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Georges Corm : « Du côté sud de la Méditerranée, nous pourrions donner des leçons à l’Europe »

Ancien ministre des Finances du Liban, sociologue et professeur à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, Georges Corm (1) revient dans l’Humanité Dimanche sur l’afflux des migrants en Europe. Il rappelle les antécédents que sont la colonisation, le besoin de main-d’œuvre et les conséquences régionales des guerres déclenchées par les dirigeants européens et étasuniens.

HD. Quelles sont les causes historiques et politiques de l’afflux massif de réfugiés en Europe ces derniers mois ?

Georges Corm. Le phénomène n’est pas nouveau. Cela fait des années qu’un certain nombre de migrants qui ne peuvent pas obtenir de visa légalement prennent le risque de traverser la Méditerranée dans des conditions épouvantables. Aujourd’hui, les chiffres ont explosé. Mais il ne faut pas oublier les causes historiques, qui s’étalent sur plusieurs périodes et ont déclenché trois grandes vagues successives d’immigration depuis 1945.

Les premiers déracinements ont été provoqués par la colonisation. En Algérie, les meilleures terres agricoles ont été accaparées par les colons. Ce qui a abouti à des déracinements et à la création d’un sous-prolétariat prêt à s’expatrier. D’où une première vague migratoire sous l’effet de la demande de main-d’œuvre à bon marché pour la reconstruction de la France et de l’Europe. À l’indépendance en 1962, une fois épuisées les possibilités d’élargissement de l’emploi dans le pays, le besoin de migration pour cause économique interne s’est manifesté à son tour. Mais on était encore à l’époque des Trente Glorieuses en Europe. Un schéma migratoire algérien qui s’applique en partie au Maroc et à la Tunisie.

Des vagues de migration ont existé à l’époque coloniale à l’est de la Méditerranée pour des raisons politiques. Le Liban – et sa diversité religieuse – offrait un terrain d’intervention à l’impérialisme européen cherchant à démanteler l’Empire ottoman. Ce qui a entraîné, pour la première fois dans l’histoire du Liban, des guerres communautaires en 1840 et en 1860, suivies de mouvements migratoires qui perdurent jusqu’à présent. Il y a eu, aussi, le terrible désastre subi par les Arméniens, qui se sont réfugiés massivement en France.

HD. Quelles sont les deux autres vagues migratoires ?

Georges Corm. La seconde apparaît dans les années 1990 avec la volonté européenne d’imposer le libre-échange à la rive sud de la Méditerranée. Il s’agit du processus de Barcelone initié en 1995. Ces pays étaient encore dans une phase de décollage du secteur industriel – celle-là même qui peut créer un très grand nombre d’emplois. Certes, des zones franches dédiées à la sous-traitance, que je qualifierais d’enclaves de type néocolonial, ont créé quelques emplois, mais elles ont aussi consacré une économie binaire, avec un secteur moderne extrêmement réduit. Du coup, la forte croissance démographique des années 1960-1970 a entraîné des arrivées massives sur le marché du travail qui ne trouvaient pas de débouchés. À la même époque, l’Algérie connaissait en plus une forte déstabilisation politique.

La troisième grande vague, qui a lieu actuellement, a débuté avec les interventions européennes. Elles ont profondément déstabilisé la rive sud de la Méditerranée avec les bombardements de la France et de l’Angleterre sur la Libye qui ont fait des dizaines de milliers de victimes, suivis de l’assassinat du chef de l’État ... En Syrie, le même scénario a prévalu. S’il n’y a pas eu d’interventions, les États européens, les États-Unis et la France ont encouragé l’envoi de « djihadistes » pour faire tomber le pouvoir syrien. Ils ont soutenu des mouvances terroristes car ce régime ne convenait plus depuis des années aux orientations politiques de l’OTAN, en raison de ses liens avec l’Iran ou le Hezbollah libanais. Il faut aussi inclure dans le tableau les Kurdes, qui ont un énorme problème avec la Turquie – beaucoup plus qu’avec des pays arabes comme l’Irak, qui a pris en compte leur demande d’autonomie, et le régime syrien, qui se coordonne avec eux pour faire face aux organisations terroristes. La liste de pays déstabilisés par ces politiques régionales s’allonge avec le dernier en date : le Yémen. Au lieu d’être la puissance politique qui apaise, l’UE s’est investie dans ces conflits aux côtés de l’Arabie saoudite, du Qatar, des États-Unis et de la Turquie. L’Europe en paie le prix et ses citoyens devraient demander des comptes à leurs dirigeants.

HD. L’Afrique et le Moyen-Orient ne sont pas épargnés par ces vagues de migrations. Des migrations qui ont des conséquences politiques dans chacun de ces pays ...

Georges Corm. De ce côté de la Méditerranée, nous pourrions donner des leçons à l’Europe. Le Liban, qui a une population de 4 millions d’âmes sur une superficie de 10 450 km 2, a vu affluer plus d’un million de Syriens, sans que cela ne crée des problèmes insurmontables à l’intérieur. Il a été capable de les accueillir en recevant une aide relativement faible. L’opinion locale n’a pas développé de violente xénophobie, à l’instar de certaines factions politiques européennes. La Turquie a aussi reçu un nombre important de réfugiés (près de 1 million sur une population de 80 millions d’habitants). Mais le ratio est plus faible comparé au Liban ou à la Jordanie.

HD. Des différences sociologiques existent-elles entre les réfugiés ? Et ne va-t-on pas assister à une future saignée pour ces pays ?

Georges Corm. Les événements en Syrie ressemblent à ce qu’a connu le Liban. Durant la guerre civile de 1975 à 1990, le pays a vécu la même véritable saignée qui a touché l’ensemble de la population. Les techniciens et cadres ont émigré en masse pendant le conflit. Au retour de la paix, la reconstruction du pays a été livrée aux multinationales et aux entrepreneurs publics peu scrupuleux qui ont achevé de défigurer le Liban. Depuis 25 ans, les gouvernements successifs n’ont pas réussi à rétablir l’électricité, n’assurent ni la distribution d’eau, ni la collecte et le traitement des déchets, ni le recyclage des eaux usées. Le pays est dans un état absolument lamentable et la dette publique ne cesse d’augmenter. Voilà la reconstruction que le monde entier a vantée. Mais nous étions censés avoir un homme providentiel appuyé par toutes les grandes puissances : Rafiq Hariri, qui devait pourvoir à tous les besoins de la reconstruction.

Pour la Syrie, vu les dimensions géographiques et démographiques du pays, on risque fort d’avoir une centaine de Hariri qui se voudront les « seigneurs », lors de la reconstruction, de concert avec les miliciens de tous bords. L’organisation terroriste Daech se charge déjà de préparer le terrain aux spéculations foncières futures. Ils démolissent des sites archéologiques majeurs en Syrie comme en Irak, comme cela est arrivé au Liban durant la guerre avec les milices libanaises. Le centre historique et archéologique de Beyrouth, qui avait subi des dommages importants, a justifié la création d’une société foncière à l’initiative de l’expremier ministre libanais. Elle a récupéré le plus important patrimoine foncier du pays.

HD. Au Liban, les manifestations récentes sont-elles liées à la question des migrants ?

Georges Corm. Non, cette crise est l’expression d’une protestation contre la très mauvaise gestion par le gouvernement libanais actuel du ramassage et du traitement des ordures ménagères. Au Liban, c’est un vrai scandale environnemental et financier. Une société privée appartenant à un proche de Rafiq Hariri a très mal fait son travail, facturant ses prestations à des prix incroyables. De plus, les déchets étaient jetés en bord de mer du côté de la ville de Saïda, sans aucun tri ou recyclage. Ses habitants ont manifesté pour demander la fermeture de ce dépotoir. L’année dernière, l’État a décidé sous la pression que le site serait fermé le 15 juillet de cette année. Mais aucune alternative n’avait été prévue.

PROPOS RECUEILLIS PAR THÉOPHILE KOUAMOUO ET VADIM KAMENKA

HUMANITÉ DIMANCHE, 4 SEPTEMBRE 2015

(1) Dernier ouvrage Pensée et politique dans le monde arabe, aux éditions La Découverte, 2015.

Photo : Pierre Pytkowicz

11/09/15

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