RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
10 

En route vers le grand dépit national

La France vit en ce début d’année un beau moment de surréalisme exacerbé. Un « grand débat » a été décidé et lancé à l’échelle du pays tout entier par Le Président de la République soi-même. Il s’agirait de connaître enfin « ce que veulent vraiment les Français ». En même temps (!) il s’agirait de répondre à « la crise des gilets jaunes ». On observe là une habile tentative de noyer le poisson : englober les revendications légitimes portées par les gilets jaunes dans un grand déballage où tous les Français sont appelés à émettre leurs doléances à partir d’un catalogue de sujets choisis en haut-lieu. Habile tentative car cela permet de contourner une évidence : ce que demande les gilets jaunes on le connait pour l’essentiel. On peut même ajouter que ces doléances-là sont connues depuis longtemps. D’une manière certaine, elles sont toutes contenues depuis des années dans les alertes des sociologues, économistes hétérodoxes et autres intellectuels effrayés par l’ampleur des dégâts sociaux et territoriaux perpétrés par la gestion néolibérale du capitalisme contemporain. Il sera aisé, à l’issue du « machin », de proclamer que l’on ne pouvait répondre à toutes les requêtes. On lâchera encore quelques miettes en direction des plus démunis en même temps que l’on aura gagné quelques mois, le problème posé par un mouvement social inédit et stimulant ainsi restera intact.

Le problème ne peut en effet que demeurer intact puisque les réformes déjà adoptées depuis juin 2017 et d’ores-et-déjà annoncées pour la suite des réjouissances macronniennes ne figurent pas au catalogue du grand débat présidentiel. Dès le début du quinquennat, la politique orchestrée par Emmanuel Macron était magistralement tournée vers les intérêts bien compris des possesseurs du capital. De somptueux cadeaux fiscaux vinrent très vite satisfaire les riches donateurs de la campagne présidentielle victorieuse. Ainsi, la suppression de l’ISF fut votée au Parlement dès octobre 2017 alors qu’elle était initialement prévue pour n’entrer en vigueur qu’en 2019 . C’est que les opulents donateurs souvent s’impatientent. Cependant, il convient de ne pas se concentrer sur le seul ISF. La réduction drastique du taux d’imposition des revenus du capital financier est un cadeau bien plus « royal ». Cet impôt, que les Anglais nomment /flat tax/, progressait avec lesdits revenus avant que Jupiter ne s’en occupe hardiment. Le taux d’imposition allait jusqu’à 60% pour les plus nantis. Il fut ramené forfaitairement à 30% pour tous les heureux bénéficiaires de cette largesse d’Etat ! En fait, par un tour de passe-passe, que BFM-business se garda bien de dénoncer, ce prélèvement forfaitaire tombe – à pic ! – à 12,8%, donc en dessous du premier taux d’imposition des revenus du travail salariés (14%). Le manque à gagner fiscal, que l’on fait payer à d’autres –suivez la flèche –est donc bien plus conséquent qu’on ne le dit communément. Soyons-en sûrs, Emmanuel Macron ne changera pas son fusil d’épaule en matière fiscale – sauf à la marge éventuellement – prisonnier qu’il est de ses engagements indéfectibles envers ses bailleurs de fonds.

En admettant qu’Emmanuel Macron ait un jour prochain l’envie de trahir les souhaits profonds de ses camarades de classe, il se heurterait à un autre écueil. Désormais, pour changer de politique, notamment en matière fiscale, il faut disposer de marges de manœuvre, marges qui nécessiterait de remettre en cause profondément les tendances lourdes du capitalisme mondialisé et financiarisé. Dans le « concert des nations » riches le capitalisme français n’est évidemment pas en reste. L’association Attac a « épluché les rapports annuels des sociétés du CAC 40 pour les huit dernières années (1).

Le premier constat montre que les effectifs de ces sociétés ont chuté en France de près de 20% entre 2010 et 2017, quand leurs bénéfices cumulés, eux, ont augmenté de 9,3%. Chez Michelin, par exemple, le chiffre d’affaires s’est élevé de 22% sur la même période tandis que ses effectifs en France ont fondu dans les mêmes proportions. Les salaires des dirigeants ont progressé de 32% entre 2010 et 2017 pendant que le salaire moyen n’augmentait que de 22%. En 2017, les PDG du CAC 40 ont gagné en moyenne 257 fois le smic sur l’année ! Ainsi, il faudrait en moyenne quatre-vingt-quinze ans à un employé pour empocher le salaire annuel de son patron. Cependant, les vrais gagnants sont les actionnaires. En hausse de 44% entre 2010 et 2017, les dividendes versés ont atteint 57,4 milliards d’euros. Dans le même temps l’investissement (6,1% du chiffre d’affaires) régresse : il a atteint son niveau le plus bas depuis 2007 (7,7%).

Et pourtant, dans le même temps, les grands groupes paient de moins en moins d’impôts. Ceux-ci déclaraient en 2017 s’être acquittés d’un peu plus de 30 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés dans le monde, soit 6,4 % de moins par rapport à 2010. Le titre de "champions de l’évasion fiscale" est à décerner incontestablement aux entreprises du CAC 40. Elles détiennent 15% de leurs filiales dans des paradis fiscaux, soit 2500 sociétés. Et le climat dans tout ça ? Sur les 40plus grosses capitalisations boursières, 22 déclarent des émissions de gaz à effet de serre en hausse entre 2016 et 2017. "Plusieurs d’entre elles étaient pourtant des sponsors de la COP21 !", se souvient Dominique Plihon, coordinateur du présent rapport. Les banques françaises consacraient en 2017 près de 70% de leurs financements aux énergies fossiles, contre 20% aux renouvelables. En tête, BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole. Que pourrait-on ajouter à cet accablant constat ?

Qui peut croire une seule seconde qu’Emmanuel Macron puisse - ou veuille - infléchir d’un iota le contexte mortifère de cette économie de prédation ? Toute sa politique démontre son impuissance à cet égard en même temps que son manque de volonté de déplaire à ses richissimes mandants. Le mois dernier, il a encore reçu en grandes pompes, au château de Versailles, les cent-cinquante plus gros patrons de la planète. Une ultime preuve magistrale que le grand dépit national était d’emblée annoncé. Et la désespérance des plus humbles d’avoir, hélas, de beaux jours devant elle.

Yann Fiévet

(1) Attac - CAC 40 : toujours plus de bénéfices et de dividendes, toujours moins d’impôts et de salariés – En partenariat avec l’Observatoire des Multinationales – Janvier 2019.

URL de cet article 34463
  

Même Thème
Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary
Guy HOCQUENGHEM
Préface de Serge Halimi : Avant de mourir, à 41 ans, Guy Hocquenghem a tiré un coup de pistolet dans la messe des reniements. Il fut un des premiers à nous signifier que, derrière la reptation des « repentis » socialistes et gauchistes vers le sommet de la pyramide, il n’y avait pas méprise, mais accomplissement, qu’un exercice prolongé du pouvoir les avait révélés davantage qu’il les avait trahis. On sait désormais de quel prix - chômage, restructurations sauvages, argent fou, dithyrambe des patrons - (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature ; elle se venge de chacune d’elles.

Friedrich Engels

Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
46 
Reporters Sans Frontières, la liberté de la presse et mon hamster à moi.
Sur le site du magazine états-unien The Nation on trouve l’information suivante : Le 27 juillet 2004, lors de la convention du Parti Démocrate qui se tenait à Boston, les trois principales chaînes de télévision hertziennes des Etats-Unis - ABC, NBC et CBS - n’ont diffusé AUCUNE information sur le déroulement de la convention ce jour-là . Pas une image, pas un seul commentaire sur un événement politique majeur à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis. Pour la première fois de (...)
23 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.