[ article suivi par un temoignage de J-F Bonaldi ]
Quand l’administration étasunienne a hypocritement offert cent mille dollars d’aide face à la catastrophe provoquée par le cyclone Gustav à condition que nous la laissions inspecter in situ pour vérifier les dommages, Cuba lui a répondu qu’elle ne pouvait accepter le moindre don du pays qui lui impose un blocus, que les dégâts avaient été déjà été calculés et que tout ce que nous réclamions, c’était que Washington ne prohibe pas les exportations des matériaux indispensables et les crédits associés aux opérations commerciales.
Certains dans le Nord poussèrent des cris d’orfraie : le refus de Cuba était inconcevable !
Quand, quelques jours plus tard, Ike frappa notre pays de la pointe Maisà au cap San Antonio, les voisins du Nord se montrèrent un peu plus malins : ils mirent de l’eau dans leur vin, parlèrent d’avions prêts à décoller avec des produits d’une valeur de cinq millions de dollars, qu’il ne serait plus nécessaire d’évaluer, parce qu’ils l’avaient déjà fait par leurs propres moyens, ce qui revenait à dire qu’ils épiaient notre pays. Cette fois-ci, pensaient-ils, ils allaient mettre la Révolution dans l’embarras : si elle osait refuser cette aide, la population se fâcherait… Peut-être pensaient-ils que personne d’ici n’avait vu les images divulguées par la télévision étasunienne alors que les forces d’occupation onusiennes distribuaient des aliments en Haïti à une population affamée qui se les disputait à travers un grillage de fer barbelé, au point que même des enfants avaient été blessés.
La faim dans ce pays-là est le fruit du pillage historique et impitoyable des peuples. Au même moment, à Gonaïves, nos médecins risquaient leur vie pour soigner la population locale, tout comme ils continuent de le faire dans la quasi-totalité des communes de cette nation. Cette coopération se poursuit là , tout comme dans des dizaines de pays du monde, malgré les cyclones. Cuba répondit catégoriquement à cette nouvelle note rusée :
« Notre pays ne saurait accepter aucun don de la part du gouvernement qui lui impose un blocus, encore qu’il soit disposé à acheter les matériaux indispensables que les sociétés étasuniennes exportent sur le marché, et il demande donc l’autorisation de se les procurer, ainsi que de recevoir des crédits qui sont normaux dans toute opération commerciale. »
« Si l’administration étasunienne ne souhaite pas le faire définitivement, le gouvernement cubain demande que cela soit au moins autorisé dans les six prochains mois, surtout si l’on tient compte des dommages causés par les cyclones Gustav et Ike, et que les mois les plus dangereux de la saison des cyclones ne sont pas encore terminés. »
Cuba ne parlait pas avec morgue, parce que ce n’est pas son style. On peut constater que la Note exprimait modestement l’idée que Cuba se contentait d’une levée des prohibitions pour un laps de temps limité.
Le secrétaire étasunien au Commerce, Carlos Gutiérrez, écarta le vendredi 12 la possibilité que le blocus soit levé d’une manière temporaire.
Le gouvernement de ce puissant pays est incapable de toute évidence de comprendre que la dignité d’un peuple n’a pas de prix. La vague de solidarité avec Cuba qui déferle depuis des pays petits et grands, avec ou sans ressources, disparaîtrait du jour où notre pays cesserait d’être digne. Ceux qui en prendraient la mouche dans notre pays se trompent lourdement. Si, au lieu de cinq millions, il s’agissait d’un milliard, la réponse serait la même. Rien ne peut payer les dommages - des milliers de vies, des souffrances et plus de 20o milliards de dollars - que nous ont coûtés le blocus et les agressions yankees.
Le Bilan préliminaire officiel explique à la population que notre pays a souffert en moins de dix jours des pertes se montant à plus de cinq milliards de dollars. Mais il explique que ces chiffres ont été calculés à des prix historiques et conventionnels sans rapport avec la réalité. On ne doit pas oublier non plus une autre explication très claire : « Les calculs des pertes de logements se font à partir de prix historiques et conventionnels, non de valeurs réelles à prix internationaux. Qu’il suffise de dire que pour disposer d’un logement durable qui résiste aux vents les plus forts, il y faut un facteur indispensable devenu rare : la force de travail, aussi bien pour des réparations temporaires que pour une construction durable. Il faut distribuer cette force de travail dans tous les autres centres de production et de services, dont certains ont été durement touchés, de sorte que la valeur réelle d’un logement dans le monde et de l’amortissement des investissements correspondants est plusieurs fois plus élevée. »
La Nature nous a assené un coup brutal, mais il est encourageant de savoir que nous nous battrons sans repos ni trêve.
Il n’existe pas de réponse définitive à la crise économique qui frappe les Etats-Unis et par ricochet les autres peuples du monde. Il en est une, en revanche, aux catastrophes naturelles dans notre pays et à toute tentative de fixer un prix à notre dignité.
Fidel Castro Ruz
Le 16 septembre 2008
TEMOIGNAGE DE JACQUES-FRANCOIS BONALDI
Parti à Antigua dimanche en huit (participation à une réunion du Programme pour l’environnement des Caraïbes, du PNUE) je suis rentré ce dimanche matin. J’ai donc passé Ike à l’étranger (bien entendu, Doris l’a eu mauvaise…) De retour, je retrouve un pays encore sous le choc, un peu hébété, qui n’arrête pas de compter ses cicatrices sans avoir encore eu le temps de panser ses blessures. Pour la première fois d’ailleurs, devant l’ampleur du désastre, la population se mobilise et fait des dons aux sinistrés (avant, c’était l’Etat qui se chargeait de tout)…
Granma publie aujourd’hui sur deux pages une « Information officielle préliminaire sur les dégâts causés par les cyclones Gustav et Ike ». Un bilan terrifiant. En trente-sept ans, je n’ai pas mémoire de tant de dommages : Gustav qui avait frappé de plein fouet l’île de la Jeunesse et une partie de la province de Pinar del Rào, n’est rien à côté d’Ike qui a ravagé Cuba d’est en ouest, sur un bon millier de kilomètres, frappant des provinces généralement épargnées par ces phénomènes météorologiques, comme Holguàn, où les gens ont appris dans leur chair la terrifiante force de la Nature (avec laquelle notre espèce humaine continue de jouer sans même se rendre compte du désastre où nous courons). Il est bon de lire ces deux pages d’un bilan qui n’est encore que provisoire ! C’est toute l’infrastructure du pays qui a été t0uchée : industrielle, agricole, éducationnelle. Le bilan des dégâts est évalué à ce jour à 5 milliards de dollars, une somme énorme pour un petit pays comme Cuba. Plus de 444 000 logements endommagés, dont 63 249 effondrés totalement. Soit plus de 200 000 sans abris.
Quelques dommages causés par Gustave qui a frappé essentiellement la région occidentale : 137 pylônes de la ligne à haute tension Mariel-Pinar del Rào (220 kv) et 13 de la 110 kv par terre ; 4 500 poteaux électriques renversés, 530 transformateurs et 5 000 réverbères endommagés. Sur l’île de la Jeunesse, la totalité du service électrique a été touchée. Perte de plus de 55 700 hectares de cultures, surtout tubercules et canne à sucre. Dommages à 877 jardins potagers urbains et 392 jardins potagers intensifs. Graves dommages à 80 p. 100 de l’aviculture sur l’île de la Jeunesse, et 100 p. 100 dans les huit communes de Pinar del Rào touchées. Destruction de 3 414 maisons à sécher le tabac et dommages à 1 590 autres, outre la destruction de plus de 800 tonnes de tabac. Plus de 180 000 hectares de plantations forestières touchés. Endommagées 4 355 tonnes de produits alimentaires sous hangar. 314 installations de santé, dont 26 hôpitaux, 18 polycliniques, 191 centres de consultations, 14 foyers du troisième âge et 42 pharmacies, touchées. 1 160 écoles endommagées, dont 599 en Pinar del Rào, 218 à la Havane-province, 225 à La Havane et 87 sur l’île de la Jeunesse.
Je n’ai repris que l’essentiel des dégâts provoqués par Gustav, la liste est plus longue, hélas…
Quelques dommages causés par Ike. Le bilan commence par une liste des communes les plus touchées dans les provinces de Guantánamo (2), d’Holguàn (7), de Las Tunas (4), de Camagüey (8), de Ciego de à vila (4), de Sancti Spàritus (3), de Villa Clara (4), de Cienfuegos (2), de Matanzas (5). Les deux provinces de La Havane ont aussi été touchées, mais moins que le reste du pays. En revanche, Pinar del Rào et l’île de la Jeunesse ont été de nouveau durement touchées par les vents et encore plus par les précipitations. Le service électrique de l’ensemble du pays a été touché. Au 12 septembre, par exemple, le service n’avait été rétabli qu’à 30 p. 100 en Las Tunas, Camagüey et Holguàn, les provinces les plus durement touchées ; à 55 p. 100 en Pinar del Rào et à 67 p. 100 sur l’île de la Jeunesse, et aucune province à 100 p. 100. 205 maisons de cultures protégées et la plupart des installations semi-protégées endommagées. Les caféières de l’Oriente ont souffert, avec perte totale de la cueillette dans les communes les plus productives. Perte de 32 307 hectares de bananeraies et de plus de 10 o0o hectares d’autres cultures dans les provinces de l’Est. Perte de 500 000 volailles, dont 100 000 ont pu être abattues et vendues à la population. En canne à sucre, 156 600 hectares de cannaies couchés, 518 879 inondés et 3 895 détruits, environ 40 000 t0nnes de sucres mouillées. Dommages dans plus de 10 000 hectares de banane, de riz, de haricots et autres cultures. Toutes les usines, pour une raison ou une raison, ont dû paralyser leurs productions. Dommages causés à 49 000 tonnes de capacités d’entreposage. Destructions partielle ou totale de 2 642 établissements d’enseignement, de 186 garderies, et dommages sévères aux trois écoles normales d’Holguàn, de las Tunas et de Camagüey. Dommages aux universités de six provinces. 146 institutions culturelles et 86 installations sportives endommagées. Plusieurs hôpitaux endommagés. Les voies de communication ont durement souffert, des milliers de kilomètres de routes endommagés ; sept ports fermés pour problèmes de balises emportées et hangars détruits.
Je me suis attaché à te fournir une idée d’une partie des dégâts causés par Gustav et Ike, auxquels il faut ajouter ceux déjà provoqués par Hannah et l’autre dont j’ai oublié le nom. Le bilan a une phrase choc : « Le pays a été dévasté comme jamais auparavant dans son infrastructure économique, sociale et de logement. »
Face à ces catastrophes, d’autres chiffres s’érigent, tout aussi impressionnants : au total pour les deux cyclones, 3 179 846 personnes - dont 2 772 615 pour Ike - évacuées ou protégées, dont seulement près de 500 000 dans des centres d’évacuation, les autres ayant logés chez les parents et amis, plus de 10 000 moyens de transport ayant été utilisés dans ce but. Bilan de victimes : 7 morts, toutes par imprudence et refus de suivre les consignes d’évacuation, jamais pour gabegie de la Défense civile.
Si j’ai tenu à reproduire en partie ce bilan terrifiant (« Le pays a été dévasté comme jamais auparavant dans son infrastructure économique, sociale et de logement. »), c’est parce que je constate à quel point la presse internationale fait le silence là -dessus.
Curieusement (faut-il y voir la main de l’homme, comme tant d’articles de ces jours-ci l’évoquent), Gustav et Ike sont entrés en Pinar del Rào et en sont ressortis en suivant exactement la même trajectoire ! Un cas singulier…
Alors, si vous pouvez, répercutez ce bilan, faites-le connaître. Cuba est sous le choc, et tardera des années à s’en remettre, surtout que d’autres cyclones dévastateurs avaient frappé l’île les années précédentes.
Je n’épilogue pas sur l’attitude de Washington : comment supposer qu’un gouvernement qui laisse pourrir sa propre population noire et pauvre de la Nouvelle-Orléans depuis trois ans s’apitoiera sur l’ennemi communiste ? Je préfère parler de choses nouvelles, qui disent bien que Notre Amérique change : en cinquante ans de Révolution, on n’avait jamais vu un avion des forces armées du Honduras atterrir à Cuba pour apporter 10 tonnes d’aliments ! Et qui fera un second voyage pour apporter des dons du peuple hondurien, dont ceux des parents des 1 000 élèves de médecine de ce pays étudiant à Cuba et des patients des plus de 300 coopérants cubains de la santé.
La Russie est en train de « redécouvrir » Cuba : son vice-président fait une nouvelle visite de travail accompagné d’une forte délégation de ministres, de hauts fonctionnaires et d’hommes d’affaires, afin d’apporter une aide à Cuba.
Quant à l’Union européenne, ses gouvernements continuent de faire preuve de leur médiocrité coutumière : quand 27 gouvernements promettent à Cuba sinistrée une obole de 2 millions d’euros, ça fait combien par tête de pipe ? Timor-Leste, petit pays pauvre et hier encore colonie, en a donné 500 000 à lui tout seul.
Comme le dit Fidel, les graines de la solidarité dont Cuba a fait le fond de sa politique extérieure envers le Tiers-monde germent… Et elle lui revient en retour de ceux qui en ont bénéficié…
Jacques
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