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La politique est-elle une véritable vocation en Afrique ? Les hommes politiques doivent-ils éternellement se conduire en gribouilles ?

Etat et Sécurité : les Fleurs du mal de la démocratie en Afrique

1-Des gouvernements de Maquignons

Si d’aucuns pouvaient écouter le conseil avisé du philosophe Epicure, beaucoup d’hommes se seraient éloignés des affaires publiques : car dit-il « Il faut se libérer de la prison des occupations quotidiennes et des affaires publiques » (Sentences vaticanes 58). Pour le philosophe Epicure, la politique est le lieu de tous les tracas, de toutes les sordidités. Plus clairement, l’activité politique ne procure qu’intranquillité. Le philosophe Sénèque a compris dans le tard l’enseignement d’Epicure, et à ses dépends en ayant exercé des responsabilités politiques auprès du tyran Néron. Si pour les Grecs, la politique est par essence l’activité qui définit le mieux le vrai citoyen ; pour Epicure l’abstention politique [le vivre caché (lâthé biôsas)] est plus profitable que l’engagement politique. Plutarque en revanche n’est pas de cet avis, car écrit-il : « Je conçois la politique comme un puits dans lequel ceux qui s’y jettent par hasard et sans calcul en sont inquiétés et s’en repentent, tandis que ceux qui y descendent en s’y étant préparés et après réflexion, pas à pas, conduisent les affaires avec pondération et ne s’irritent de rien, car au fond c’est le bien en soi et rien d’autre qu’ils prennent pour fin de leurs actions » (Plutarque, Conseils aux politiques pour bien gouverner).

Si on s’inscrit dans la pensée de Plutarque, il existe deux catégories d’individus qui gouvernent les républiques, d’une part les incapables, c’est-à-dire ceux qui viennent au pouvoir par hasard sans conviction et qui sont les plus nombreux (ceux moi j’appelle : les maquignons), et ceux qui font de la politique leur « vocation », leur « métier » au sens de Max Weber, c’est-à-dire les professionnels qui vivent de la politique, et pour la politique. Plutarque est encore plus explicite dans le passage ci-après, à savoir que l’activité politique n’est pas un passe temps. Il suffit simplement de s’en rendre compte par la kyrielle de partis politiques qui existent dans les Etats africains juste pour susciter des troubles, ou pour avoir quelques petits marchés. Or, c’est ignorer que la politique est une affaire sérieuse. Plutarque souligne : « Il faut donc poser au fondement de l’action politique, telle une base solide et ferme, une orientation qui tient son principe dans le discernement et la raison, et non pas une impulsion venant de la vaine gloire, de quelque goût de la dispute ou du manque d’autres activités : en effet, tout comme ceux qui n’ont rien de bon à faire à la maison passent sur l’agora la plus grande partie de leur temps alors qu’ils n’en ont pas besoin, certaines personnes, qui n’ont rien d’intéressant à faire en privé, se jettent dans les affaires publiques en se servant de la politique comme d’un passe-temps. La plupart de ceux qui ont touché à la vie publique par hasard en son dégoûté mais ne peuvent plus s’en retirer facilement : il leur arrive la même chose qu’à ceux qui montent à bord d’un bateau pour le plaisir du roulis et qui, une fois entraînés en pleine mer, regardent au loin, nauséeux et barbouillés, mais sont contraints de rester sur place et de s’accommoder aux circonstances » (Plutarque, Conseils aux politiques pour bien gouverner). En d’autres termes, quand on vise le gouvernement de la Cité, il ne faut pas y prendre part si on n’a pas la motivation, ni s’y adonner juste pour profiter des affaires publiques. Il faut approcher la politique en tant qu’on veut rendre service à la République, tel le romain Caton, ou Cicéron, et mais non à la manière d’un Sénèque juste pour s’enrichir.

Aujourd’hui le constat est d’une claire évidence, les individus qui se consacrent au pouvoir en Afrique ne visent que leurs seuls intérêts. Les affaires de l’Etat sont transformées en affaires corruptionnelles : des détournements de deniers de l’Etat, la res publica devient la res publica d’une minorité, c’est-à-dire la république de ceux qui sont au pouvoir. Autrement dit, la politique n’est pas l’affaire de tout le monde, mais l’affaire de ceux qui gouvernent. Aussi est-ce à bon droit qu’il y a toujours lutte entre l’opposition et ceux s’accaparent de l’Etat et de ses richesses. En Afrique, il est clair qu’être dans l’opposition, c’est mourir politiquement, c’est-à-dire ne plus pouvoir profiter des privilèges du pouvoir.

L’activité politique étant une lutte permanente, l’homme politique au pouvoir se donne donc toujours les moyens de le conserver, _ quitte à violer très souvent la constitution _, ou à le conserver avec l’aide de l’armée et de milices. Par un tel procédé, la politique chaque fois se dénature en Afrique, et de l’extérieur [les éventuels investisseurs, et la Métropole] on est en droit de s’interroger sur la capacité des hommes politiques africains à bien gouverner, ou pour mieux dire à se passer politiquement et militairement de la Métropole ? Mais au-delà de la médiocrité des dirigeants, ce dont les populations en Afrique ont urgemment besoin n’est-ce pas réellement la sécurité, et un dirigeant ami du peuple ?

Le philosophe Spinoza écrivait :

« Des fondements de l’Etat tels que nous les avons expliqués ci-dessus, il résulte avec la dernière évidence que sa fin dernière n’est pas la domination ; ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte et faire qu’il appartienne à un autre que l’Etat est institué ; au contraire c’est pour libérer l’individu de la crainte, pour qu’il vive autant que possible en sécurité, c’est-à-dire conserve, aussi bien qu’il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d’exister et d’agir. Non, je le répète, la fin de l’Etat n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d’automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une Raison libre, pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l’Etat est donc en réalité la liberté. » (Spinoza, Œuvres II, Traité théologico-politique, chap. XX, Charles Appuhn, Paris, Flammarion, 1998, p. 329).

Cette sécurité et cette liberté sont aujourd’hui menacées par la poussée islamiste, à telle enseigne qu’on est tenté de parler « d’étranges prisonniers » de l’Islam.

2- Les étranges prisonniers d’un islamisme

En Afrique, et en particulier dans le Sahel, l’existence quotidienne est difficile pour les populations. Chaque jour que Dieu fait, les gens s’acharnent à survivre par tous les moyens : par des voies honnêtes ou malhonnêtes (corruption, et criminalité). Comment dans de telles conditions, un individu qui a faim, pourrait-il intérioriser des idées républicaines ? Sa misère, sa pauvreté ne viennent pas des dieux, mais de ceux qui gouvernent l’Etat, et par ricochet, par les activités criminelles des terroristes islamistes. En abandonnant la grande majorité de la population dans la misère totale, l’Etat ne donne-t-il pas la place aux religieux [aux barbus] qui deviennent psychologiquement et matériellement leurs seuls soutiens ? Aussi n’est-il pas étonnant de constater avec quelle facilité, les quartiers pauvres en Afrique sont devenus les endroits où se recrutent massivement le plus d’islamistes, et de radicaux, au rebours de l’Europe, où les islamistes (potentiels) se recrutent paraît-il dans les prisons, et les banlieues.

L’enseignement de Platon sur l’ignorance des « prisonniers enchaînés » dans la caverne est encore d’actualité relativement au phénomène djihadiste. Rétrospectivement, l’allégorie de la caverne de Platon a des ingrédients prophétiques, car face à la poussée islamiste, il est aisé d’observer qu’un grand nombre de croyants sont restés accrochés aux images des fausses réalités projetées par le soleil sur les objets. La vérité sur le Dieu, en tant que le Dieu est la lumière (Platon parle de Soleil), a énormément fait défaut dans les Etats démocratiques laïcs du sahel.

Il nous semble que l’islamisme djihadiste retravaille justement sur ces « fausses images » pour endoctriner les musulmans honnêtes et sérieux qui sont à la recherche de la vraie connaissance de la Divinité. Les élites, les intellectuels, les vrais marabouts ont échoué par peur des barbus, d’éduquer les populations à la vraie katalepsis (saisie) de la divinité. D’où aujourd’hui la mainmise des islamistes sur les consciences de ceux qui sont restés « prisonniers des images » de la caverne de la religion. Le laxisme et la lâcheté intellectuelle reviennent en pleine figure sur tout le monde [tout le monde est coupable pourrions-nous dire aujourd’hui], car depuis des années on a rien fait pour parer à ce tsunami islamiste. Par peur (phobos) d’intriquer religion et raison, religion et savoir critique, les islamistes revendiquent par les armes une islamocratie. Or, quand tout le monde à peur de parler, de dire la vérité de braver les tyrans comme Socrate relativement aux Trente (les tyrans de la Grèce du IVe siècle av. J.-C), on donnera le terrain aux fanatiques, aux extrémistes aux sectes djihadistes. L’allégorie de la caverne de Platon que je suggère de méditer cadre parfaitement avec notre phobos (peur), et explique grandement pourquoi le djihadisme a depuis longtemps une guerre d’avance sur les Etats africains, car depuis des lustres, personne n’a osé comme le prisonnier de la caverne de Platon qui a contemplé les vraies réalités, les idées intelligibles, revenir renseigner le Vrai au peuple, c’est-à-dire l’Islam dans sa quintessence.

Les sectes comme Boko Haram, Ansaru et les organisations comme Al-Qaïda profitent justement de cette ignorance profonde des populations islamisées pour exercer leur domination. Or, contre les islamistes, le philosophe Blaise Pascal enseigne que : « C’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison ». Voilà ce que c’est que la foi, Dieu sensible au cœur, et non la raison. Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur, c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement qui n’y a point de part essaye de les combattre. » (Pascal, Pensées). Autrement dit, il ne revient aucunement pas à des individus exaltés, ni à des sectes d’imposer aux autres la vraie religion, ou l’essence de Dieu. Partant, quand des individus peinent à voir la vraie nature du Dieu, ou à sentir le Dieu par le cœur, quand ils demeurent prisonniers des idoles de la religion, il faut les forcer à contempler les vraies réalités, les idées intelligibles à la manière de Platon :

« Représente-toi donc des hommes qui vivent dans une sorte de demeure souterraine en forme de caverne, possédant, tout le long de la caverne, une entrée qui s’ouvre largement du côté du jour ; à l’intérieur de cette demeure ils sont, depuis leur enfance, enchaînés par les jambes et par le cou, en sorte qu’ils restent à la même place, ne voient que ce qui est en avant d’eux, incapables d’autre part, en raison de la chaîne qui tient leur tête, de tourner celle-ci circulairement. Quant à la lumière, elle leur vient d’un feu qui brûle en arrière d’eux, vers le haut et loin. Or, entre ce feu et les prisonniers, imagine la montée d’une route, en travers de la quelle il faut te représenter qu’on a élevé un petit mur qui la barre, pareil à la cloison que les montreurs de marionnettes placent devant les hommes qui manœuvrent celles-ci et au-dessus de la quelle ils présentent ces marionnettes aux regards du public. [...] Alors, le long de ce petit mur, vois des hommes qui portent, dépassant le mur, toutes sortes d’objets fabriqués, des statues, ou encore des animaux en pierre, en bois, façonnés en toute sorte de matière ; de ceux qui le longent en les portant, il y en a, vraisemblablement, qui parlent, il y en a qui se taisent. [...] Peux-tu croire en effet que des hommes dans leur situation, d’abord, aient eu d’eux-mêmes et les uns des autres aucune vision, hormis celle des ombres que le feu fait se projeter sur la paroi de la caverne qui leur fait face ? » (Platon, La République, livre VII, 514a-515a, Œuvres Complètes II, Léon Robin, M.-J. Moreau, Paris, Gallimard, 1994, p. 1101-1102).

Si Platon a raison à travers cette allégorie, que pourrait alors nous apprendre l’Histoire ?

3-L’utilité de l’histoire pour les hommes politiques

Si les Etats du Sahel avaient profondément « ruminé » le délitement de l’Etat somalien et les conséquences advenues : piraterie et Shebabs, certains Etats auraient évité le terrorisme djihadiste et les prises d’otages. C’est en de telles circonstances que Polybe enseigne l’utilité de l’histoire pour les hommes politiques, les futurs dirigeants, et d’aider le peuple à saisir l’intelligence des choses politiques, car dit Polybe :

« Si les historiens qui m’ont précédé avaient omis de faire l’éloge de l’histoire, sans doute serait-il nécessaire d’exhorter un chacun à distinguer les ouvrages tels que celui-ci et à leur réserver un accueil favorable, en songeant que l’homme trouve dans la connaissance du passé la plus instructive des leçons. Mais cet éloge a été fait et refait et autant dire tous les auteurs en ont fait le fondement et le couronnement de leur œuvre. Ils ont souligné que l’étude de l’histoire constitue l’éducation politique la plus efficace et le meilleur entraînement à l’action, et que d’autre part, pour apprendre à supporter dignement les renversements de fortune, l’enseignement qui produit en nous la plus vive impression ou plutôt le seul valable, c’est celui que nous apporte le récit des tribulations d’autrui ». (Polybe, Histoire, livre 1).

Partant de Polybe, l’histoire peut donner des réponses, des remèdes aux difficultés dans lesquelles pataugent aujourd’hui les Etats africains : leurs « tribulations » actuelles. Si les hommes politiques et leurs conseillers politiques replongent leurs regards dans l’histoire, il est aisé de trouver des voies et moyens pour recréer et d’adopter de nouvelles pratiques de gestion de l’Etat : Etat ordonné, bien gouverner, respectueux des lois établies, et soucieux de l’intérêt du peuple sans discrimination. De fait, si aujourd’hui les djihadistes s’autorisent à juger les modes de fonctionnement iniques des Etats démocratiques, n’est-ce pas la preuve que les Etats ont échouée à concilier dans la pratique, les principes démocratiques avec l’éthique et l’équité ?

La conséquence palpable de toutes ces décennies de mal gouvernance, de crises politiques, de coups d’Etat, etc., est la naissance d’un animal violent, qui est dans sa pleine activité, et prêt à dévorer toutes les démocraties : le terrorisme-djihadisme. A rigoureusement parlant, on peut admettre l’idée que ces tares consubstantielles aux Etats démocratiques africains, ont reconstitué, revitalisé un islamisme radical en latence. Si nous suivons la logique de Platon en de telles matières, l’Etat doit procéder à une purification sociale :

« Pour ce qui a trait aux purifications à faire dans la cité, voici comment on pourrait procéder. Parmi les nombreux moyens de réaliser ces purifications, il y en de plus doux et de plus sévères. Les plus sévères, qui sont aussi les meilleurs, c’est un législateur qui serait en même temps un tyran qui pourrait les appliquer. Au contraire un législateur qui établirait une constitution nouvelle et instituerait des lois sans être un tyran, s’il procédait à la purification la plus douce, devrait se réjouir de seulement y parvenir. Or la purification la meilleure est douloureuse, tout comme le sont les remèdes efficaces. C’est celle qui conduit à la correction du coupable au moyen d’un châtiment accompagné d’une vindicte, et qui n’a que la mort ou l’exil comme vindicte dernière : ceux en effet qui ont commis les fautes les plus graves, comme ils sont incurables et constituent pour la cité le dommage les plus graves, il est d’usage de s’en débarrasser. Quant à la plus douce de nos deux purifications, la voici : à tous ceux qui, en raison de leur indigence, se révèlent être prêts, eux qui n’ont rien, à suivre leurs meneurs pour marcher en armes contre les biens de ceux qui en possèdent, à ces gens-là, comme à une maladie connaturelle à la cité, il donne, en raison du soulagement que procure l’euphémisme, le nom de « colonie » et il s’en débarrasse avec le plus de bienveillance possible ». (Lois V, 735d-c et 736a, Platon, Œuvres Complètes, dir. Luc Brisson, Paris, Flammarion, 2008, p. 792).

A terme, faut-il le souligner, l’allégorie de la caverne de Platon est encore d’actualité, et il est religieusement thérapeutique de s’en approprier pour libérer les consciences de ceux qui sont restés prisonniers des idoles, des images de la religion projetées par des faux croyants pour tromper leurs semblables.

Dr. Youssouf M. M

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