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L’Amérique chaos debout

« Sur un malentendu, ça peut marcher » s’est dit Donald Trump. Et en bon investisseur dans les casinos, il s’est lancé. A 70 ans passés, il pouvait se permettre de perdre quelques millions dans un pari à vingt contre un. Et il a gagné ! Chapeau l’artiste.

Le malentendu a été total. Le landerneau des politiciens professionnels se frottait les mains en pensant avoir trouvé le punching-ball parfait pour faire passer la candidature Hillary qui ne vendait pas franchement du rêve dans les chômières. Les médias américains, pro-Hillary jusqu’à l’écœurement, relayaient toutes ses provocations et pensaient que les femmes, les Mexicains, les Afro-Américains, bref tout le monde allait détester avec eux le mauvais coucheur raciste et misogyne, inculte, libidineux. Erreur ! Ils ont beau parler la même langue, ils ne vivent pas dans le même monde que « Joe Six-pack » (comme on appelle chez eux les « sans-dents »).

Mais les patrons libidineux, grossiers, sadiques même, ce n’est pas pour étonner les prolétaires ! Ils en ont vu, ils en ont eu, ils s’y sont frottés. Ceux-là sont exploités et humiliés bien pire que chez nous. Les chiffres du chômage sont meilleurs qu’en Europe ? La belle affaire ! Leurs travailleurs pauvres sont des sdf comparés à nos chômeurs. Ce n’est pas une adhésion, ce n’est pas un engouement (enfin pour la plupart) : c’est juste un peuple désespéré qui a jeté contre l’establishment détesté ce que Michael Moore a très justement appelé « un cocktail Molotov humain ».

Plus la presse le dénigrait, et franchement il y avait de quoi, plus elle exprimait sa crainte d’un président Donald Trump, plus il gagnait des points. « Ah c’est donc lui qui leur fait peur ? Donald Trump les effraie ? Hardi, les gars : on va le leur balancer en pleine face, à ces représentants de l’Amérique d’en haut, ces élitistes qui papotent démocratie et droits des minorités entre eux aux talk-shows. » Un cocktail Molotov sur la Maison blanche, voilà ce qui s’est passé.

« Changement d’époque », « Révolution populiste », les éditorialistes cherchent des concepts pour habiller leur surprise. Les moins inventifs accusent les instituts de sondage. Trop facile : les instituts étaient dans la marge d’erreur statistique. Hillary a obtenu comme promis la majorité relative des suffrages. L’erreur des sondeurs a été infime, elle concernait le résultat dans quelques États-clé, la Pennsylvanie, le Michigan, la Floride. Quelques points de pourcentage dans trois États, et 70 grands électeurs ont basculé. S’il y a eu faute, c’est celle d’un système de suffrage indirect vicié à la base où certaines voix comptent et d’autres pas.

Ce que l’on a vu dans cette élection, ce sont les limites de la démocratie : la compétence n’est pas nécessaire ; la décence n’est pas requise ; le mensonge n’est plus une faute. Ce n’est pas nouveau dans les campagnes américaines, mais c’est nouveau à ce point. Donald l’a constaté, il s’en est amusé ouvertement : ses mensonges, ses approximations, ses énormités faisaient hurler tout l’establishment mais ne lui coûtaient rien en termes de soutien populaire. « Si demain sur Time Square je tirais sur quelqu’un, je ne perdrais pas une voix. » Un soir qu’on annonçait à Hillary une légère avance sur son adversaire, elle laissa échapper son désarroi : « Ce qui est inconcevable, soupira-t-elle, c’est que je ne sois pas vingt ou trente points devant lui. » Les mensonges absolument éhontés, l’incompétence ouvertement admise, ne sont pas un obstacle à l’obtention du poste suprême.

Un autre aspect original de cette élection a été l’absence, pour une fois, du prêchi-prêcha religieux. Comme l’a très justement pointé Bill Maher, difficile pour les Républicains de sortir cette fois leurs arguments traditionnels tirés des dix commandements alors que leur candidat semble avoir consacré sa vie à les enfreindre tous ! Pas une fois il n’a été question de « valeurs traditionnelles » ni de la ferveur religieuse des candidats.

A quelque chose malheur est bon, et je crois qu’il y a plus à espérer qu’à craindre de cette présidence Trump.

La plupart des analystes s’accordent déjà à penser que la victoire de M. Trump donne le coup de grâce au Traité transatlantique et à son frère jumeau tout aussi laid, le Traité transpacifique. Avant même d’entrer à la Maison blanche !

L’Amérique est sonnée. Ce sera l’occasion d’une introspection et d’une autocritique de la part d’élites qui ont trop tiré sur la corde de l’entre-soi et du mépris des classes modestes. L’ultra-libéralisme, la crise financière qui a enrichi les riches et poussé la classe moyenne au bord du gouffre, le système pénal qui aspire de plus en plus de pauvres dans une spirale carcérale, la fuite en avant militaire qui assèche les finances du pays. Il a parlé d’infrastructures à reconstruire et à réparer et il a raison. Un plan de relance keynésienne ne serait pas du luxe.

L’Europe est terrifiée. L’imprévisibilité supposée de M. Trump l’obligera à se repositionner, à prendre quelques distances avec le leadership américain. Nous n’avons aucun intérêt au conflit artificiel qui nous oppose à la Chine et à la Russie. C’est là, en Eurasie, et pas outre-Atlantique, que se trouvent nos partenaires naturels, notre avenir, nos marchés, nos alliances futures, qu’il s’agisse de sécurité ou d’infrastructures. Une occasion s’offre de revoir un peu la politique étrangère de l’UE. Donald Trump n’est pas notre héraut, retrouvons un minimum d’autonomie.

La France est incrédule. Saisissons l’occasion unique d’étudier ce que serait une présidence Marine Le Pen. Un ovni extra-système arrive au pouvoir et promet de tout mettre par terre. Que se passe-t-il ensuite ? Nous aurons tout loisir de constater sans prendre le risque nous-mêmes. Marine se réjouit peut-être trop tôt : il se pourrait bien, si l’expérience Donald foire, que l’expérience Marine soit ajournée sine die.

Et le reste du monde ? Le lauréat du prix Nobel de la paix et champion de la diplomatie du drone tire sa révérence. Se pourrait-il que son successeur, cette tête brûlée imprévisible, réduise enfin l’interminable liste de conflits armés qui fut l’apanage et la honte de la présidence Obama ?

Comme disent les Américains : ne retenez pas votre respiration. On ne compte plus les présidents élus sur une promesse de recentrage sur les problèmes domestiques qui, à peine élus, se sont lancés dans un interventionnisme global plus échevelé encore que leur prédécesseur. Avec Mme Clinton, le pire était sûr. Avec M. Trump, il n’est que possible.

Christophe Trontin

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