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En route vers le grand dépit national

La France vit en ce début d’année un beau moment de surréalisme exacerbé. Un « grand débat » a été décidé et lancé à l’échelle du pays tout entier par Le Président de la République soi-même. Il s’agirait de connaître enfin « ce que veulent vraiment les Français ». En même temps (!) il s’agirait de répondre à « la crise des gilets jaunes ». On observe là une habile tentative de noyer le poisson : englober les revendications légitimes portées par les gilets jaunes dans un grand déballage où tous les Français sont appelés à émettre leurs doléances à partir d’un catalogue de sujets choisis en haut-lieu. Habile tentative car cela permet de contourner une évidence : ce que demande les gilets jaunes on le connait pour l’essentiel. On peut même ajouter que ces doléances-là sont connues depuis longtemps. D’une manière certaine, elles sont toutes contenues depuis des années dans les alertes des sociologues, économistes hétérodoxes et autres intellectuels effrayés par l’ampleur des dégâts sociaux et territoriaux perpétrés par la gestion néolibérale du capitalisme contemporain. Il sera aisé, à l’issue du « machin », de proclamer que l’on ne pouvait répondre à toutes les requêtes. On lâchera encore quelques miettes en direction des plus démunis en même temps que l’on aura gagné quelques mois, le problème posé par un mouvement social inédit et stimulant ainsi restera intact.

Le problème ne peut en effet que demeurer intact puisque les réformes déjà adoptées depuis juin 2017 et d’ores-et-déjà annoncées pour la suite des réjouissances macronniennes ne figurent pas au catalogue du grand débat présidentiel. Dès le début du quinquennat, la politique orchestrée par Emmanuel Macron était magistralement tournée vers les intérêts bien compris des possesseurs du capital. De somptueux cadeaux fiscaux vinrent très vite satisfaire les riches donateurs de la campagne présidentielle victorieuse. Ainsi, la suppression de l’ISF fut votée au Parlement dès octobre 2017 alors qu’elle était initialement prévue pour n’entrer en vigueur qu’en 2019 . C’est que les opulents donateurs souvent s’impatientent. Cependant, il convient de ne pas se concentrer sur le seul ISF. La réduction drastique du taux d’imposition des revenus du capital financier est un cadeau bien plus « royal ». Cet impôt, que les Anglais nomment /flat tax/, progressait avec lesdits revenus avant que Jupiter ne s’en occupe hardiment. Le taux d’imposition allait jusqu’à 60% pour les plus nantis. Il fut ramené forfaitairement à 30% pour tous les heureux bénéficiaires de cette largesse d’Etat ! En fait, par un tour de passe-passe, que BFM-business se garda bien de dénoncer, ce prélèvement forfaitaire tombe – à pic ! – à 12,8%, donc en dessous du premier taux d’imposition des revenus du travail salariés (14%). Le manque à gagner fiscal, que l’on fait payer à d’autres –suivez la flèche –est donc bien plus conséquent qu’on ne le dit communément. Soyons-en sûrs, Emmanuel Macron ne changera pas son fusil d’épaule en matière fiscale – sauf à la marge éventuellement – prisonnier qu’il est de ses engagements indéfectibles envers ses bailleurs de fonds.

En admettant qu’Emmanuel Macron ait un jour prochain l’envie de trahir les souhaits profonds de ses camarades de classe, il se heurterait à un autre écueil. Désormais, pour changer de politique, notamment en matière fiscale, il faut disposer de marges de manœuvre, marges qui nécessiterait de remettre en cause profondément les tendances lourdes du capitalisme mondialisé et financiarisé. Dans le « concert des nations » riches le capitalisme français n’est évidemment pas en reste. L’association Attac a « épluché les rapports annuels des sociétés du CAC 40 pour les huit dernières années (1).

Le premier constat montre que les effectifs de ces sociétés ont chuté en France de près de 20% entre 2010 et 2017, quand leurs bénéfices cumulés, eux, ont augmenté de 9,3%. Chez Michelin, par exemple, le chiffre d’affaires s’est élevé de 22% sur la même période tandis que ses effectifs en France ont fondu dans les mêmes proportions. Les salaires des dirigeants ont progressé de 32% entre 2010 et 2017 pendant que le salaire moyen n’augmentait que de 22%. En 2017, les PDG du CAC 40 ont gagné en moyenne 257 fois le smic sur l’année ! Ainsi, il faudrait en moyenne quatre-vingt-quinze ans à un employé pour empocher le salaire annuel de son patron. Cependant, les vrais gagnants sont les actionnaires. En hausse de 44% entre 2010 et 2017, les dividendes versés ont atteint 57,4 milliards d’euros. Dans le même temps l’investissement (6,1% du chiffre d’affaires) régresse : il a atteint son niveau le plus bas depuis 2007 (7,7%).

Et pourtant, dans le même temps, les grands groupes paient de moins en moins d’impôts. Ceux-ci déclaraient en 2017 s’être acquittés d’un peu plus de 30 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés dans le monde, soit 6,4 % de moins par rapport à 2010. Le titre de "champions de l’évasion fiscale" est à décerner incontestablement aux entreprises du CAC 40. Elles détiennent 15% de leurs filiales dans des paradis fiscaux, soit 2500 sociétés. Et le climat dans tout ça ? Sur les 40plus grosses capitalisations boursières, 22 déclarent des émissions de gaz à effet de serre en hausse entre 2016 et 2017. "Plusieurs d’entre elles étaient pourtant des sponsors de la COP21 !", se souvient Dominique Plihon, coordinateur du présent rapport. Les banques françaises consacraient en 2017 près de 70% de leurs financements aux énergies fossiles, contre 20% aux renouvelables. En tête, BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole. Que pourrait-on ajouter à cet accablant constat ?

Qui peut croire une seule seconde qu’Emmanuel Macron puisse - ou veuille - infléchir d’un iota le contexte mortifère de cette économie de prédation ? Toute sa politique démontre son impuissance à cet égard en même temps que son manque de volonté de déplaire à ses richissimes mandants. Le mois dernier, il a encore reçu en grandes pompes, au château de Versailles, les cent-cinquante plus gros patrons de la planète. Une ultime preuve magistrale que le grand dépit national était d’emblée annoncé. Et la désespérance des plus humbles d’avoir, hélas, de beaux jours devant elle.

Yann Fiévet

(1) Attac - CAC 40 : toujours plus de bénéfices et de dividendes, toujours moins d’impôts et de salariés – En partenariat avec l’Observatoire des Multinationales – Janvier 2019.

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COMMENTAIRES  

27/01/2019 22:07 par irae

https://youtu.be/zWtTqCH7yGA
Manipulation de l’opinion à base de faux casseurs vrais policiers infiltrés.

28/01/2019 00:01 par Assimbonanga

Serait-il possible de se procurer la liste des 150 patrons invités à Versailles ?

28/01/2019 11:59 par Assimbonanga

Je guette désormais avec impatience les JT du Média après chaque acte parisien des gilets jaunes. Je trouve qu’AU MEDIA, on entend vraiment une différence. C’est différent de France 2, c’est différent des BFMTV/CNEWS/LCI. Et c’est différent de RT.
Malheureusement, Le MEDIA n’apparaît pas systématiquement dans la marge de Youtube, contrairement à RT qui s’est arrangé pour y être très envahissant...
Malheureusement, les vidéos récentes de ces JT des samedis sont accessibles lorsqu’elles viennent juste de sortir, puis très vite il s’y exerce un sabotage (sans doute en faisant jouer la charte des utilisateurs de Youtube ???) qui barre la vidéo d’une demande de se connecter pour décliner son âge. Par la suite, cet avertissement peut disparaître mais alors il est plus tard et l’effet d’actualité est perdu.
Quelqu’un a-t-il connaissance de ce "sabotage" qui m’a tout l’air d’un acte de guerre (médiatique) ?
Dernière vidéo parue, hier : GILETS JAUNES : CASTANER, C’EST LA GUERRE

28/01/2019 13:26 par irae

https://youtu.be/wrq_WikYcaM
Gentille foulard rouge dissimultatrice et menteuse à la fin

28/01/2019 22:16 par alain harrison

Bonjour.
Les médiats , un enjeu politique aux prochaines élections.
Aussi pour la Constituante, pour une VIe République Citoyenne. Il faut penser, concevoir les mécanismes de la Démocratie Directe.

Réfléchir sur l’impôt et revoir la taxe à la consommation (produit de luxe).

28/01/2019 22:46 par T 34

Après les LBD (Lanceur de balle d’éborgnement) et les grenades qui arrachent les mains, des fusils à pompe ont été utilisé à Montpellier pour tirer des biles de plastique (pour l’instant).

A Paris a fait également apparition d’un nouveaux matériel de répression, le marteau (trois photos faites défiler pour toutes les voir). On a pu voir aussi des policiers avec des pavés à la mains (voir la vidéo)

@ La personne que vous montrez dans votre vidéo n’est pas un cas isolé, en voici d’autres messages haineux sur twitter. La foule haineuse ce ne sont pas les gilets jaunes.

30/01/2019 16:39 par cunégonde godot

Quelle est l’utilité d’un article écrit en janvier 2019 (moment quasi révolutionnaire appelé "Gilets Jaunes") prenant soin de ne pas aborder la problématique fondamentalement européiste – maastrichienne –, au confluent de toutes les problématiques apparues de manière pourtant aveuglante durant ces cinquante dernières années ?
La pleurnicherie récurrente sur le "méchant capitalisme" a-t-elle jamais servie à faire avancer le schmilblick de la prise de conscience chez le citoyen français (et chez tous les autres citoyens d’ailleurs) ?
Cet article est l’envers spéculaire du "débat national" : tout sauf l’essentiel.
Quel est l’enjeu réellement révolutionnaire aujourd’hui, expliqué plus ou moins maladroitement mais explicitement par les "Gilets Jaunes", soutenus par une majorité de compatriotes ?
La disparition pure et simple de la France, et singulièrement la France du CNR. Rien de plus, rien de moins.

31/01/2019 05:16 par calame julia

Rapidement j’avais lu : le grand des pis (près de pire).
Pourtant le cerveau est reposé le matin...! :)

31/01/2019 10:24 par szwed

Résumé : Ali Macron et les 40 voleurs (CAC 40) aidés du flic Castaner protègent la grotte (banque , évasions, niches et paradis fiscaux) qui abrite leurs forfaits par des tirs délibérés visant la tête des gens avec leurs armes LBD 40 et GLI-F4

31/01/2019 13:05 par Assimbonanga

(Ceci est une bouteille à la mer.)
Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin, Alexis Corbières, Eric Coquerel, Adrien Quattenens, Bastien Lachaud, Ugo Bernalicis, Michel Larive, Loïc Prudhomme, Jean-Hughes Ratenon,
si vous avez acheté un costard bleu pour vous plier à la mode vestimentaire des députés à l’Assemblée nationale,
revendez-le de toute urgence. (Il paraît qu’à Paris, la location ou revente de fringue sont tendance). Ou brûlez-le !
Ce vêtement est un marqueur sociologique emblématique. C’est celui des Macron-Philippe-Castaner-Grimaud-Guaido-Bolsonaro-Trump, le vêtement des fantoches des multinationales. Il faut le bannir de votre garde-robe.
Ce vêtement est le symbole de la lutte des classes : gilets jaunes contre costards bleus.

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