’améliorer le système carcéral, mais alors trouvons d’autres arguments que le suicide.

(Commentaires désactivés)
 Twitter        
 Contact |   Faire un don
logo
« Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »
© CopyLeft :
Diffusion du contenu autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.