10 commentaires
Réponse au "journaliste" Michel Faure, de Rue89

Etranges manières de compter ou de conter…

illustrations : Ralph Steadman

A La Macarena, petit village colombien situé 200 kilomètres de Bogota, deux mille cadavres des dissidents assassinés pendant le conflit armé et les périodes de nettoyage qui ont suivi, viennent d’être découverts. Deux mille êtres humains inhumés dans le plus terrible anonymat par les commandos d’élite et les forces gouvernementales. 2000 personnes ! C’est la plus grande fosse commune de l’histoire récente d’Amérique latine.

Hélas, il y n’a pas un seul cri d’indignation parmi les grandes voix de la presse. Peut-être l’horreur a-t-elle laissé en état de choc les reporters d’Amnesty International ou les dits journalistes de Reporters Sans Frontières ? Combien se sont déplacés pour faire connaître un tel crime collectif, comparable à ceux de l’Holocauste nazi ou au génocide rwandais ? Où est l’indignation de la communauté internationale, de l’Union Européenne, des hommes politiques, des porte-paroles, des journalistes ou citoyens informés ? Qui a demandé des explications à la Colombie, au pouvoir colombien ? Quelle ONG est partie pour soutenir les familles concernées par le deuil ? Mais surtout, surtout : pourquoi ceci est passé sous le plus horrifiant des silences ?

Est-ce la « fatalité » colombienne, cet espèce de syndrome de la violence incurable et du conflit éternel ? Est-ce que dans ces conditions d’institutionnalisation, des assassinats des dirigeants et de l’opposition, derrière une fine couche de lutte contre le narcotrafic, suffit à convaincre ?

En tout cas, il faudra des kilos de « poudre » aux yeux pour faire de la fumée devant un crime d’une telle envergure. Ou, trouver, entre les nouvelles du sud, quelque chose à se mettre sous la dent. Et voilà  : la mort du prisonnier d’opinion cubain Orlando Zapata !
Ca, ça peut faire couler de l’encre. C’est une valeur sûre car depuis 1972 aucun des dits prisonniers politiques cubains n’est mort, aucun n’a disparu, aucun n’a été torturé, aucune fosse commune n’a été découverte à Cuba. Cuba est toujours un bon sujet.

Si regrettable que soit la mort de Monsieur Zapata, que ce soit par des soins tardifs pour stopper une pneumonie, mais surtout des suites d’une grève de la faim, une grève largement encouragée par une dissidence cubaine en manque de martyrs, plus regrettable encore est l’instrumentalisation de sa mort par les médias.

En tant que cubaine, depuis des lustres, je pense que Cuba n’a nul besoin d’avoir entre 86 et 200 personnes dans ses prisons pour des actes de désobéissance politique. Nous pourrions choisir de devenir rien qu’un pays de plus en Amérique-latine, et avoir nos 2000 cadavres dans une fosse commune. Comme ça, nous éviterions d’être un sujet à la mode, de donner de la charogne informative aux journalistes et cesser d’être de la chair à scandale, indignant les institutions politiques internationales. Il faudrait être comme les autres. Point. Comme ça, ils nous foutront la paix. C’est cynique, oui, je vous l’accorde, mais une réalité. Alors c’est la réalité la véritable cynique.

Orlando Zapata, disait le reporter Enrique Ubieta, est un mort inutile. Je suis d’accord. Sa mort a servi à une relance de l’exsangue opposition cubaine divisée et mal en point depuis dix ans, dont les scandales de corruption se suivent. Elle a servi à des groupuscules inconscients qui se bagarrent pour le trône de la dissidence dans une guerre interne. Elle a servi aux journalistes de gauche pour se faire encore les ongles sur les dos d’un pays qui les déroute dans leurs analyses de gauche handicapée, d’une gauche occidentale et décadente à l’image de leurs continents. La mort de ce pauvre homme a servi à cacher 2000 cadavres colombiens, dans un élan de gaucherie médiatique. Elle ne sert pas Cuba, non, ni cette image contradictoire de goulag sans disparus, sans assassinats, sans bain de sang, sans violence. De dictature sans tâche à la colombienne, sans narcotrafic, sans fosse commune…Comment ça se fait ?

Mais il y eut un mort, Orlando Zapata, qui réclamait dans sa grève un téléphone dans sa cellule et une cuisine. Je comprends, c’est dur de vivre sans les repas fait par maman, la bouffe de la prison est infecte, et ne pas écouter le feuilleton de 21h par l’auriculaire d’un téléphone est insoutenable. Je suis encore dans le cynisme ? Oui, mais les pires des cyniques, le pompon, ce sont les manipulations sans aucun scrupule des compatriotes dissidents d’Orlando Zapata, qui l’ont encouragé dans son autodestruction, qui attendaient la dépouille pour avoir les premières pages dans Le Monde et ailleurs. Bravo, ils les ont eues, ces pages.

Je me dis, en tant que cubaine, que les autorités de mon pays auraient mieux fait de suivre l’exemple étasunien et de gaver M. Zapata contre sa volonté, comme ça a été fait dans la prison de la base navale de Guantanamo avec les 50 grévistes de la faim, torturés en douce…Un bon passage à tabac, un perf’ de nutrition et aucun journaliste, aucun commentaire disgracieux, aucune indignation internationale et aucun mort regrettable…

Je me dis, en tant que cubaine, que des tas de choses devront changer dans mon pays, sans perdre un gramme d’autodétermination, d’indépendance, de dignité. Sur le plan économique, dans la sauvegarde des acquis sociaux, dans les droits fondamentaux des hommes à se faire leurs propres idées et à choisir le système de valeur qui leur convient.

Cela doit se faire entre cubains, sans ingérence, sans manipulations politiques. Hélas, vu les réactions des médias, rois par excellence de ce monde où nous vivons, je ne vois pas très bien comment arriver à bouger ne serait-ce que un cil sans que cela devienne une guerre des passions non objectives, un orage des verbiages futiles et dangereux pour tout changement réel et conséquent.

En attendant que la vague médiatique se trouve un autre cadavre dans la domaine de la facilité, voici une pensée sincère et profonde pour les 2000 mères des dissidents colombiens assassinés. Mais aussi, mes condoléances à la famille de ce pauvre Zapata, « martyr qui tombe à pique », de la contrerévolution.

Y. Guevara

EN REPONSE A :
Cuba : la mort d’Orlando Zapata, gréviste de la faim :
http://www.rue89.com/panamericana/2...

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COMMENTAIRES  

27/02/2010 09:48 par V. Dedaj

Concernant Michel Faure : Je me souviens lorsqu’il qualifiait le Nicaragua Sandiniste de "dictature marxiste-léniniste" dans l’Express, accompagné d’une photo supposée montrer Daniel Ortega sur la place Rouge à Moscou (alors qu’il n’y avait jamais mis les pieds à l’époque). Je me suis rendu au Nicaragua une semaine plus tard. A l’aéroport de la capitale, on m’a tendu des tracts de... l’opposition. Sur la route qui menait à la ville, il y avait de grands panneaux publicitaires en faveur des... partis de l’opposition. A Managua j’ai voulu acheter un journal. Le seul qu’on trouvait était La Prensa, un journal... d’opposition. En allumant la radio dans ma chambre d’hotel : rien que des radios d’opposition (on s’en rendait vite compte, en plein campagne électorale où plus de 20 partis se disputaient les élections dans cette "dictature marxiste léniniste" selon Michel Faure).

Alors de deux choses l’une :

- ou Michel Faure n’avait jamais mis les pieds au Nicaragua.
- ou il y est allé mais n’est pas descendu de l’avion,
- ou c’est un menteur.

Viktor Dedaj

27/02/2010 10:34 par Marie

Excellent !

Ce que l’on peut remarquer en outre, c’est que dans l’expression des anti castristes, ou dissidents, contre révolutionnaires, que ce soit sur certains blogs cubains celui de Yoani mais d’autres aussi, ou commentaires laissés sur Cuba Si Lorraine, c’est une absence totale d’analyse politique et donc de propositions, des propos toujours au ras des pâquerettes et bien souvent une haine violente.

Ils dégueulent sur Cuba c’est tout...

Je vous laisse ci dessous le dernier commentaire en date de cette nuit laissé sur notre blog :

« Vous faites pitié...continuez à sucer les bottes du dictateur plus ancien de l’Amérique latine pour être accueilli à Cuba dans des hôtels et abuser des filles que dans des autres conditions ne vous regarderez même pas...
Des petits ratés, de colabo du dictateur, complices de la dictature.. ;PITIE !!!! »

Il va s’en dire que ces commentaires vont direct à la corbeille.

Répondre à des contradicteurs de bonne foi, oui, mais avec ce genre d’individus c’est peine perdue, leur seul moteur est la haine.

27/02/2010 12:52 par emcee

@ VD :

"Alors de deux choses l’une :

 ou Michel Faure n’avait jamais mis les pieds au Nicaragua.
 ou il y est allé mais n’est pas descendu de l’avion,
 ou c’est un menteur.

ou ... quatrième possibilité (et donc de quatre choses l’une):il a visité tous ces pays bien installé dans les hôtels climatisés pour occidentaux en goguette, attendant bien sagement les dépêches d’agence. En tous cas, si ses employeurs le payaient pour avoir des informations de première main, ils se sont fait rouler... pendant les 15 ans qu’il dit avoir passés en Amérique latine.

Une telle désinformation fait frémir : non seulement parce qu’elle montre comment on peut manipuler le monde entier et la majorité de gogos prêts à tout gober, pire encore, à répandre la haine, comme dit Marie, mais parce que ces "journalistes" sans scrupules à la botte des grandes puissances n’encourent aucune sanction pour les propos mensongers qu’ils tiennent.

L’air du temps, sans doute, où les dirigeants des pays occidentaux, les US en tête de gondole, nous vendent des ADM imaginaires et des armes nucléaires fantoches pour aller massacrer des innocents et dévaster des pays entiers.

Je suis outrée par ce monument de propagande sans nuances et par les commentaires qui accréditent une telle malhonnêteté intellectuelle.

On n’est pas sortis du trou noir.

Merci à Yvette Guevara pour cette mise au point salutaire.

27/02/2010 13:14 par V. Dedaj

@emcee

il a visité tous ces pays bien installé dans les hôtels climatisés pour occidentaux en goguette, attendant bien sagement les dépêches d’agence.

En fait, j’ai constaté ce phénomène "de visu" au Nicaragua en 1990. Le seul hotel encore debout et "fréquentable" par les journalistes était l’Intercontinental. On trouvait les journalistes dans le lobby, le restaurant, au bord de la piscine, dans les petites boutiques et ils n’en sortaient jamais sinon pour assister à quelques "grandes messes" médiatisées. On venait les voir pour leur proposer des reportages-scoops et eux, blasés, préféraient finir leur langouste. Le barman ou le chauffeur de taxi leur faisait ensuite le topo des évènements de la journée et ils en faisaient un article signé "de notre envoyé spécial". J’ai croisé une équipe de télé française qui achetaient des souvenirs et on a papoté. Ils étaient surpris d’apprendre que le pays était "en guerre". Je pourrais continuer des heures comme ça. Michel Faure n’est qu’une caricature de plus.

27/02/2010 14:11 par Christophe

J’ai lu quelque temps le site Rue89 trop déçu par Libé, mais cela n’a pas duré longtemps.

De temps en temps je jette un coup d’oeil au cas où... Et hier je suis tombé sur ce seul titre (Cuba : la mort d’Orlando Zapata, gréviste de la faim) qui me donnait envie de creuser un peu.

M. Faure s’est aussi furieusement défoulé sur les commentaires laissés par des centaines d’internautes...
Personnellement je n’ai même pas eu envie de commenter...
Une honte pour Rue89.

Le Front National a sûrement aussi ses martyrs.
Le jour où les journalistes néo-libéraux auront pour martyr quelqu’un comme M. Faure, je ne sais pas vous, mais moi j’ouvrirai une bouteille de champagne et je fumerai un cigare (Cubain).

27/02/2010 18:50 par Anonyme

"A La Macarena, petit village colombien situé 200 kilomètres de Bogota, deux mille cadavres des dissidents assassinés pendant le conflit armé et les périodes de nettoyage qui ont suivi, viennent d’être découverts. "

J’ai lu le fait dans divers journaux, y compris le Monde. Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas plus de réactions.

C’est sans doute bête ce que je vais dire, mais, j’aimerais savoir s’il existe un moyen, ou si quelqu’un à l’intention de saisir la cour internationale de justice ?
N’y aurait-il pas lieu de lancer une campagne à ce sujet ? Comme on l’a fait pour les crimes contre Gaza ?

28/02/2010 03:36 par Gavroche

Je rectifie ...
Amnesty international mentionne souvent les violations des Droits Humains en Colombie ..
Allez voir sur leur site ...

28/02/2010 17:28 par Veltin daniel

en réponse à GAVROCHE lorsqu’on interroge le site d’Amnesty International, voici la réponse pour la Colombie (copié collé !) :
Amnesty International n’est pas présente dans ce pays
Pour le moment, il n’existe pas de représentation d’Amnesty International dans ce pays.

Vous pouvez toutefois faire un don à Amnesty International ou adhérer à l’organisation en tant que membre international (en anglais ou en espagnol uniquement).

Pour connaître les activités d’Amnesty International dans ce pays, prenez contact avec le Secrétariat international.

dommage pour une organisation de "référence" pour un grand nombre de gens et comme d’ailleurs peut l’être Reporter sans frontières ;

il y a toujours un "mais" lorsqu’il s’agit de CUBA. Tout le positif s’efface derrière les mises en scène médiatiques orchestrées autour du problème de la dissidence. Quand aurons nous enfin un vrai débat sur la réalité de l’agression généralisée contre ce peuple qui a choisi une autre voie que la sacro-sainte voie économique libérale ?
Les peuples d’Amérique Latine ne s’y trompent pas qui depuis toujours soutiennent la "dictature castriste"(comme si Fidel à lui tout seul était le début et la fin de la réalité cubaine) ; c est nier le pouvoir organisationnel des peuples lorsqu’ils choisissent de résister à l’oppression d’un système ; ce qui se passe au Honduras en est un autre exemple, et là le peuple paie un autre tribut au système idéal prôné par les libéraux, malheureusement soutenus par nos "sociaux-démocrates".

Cuba n’est ni l’enfer, ni le paradis et c’est au peuple Cubain de résoudre ses contradictions, encore faut-il le laisser décider sans pressions extérieures ; au lieu de donner des leçons de démocraties, un peu de modestie et de simplicité, regardons notre société française pratiquer la sienne !

01/03/2010 01:11 par emcee

Apparemment, Amnesty est bien présente en Colombie.

C’est à Cuba qu’elle n’aurait pas de représentants, selon mes sources.

Cela dit, c’est fort regrettable parce que des prisonniers politiques détenus, torturés et en attente d’un hypothétique jugement, il y en a quelques-uns là -bas.

Ce coin de paradis s’appelle Guantanamo. Mais Obama va s’empresser de le fermer. Dès qu’il aura fini de mater les terroristes en Irak, en Afghanistan, au Pakistan et ailleurs.

Pour ce qui est des opposants politiques, les US sont plus malins : ils leurs collent un meurtre sur le dos et les laissent croupir dans le couloir de la mort, qui est déjà une forme de torture en soi. Personne ne s’en étonne vraiment : ils sont souvent noirs. Par exemple Mumia Abou Jamal, dont l’exécution a jusqu’à présent été reportée grâce à la mobilisation internationale.

Quant à Amnesty et Cuba, je recommande ce billet fort intéressant.

29/04/2010 19:21 par MARTIN Roger

A recommander : le livre de Patrick Bard qui vient de paraître au Seuil et dont l’action se déroule au Guatemala.
ORPHELINS DE SANG.
Extraordinaire et qui évoque avec lucidité et une véritable analyse politique, tout en étant un roman noir, la situation de ce pays dont les médias ne parlent pas.

Roger Martin

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