Pour la troisième fois en cinq ans la quatrième plus grande puissance militaire au monde a lancé une offensive armée à grande échelle sur l’un de ses territoires les plus démunis et les plus surpeuplés. Depuis qu’ont commencé les bombardements israéliens de la Bande de Gaza, il y a un peu plus d’une semaine, plus de 200 Palestiniens ont été tués. Près de 80% des victimes sont des civils, et plus de 20% d’entre eux des enfants.
Environ 1400 personnes ont été blessées et 1255 habitations détruites. Jusqu’ici les tirs palestiniens ont tué un Israélien de l’autre côté de la barrière qui fait de Gaza sous blocus la plus grande prison à ciel ouvert du monde.
Mais au lieu d’exiger l’arrêt de la campagne de punition collective menée par Israël contre ce qui demeure un territoire illégalement occupé, les puissances occidentales blâment les victimes parce qu’elles résistent. Si le Hamas ne tirait pas de roquettes à partir de l’enclos géant qu’est Gaza, insistent-ils, ce carnage prendrait fin.
’Aucun pays sur terre ne tolérerait que des missiles lancés de l’autre côté de ses frontières pleuvent sur ses citoyens,’ a déclaré Barack Obama, dont se font l’écho des médias pour la plupart dociles. Ce n’est peut-être guère surprenant que des Etats qui ont eux-mêmes envahi et occupé une série de pays arabes et musulmans au cours de la dernière décennie prennent le parti d’un autre occupant qu’ils financent et arment jusqu’aux dents.
Mais l’idée qu’Israël répond à une grêle de roquettes surgis d’un ciel serein est de l’ordre du récit qui dépasse la fiction. En fait, après l’accord qui a mis fin à la dernière attaque d’Israël sur Gaza en 2012, les tirs de roquettes de Gaza sont tombés à leur plus bas niveau depuis 12 ans.
Les dernières violences sont censées avoir été déclenchées par l’enlèvement et l’assassinat en Juin de trois adolescents israéliens en Cisjordanie occupée, pour lesquels le Hamas a nié toute responsabilité. Mais son origine réside clairement dans l’échec des négociations pour un règlement définitif du conflit israélo-palestinien parrainées par l’Amérique au printemps.
Cela fut suivi par la formation d’un gouvernement de ’réconciliation nationale’ par les mouvements du Fatah et du Hamas, dont la division a été une clef de voûte de la politique israélienne et américaine. Les incursions et les assassinats israéliens se sont ensuite intensifiés, parmi lesquels des attaques contre des civils palestiniens par des colons de Cisjordanie armés. En mai, deux adolescents palestiniens furent tués par l’armée israélienne ce qui suscita à peine une once d’intérêt en dehors du pays.
Il est maintenant clair que le gouvernement israélien savait depuis le début que ses propres adolescents kidnappés avaient été tués quelques heures après leur enlèvement. Mais l’information fut étouffée tandis qu’une campagne de # BringBackOurBoys (Ramenez nos Jeunes) fut orchestrée et une vaste répression lancée contre le Hamas dans toute la Cisjordanie.
Plus de 500 militants furent arrêtés et plus d’une demi-douzaine tués – ainsi qu’un adolescent palestinien brûlé vif par des colons. L’objectif de Benjamin Netanyahu était manifestement de faire savoir que tout accord signé par le Hamas avec Mahmoud Abbas ne serait jamais accepté par Israël.
Gaza n’avait rien à voir avec l’enlèvement, mais les attaques israéliennes furent également lancées sur la Bande et des militants du Hamas tués. Ce furent ces assassinats et la campagne en Cisjordanie qui ont amené le Hamas à reprendre ses tirs de roquettes - et Israël à entreprendre à son tour le bombardement dévastateur.
C’est maintenant le Hamas qui est tenu pour responsable d’avoir refusé d’accepter un plan de cessez-le-feu concocté par Netanyahu et son allié, le président égyptien Sisi, qui a renversé l’organisation sœur du Hamas des Frères Musulmans l’an dernier et a depuis renforcé le siège de Gaza qui dure depuis huit ans.
Mais après avoir déjà tant souffert, de nombreux Gazaouis pensent qu’aucune autre trêve ne devrait être acceptée sans la levée du blocus illégal qui a affamé la Bande et l’a réduite à la mendicité et a de fait emprisonné sa population.
Comme le député palestinien indépendant Mustafa Barghouti l’a dit, la proposition égyptienne était un « jeu » qu’Israël va maintenant utiliser pour intensifier la guerre. Les propos du général de division de réserve israélien Oren Shachor, qui a expliqué : « Si nous tuons leurs familles, ça va leur faire peur » permettent de se faire une idée de ce à quoi il est maintenant possible de s’attendre.
L’idée qu’Israël se défende contre des attaques non provoquées lancées de l’extérieur de ses frontières est une absurdité. Malgré le retrait des implantations et des bases israéliennes en 2005, Gaza reste occupée à la fois dans les faits et selon le droit international, sa frontière, ses eaux côtières, ses ressources, son espace aérien et son approvisionnement en énergie restent contrôlés par Israël.
Ainsi, les Palestiniens de Gaza sont un peuple occupé, comme ceux de la Cisjordanie, qui ont le droit de résister, par la force si ils le souhaitent – toutefois pas de cibler délibérément des civils. Mais Israël n’a pas de droit de légitime défense sur des territoires qu’il occupe illégalement - il a l’obligation de se retirer. Cette occupation, soutenue par les Etats-Unis et ses alliés, entre maintenant dans sa 48e année. La plupart des 1,8 millions de Palestiniens victimes du bombardement continu de la Bande de Gaza sont eux-mêmes des réfugiés ou leurs descendants, qui furent chassés ou forcés de fuire des villes comme Jaffa il y a 66 ans quand Israël fut créé.
On ne peut sérieusement soutenir que le refus d’Israël de se retirer de ce qui reste du territoire en faveur duquel l’Organisation des Nations Unies s’est prononcée pour la création d’un Etat palestinien en 1947 est dû aux tirs de roquettes. C’était après tout pendant la période de calme au cours de l’année écoulée que le gouvernement israélien a rejeté le plan américain d’une solution à deux Etats qui n’était pourtant qu’un cache-sexe - et intensifié la colonisation illégale. Comme Netanyahou l’a explicitement dit cette semaine, il ne peut y avoir « d’accord dans lequel nous abandonnons le contrôle de la sécurité » de la Cisjordanie.
Ce qu’il reste donc c’est une solution à un seul Etat, qui fonctionne sur les principes de ségrégation ethnique style apartheid, dans lequel une grande partie de la population n’a pas son mot rien à dire quant à qui règne sur elle, et ceci indéfiniment. Mais c’est pure folie d’imaginer que cette injustice scandaleuse continuera sans une intensification du coût pour ceux qui l’appliquent.
On critique souvent la résistance palestinienne comme étant futile étant donné le déséquilibre grotesque existant entre les forces des deux camps. Mais le Hamas, qui doit plus son soutien à sa posture de défiance qu’à son islamisme, s’est trouvé renforcé par les événements de la semaine dernière, comme il a démontré qu’il peut riposter dans tout Israël – tandis qu’Abbas, dépendant d’un « processus de paix » qui a implosé, a été encore plus affaibli.
Les éruptions du conflit se font incontestablement plus rapprochées et plus intenses. Malgré les efforts héroïques israéliens pour en définir le récit, l’opinion internationale n’a jamais été aussi favorable à la cause palestinienne. Mais la réalité brutale est qu’il n’y aura pas de fin à l’occupation israélienne tant que les Palestiniens et leurs partisans ne seront pas en mesure d’en faire monter le prix pour l’occupant, d’une manière ou d’une autre - et de modifier l’équilibre des forces sur le terrain.
Seumas Milne
The Guardian, 16 juillet 2014
http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/jul/16/gaza-shameful-injustice-israel-attacks-occupied-people
Traduction : Micheline Borceux