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Bruxelles - Procès des « filières kamikazes » : ennemis de l’empire ?

La 12e chambre correctionnelle de la cour d’appel de Bruxelles a ouvert, le 21 avril, le procès en appel de 5 prévenus, condamnés en première instance, pour appartenance à un groupe terroriste, à des peines de 28 mois à 10 ans de prison. Ils sont accusés d’avoir participé à une filière qui aurait recruté en Belgique des combattants prêts à mourir, en vue de faire la guerre en Irak. L’accusation leur reproche, notamment, d’avoir contribué au passage en Irak de Muriel Degauque, qui se serait fait exploser le 9 novembre 2005.

Dans un conflit dans lequel la Belgique n’est pas partie prenante, le tribunal se donne la compétence de déterminer, parmi les forces en lutte, celles qui sont légitimes et celles qui sont criminelles. Plutôt que de considérer les prévenus comme des combattants, luttant contre la présence illégitime des troupes américaines, statut prévu dans le droit international humanitaire, le tribunal les désigne comme des terroristes et cela pour deux raisons : d’une part, leur combat ne serait pas juste et, d’autre part, les moyens employés les désignent comme des criminels.

Le tribunal estime que ces hommes faisaient partie de milices islamistes qui « rêvent de créer une guerre civile interconfessionnelle pour amener au pouvoir un régime rétrograde ». Le président du tribunal avait aussi dit que « leur objectif réel était de se livrer à une guerre de religion et à une croisade anti-occidentale » afin d’instaurer un califat. Pourtant, le tribunal a accordé foi aux déclarations du prévenu L. selon lesquelles il s’était battu sur le front, à la bataille de Falloudja en 2004, contre les raids américains et non contre des civils.

Ainsi, malgré que la guerre initiée par les Etats-Unis ait été déclenchée en violation du droit international et pour des motifs, collaboration du régime irakien avec le réseau Ben Laden, existence d’armes de destruction massive, qui ont été invalidés par les faits, le jugement s’inscrit dans le cadre du « choc des cultures » et de « la lutte du bien contre le mal » initiée par le président des Etats-Unis.

Ignorant l’existence des troupes d’occupation, 150.000 soldats et plus de 100.000 mercenaires, le procureur a estimé que l’occupation de l’Irak était déjà terminée au moment des faits. Le passage d’un état de guerre à une situation de paix ne serait pas déterminé par la réalité du terrain, mais par la déclaration faite par l’administration américaine. Cette reprise intégrale du point de vue américain a été partagée par le tribunal, qui a estimé qu’il n’y avait pas de conflit armé en Irak en 2004-2005 au sens du droit international humanitaire, au motif que les factions armées dissidentes n’ont pas occupé de partie significative du territoire irakien, à partir de laquelle elles auraient pu lancer des attaques systématiques.

Rappelons que, par exemple, l’application de ces critères aux résistants à l’occupation nazie les transformerait en terroristes.

Leur manque de visibilité est aussi, pour le tribunal, un élément qui les désigne comme des terroristes. Un combattant ne peut que faire partie d’une armée régulière d’un Etat constitué. Toute guérilla, toute guerre de résistance des populations contre un ennemi militairement supérieur devient automatiquement criminelle. Cependant, ce jugement ne semble pas s’appliquer aux mercenaires employés par des firmes privées américaines, combattants qui ne sont pas soumis au droit de la guerre et qui ne sont pas plus identifiables que les résistants. Ils ne mènent, non plus, aucune action couvrant l’ensemble du territoire.

Ce ne serait donc pas les caractéristiques intrinsèques d’un combattant qui feraient de lui un criminel, mais simplement le fait qu’il est désigné comme tel par l’administration américaine. C’est le pouvoir que se donne celle-ci de nommer un ennemi comme un terroriste que conforte le tribunal. Cette reconnaissance l’intègre dans un ordre de droit impérial.

L’accusation et le jugement de première instance reposent sur une construction : l’existence d’une filière belge de kamikazes pour combattre en Irak. La réalité d’un groupe structuré n’a pas été établie et le parquet fédéral n’a pas rapporté la preuve que les personnes prévenues ont « recruté des terroristes ».

Les éléments transmis par le FBI ne permettent pas de savoir avec précision ce qui s’est passé. Le parquet fédéral n’a pu étayer que les prévenus avaient l’intention d’envoyer des gens en Irak pour s’y faire exploser.

Les preuves reposent sur des demandes d’entraide adressées aux USA, au Maroc, à l’Algérie, à la Turquie, à la Syrie, à la France, à la Thaïlande. Les éléments recueillis par cette voie sont présumés l’avoir été de manière régulière, sans que la défense ait eu les moyens d’en vérifier la légalité. Le tribunal considère qu’en matière d’entraide judiciaire internationale, il n’est pas requis que soit transmise l’intégralité du dossier. Il est ainsi impossible de renverser la présomption de légalité de ces éléments. Pourtant la défense a montré que la recherche et la saisie de données informatiques étaient entachées d’irrégularités selon le droit américain.

Des preuves recueillies en Algérie ont aussi été acceptées et ce malgré que le Conseil de l’Europe considère que ce pays utilise systématiquement la torture dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Le tribunal a déclaré qu’il « n’est ni équipé, ni compétent, ni habilité à décerner de bons et de mauvais points à un Etat en la matière ». Ce tribunal, non habilité pour vérifier la légalité des moyens de preuves qui lui sont soumis, se donne cependant une compétence universelle pour définir ce que sont une démocratie, un état de guerre ou de paix ou ce que sont une guerre et une résistance justes.

Si le tribunal d’appel confirme le premier jugement, cela créerait une jurisprudence qui permettra que l’incrimination américaine « d’ennemi combattant illégal », soit reconnue dans notre ordre pénal. Cela facilitera des demandes d’extradition de citoyens belges vers les USA sur la base de cette notion et rien, dans les accords d’extradition, signés en 2003 entre l’Union européenne et les Etats-Unis, n’empêche que les personnes remises soient jugées devant des commissions militaires, des tribunaux spéciaux où les droits de défense n’existent pas. Cette jurisprudence placerait ainsi notre système judiciaire dans un ordre juridique impérial. Il perdrait non seulement son autonomie, mais aussi sa capacité de juger des faits, devant valider des systèmes de valeur et les prises de position politiques des autorités américaines.

jeudi 05 juin 2008

(*) Jean-Marie Dermagne, avocat, ancien Bâtonnier, enseignant UCL ; Bernard Francq, professeur UCL ; Corrine Gobin, chercheuse ULB ; Lieven de Cauter, philosophe KULeuven/RITS ; Jean-Marie Klinkenberg, professeur ULG ; Dogan à–zguden, journaliste Info-türk ; Christine Pagnoulle, enseignante ULG ; Jean-Claude Paye, sociologue ; Eric Therer, avocat ; Jean Pestieau, professeur UCL ; Dan Van Raemdonck, professeur ULB.


Commentaire sur la pétition Filières kamikazes

De 1938 à 1940, le grand journaliste anglais Alexander Werth, correspondant à Paris du Manchester Guardian, meilleur connaisseur étranger de la situation politique française dans la seconde moitié des années 1930, a désigné par l’expression allemande de Gleichshaltung (mise au pas) la phase munichoise de l’alignement des élites économiques et politiques françaises sur le modèle allemand. La même chose se produisit alors dans toutes les élites des pays du continent européen que le Reich allait bientôt occuper - la Gleichshaltung précéda et prépara directement la phase de l’Occupation : ce qui s’était produit avec l’impérialisme dominant allemand et protecteur des coffres-forts s’est produit ensuite avec le nouveau maître, dans la sphère d’influence américaine. La servitude des pays vassaux, qui date des lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, atteint, en cette phase de crise aiguë, une acuité égale à celle des prodromes de la précédente guerre générale.

Bien cordialement,

Annie Lacroix-Riz

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