L’axiomatique de l’indigence pour les Nuls

Pour expliquer l’impuissance dans laquelle s’embourbe, depuis plus de deux siècles, le collectif haïtien, qui se trouve calé sur une trajectoire d’évolution erratique, je propose l’axiomatique de l’indigence. C’est un outil d’analyse contextuelle qui mobilise des savoirs transversaux et les relie dans une pensée systémique pour, d’une part, tenter d’approprier les contraintes problématiques de l’écosystème haïtien, et d’autre part, explorer des pistes de solution pour un probable basculement vers un autre possible humain.

Introduction

Pour m’assurer de rendre intelligible cette axiomatique, je me suis appuyé sur la théorie des systèmes et la pensée complexe qui offrent des outils épistémiques, pragmatiques et éthiques pour expliquer le réel, dans sa complexité, sans le simplifier, sans le mutiler.

Hypothèse et Définition

L’axiomatique de l’indigence est une cartographie de l’ensemble des déformations managériales, professionnelles, culturelles, cognitives et humaines qui plombe l’évolution de l’écosystème haïtien et le maintient dans son errance. L’hypothèse est que ces déformations résultent du rapport médiocre que le collectif haïtien développe avec lui-même et avec son environnement par ignorance ou méconnaissance de la nature humaine et des devoirs qui le lient à son écosystème.

L’indigence désigne la posture d’un groupe social (ou d’un individu), dont les conditions d’existence, singulières et précaires, plombées par de lourdes incertitudes, poussent à un abandon de dignité et une mise en hibernation de la pensée critique pour se consacrer à l’urgence de la survie. Ce groupe (ou cet individu) en vient à considérer, comme succès confortable, tout minimum, aussi insignifiant soit-il, qui lui permet de prolonger la vie, en lui conférant le sentiment d’une supériorité par rapport à une majorité avoisinante qui désespère et agonise. L’indigence se caractérise donc par une déformation mentale individuelle ou collective qui induit un fléchissement et un déséquilibre du corps social. Aveuglé par l’enfumage de son succès minimal insignifiant confortable (SMIC), cet individu ou ce collectif apprend à vivre dans un brouillard total qui rend sa pensée incomplète et ses actions contrefaites et incorrectes.

Notons que l’épaisseur de ce brouillard varie selon le contexte où il prend forme. En certains lieux opulents, il se présente sous l’aspect lumineux d’un climat culturel dans lequel des utopies et des impostures imposent au collectif un sentiment de grandeur qui nourrit l’insouciance et l’indifférence. Dans d’autres lieux défaillants, il s’apparente à un climat culturel embrumé dans lequel des opacités et des médiocrités dictent les postures de l’action collective sur fond d’urgence. Dans l’un ou l’autre des contextes, il y a une perte de sens qui induit une profonde insignifiance. C’est elle qui autocensure la pensée et autolimite les options possibles pour une prise de décision intelligente ; c’est elle qui met la conscience en sourdine et empêche aux êtres humains de mobiliser l’éthique pour répondre aux défis que leur pose la vie.

Postulat et dénis

En admettant le principe que la finalité du vivant est de maintenir un lien au fond de la vie et dans l’hypothèse où les êtres humains sont avant tout des vivants, l’insignifiance apparaît comme un attracteur qui éloigne l’être humain de l’apprenance en le poussant vers l’indigence. L’apprenance étant la disposition humaine à affûter ses sens pour apprendre de son environnement et répondre avec intelligence et responsabilité aux défis du monde vivant. Défis qui, du point de vue du rapport par rapport à la nature et à la vie, sont les mêmes d’un lieu à un autre, quel que soit le contexte culturel. Défis auxquels, sans pensée complexe, l’être humain répond toujours imparfaitement en se réfugiant dans des dénis qui finissent par devenir les quantificateurs d’une indigence (QI) qui lui empêchent de trouver les bonnes postures pour l’action intelligente. Au nombre de ces dénis, on peut citer :

a. Le déni de la complexité qui agit comme quantificateur d’impensé ;
b. Le déni de la responsabilité, quantificateur d’irresponsabilité ;
c. Le déni de la qualité, quantificateur de médiocrité ;
d. Le déni de la dignité, quantificateur d’indignité ;
e. Le déni de l’intégrité, quantificateur de servilité

Ces quantificateurs s’enchevêtrent dans leur mouvement et engendrent des ondes et des boucles de précarités matérielles et de déficiences humaines qui conduisent à l’effondrement de la conscience et à son verrouillage dans une configuration mentale indigente. L’être humain, ou le collectif d’êtres humains, pris dans ce piège, courbe sous le poids des contraintes et manque de ressources cognitives pour trouver les postures de corps et d’esprit capables de lui offrir le point d’appui, d’où il doit forger le levier de responsabilité, pour s’enraciner dans son écosystème et trouver l’agilité de l’imagination pour s’élever au-dessus des contraintes et voir l’avenir. Son imaginaire reste verrouillé sur l’horizon de ses besoins de survie.

Voici l’avatar de l’indigent : un être emprisonné dans ses dénis et emporté par le tourbillon précaire que génèrent les quantificateurs de l’insignifiance et de l’impuissance ; lesquels s’appuient l’une sur l’autre, se renforcent et se structurent pour former cette indigence qu’il assimile à une heureuse résilience.

L’indigent est donc un être humain qui, se méconnaissant lui-même, méconnaît aussi les propriétés du monde dans lequel il vit, et se retrouve incapable de déchiffrer les codes d’apprentissage et de transmission, que sème en tout lieu la nature pour permettre aux vivants de magnifier le miracle de la vie et de maintenir un lien authentique, digne et responsable avec eux-mêmes et avec leur environnement. Privé de ressources cognitives, mentales solides et complexes, l’indigent ne peut pas approprier le mode d’emploi de la complexité de la vie. Bousculé par les turbulences et les contraintes, il s’effondre et se contente de ramper pour profiter des miettes qu’il trouve au ras du sol. Il n’a pas les ressources et la patience pour chercher et trouver le point d’équilibre capable de lui offrir la perspective pour construire un étrier comme repère d’élévation jusqu’à sa monture pour continuer sa chevauchée dans la vie.

Problématique : jusqu’au bout de l’errance

Or, celle-ci ne livre ses secrets que par paradoxes interposés et à ceux qui prennent le temps pour apprendre, ont la disponibilité pour comprendre et la générosité pour transmettre. L’indigent ne voit dans les paradoxes de la vie que les contrariétés, il n’a pas l’intelligence pour comprendre que dans toute contrariété, il y a une opportunité à saisir, non pour s’enrichir au détriment des autres, mais pour structurer des liens de responsabilité et des engagements d’authenticité et d’intégrité. Ce sont ces liens qui ressourcent les êtres et leur donnent des racines pour croitre et des ailes pour s’épanouir dans leur milieu. Autrement, tout s’effondre autour d’eux, tout reste invariant.

Or, dans le contexte haïtien, les liens sont cousus dans les fils enfumés de l’inconscient du marronnage. Ils sont avant tout des liens de dépendance et de servitude, car ils visent à donner accès aux ressources matérielles. Ils sont au final des liens d’instrumentalisation, car ils ne visent qu’à protéger les zones de confort précaires, et ne se nouent qu’entre crapules et couillons. Et dans cet enchevêtrement entre effondrement et invariance, l’indignité vient enfumer le savoir et la culture pour les rendre futiles. Ils deviennent des outils de rente et de snobisme, donc utiles au sauvetage personnel. Les paradoxes anthropologiques viennent amplifier les contraintes du réel et s’imposent comme climat propice pour l’errance. Une errance qui s’explique par le marronnage et ses liens de crapulerie et d’escroquerie. E= MC2.

L’impuissance au bout du savoir

Cette errance n’est pas fatale. Car elle s’explique intelligiblement : les capteurs des sens du collectif haïtien sont désactivés : dans la complexité dans laquelle il est plongé, il ne peut rien voir, rien entendre, rien comprendre ; et logiquement, il ne peut rien entreprendre. L’insignifiance aidant, bousculé par l’urgence de la survie, le peuple haïtien n’a pas la patience et la disponibilité humaine pour spiritualiser ses rapports avec son environnement. Ses élites n’ont pas l’humanité pour se référer à l’éthique et dimensionner le savoir pour des actions collectives innovantes. Et pour cause ! La criminalité, qui est la source principale de sa richesse économique et de son monopole sur les affaires du pays, a besoin de cécité, de surdité, de complicité, d’indignité, de médiocrités et d’irresponsabilité.

C’est dans ce marécage indigent que des universitaires, des experts, des docteurs d’ici et d’ailleurs se bousculent pur appliquer les recettes de la bonne gouvernance et de la gestion axée sur les résultats. Paradoxe de tous les paradoxes, cette reluisante expertise académique, culturelle et droit-de-l’hommiste n’a fait, en 35 ans, qu’aggraver les malheurs du peuple haïtien. Car, aveuglément, obstinément, elle récite les recettes qu’elle a mémorisées comme des injonctions pour sa propre performance, tout en ignorant la complexité du contexte et les contraintes problématiques de l’écosystème.
Or rien ne rend plus impuissant que le savoir qui fait le show de l’insignifiance en cherchant à résoudre des faux problèmes.

L’espérance dans la nuit de l’errance

Pourtant, malgré ce verrou entre insignifiance et impuissance dans l’errance, il ne reste pas moins une lueur pour l’espérance. Fabriquer de nouveaux experts qui seront plus contextuellement ancrés dans leur écosystème, plus dignes, plus authentiques, plus insolents, plus insoumis et moins attachés aux réussites matérielles, à l’urgence de survivre et à moins confortables avec le succès minimal.

COMMENTAIRES  

13/04/2023 13:48 par Cesar

En conclusion, tant qu’il y a de l’espoir il y a de l’avenir...

Sinon, à part dénoncer le martyre du peuple haïtien depuis son désir d’autonomie décapité il y a deux siècles, aujourd’hui abandonné ou perdí lui-même dans le triangle infernal capitalisme-financiarisation-dématérialisation, quelles sont les propositions concrètes pour sortir de la nasse ?

On pourrait aussi avancer le duo religion/sorcellerie-individualisme posrmoderne...

Sinon, pensez-vous que la oensée complexe, modélisée par E. Morin chantre du globalisme spirituel et soutenu par des personnalités comme Plenel, puisse venir à bout de problèmes parfois tordus, parfois très basiques ?

Ces problèmes sont pour l’ancienne pwrlw des caraïbes assez clairement identifiés, c’est le manque total de souveraineté du pays, du jeu pervers et absolument pas désinteressé des instances internationales (à jeter dehors) et de la corruption des élites en Haïti...

En plus d’aucun plan de développement de la société haïtienne. Aucune autorité respectable ou légitime. Tout le beau monde y trouve son compte, mais sur place les moins que ríen haïtiens sont peut-être stigmatisés avant tout par les plus que tout haïtiens qui se croient les égaux des grands vampires blafards de l’Occident ??

Mais il ne faut pas, je pense, rester fasciné par le mal et les vues de l’esprit, par notre imagínaire foisonnant, les mots qui volent un peu trop haut (et cachent mal le vide concret de solutions concrètes).

Pourquoi une partie de l’île hispanophone semble prospère et en paix tandis que l’autre partie francophone ne sort jamais de la misère et du crime ? Une fatalité insurmontable ? Comme les cubains, le haïtiens ne devraient compter que sur eux-mêmes en plus d’alliances judicieuses à l’international mais peut-être que Miami est déjà en Haïti ?

14/04/2023 01:48 par Ducasse Tapia Juan Carlos

La République Dominicaine, qui rappelons le est un paradis fiscal, est une des clefs du probleme : son bien être et sa properité sont tout artificiels et si Haiti n’ était pas dans la misere, la R.D. ne pourrait pas exploiter sa force de travail... rappelons également que la RD (ses élites) Aspire a Etre comme Puerto Rico, un état Americain... en parlant de Miami, ses journaux sont en ébullition après la soit disant fugue de documents secrets de la CIA qui affirment que le gouvernenent haitien serait en negociations avec le Groupe Wagner... Cher Mr. Renoncourt ? Pensez vous que cela soit vrai et que cela soit une solución ? Du moins quelque chose de positif...? (Au fait vivez vous en Haiti ou en RD ?)

14/04/2023 03:18 par Erno Renoncourt

La nature est écrite en langage mathématique,les problèmes d’ici comme d’ailleurs ne peuvent résolus que par la pensée scientifique, avec de l’intelligence. Mais pour résoudre un problème, il faut le comprendre.
Primo : la partie orientale de l’ile d’Haiti a toujours été un bastion hostile aux idées anti-esclavagistes qui ont accouché la révolution haïtienne en 1804. D’ou l’anti-hatianisme poussé qui règne en Dominicanie.

Segundo : Dans la partie orientale de l’ile, il y a une élite locale qui a une vision partagée pour son pays et qui investit dans son pays pour le développement de son pays. A l’inverse en Haïti, 98% de l’économie est aux mains d’étrangers dont la majorité est composée de Syranos-Libanais. Ils se disent entrepreneurs haïtiens et sont diplomates représentants les intérêts d’autres pays. D’où les conflits d’intérêts qui font qu’Haïti n’existe pas comme pays.

Tertio : La République Dominicaine, par son histoire, n’a jamais été aussi stigmatisée, violentée et dépecée qu’Haïti par les anciennes puissances coloniales et les puissances impérialistes.

A eux trois, ces arguments sont d’une complexité réelle ...et ce n’est pas une vue de l’esprit d’en appeler à la rigueur pour agir sur les invariants qui déshumanisent Haïti. Sauf si , bien sûr comme le veut l’imaginaire occidental, certains lieux ne sont pas dignes de revendiquer et d’assumer l’intelligence. Et c’est là Une hypothèse contraire aux lois de la nature. Et comme La nature humaine est partout la même ( beauté, harmonie, chaos, instabilité, paradoxes, médiocrités humaines, générosité), seule sa compréhension profonde peut fournir un étalon objectif pour la transformer. Et cet étalon, c’est la pensée scientifique. Donc ici comme ailleurs, on a besoin d’intelligence et de son nuage de mots complexes pour agir sur les maux complexes.

Le drame est que de loin , on croit comprendre Haïti, et on pense qu’il n’y a pas de gens qui ont des idées concrètes pour un autre possible. Or la réalité est que les agences internationales, les ONG, les Diplomates font tout pour que ce soit le cercle des insignifiants anoblis par leur soin qui assume le leadership national.

L’impuissance haïtienne devant son errance est là : comment agir sur des invariants qui échappent à sa maitrise et quand on n’a pas les leviers de la stratégie ?

14/04/2023 10:39 par Assimbonanga

A l’inverse en Haïti, 98% de l’économie est aux mains d’étrangers dont la majorité est composée de Syranos-Libanais.

Ah la la ! Ça m’étonne pas car je trouvais que le Liban était dans la même mouise que Haïti. C’est shitole + shitole ! C’est du pillage organisé en somme... On ne voit vraiment pas qu’est-ce qui pourrait ressusciter ces pays gangrenés par la corruption et le sauve-qui-peut. On espère juste que cette gangrène ne va pas contaminer toute la planète.

14/04/2023 22:11 par Erno Renoncourt

@Assimbonanga Comme vous le savez bien, Il n’y a pas de fatalité. Si Haiti se shitholise à perte d’humanité, c’est parce que le pays, à sa base et à son sommet, assume, respectivement, la résilience et l’insignifiance anoblie (dépendance vis-à-vis des rêves blancs),comme un succès minimal insignifiant confortable. C’est la reliance de ces deux faiblesses qui structure l’impuissance collective et l’invariance anthropologique haïtienne. C’est une commune règle algébrique de signes : moins par moins donne plus. Deux faiblesses s’appuyant l’une sur l’autre se structurent en une puissante inertie. Le drame est que loin de s’agiter pour trouver le levier d’innovation capable de vaincre cette inertie, le collectif préfère s’y adapter en apprenant à vivre à un rythme limaçant et en se verrouillant sur une boucle temporelle spiralée, dans laquelle le présent contemple le passé comme un horizon indépassable.

Donc, il est permis de penser et d’espérer qu’Haïti peut progressivement briser le cycle de ce verrou et entrevoir l’avenir si et seulement si, à la base ou au sommet, le pays trouve l’intelligence pour agir sur les forces de l’équation de l’inertie, soit sur la résilience, soit sur l’insignifiance. Précisons que c’est la conjonction de ces deux médiocrités qui induit la perversion de l’indigence comme une résiliation des devoirs de l’humain envers la vie. Une résiliation qui se vit comme un abandon des liens de responsabilité, d’intégrité, de dignité par assumation de la résignation : (bon Dye bon : Dieu est bon !).....et de la dépendance vis-à-vis de l’assistance internationale.

Voilà pourquoi je persiste à penser que la ligne de fuite pour un autre possible en Haïti ne peut prendre forme que dans la conscience de la base par une nouvelle manière de vivre, d’habiter son pays et de penser les rapports avec son environnement et son collectif. En regardant le dessin ci-dessous tend qui modélise le verrou qui immobilise et précarise l’écosystème haïtien, il semble permis de penser que c’est sur les bulles formées par l’état d’urgence académique et culturelle et l’état d’urgence éthique que le collectif haïtien peut construire des degrés de liberté pour s’extraire de son errance.

Car, tant que l’insignifiance des élites sera compensée par la "résiliance" ( lien entre résignation et dépendance) de la majorité, l’inertie consolidera l’impuissance et structurera l’invariance pour le bonheur des indigents. Et pour rompre cet équilibre indigent, il faut que le savoir soit approprié comme outil d’innovation et non de rente ou de snobisme.

15/04/2023 01:19 par Ducasse Tapia Juan Carlos

Et sur Wagner ? (celle ci n’est pas une question dialectique)...
La nature n’est pas mathematique, c’est seulement notre capacité de comprehension qui l’est...

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