Et si pour faire gagner la gauche il valait mieux voter à droite ?
L’échéance approche. Bientôt les électeurs Français se rendront par millions voter au premier tour de l’élection présidentielle, et cela malgré le constat largement partagé de l’arnaque que constitue le système électoral français. Mais faire ce constat ne résout malheureusement rien. Il faut désormais faire preuve de pragmatisme et regarder la réalité en face : au delà du débat d’idées et de la conviction politique se trouvent la tactique et la stratégie, et les résultats du premier tour ne représenteront pas la volonté du peuple mais bien le fruit d’un calcul paradoxal dans lequel la raison se perd inévitablement.
Avant d’aller plus loin dans cette démonstration en regardant de plus près les hypothèses qui se dessinent , il faut tout de même aborder le contexte dans lequel se déroule ce scrutin, à savoir la situation économique et sociale dans laquelle se trouve la France elle-même, ainsi que celle plus large dans laquelle se trouve l’Europe toute entière. Et prendre en compte quelques éléments en théorie indépendants du scrutin mais qui influencent clairement les résultats :
- La mainmise des marchés financiers sur le débat électoral qui rend plus que jamais service au concept de « vote utile » en imposant un deuxième tour entre les deux soumis au système, messieurs Sarkozy et Hollande. Ayant clairement fait savoir que la spéculation sur la dette française dépendrait du président élu, Nicolas Sarkozy est pour eux le favori de cette élection.
- Le conflit d’intérêt scandaleux qui permet à un chef de l’Etat-candidat de faire campagne avec la puissance de la propagande gouvernementale, comme on le voit ces derniers temps avec l’instrumentalisation de certains faits divers et les déplacements présidentiels dont il profite pour faire sa campagne.
- l’abstention record en l’absence d’une part de la comptabilisation du vote blanc, et de l’autre de l’inutilité de prendre part à un scrutin qui désignera presque inévitablement l’un des deux « favoris ». Sachant que cette abstention profite sans doute en réalité à ces deux-ci, les abstentionnistes n’étant en général pas proches des partis traditionnels.
Ce lourd constat réalisé, restent à étudier les différentes possibilités que nous offre le premier tour : si on table raisonnablement sur l’absence au second tour des « petits candidats », seuls restent en lice, potentiellement donc, François Bayrou, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Sarkozy et François Hollande : soit 3 challengers et 2 favoris.
Il faut exclure cependant les hypothèses donnant victorieux deux challengers, que ce soient par exemple madame Le Pen et monsieur Mélenchon ou monsieur Bayrou et monsieur Mélenchon. Les seuls duels « acceptables » seront Le Pen/Hollande (1), Le Pen/Sarkozy (2), Mélenchon/Sarkozy (3), Hollande/Bayrou (4), Sarkozy/Bayrou (5), Hollande/Mélenchon (6), Hollande/Sarkozy (7). En tout 7 duels possibles. Dont deux sont hautement improbables étant donné que ceux qui votent au premier tour pour des « petits candidats » de droite ne vont certainement pas voter Le Pen au premier tour et Hollande au deuxième, ni ceux de gauche pour Mélenchon au premier et Sarkozy au deuxième. La configuration qui verrait Le Pen/Sarkozy comme il y a eu Chirac/Le Pen me semble aujourd’hui impossible au même titre qu’un Mélenchon/Hollande, surtout après ce qui s’est passé en 2002. Mais de toutes les manières l’un comme l’autre de ces duels verrait les deux principaux candidats gagner au second tour. Regardons ce qui peut raisonnablement advenir de ces duels :
possibilité (1) : Hollande gagnant
possibilité (2) : Sarkozy gagnant
possibilité (3) : Sarkozy gagnant
possibilité (4) : Hollande pas sûr d’être gagnant
possibilité (5) : Sarkozy pas sûr d’être gagnant
possibilité (6) : Hollande gagnant
possibilité (7) : Sarkozy ou Hollande
Dans tous les cas de figure ce sera donc soit Hollande soit Sarkozy, sauf les cas (4) et (5) qui restent indécis, mais cette option est difficilement crédible aux vues des sondages récents. Le seul rôle que pourrait jouer monsieur Bayrou se situe dans un duel Sarkozy/Hollande, ce qui revient à dire qu’il est plus utile pour la droite comme pour la gauche de ne pas voter Bayrou. Ce qui devrait nous aider à nous interroger sérieusement sur l’utilité du premier tour, hors mise celle qui consiste à faire de savants calculs qui conduisent aux aberrations qui vont suivre, car en définitive, si on récapitule :
- pour faire gagner la droite (ou faire perdre la gauche c’est selon), il faut donc ne pas voter Bayrou car le report de voix est incertain, et surtout il vaut mieux voter Mélenchon que Le Pen. Le plus sûr étant de voter… Sarkozy, et cela dès le premier tour.
- pour faire gagner la gauche (ou faire perdre la droite c’est selon), il ne faut toujours pas voter Bayrou, et il vaut mieux voter Le Pen que Mélenchon. Le plus sûr étant de voter… Hollande, et cela dès le premier tour.
A quoi sert donc le premier tour puisqu’il faut voter « utile » dès le premier, si ce n’est à servir l’illusion démocratique, en faisant croire par exemple que le pluralisme existe dans notre pays, et que nous avons le choix ? Car au lieu focaliser l’attention du peuple sur les aberrations de ce système électoral il noie son esprits dans des calculs interminables et laisse le champ libre aux deux candidats d’un même système, celui qui souhaite que l’on se soumette à sa volonté plus qu’à celle du peuple.
Mais ce n’est pas tout : car tout s’inverse encore une fois si l’on considère les derniers rapports des donneurs d’ordres de ce système. Si l’on en croit leurs analyses, la rigueur et l’austérité seront les seuls programmes applicables, que le président soit « de droite » ou « de gauche ». Ce qui fait qu’en réalité la droite a plus intérêt à ce que la gauche arrive au pouvoir et la gauche que ce soit la droite qui gagne, car il est presque certain que les contraintes auxquelles devra se soumettre le futur président fera de lui l’homme le plus détesté de France.
Cela signifie qu’à part l’immunité que confère au candidat le statut de président (qui n’intéresse que Sarkozy et quelques proches), la droite a dans l’ensemble intérêt à ce que Hollande devienne président pour faire le « sale boulot », et revenir aux affaires en 2017, quand le peuple sera suffisamment dégoûté par « la gauche ». Et pour la gauche, l’idéal serait de « supporter » Sarkozy encore pour 5 ans, afin qu’au terme de son second mandat il soit si détesté qu’il ouvre grand les portes à gauche pour la suite.
Voilà l’état dans lequel la démocratie française se trouve actuellement : mort cérébrale. Le système électoral censé respecter la volonté du peuple ne permet dans la pratique aucun changement de gouvernance et le rôle du peuple se limite à assumer consciemment le « non-choix » schizophrénique qu’on lui impose. A tel point que pour faire gagner la gauche, il puisse se demander s’il ne ferait pas mieux de voter à droite.
Caleb Irri
COMMENTAIRES
Je ne suis pas d’accord avec cet article. A plusieurs niveaux : 1) une approximation "Hollande de Gauche" 2) des prophéties auto-réalisatrices (tel duel va donner cela, tel autre cela) 3) Un titre et une conclusion qui donne, sans le vouloir biensûr, la soupe aux idées de droite voire cantonne au "vote utile d’Hollande" !
1) Les seuls duels, dont vous parlez, qui peuvent faire gagner la gauche sont le 3 (Mélenchon/Sarkozy) et le 6 (Hollande/Mélenchon). En effet, d’après les standards politiques notamment latino-américains, le parti "socialiste" d’Hollande est centriste, et Hollande lui même serait davantage de centre-droit (grand défenseur de l’austérité et donc de la casse prolongée et durable des services publics, traître après le référendum sur le TCE en 2005, époux des thèses néolibérales cassant les souverainetés nationales, président de "gauche" des riches, valet des marchés financiers tenants d’une dette injuste et illégitime, fossoyeur de la retraite à 60 ans, des luttes contre la LRU....etc ! ). Il est affirmé que le duel 3, seul parmi ceux que vous citez qui nous permettra d’espérer sortir des catastrophes sociales, se soldera par une victoire de Sarkozy !!! Sur quoi se baser ? Allez même, citez-moi un seul sondage qui donne cette défaite ? C’est intéressant parce que justement il n’y en a pas ! Comme quoi l’univers des possibles est bridé et la réduction à un unique duel prégnante. Sans parler du duel Hollande/Bayrou ?
2) J’en viens aux prophéties auto-réalisatrices que sont les sondages et les raccourcis fatalistes disant qu’ "untel va gagner c’est sûr". Les sondages cristallisent l’opinion en ne profitant qu’au bipartisme médiatiquement imposé, tout se réduit au duel des deux partis de centre/centre-droit (PS) et de droite dure (UMP). C’est le cas notamment des photos ne faisant que les montrer en duel comme si les autres candidats n’existaient pas, c’est le fait de répéter, seriner, annoner qu’il s’agit d’un duel gauche/droite alors que ce n’est pas le cas, les 80% de temps de parole accordé aux tenants de ces deux partis, les éditocrates à la manoeuvre pour contrer tout ce qui remet en cause le libéralisme...etc. Or, les sondages ne sont pas indépendants les uns des autres, et chaque sondage amène l’élection présidentielle dans le carcan d’un match, d’un duel, plutôt que d’un débat politique d’idées. Dire celui-ci va gagner, c’est instiller le sentiment que mieux vaut voter pour "ceux qui ont le plus de chances de gagner" alors même que les dés sont pipés car l’évaluation de la chance est faite de manière à tendre vers une augmentation du duel supposé, vers un lissage des idées en communiquant régulièrement les résultats de ces asymptotes fatalistes. Or, la logique de Lapalisse veut que tant qu’aucun bulletin n’est mis dans l’urne, on ne peut dire qui va gagner, notamment dans des périodes de rupture, de crise de la crédibilité des médias, d’accentuation des contradictions objectives.
3) En bref, libérons-nous de ce carcan déterministe qui nous impose de voir ces élections comme des jeux politiques plutôt que des enjeux politiques. Cela permettra de ne pas donner de l’eau à ce moulin auto-réalisateur de voter, non pour la proximité à nos idées, mais pour un parti qui n’aurait qu’à être un peu moins à droite que l’UMP pour que l’on vote pour lui. A la fin de l’article, que retenir des approximations elisabeth-teissieresques, avec tout mon respect, (3 et 4 notamment) ? Que pour faire gagner la gauche (laquelle ?) faut peut-être voter à droite !
Mais c’est uniquement si l’on prête attention aux sirènes du vote """utile""", de la conception d’un voix citoyenne qui changerait sans cesse au gré des alizés médiatiques soufflant vers la droite, vers un duel prévu et martelé d’avance. Toutes les déclarations, sondages de ce type ont une influence sur le vote ! C’est pourquoi ce type d’exercice prospectif public est périlleux voire contre-productif ! Je veux bien du pragmatisme mais duquel on parle ? Allons donc parler de pragmatisme et de réalité à voir en face aux latino-américains, ils n’auraient jamais voter pour un Morales, un Correa, un Chavez, etc avec tout ce qu’on leur disait à l’époque...Allez je citerai encore Lapalisse : pour faire gagner à gauche, il faut voter à gauche (sinon ce sera pas la gauche...hein...au cas où).
Ainsi, et si pour faire gagner la gauche il valait mieux voter à gauche ?
Que le système électoral - la constitution en fait - soit inique c’est un fait, qu’il faille voter à droite - c’est à dire de facto Sarkozy - pour faire gagner la gauche certainement pas, seul un ébéphrène pourrait raisonner comme ça !
Les Français ne veulent plus de Sarkozy et c’est la moindre des choses, on se demande bien comment un sinistre olibrius pareil a bien pu être élu d’ailleurs, mais ils ont compris leur erreur monumentale et tragique pour la plupart, mis à part une poignée d’indécrotables larbins masochistes qui n’ont pas encore compris ce qu’était un riche et un pauvre.
De toute façon dans une certaine mesure ils voteront bien à droite au 2ème tour puisqu’en toute probabilité il semble bien qu’ils éliront Hollande, mais bon ça aura au moins le mérite de renvoyer ce triste sire grotesque et dangereux dans les oubliettes de l’histoire dont il n’aurait jamais dû sortir.
Deçu de voir un article de la pensée unique ici même.
En tout cas, l’avenir appartient à ceux qui sont capables d’imagination.
Ceux qui ne peuvent concevoir comme seule possibilités un président AD ou COPEI (pardon, me suis trompé, ça c’était au Vénézuela), ceux qui ne peuvent concevoir qu’ubn président blanco ou colorado (caramba, encore raté, ça c’était en Uruguay)... enfin bref, que ceux qui n’ont pas d’imagination seront tout étonnés quand (notrez bien je dis QUAND et non "si") le Front de Gauche prendrons le pouvoir.
Et encore plus terrifiés et déboussolés ils seront quand ils verront que le pouvoir nous ne prendrons pas pour faire joli, mais pour appliquer le programme et refonder la République.
Bonjour,
je m’étonne des réactions que provoque cet article qui n’est destiné à aucune promotion personnelle, mais juste à montrer l’incohérence d’un système électoral qui justement empêche les "petits" candidats à prétendre au poste de président. Je ne pense pas faire de la "science fiction" en émettant l’hypothèse selon laquelle le vainqueur du second tour sera ou Hollande ou Sarkozy, et ceux qui me lisent par ailleurs doivent savoir à quel point cela m’enchante... Pour le reste, je ne dis pas le duel que je souhaiterais voir au second tour ni même le résultat que j’en attends personnellement, mais je mesure juste l’illusion de la démocratie que le terme "scrutin universel direct" englobe en constatant l’impossibilité d’obtenir un président qui soit issu d’autre chose que de petits calculs électoralistes illogiques, comme j’ai tenté de le démonter... apparemment très mal !
Si remettre la forme même du scrutin présidentiel français en question s’apparente à de la pensée unique, c’est que soit je me suis vraiment très mal exprimé dans ce papier, soit il y a quelque chose qui m’échappe dans la définition de la "pensée unique", et qu’il faudra m’expliquer...
Ben... Caleb, c’est peut-être que ce n’est pas le moment de critiquer le mode d’élection du président, car on ne le changera pas d’ici dimanche...
C’est peut-être aussi qu’à partir perdant... on arrive perdant : si la majorité des Français ou bien vote pour Sarkozy ou bien s’abstient "pisque d’toute façon..." (mine dépressive), ça fait pas un pli ! On perd tous, et à coup très sûr ! C’est ce que veut la droite (PS compris).
L’analyse peut - et doit - venir après - si dieu nous prête vie.