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Iran, Palestine, Ukraine - le sophisme sur tous les fronts.

Ce titre pourra paraitre étrange, voire hermétique, mais je n'ai pas trouvé mieux pour indiquer la tentative de montrer que le sophisme, en tant que procédé de rhétorique, est à la base du discours politique et médiatique prédominant actuellement en Occident. Si le lecteur a la patience de m’accompagner dans ce raisonnement, peut-être celui-ci va-t-il s'éclaircir au fur et à mesure à ses yeux et que ce texte lui sera alors utile.

Dès que la société s’est complexifiée, il s’est développé en son sein, des groupes aux intérêts contradictoires. Il est alors devenu nécessaire pour le groupe dominant de soumettre les autres groupes, pas seulement par la force mais aussi, bien mieux, pacifiquement, par l’idéologie, par l’adhésion à l’ordre établi. La pensée politique et sociale s’est donc, parallèlement, elle aussi différenciée. Elle a produit deux camps intellectuels, celui de la rhétorique et celui de la philosophie, au sens grec des termes. Le camp de la rhétorique concluait qu’il n’y avait pas de vérité, puisqu’elle était toute relative. Au service du groupe dominant, le rhétoricien n’avait pas le souci du vrai, mais du vraisemblable, et de présenter comme vérités les intérêts des dominants. Son arme privilégiée a été alors le sophisme, dont il a fait une technique, un art consommé pour persuader, emporter la conviction de l’opinion, au besoin la manipuler. Au contraire, le camp de la philosophie faisait de la vérité, des méthodes et moyens de l’atteindre, le but et la légitimation de l’activité intellectuelle.

Ce combat se poursuit jusqu’à nos jours. Il trouve son illustration parfaite dans les conflits mondialisés qui secouent actuellement notre planète : Ukraine, Palestine, Iran. La rhétorique utilise, dans son récit à leur propos, son instrument préféré, le sophisme sous toutes ses formes pour construire une vérité alternative, et donner à un raisonnement erroné ou trompeur les apparences de la vérité : hypothèses et prémisses du raisonnement fausses, généralisations abusives, caricatures de la position adverse, demi vérités, fausses analogies, omission, diversion par rapport au vrai sujet, non démonstration de l’hypothèse de départ, laquelle est simplement affirmée etc. Ce qui fait le caractère redoutable du sophisme, c’est qu’il est difficile à débusquer, aussi bien dans un débat, dans un ouvrage ou dans les confrontations médiatiques. La raison en est bien simple : le but même du sophisme est de se cacher grâce aux techniques qu’il utilise.

On trouve toute la panoplie de ces techniques du sophisme dans la rhétorique occidentaliste, politique et médiatique actuelle. C’est d’elle dont nous parlerons, ici, même si, évidemment, l’Occident n’en a pas le monopole et qu’on pourrait faire la chasse aux sophismes dans d’autres régions du monde.

Quelques exemples rapides.

Des sophismes dans toutes leurs splendeurs

8 avril 2024, une vingtaine de soldats allemands arrivent en Lituanie, pour préparer la venue, à cette frontière avec la Russie, d’une brigade de 4800 soldats qui seront déployés en permanence, progressivement jusqu’à 2027. Il s’agit, version officielle, d’affronter "la menace russe". Ici, c’est un sophisme patent d’inversion, de substitution, d’une prémisse, d’une hypothèse de base affirmée sans aucune démonstration. Elle est doublée d’une analogie abusive, technique courante du sophisme, puisqu’il est sous-entendu que la Russie "peut agresser les pays baltes puisqu’elle a déjà agressé l’Ukraine".

Question : qui se déploie à la frontière de l’autre, l’Allemagne ou la Russie ? Évidemment, la Lituanie et la Russie ont une frontière commune. Mais peut-on changer la géographie. Ce thème de "la Russie aux frontières" est aussi utilisé pour la Finlande, la Norvège, la Géorgie. C’est donc l’existence même de la Russie qui pose problème. On se trouve, au final d’un raisonnement apparemment banal, devant une conclusion monstrueuse, celle de l’effacement souhaité, rêvé de la Russie, une sorte de génocide géopolitique. Le sophisme, on le voit, peut conduire loin, très loin. Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt que cela vienne de l’Allemagne qui a déjà tenté cet effacement de la Russie avec Hitler pendant la Deuxième Guerre mondiale. Y aurait-il des relents de revanche ? L’Allemagne ne regrette-t-elle pas maintenant, d’avoir fait alors de mauvais calculs en combattant l’Occident au lieu de s’allier avec lui contre l’URSS. Simple hypothèse d’école mais... Comment comprendre, en effet, que l’Allemagne se soit tue devant cet évènement énorme de la destruction de réalisations aussi colossales et onéreuses que les gazoducs, Nord Stream 1 et 2, en dépit des graves soupçons pesant sur les dirigeants des États-Unis et de l’Ukraine, et du coût quasiment suicidaire pour son économie de l’utilisation d’un gaz liquéfié étasunien quatre fois plus cher que le gaz russe.

Même logique d’inversion concernant la menace, dite " islamiste" du Hamas, à partir de Gaza. Israël se trouve à la frontière de Gaza, en tant que force d’occupation et il est, d’ailleurs, considéré officiellement par l’ONU comme tel. Qui menace qui ? Le sophisme réside, ici, dans l’omission du fait que les territoires palestiniens sont occupés par Israël. L’omission est l’une des techniques du sophisme. Elle permet, dans cet exemple, d’inverser en acte d’agression, un acte de légitime défense du pays occupé.

Le conflit irano-israélien

Même procédé, même omission, même inversion, même sophisme, concernant le récent conflit irano-israélien. Le 1er avril, Israël a attaqué de façon soudaine et délibérée la section consulaire iranienne, adjacente à l’ambassade d’Iran à Damas. L’attaque est sanglante. Elle fait treize morts, 6 syriens, 8 officiers supérieurs iraniens dont 2 généraux. Le viol du droit international est sans précèdent. Aucune condamnation occidentale. Imaginons un instant que c’eût été l’inverse ; que l’Iran ait bombardé une ambassade israélienne. Que ce serait-il passé ?

Cette opération israélienne du 1er avril est cousue de fils blancs. L’attaque n’a été qu’une provocation destinée à obliger l’Iran à riposter, pour pouvoir réaliser le vieux projet, israélo-étasunien, de détruire les installations nucléaires iraniennes. Cette attaque ne pouvait avoir été faite sans l’accord des États-Unis, mais ceux-ci appellent ostensiblement l’Iran à ne pas se livrer à une escalade. Lorsque l’Iran riposte, l’axe occidental exprime son appui indéfectible à Israël et son droit "à se défendre". Et c’est l’ambassadeur iranien qui est convoqué par les principaux pays occidentaux. Le parti pris est trop évident.

Il est aussi clair, qu’un autre but de l’opération, était de permettre à Israël, "une réconciliation" avec les États- Unis, et de poursuivre le massacre des populations civiles à Gaza, sans n’avoir plus, désormais, à supporter les remontrances de son grand allié. D’autres pays occidentaux, l’Angleterre et la France, comme d’habitude, suivent. Ils y trouvent eux aussi une occasion pour se réconcilier avec Israël et reporter sine die leurs timides protestations contre la boucherie de Gaza.

Mais voilà comme toujours, il y a un grain de sable. On ne joue jamais seul et l’Histoire ne s’écrit jamais sous la dictée. Méfiant, flairant le piège de la provocation, l’Iran a limité son attaque tout en montrant sa maitrise de la guerre moderne de drones et de missiles, et il précise, quelques heures à peine après, que son opération est terminée et "le dossier clos". Pas une seule victime israélienne. Inattendu. Et surtout, depuis le temps que l’Iran s’attend à une attaque israélo-étatsunienne contre ses sites nucléaires, peut-être les a-t-il protégés efficacement, en les enfouissant à des dizaines de mètres sous terre et en les défendant par des batteries de missiles. Le coup semble raté ou très aventureux. Car s’il se fait, il révèlera du coup les intentions réelles du duo étasunien-israélien. De plus, un pays arabe, comme la Jordanie, a abattu des drones iraniens survolant son sol et s’est gravement compromis vis-à-vis de l’opinion arabe, révélant qu’il était, en fait, un allié direct d’Israël.

Tout cela n’empêche pas le monde médiatico-politique occidental de continuer de tordre les faits et de qualifier "d’attaque de l’Iran" sa riposte du 13 avril à l’attaque d’Israël. C’est hallucinant, pas un mot, pas un seul, n’est dit sur le déclencheur du conflit. Pour le 7 Octobre, il n’y avait rien, ni avant, ni après. Pour le 13 avril, de même, rien avant, rien après. Pour le 24 février 2022 en Ukraine, de même. Ainsi va la rhétorique du récit occidentaliste.

Mossoul et Gaza

Cette question de "qui attaque qui", "qui agresse qui", est d’ailleurs le terrain favori du sophiste occidental. L’attaque est qualifiée de défense. La riposte qualifiée d’attaque. Cette inversion est l’une des techniques du sophiste. Mais la palme, en la matière, revient comme souvent à Bernard-Henry Lévy. C’est un intellectuel français, chantre de toutes les interventions occidentales : en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, y compris celles qui n’ont pas eu (encore) lieu et qu’il appelle de ses vœux comme en Iran. Il est d’évidence un soutien inconditionnel d’Israël. Il s’est autoproclamé philosophe mais il est en fait un rhétoricien dans la pure tradition de ceux qui ont toujours été du côté du manche, du côté des puissants, aussi bien au niveau de la France qu’à l’échelle internationale, à travers son soutien inconditionnel à l’hégémonie occidentale. C’est un expert en sophisme, sous toutes ses formes. Sa principale spécialité est le sophisme par analogie, analogie entre Hitler et tous les dirigeants supposés antioccidentaux de Poutine à Kadhafi, analogie entre les accords de Munich et ceux de Minsk, analogie entre Daech et le Hamas, analogie entre le 7 octobre et les pogroms contre les juifs, analogie entre les massacres perpétrés à Mossoul par la coalition occidentale et ceux de Gaza, pour en conclure, sur ce dernier point, qu’il y a un nombre bien moindre de victimes à Gaza. Le sang coulé à Mossoul vient donc justifier celui à Gaza, merveille de sophisme et cynisme du raisonnement. Et ce n’est pas tout ! Sur le même sujet de Mossoul et Gaza, son dernier sophisme, est un véritable chef d’œuvre en la matière. Le 13 avril, sur une chaine d’information continue, il explique que pour Mossoul, il n’y a pas eu de dénonciations en Occident de la même ampleur que pour Gaza, et que c’est bien la preuve qu’"Israël est toujours le mal aimé, la victime", y compris en Occident. Il faut le faire.

Bref, on pourrait continuer à donner, à l’infini, des exemples de sophismes. L’agression contre la Libye en 2011, justifiée par les puissances occidentales pour "éviter un bain de sang" à Benghazi, ce qui représentait l’avantage de ne pas avoir à être démontrée puisque l’intervention était supposée l’avoir empêchée.

Il y aussi ce thème favori du sophisme qui est celui de la violence. Il permet de rejeter dos à dos agresseur et agressé, chacun ayant recours à la violence, qu’il agresse ou se défende. La violence d’où qu’elle vienne, étant intrinsèquement inhumaine, ses causes et ses effets se mélangent, se nourrissent ce qui permet d’obscurcir les esprits et de faire ainsi silence sur les causes profondes des conflits etc...

Chacun devrait d’ailleurs se livrer à la chasse au sophisme sous toutes ses formes que ce soit dans la pensée dominante occidentale que dans la politique des gouvernements dans le monde. Il ne faudrait pas en effet tout mettre sur le dos de l’Occident.

Quelques lecteurs s’en souviennent peut-être, j’avais, dans de nombreux textes précédents, abordé cette question de la déformation de la vérité et de la réalité dans les moyens d’information lourds occidentaux. J’avais donné des exemples, de ce qu’on avait appelé aux États-Unis, de façon tout à fait assumée, "le mensonge utile", le mensonge vrai", "la vérité parallèle", la vérité virtuelle", en tant qu’ "armes légitimes" de combat dans la guerre impitoyable de l’information. Parler ici de sophismes, c’est dire au fond la même chose, ou plus exactement, ça n’est qu’une tentative de généraliser théoriquement les méthodes utilisées par l’information, ou la désinformation, de mettre un mot sur elles et de les rattacher à une longue tradition de la bataille intellectuelle dans l’Histoire politique et sociale, depuis la nuit des temps.

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