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Au retour du Xinjiang

Du tourisme en pays ouïghour ou "Y a-t-il un tigre dans le marché ?"

De retour en France, je contemple pensivement un grand sac en toile, un sac de courses assez solide, ramené de mon voyage au Xinjiang : il y a écrit dessus "Xinjiang is a Nice Place", et à côté, la même chose en caractère chinois.
Je n’y avais pas prêté attention au début, c’est un sac touristique, banal, une publicité pour la région. Et pour une fois, ce n’est pas écrit en ouïghour, contrairement à tous les panneaux officiels, car c’est destiné au public qui vient, de plus en plus, de l’Est de la Chine.

Sauf que, de l’autre côté du globe, comme vous le savez, on ne parle pas de "nice place", on parle plutôt d’extermination, on vote même au Parlement à propos de l’extermination, on raconte que des Chinois Hans ne viennent pas ramener des souvenirs dans des sacs en toile mais plutôt se glisser en masse dans le lit de femmes ouïghoures dont le mari est injustement emprisonné pour avoir tenté de lire le Coran. Comme j’ai pu visiter à Urumqi une école coranique où l’on forme trois mille imams par an, j’ai eu quelques doutes sur cette information, forcément.

De l’autre côté du globe, on parle aussi de trafics d’organes vers l’Arabie saoudite et cette intox a duré jusqu’au moment où l’Arabie saoudite a exigé… ce quelque chose qu’on ne demande plus vraiment aux journalistes par chez nous et qui s’appelle des preuves.

Alors, oui, ils ne sont sans doute pas encore très nombreux, les Européens et Américains, à se rendre au Xinjiang, vu ce qu’on leur raconte. Contrairement à certains de mes compatriotes, je n’ai pas trop le fantasme colonial de Tarzan qui rêve d’être le seul blanc perdu dans la jungle, mais c’est un peu ce qui m’est arrivé lorsque je m’y suis retrouvé là-bas avec Maxime Vivas. Sauf que ce n’était pas la jungle, c’était même très développé.

En tout cas, je consulte la plupart des articles écrits en français sur la question du Xinjiang et beaucoup de choses s’éclairent désormais sur l’arrière-cuisine de "nos" médias. Je vois que la presse rétropédale avec l’énergie d’un maillot jaune et joue sur d’autres leviers. Et comme il va finir par se savoir que la région se développe et devient un endroit touristique attrayant, il va finir par y avoir beaucoup de témoins de passage, tel ce touriste venu des Etats-Unis, dont je découvre le témoignage sur youtube :

C’est une armoire à glace de plus de cent kilos, arborant fièrement une casquette à la Michael Moore, prototype du héros du film hollywoodien sans préjugés et sans trop de culture politique non plus, mais se rendant compte, subitement, qu’on lui a raconté des salades au sujet de l’éradication de la langue ouïghoure qu’il voit reproduite sur tous les panneaux des routes qu’il traverse.

A l’instar de son compatriote Edgar Snow, surnommé par l’Armée de Mao, "l’homme qui vint en premier", ce touriste est lui aussi l’un des premiers à revenir du Xinjiang comme une fleur et à témoigner. Le problème, pour la crédibilité de "nos" journalistes, est qu’il y en aura beaucoup, beaucoup d’autres…

Il est amusant, dans ce contexte, de lire ce que raconte un certain M. Darbré. Fin 2022, Eric Darbré, qui en est, comme je disais, à son troisième long métrage et une BD sur les Ouïghours, répondait à une interview pour un documentaire promu par Télérama et La Chaîne parlementaire.

Lisons-le : "La première fois que je suis allé au Xinjiang, la région était officiellement bilingue et l’écriture en caractères arabes dominait sur les panneaux l’écriture chinoise. Puis les proportions se sont inversées, et désormais il n’y a plus que des inscriptions en langue chinoise. Petit à petit, la langue, la culture ouïghoures sont effacées dans le but très clair d’éradiquer leur civilisation."

Donc, il s’agissait, en Occident, d’inventer une éradication de la langue. Mais désormais, comment vont-ils s’en tirer de voir la région devenir… touristique ?

"Trois hommes font un tigre" (三人成虎), disent les Chinois quand ils veulent évoquer quelque chose d’absurde. Ici, dans la presse française, la traduction de cet adage chinois donnerait à peu de choses près :

"Après leur génocide, les Ouïghours ressuscitent et se reconvertissent dans le tourisme. Mais tout cela est tout de même bien horrible, c’est une gigantesque mise en scène sordide avant leur complète éradication."

Par exemple, on nous raconte que Kashgar, capitale culturelle ouïghoure et là où les Ouïghours sont les plus nombreux, est désormais transformée en ville-musée. En légende de la photo illustrant le même interview, on pouvait lire : "Au Xinjiang, la vieille ville de Kashgar, capitale culturelle ouïghoure, a été transformée en musée vivant folklorique pour les touristes chinois. Les Ouïghours sont fortement incités à se laisser prendre en photo… et avec le sourire."

Le sourire imposé, comme à Disneyland-Paris ? Bigre ! Je n’ai pas vu pareilles horreurs à Kashgar, j’ai vu des gens divers, des badauds, des gens enjoués, des gens n’ayant pas envie de se faire photographier, un peu renfrognés comme les paysans de l’ancien temps. J’ai vu des gens amusés par les touristes blancs que nous étions, Maxime et moi, et curieux de nous parler.

"Un musée vivant folklorique pour les touristes chinois" ?
Musée vivant ? : il y a beaucoup de musées au Xinjiang, un musée qui montre les horreurs du terrorisme islamique qu’a connues la région pendant vingt-cinq ans, un musée de l’aménagement de la ville de Kashgar. Il n’y a ni réserves indiennes, ni attractions de type Vénus hottentote, comme l’Occident en a connues.
Musée folklorique ? S’il s’était agi d’éradiquer un peuple, on n’aurait pas joué la carte de la préservation folklorique. Tout n’est pas ramené au seul folklore. Le muqâm, par exemple, est un art savant et mis en valeur en tant que tel, par les autorités locales dans le grand théâtre d’Urumqi, comme par l’UNESCO.

Musée pour touristes chinois ? pas spécifiquement. Les Ouïghours aussi sont citoyens de la République populaire de Chine, et jouissent des mêmes droits.
Les aménagements avaient commencé à il y a longtemps, mais en effet, depuis l’éradication du terrorisme en 2016, c’est devenue une vraie destination touristique, mais toute la région y gagne, le centre-ville a été complètement réhabilité (les travaux ont commencé en 2008), l’insalubrité éliminée, et en restant dans l’esprit du lieu. Et ça crée de l’emploi. 

Peut-être voudraient-ils nous faire croire, c’est que les Ouïghours vont à leur boulot avec le pistolet sur la tempe ?
Alors, certes, il y a, comme partout, beaucoup de choses sublimes à voir et aussi beaucoup de choses de mauvais goût dans le commerce touristique, mais enfin, ce serait comme raconter qu’au prétexte qu’on vend à Paris des tours Eiffel dans des boules qu’on retourne et qui font de la neige, cela prouverait que la population parisienne qui ne se livre pas à ce commerce a été victime d’un génocide...
En réalité, les Chinois me semblent fiers de leurs particularismes et de leurs 56 ethnies. Et cela déclenche des réactions diverses de leur part, qui vont de l’achat de babioles jusqu’au musicologue envoyé par le parti pour recueillir les enregistrements des plus grands virtuoses.
Bref, "les Chinois sont des hommes comme les autres" et même s’ils sont communistes !

Tourisme ou génocide, donc, j’ai envie de dire : ce n’est pas fromage et dessert, il faut choisir. De retour du Xinjiang, je me rends compte que la polémique, donc, désenfle. Désormais, après le génocide, il s’agit de montrer une forme de normalisation.

Je conçois que si l’on est militant indépendantiste, on se sente agacé par le tourisme et qu’on conçoive cela comme une occupation. Question de point de vue ! Mais enfin, force est de constater que si les 10 millions de Ouïghours prenaient le pouvoir sur un territoire vaste comme trois fois la France (en prenant l’hypothèse, purement théorique, qu’il s’agisse de leur volonté), on ne peut certainement pas dire qu’ils seraient indépendants des Etats-Unis. Et vu ce que les Etats-Unis font des pays musulmans après leur passage (Irak, Syrie,Libye, Afghanistan), on peut rêver pour les Ouïghours d’un autre destin.

Alors, oui, en Europe, on joue aux apprentis-sorciers de l’ethno-linguistique et on aimerait bien refaire les frontières de 1945. En Ukraine, on voit ce que cela donne de faire passer les nationalistes ukrainiens bandéristes pour des combattants de la liberté. A ce jeu ethno-linguistique, la Bretagne ne serait plus en France. Mais si l’on va sur ce terrain, certes on pourrait remonter à l’indépendance d’avant Anne de Bretagne. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas jouer à défendre l’indépendance de la Gaule face à l’arrivée, de Cornouailles, des ancêtres de ceux qui parlent - dans la mesure où ils le parlent encore - ce breton qui est en fait si proche du gallois ? Bref, on ne s’en sort pas. Mieux vaut, et c’est ce que font tous les jours l’immense majorité de nos compatriotes, se dire français au sens de citoyen membre d’une communauté nationale obéissant aux lois de la République et se rappelant de cette nuit du 4 août où nous avons aboli d’un coup les privilèges féodaux. En Chine il s’est passé la même chose… quand l’Armée chinoise a libéré le Tibet en 1949.

Je m’arrête là, de plus en plus certain qu’en mon pays, où je ne suis pas plus prophète qu’ailleurs, je ne vais décidément pas me faire que des amis.

Revenons donc à la sagesse chinoise et à nos trois hommes (Bondaz, Glucksmann, Darbré ?) qui font un tigre. A l’époque des royaumes combattants, un certain Pang Cong a demandé au roi de Wei s’il croirait hypothétiquement au rapport d’un civil selon lequel un tigre parcourait les marchés de la capitale, ce à quoi le roi répondit par la négative. Pang Cong demanda alors ce que le roi penserait si deux personnes rapportaient la même chose, et le roi lui dit qu’il commencerait à s’interroger. Finalement, Pang Cong lui dit : "Et si trois personnes prétendaient toutes avoir vu un tigre ?" Le roi répondit qu’il y croirait.

Alors Pang Cong rappela au roi que la notion d’un tigre vivant dans un marché bondé était pourtant absurde, mais lorsqu’elle était répétée par de nombreuses personnes, elle semblait réelle.

Quant à moi, je n’ai pas vu de tigre dans le marché ouïghour.

Aymeric MONVILLE, 27 août 2023.

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COMMENTAIRES  

28/08/2023 07:37 par Censure

Curieux quand même ,vous n’avez pas vu de tigres,sauf ceux d’Irak ,de Libye d’Afghanistan...,mais celui qui sévit en Palestine depuis des dizaines d’années de façon bien plus insidieuse et criminelle vous a échappé,à vous et à d’autres.Syndrome du "golfe" ?

28/08/2023 19:48 par Aymeric Monville

Vous avez raison, j’aurais dû ajouter la Palestine à cette bien trop longue liste.

28/08/2023 23:38 par Xiao Pignouf

Censure,

La phrase de l’auteur étant ce qu’elle est :

Et vu ce que les Etats-Unis font des pays musulmans après leur passage (Irak, Syrie,Libye, Afghanistan)

La Palestine n’y a pas sa place. La Palestine souffre avant tout à cause de l’état d’Israël. Les EU n’y sont pas étrangers, certes, mais ils n’ont pas envahi ni détruit la Palestine que je sache. Vos reproches sont donc injustes et vous attribuez à l’auteur (et à d’autres ?) de manière abusive une indifférence sorti tout droit de votre imagination.

À la place de M. Monville, je n’aurais pas été aussi indulgent avec vous qui ne l’êtes pas pour un sou.

29/08/2023 09:13 par babelouest

C’est vrai, ce ne sont pas les États-Unis qu’il faut incriminer pour la Palestine, mais l’Empire antérieur, celui qui vit encore sous l’ombre tutélaire de Big Ben. D’ailleurs, un ami (français, mais né sur les bords du Canal) a vu en 1956 son meilleur ami tué par les bombes britanniques.

29/08/2023 17:15 par sixiangjiaoyu

Bonjour M.Monville,

Est-ce que vous avez eu l’occasion de demander pourquoi en 2020 le nombre d’enfants Ouïghours âgés de 0 à 4 ans était le tiers de celui des 5-9 ans ?

30/08/2023 06:59 par legrandsoir

@sixiangjiaoyu
Donnez vos sources s’il vous plaît et regardez à quelle date le gouvernement chinois a décidé d’harmoniser dans toutes les régions, pour toutes les ethnies, le nombre de naissance autorisé par famille. Il y a un petit travail de recherche à faire.
MV

30/08/2023 10:34 par sixiangjiaoyu

Bonjour M.Vivas,

Le recensement de 2020 donne 627 281 enfants âgés de 0 à 4 pour 1 749 178 de 5 à 9 ans(Tableau 2.2).
http://www.stats.gov.cn/sj/pcsj/rkpc/7rp/zk/indexch.htm

Dans le même document, pour les autres ethnies et concernant les mêmes groupes d’âge, on ne constate pas de différences de cette ampleur (Tibétains +/- 584 000/680 000, Mongols +/- 414 000/460 000).

30/08/2023 10:34 par Georges Rodi

sixiangjiaoyu a l’habitude de consulter les statistiques chinoises...
La question qu’il pose est de savoir pourquoi cette baisse.

A titre personnel, je n’ai jamais eu de réponse permettant d’expliquer ce constat, en dehors d’élements qui échappent aux décomptes statistiques... éléments tels que :
 augmentation du niveau de vie = moins de naissances
 politique d’émancipation des jeunes filles = mariages décalés dans le temps, et moins d’enfants.
C’est ce dernier point qui m’a semblé d’une importance particulière.

Dans les campagnes, la tradition veut que les filles restent à la maison pour "aider" les parents.
Parents qui leur trouvent un mari dès qu’elles ont 14 ans.
Que les filles soient poussées à aller à l’école, trouver un boulot en ville, ne peut qu’avoir une incidence importante sur les naissances... Par rapport à la situation antérieure, il faudra compter environ 6 ans de plus pour que ces jeunes filles, une fois éduquées, indépendantes, se décident à prendre mari et avoir des enfants.

Pour contourner cette influence, les parents avaient compris depuis longtemps qu’il suffisait de marier leurs filles, qu’elles soient rapidement enceintes, et le tour était joué : fini pour elles les rêves d’école et d’indépendance.
Le point de bascule s’est opéré lorsque le programme de lutte contre la pauvreté s’est développé dans ces provinces reculées.
Là où les traditions familiales ne faisaient en fait que solidifier l’absence de progrès.
La pose de stérilets a joué un rôle dans la lutte contre ces traditions.
Je parle d’une lutte d’influence, entre le père de famille (soutenu par son épouse) et les membres du parti en mission pour éradiquer la pauvreté et "libérer" la population d’un carcan jugé excessif des traditions.

J’ai rencontré 2 pères de famille qui m’ont avoué avoir eu le sentiment d’avoir été obligés à voir leur fille quitter la maison familiale.
Ils ne se posaient évidemment pas la question de savoir si leur fille se sentait obligée de leur obéir.
Cela dit, a posteriori, ils n’en faisaient pas non plus un drame.
A partir de là, chacun est libre d’en penser ce qu’il veut...

30/08/2023 17:59 par sixiangjiaoyu

Bonjour Georges Rodi,

Avez-vous remarqué l’ampleur de la différence entre les deux groupes ?

30/08/2023 19:45 par Xiao Pignouf

sixiangjiaoyu,

Vous et vos chiffres...

Ce serait plus rapide si vous nous en donniez une analyse vous-même au lieu de toujours demander qu’on les interprète pour vous.

Soit. Analysons vos chiffres. Ils datent de 2020. Ils concernent 2 classes d’âge : 0 à 4 ans et 5 à 9 ans. Ce qui se traduira par le nombre d’enfants nés entre 2017 et 2020 et entre 2013 et 2016. Vous comparez les chiffres du Xinjiang avec ceux du Tibet et de la Mongolie Intérieure.

Xinjiang : 1 749 178 naissances de 2013 à 2016 contre 627 281 naissances de 2017 à 2020
Tibet : 680 000 naissances de 2013 à 2016 contre 584 000 naissances de 2017 à 2020
Mongolie intérieure : 460 000 naissances de 2013 à 2016 contre 414 000 naissances de 2017 à 2020

Déjà on constate que votre degré de précision s’amenuise à mesure que vous vous éloignez du Xinjiang. Mais on mettra ça sur le compte de l’empressement.

J’ai plusieurs question : les chiffres que vous donnez pour le Xinjiang concernent seulement les Ouïghours ? Dans ce cas, quid du Tibet et de la Mongolie Intérieure ? Quelles ethnies sont concernées ?

Premier niveau d’analyse : avant 2017, les Ouïghours faisaient beaucoup plus d’enfants que les autre ethnies. Encore que le Tibet compte 8 fois moins d’habitants que le Xinjiang. On peut peut-être attribuer cela au fait que les populations musulmanes mondiales ont longtemps eu des taux de fécondité supérieure à la moyenne. À partir de 2017, les Ouïghours arrivent à un niveau comparable à ceux du Tibet.

Deuxième niveau d’analyse  : on peut supposer que le niveau de vie d’une famille baisse d’autant plus qu’elle a de bouches à nourrir. Et que cette précarité est le terreau de la haine et de la violence. Elle l’est chez nous, je ne vois donc pas pourquoi ce serait différent en Chine. Encore que les aides sociales jouent en France un rôle d’amortisseur. Mais il n’y a pas autant d’aides sociales en Chine.

Troisième niveau d’analyse : on peut faire l’hypothèse qu’au plus fort des vagues terroristes en Chine (2014-2015) et des violentes émeutes au Xinjiang, le gouvernement chinois ait conclu que pour sortir de cette spirale de violence et de radicalisation islamique, le mieux était de sortir les gens de la pauvreté et donc, de limiter les naissances, ainsi que l’ethnie majoritaire Han a été contrainte de le faire pendant deux générations, alors même que les minorités avaient, elles, le droit de faire autant de marmots qu’ils en avaient envie.

Quatrième niveau d’analyse : cette chute du taux de natalité ouïghour est peut-être due à l’efficacité combinée du planning familial, d’un accès facilité à l’IVG, d’une meilleure contraception, d’une certaine prise de conscience ouïghoure, et sans aucun doute d’une politique anti-nataliste qui a mis un terme à la violence en permettant aux Ouïghours d’accéder plus facilement à la société de moyenne aisance chère à Xi Jinping.

Je ne sais pas.

J’attends la vôtre, d’analyse.

30/08/2023 20:46 par Georges Rodi

> sixiangjiaoyu
J’ai remarqué oui...
Cela dit, le développement économique du Xinjiang est sans commune mesure avec celui du Tibet.
Et au départ, il y a aussi de grandes différences culturelles en jeu. Toutes les ethnies n’ont pas pour tradition d’avoir 4 ou 5 enfants par couple et donner leurs filles à marier à 14 ans...

Pour prendre un peu de hauteur, le Xinjiang a pris une importance géostratégique plus extrême que jamais.
Outre le fait qu’il s’agit de la tête de pont des nouvelles routes de la soie, il y a tous les pays alentour qui méritent la plus grande attention : Afghanistan, Pakistan, Kirghizstan, Kazakhstan... Tous ces pays voisins font l’objet d’influences des USA et/ou de la Turquie. Sans oublier l’Inde qui joue sur tous les tableaux.
La dernière chose dont Beijing aurait besoin, ce serait en plus d’avoir à gérer des problèmes internes.
Et ce serait une provocation incroyablement maladroite que d’imposer une limitation des populations du Xinjiang.
J’ai beau me poser la question, je ne vois pas pour quelle raison le PCC se dirait tiens, et si réduisait la population de ces braves Ouïghours.
Je reste donc dans l’idée qu’il faut laisser passer encore quelques années pour décrypter les données démographiques et voir comment cela va évoluer.

31/08/2023 17:48 par sixiangjiaoyu

Bonjour Monsieur Vivas,

J’ai effectué le travail de recherche que vous m’avez suggéré il y a quelques années déjà.

L’harmonisation des règles à laquelle vous faites allusion remonte à 2017. Elle a consisté à augmenter le nombre d’enfants que les familles Han pouvait avoir légalement (2 pour les urbains et 3 pour les ruraux). Par ailleurs, cette harmonisation avait déjà eu lieu au sud du Xinjiang dès l’année 2012. Du strict point de vue légal, cette évolution ne concernait par conséquent pas les minorités.

En revanche, on peut penser que la législation était mal appliquée avant 2017 et qu’elle a ensuite été mise en oeuvre avec diligence après cette date.

Cependant, l’ampleur de la variation dans le nombre de naissances est impressionnante. Les chiffres du recensement de 2020 indiquent que le nombre d’enfants ouïghours âgés de 0 à 4 ans (grosso modo, le nombre de naissances entre 2016 et et 2020) représentait environ le tiers des enfants âgés de 5 à 9 (soit, "nés entre 2010 et 2015).

(627 281 enfants âgés de 0 à 4 pour 1 749 178 de 5 à 9 ans : La différence entre les deux groupes est d’1,1 million)
(Tableau 2.2).
http://www.stats.gov.cn/sj/pcsj/rkpc/7rp/zk/indexch.htm)

Ne trouvez-vous pas digne d’intérêt une variation de cet ordre ?

Ces chiffres sont cohérents avec l’évolution du taux de natalité de la région entre 2017 et 2019 (15,88‰ en 2017 à 10,69‰ en 2018 puis à 8,14‰ en 2019. En pourcentage, la baisse de 2017 à 2018 est de 33% et celle de 2018 à 2019 de 23%. Entre 2017 et 19, le taux de natalité a baissé de 48% environ. )

Dans votre livre "Ouïghours pour en finir avec les fake news", vous écrivez "n’en déplaise aux détracteurs de la Chine, le taux de croissance de la population du Xinjiang était (en 2018) de 6,13 pour mille, alors que celui de la population nationale était de 3, 8". (p.101 et 102 de l’édition électronique).
Cependant, le taux de croissance de la région était de 3,69 pour mille en 2019, soit un an plus tard et sous la moyenne nationale.

Vous donnez aussi pour l’ensemble de la population ouïghoure en 2018, le chiffre de 12,72 millions alors que le recensement de 2020 indique 11, 77 millions. (Fort heureusement, l’almanach statistique de la région autonome de 2018 estimait la population ouïghoure de la région à 11,67 millions. Le recensement de 2020 indique 11, 62 millions de Ouïghours au Xinjiang. Les deux chiffres ne sont pas tout à fait comparables, parait-il, du point de vue méthodologique.)

Il me semble donc difficile de contester que durant la période 2017-2020, la natalité au Xinjiang a fortement chuté et que la population ouïghoure du Xinjiang n’a durant cette période pas augmenté, voire légèrement diminué (ce qui est logique).

Comment expliquer ces deux faits ?

On peut évidemment invoquer une multiplicité de facteurs. Mais il est assez évident que sur une période aussi courte, des éléments comme l’augmentation de la scolarisation, l’urbanisation ou l’évolution des mentalités sont moins importants que la mise en oeuvre très radicale du planning familiale (et l’augmentation du nombre d’arrestations ).

Quelles ont été les motivations qui ont poussé à cette très stricte mise en oeuvre du planning familiale ?

La volonté d’émanciper la femme, de lutter contre la pauvreté, mais aussi, peut-être, celle d’assurer la stabilité de la région.

Li Xiaoxia, cheffe du département d’études des minorités de l’institut de sociologie du Xinjiang, écrivait en 2017, dans une "analyse de la question démographique et des politiques démographiques au Xinjiang" : la croissance démographique des minorités ethniques du Xinjiang est trop rapide ce qui ne cesse d’accroitre la pression sur les ressources naturelles et sociales et rend difficile l’amélioration qualitative de la population et la solution du problème de la pauvreté et a in fine des conséquences pour la stabilité sociale. [Par ailleurs], l’écart entre la population des minorités ethniques et celle des Hans ne cessent de grandir ce qui fait que certaines zones deviennent « mono-ethniques » de manière très visible et que les échanges entre les diverses ethnies ne sont pas suffisamment fréquents, ce qui cause la concentration d’éléments ethniques, religieux et régionaux et contribue à renforcer le sentiment que la zone appartient à une seule ethnie tout en affaiblissant le sentiment de reconnaissance de l’Etat et de l’appartenance à la nation chinoise, ce qui influence la stabilité de la région. Pour cette raison, contrôler l’accroissement de la population des minorités et ajuster la composition ethnique des zones concernées sont considérés comme des moyens importants de réaliser la stabilité du Xinjiang."

01/09/2023 09:25 par Xiao Pignouf

sixiangjiaoyu,

Vous avez donc des éléments de réponse. Qui correspondent à ceux que j’ai donnés sans voir eu à étudier la question. Les politiques chinoises, quel que soit leur objet, ont toujours été volontaristes et pragmatiques et ne rencontrent que peu d’opposition de la part du peuple. Quand le gouvernement chinois décide quelque chose, le peuple suit car le gouvernement chinois, c’est le peuple. Je schématise ici évidemment, mais dans la réalité, il y a très peu de foyers chinois qui n’ont pas plusieurs de leurs membres au PCC. Pratiquement toute ma belle famille y est.

La baisse de natalité au Xinjiang, rendue publique d’ailleurs par un gouvernement qui a (trop souvent à mon avis) tendance à dissimuler ses erreurs ou tout incident pouvant donner une mauvaise image de la Chine, est explicable par des mesures gouvernementales d’incitation dénataliste, probablement contraignantes par certains aspects puisqu’elles vont à l’encontre des préceptes de l’islam (qui sont les mêmes que ceux du christianisme : « Et vous, soyez féconds et multipliez, répandez-vous sur la terre et multipliez sur elle »). La question, comme le dit G. Rodi, c’est de savoir si les Ouïghours s’en porteront mieux au bout du compte.

01/09/2023 10:53 par Georges Rodi

> sixiangjiaoyu

Well, il me semble que Li Xiaoxia parle de lutte contre la pauvreté, d’amélioration qualitative de la population (autrement dit émancipation, éducation des filles, apprentissage de la langue chinoise, d’un métier...), ce qui est totalement en phase avec mes commentaires précédents.
Et ce qui passe par une remise en cause du système traditionnel légèrement féodal sur les bords qui existe encore au Xinjiang.

Il y a des médias pour regretter le système féodal du Tibet aussi. En oubliant le servage et la misère qui frappaient 80% de la population.
Mais si aujourd’hui vous comparez le sort des tibétains qui ont choisi de suivre le Dalaï-Lama, et ceux qui sont restés en Chine... Si vous comparez le développement des traditions et de l’éducation religieuse... Il n’y a rien pour sauver la face de ceux qui soutiennent encore le Dalaï Lama...

Oui, cela passe par une lutte d’influence, et des mesures d’éducation, de développement, de contrôle des naissances avec la pose de stérilets qui ne sont pas des outils de stérilisation et/ou de génocide.
Merci de noter, c’est important, que ces mesures ne ciblent pas les Ouïghours qui vivent partout ailleurs en Chine, mais concernent bien d’avantage une zone géographique, une des dernières provinces où régnait l’extrême pauvreté.

Et alors ?
Ce n’est pas justifié ?
Le jeu n’en vaut pas la chandelle ?
La population ouïghoure se porterait mieux "comme avant" ou sous un régime taliban ?
Je le redis... Chacun en pense ce qu’il veut. Tout comme pour les Tibétains, les Mongols, Les Miao...

Au final, le PCC ne nous a pas attendu pour affirmer une position claire, et agir.
Et je l’approuve d’autant mieux lorsque je contemple le sort des musulmans en France :)

03/09/2023 08:56 par Xiao Pignouf

En précision de ce que j’ai dit précédemment :

Le PCC, c’est 100 millions de membres, soit un citoyen chinois sur 15.

06/09/2023 20:12 par sixiangjiaoyu

Bonjour Xiao,

Désolé, je viens seulement de voir votre réponse et les différents niveaux d’analyse que vous proposez.

Je voudrais souligner un point qui me semble important : les chiffres concernent uniquement les naissances ouïghoures et non les naissances au Xinjiang.

Vous admettrez que la baisse est assez impressionnante.

Mon opinion est la suivante :

La campagne de lutte contre le terrorisme, l’extrémisme et le séparatisme ainsi que la campagne de lutte contre la pauvreté (qui impliquait une mise en oeuvre du planning familial complétement "covid zero"style) ont abouti à une baisse des naissances tout à fait choquante et à des incarcérations de grande ampleur (dans des centres de déradicalisation qui avaient la forme et sont devenus par la suite des prisons).

Maxime Vivas a défendu avec exactitude à mon sens qu’il ne s’agissait pas d’un génocide. Avec exactitude, dans la mesure où le crime de génocide a une définition légale précise et que l’intention de diminuer les naissances dans le groupe ouïghour pour en diminuer la taille n’est pas démontrable, ni probable (bien que l’idée que le sud du Xinjiang soit trop ouïghour et pas assez mélangé est répandue chez les spécialistes chinois de la région et probablement pas étrangère aux décideurs).

Mais le fait que les mesures prises par le gouvernement chinois ne correspondent pas à la définition juridique du crime de génocide, n’empêche pas leur caractère scandaleux et rend difficilement supportable les ’lavages plus blanc que blanc" auquel Maxime Vivas s’est laissé aller en compagnie d’Aymeric Monville lors de cette troisième visite.

La chose positive qui ressort des derniers reportages de M.Vivas et de ce pontifiant sinophone de Monville est que la situation s’est finalement améliorée. Les émeutes contre le zéro covid à Urumuqi n’ont heureusement pas été (uniquement) interprétées comme un complot de la CIA et le fait que des chinois de toutes ethnies en aient eu marre de ces méthodes a évité qu’on ne s’imagine que c’était le fondamentalisme musulman et les américains qui se trouvaient à la manoeuvre.

En attendant, les autorités chinoises sont arrivées à ce magnifique résultat :
627 281 enfants ouïghours âgés de 0 à 4 pour 1 749 178 de 5 à 9 ans(Tableau 2.2 du recensement de 2020)
http://www.stats.gov.cn/sj/pcsj/rkpc/7rp/zk/indexch.htm

09/09/2023 10:44 par Xiao Pignouf

sixiangjiaoyu,

Désolé, je viens seulement de voir votre réponse et les différents niveaux d’analyse que vous proposez.

Pas de souci, mes réponses apparaissent souvent en retard.

Mais le fait que les mesures prises par le gouvernement chinois ne correspondent pas à la définition juridique du crime de génocide, n’empêche pas leur caractère scandaleux et rend difficilement supportable les ’lavages plus blanc que blanc" auquel Maxime Vivas s’est laissé aller en compagnie d’Aymeric Monville lors de cette troisième visite.

On reste ici au niveau de l’hypothèse. Vous n’avez en dehors de vos chiffres aucun élément concluant qui permette de juger du caractère scandaleux des politiques de limitation des naissances au Xinjiang, dans la communauté ouïghoure. Vous souhaitez juste aller dans le sens de la diaspora ouïghoure qui accuse la Chine de génocide. Selon votre définition, le gouvernement chinois pourrait tout aussi bien être suspecté de génocide contre l’ethnie han qui a subie la réduction forcée de son taux de natalité durant 4 décennies.

Une politique de réduction des naissances est un outil que l’état chinois emploie car il sait très bien que sa grande faiblesse, c’est sa démographie. Être d’accord avec ou pas n’a aucune espèce d’importance.

Je ne sais pas quels sont vos liens avec la Chine, mais vous me pardonnerez si je préfère croire en la fiabilité d’informations qui me viennent de personnes qui ont mis les pieds au Xinjiang et qui ont rencontré des vrais Ouïghours qu’une version provenant de gens qui ne bougent pas de leurs bureaux confortables parisiens ou qui se contentent de compulser les statistiques sans être statisticien. Il est bien connu qu’on fait dire ce que l’on veut à des chiffres. Cela étant dit, vous avez raison de penser que se rendre quelques jours dans un endroit, ça ne donne peut-être pas une idée précise de l’opinion générale qui y prévaut, mais ça s’en approche surtout quand on pose des questions et qu’on fait attention aux réponses qu’on reçoit.

On peut voir la lune à l’oeil nu, mais on la voit mieux et plus en détail au téléscope.

10/01/2024 18:50 par gilles
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