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En Irlande aussi c’est une vote de classe… remarques sociologiques autant que politiques

Plus le jour de l’élections se rapprochait, plus il était question d’un duel serré, le verdict a été clair : 53,4% des irlandais ont dit Non. Clair et net. Faisons un point d’histoire : il y a eu le Traité Constitutionnel que le NON français puis le NON néerlandais ont repoussé en 2005. Puis en 2007 est intervenue la forfaiture de Lisbonne. Les politiciens de tous poils ont décidé de ne plus faire appel à la légitimation populaire et d’imposer entre gens de l’establishement ce traité devenu Traité de Lisbonne. C’est ainsi que ce dernier fut honteusement imposé au peuple français par ses politiciens. Oui mais les Irlandais étaient obligés par leur Constitution d’organiser le référendum. Ce devait être une promenade de printemps pour le OUI. L’irlande, disait-on, avait bénéficié plus que tout autre pays de son intégration dans l’Union européenne. Tous les grands partis étaient pour, le gouvernement comme l’opposition. La victoire du NOn en Irlande est vécue par beaucoup de peuples européens comme étant un peu la leur, eux que l’on n’a pas consulté, eux dont on a méprisé l’avis.

Un pays pro-européen et l’ampleur du désaveu

l’Irlande était considérée comme un pays pro-européen. N’avait-il pas été un de ceux qui avaient le plus bénéficié de cette intégration ?

Quand un sondage du quotidien Irish Times, le 6 juin, donna le non en tête, l’inquiétude se fit alors perceptible dans le camp du OUI mais aussi chez les politiciens européens. Ils se précipitérent en rangs serrés pour tenter de convaincre et, à défaut, d’apeurer les Irlandais. Dans les médias le ton était devenu grave : « se pourrait-il ? ». Mais on imaginait un résultat trés serré et même une remontée de dernière minute du OUI.

L’ampleur du refus a donc surpris tout le monde et ce fut la deuxième mauvaise surprise : non seulement les Irlandais - comme les Français et les Néerlandais - avaient dit « non » mais ils l’avaient fait à une large majorité.

Il y a incontestablement dans les refus des peuples européens des parallélismes troublants : on peut dire que pratiquement chaque fois que l’on consulte un peuple sur l’Union européenne, il répond de la même manière au chantage politicien : il dit Non à cette Europe, il n’y voit pas grand avantage, ni se sent certainement pas un citoyen.

Vous n’allez pas oser dire NON ?

En Irlande, comme nous l’avons vécu en France, il y eut le chantage à l’isolement. "Vous seriez les seuls ! Vous n’allez pas oser ?" Eh oui, ils ont osé…

Et, là encore, il y a une grande distance entre le monde politicien et le citoyen lambda de France, de Hollande ou d’Irlande. Notre classe politique, d’abord les tenants du OUI, les pro-européens de droite ou de gauche, les principaux partis, les médias, mais également les tenants du NON eux-mêmes, les communistes, n’osent même pas envisager de sortir de l’Union européenne et même de la zone euro, ils n’osent même pas se poser la question de cette sortie.

L’audace tranquille de leurs peuples tranche sur leur propre pusillanimité. Et si ces élections sont un coup de tonnerre, c’est que le Non, tout le monde le subodore, renvoie à un refus plus fondamental, à quelque chose que personne dans la classe politique n’ose aborder. L’Union européenne pour la plupart des Français, en particulier les couches populaires, et même les jeunes, c’est un machin sur lequel ils n’ont aucune prise, un lieu où se congratulent des politiciens, une monnaie dont l’adoption a correspondu à un triplement des prix sans que les salaires suivent. Non seulement l’Europe n’est jamais devenue une patrie mais elle est fondamentalement étrangère aux intérêts des classes populaires.

Les Irlandais, comme les Français, n’ont pas une confiance extrême en leurs propres hommes et femmes politiques, mais ceux du voisin leur paraissent encore plus suspects. Ainsi, au risque de vexer notre orgueil national à nous Français, il faut mesurer que la proximité de la présidence française a renforcé le NON. Un des thèmes a été les projets secrets militaristes imputés à notre président Sarkozy, à la fin de la neutralité irlandaise. Sans parler des déclarations intempestives de notre gaffeuse de ministre de l’economie Christine Lagarde en faveur d’une harmonisation fiscale en UE. Même les acquis d’une intégration européenne allaient être supprimés et les pays allaient se retrouver derrière un Sarkozy le belliciste, le toutou de Bush.

Mais rassurons-nous, ce fut un thème parmi d’autres et pas la cause efficiente. Le peuple irlandais a d’abord désavoué sa propre classe politique. Ici, comme en France ou en Hollande, le désaveu a frappé les membres du gouvernement, les circonscriptions des ministres en charge des questions européennes ont répondu un non franc et massif (celle du Dick Roche, le ministre en charge de l’Union européenne, ou celle de Michael Martin, ministre des affaires étrangères en particulier).

C’est ici aussi un vote de classe

Autre ressemblance : lors du NON français, une étude géopolitique du NON m’avait fait constater ceci : ce n’est pas un NON de gauche ou de droite mais un NON de classe. J’avais mis en garde les collectifs anti-libéraux qui s’attribuaient la victoire, comme d’ailleurs toutes les forces politiques : nous sommes devant un refus de classe. Par suite de la délinquescence actuelle du Parti Communiste Français, le refus passe en majorité par d’autres circuits que l’activité de tel ou tel groupuscule ou tel parti. Iil est porté par les discussions sur les lieux de travail, les familles, et c’est même cela qui expliquait, selon mon analyse, la géographie de ce NON qui reproduisait pratiquement les zones d’influence du PCF d’il y a trente ans.

On retrouve en Irlande le même phénomène. Ainsi, si l’on considère Dublin, les banlieues riches du sud ont voté à près de 60% pour le traité alors que les banlieues ouvrières du nord-ouest et du sud-est à plus de 60% pour le NON. Le vote rural est un vote pour le NON et il faut bien voir que, comme en France, les zones dites rurales sont en fait de plus en plus ouvrières. En revanche, tous les lieux de regroupement des classes moyennes et privilégiées donnent la majorité au OUI. On se croirait dans une pièce de théâtre de Sean O’Casey le grand dramaturge du prolétariat irlandais : le NON monte de l’aliénation, des difficultés quotidiennes. C’est un refus qui correspond encore, faute de perspective, à l’état de colère impuissante d’un prolétariat que l’on a désorganisé et privé de moyens d’action collective et que l’on conduit ici comme en Italie vers le refus d’une classe politique qui n’a que mépris pour lui.

Bien sûr, déjà l’interprétation de ce vote par les médias redouble ce mépris de classe. Les journalistes sont des petits bourgeois aux ordres de grands et de ce vote ils ne voient que l’ hétéréogénéité, celle d’un front des mécontents incompétents. Cela n’est pas dit aussi clairement mais déjà le ton monte, les articles laissent entendre que ceux qui ont refusé ne savaient pas ce qu’ils faisaient, ce sont des incultes, des mauvais coucheurs. On met en avant le populisme, l’influence de l’extrême-droite en oubliant un peu que la nation n’est pas nécessairement chauvine et que le patriotisme est selon le mot célébre la richesse des pauvres, surtout dans un pays comme l’Irlande où la conquête d’une nation a du se faire quasiment dans une lutte contre le colonialisme, la misère des masses.

La réaction des "nantis"

Cette Europe prétend concilier l’eau et le feu. Elle cherche la pierre philosophale du progrès, des droits de l’homme, et de la paix, mais elle bat monnaie tous les jours à partir des intérêts des mutinationales, des financiers et des marchands d’armes. De ce fait, c’est est une escroquerie que de plus en plus les peuples refusent. Mais visiblement, il y en a qui y trouvent leurs intérêts et ils vont tout faire pour la maintenir à flot, pour tenter d’effacer le vote irlandais comme ils ont nié le vote français et néerlandais. Voici d’ailleurs ce que déclare le Figaro de ce matin 14 juin 2008. Le Figaro est le grand journal conservateur possédé par le marchand d’armes Dassaut :

« Un nouveau texte, avec des amendements mineurs répondant aux inquiétudes irlandaises, peut être soumis à un second vote en Irlande. S’il est adopté, la crise ne sera plus qu’un incident de parcours et le traité de Lisbonne entrera en vigueur après quelques mois de retard. Le traité de Nice, rejeté par les Irlandais en 2001 avant d’être approuvé en 2002, moyennant quelques changements, offre un précédent qui justifie la manoeuvre.

Mais pour qu’elle soit viable, il faut agir vite, dès le Conseil européen de la semaine prochaine. Une initiative franco-allemande est annoncée. Elle devra stopper tout effet boule de neige que le non irlandais pourrait avoir dans d’autres pays, tentés de remettre en cause leur ratification. Personnage clé de cette stratégie, le premier ministre britannique, Gordon Brown, a indiqué qu’il jouerait le jeu. Ainsi, l’Europe évitera de replonger dans la paralysie institutionnelle et la présidence française de l’Union pourra se dérouler sans trop de dégâts.

Il n’y a pas d’autre solution. Renégocier le traité de Lisbonne est hors de question. Il résulte déjà d’une renégociation laborieuse du texte abusivement nommé « constitution ». Les marchandages doivent avoir une fin.

Baisser les bras et continuer avec le traité de Nice n’est pas une option. Cela reviendrait à maintenir le statu quo, et notamment le règne de l’unanimité, une situation ingérable à vingt-sept et qui le sera encore plus après les prochains élargissements.

Tout remettre à plat est impossible : ce serait faire fi de dix années d’efforts pour sortir de l’impasse institutionnelle.

Pour que l’Europe suive son chemin, pour qu’elle puisse peser dans un monde en plein bouleversement, il va falloir dédramatiser le non irlandais et garder le cap sur les priorités de la politique européenne. Ce sera le défi de la présidence française. »

Tout y est, la ligne de la bourgeoisie est tracée : il faut minimiser la portée de ce vote, forcer les Irlandais à voter, à revoter jusqu’à ce qu’ils disent "oui" ! Il faut poursuivre avancer dans cette construction européenne…

Une de leurs forces est de nous obliger à penser dans le cadre contraignant qu’ils construisent jour après jour. Ils cherchent à nous persuader que ne pas appartenir à cette Europe là est une hérésie, un véritable sacrilège... nous ne pouvons pas ne pas faire partie de la zone euro… Alors le Non des peuples est une tranquille manière de dire : « Rien de ce que vous proposez n’est obligatoire ! » Il y a dans cet entêtement, ce refus de s’en laisser contenter, une force inouïe. Le vrai problème est de construire une force politique apte elle aussi à ne pas se laisser contraindre par ce que le capital considère comme incontournable, obligatoire, infranchissable…

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Claud Cockburn

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