L’Europe entre dans son siècle d’humiliation

Malheureusement, tout s’est passé comme prévu : après la réunion de Macron à Paris (« réunion d’urgence » du 18 février 2025, ndt), Mark Rutte de l’OTAN a fièrement annoncé que l’Europe était « prête et désireuse de s’engager » à fournir des garanties de sécurité à l’Ukraine.

Cela qu’ils veulent dire, c’est que l’Europe paiera avec enthousiasme la facture de n’importe quel arrangement décidé au-dessus de leurs têtes ; elle se porte ainsi volontaire pour financer sans limite un accord qu’ils n’ont explicitement pas été autorisés à négocier.

Une humiliation totale et complète

« Prêts et volontaires. C’est ce que je retiens de la réunion du 20 février 2025 à Paris. L’Europe est prête et désireuse d’agir ; elle est prête à jouer un rôle de premier plan dans la fourniture de garanties de sécurité à l’Ukraine » a déclaré Le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, dans un message publié sur les réseaux sociaux après la réunion d’urgence.

« Les détails devront être discutés mais l’engagement est clair » a dit Rutte.

Cela dépasse l’entendement : Keith Kellog, l’envoyé spécial de Trump pour l’Ukraine et la Russie, a confirmé que l’Europe n’aura PAS de siège à la table des négociations pour mettre fin à la guerre.

Lorsqu’on lui a demandé, lors de la conférence de Munich sur la sécurité, « Pouvez-vous assurer aux personnes ici présentes que les Ukrainiens seront à la table des négociations et que les Européens y seront aussi ? », il a répondu : « la réponse à cette dernière question est non ». En parlant de « dernière question », il faisait référence à la présence des Européens à la table des négociations.

Plus tard dans la conversation, on lui a demandé de confirmer sa réponse : « Donc les Européens [...] ne devraient pas, selon vous, être directement à la table des négociations ? Il a de nouveau répondu : « Je suis un réaliste, je pense que cela n’arrivera pas », et il a précisé qu’il comprenait que ses propos « pouvaient être un peu désagréables à entendre, mais je vous ai dit la vérité ». Il a toutefois clairement indiqué qu’il attendait toujours des Européens qu’ils fournissent des garanties de sécurité et qu’ils respectent l’accord : « Vous devez comprendre que lorsque vous vous engagez à assurer ces garanties de sécurité, il s’agit d’une obligation et la raison pour laquelle je dis cela en sachant que cela contrarie beaucoup de monde, c’est qu’à l’heure actuelle, après la déclaration du Pays de Galles de 2014 où tous les alliés de l’OTAN avaient convenu de porter leurs dépenses militaire à 2 % du PIB, dont 20 % pour la modernisation, il y a encore 8 nations qui n’ont même pas atteint ce chiffre, d’accord ? Alors quand NOUS prendrons cet engagement assurez-vous d’en avoir les moyens car la mission reposera entièrement sur VOUS ».

En résumé, la position des Etats-Unis est que l’Europe devrait rester en dehors des négociations qui affecteront fondamentalement leur architecture de sécurité – tout en assumant la responsabilité première et le coût du résultat des négociations.

En outre, il ressort clairement des déclarations antérieures de Trump (comme ici) que les États-Unis chercheront à inclure dans l’accord le contrôle des minerais de terres rares de l’Ukraine en paiement de l’aide militaire qu’ils ont fournie, ne laissant vraisemblablement rien à l’Europe.

J’ai averti à plusieurs reprises que l’Europe se dirigeait rapidement vers son siècle d’humiliation si elle continuait sur sa lancée. Je pense qu’il est maintenant tout à fait clair que nous y sommes déjà. Si L’Europe accepte cette proposition, il s’agira probablement d’un événement sans précédent dans son histoire : jamais auparavant, à ma connaissance, l’architecture de sécurité de l’Europe n’a été redessinée sans qu’aucune puissance européenne ne soit présente à la table des négociations. Même dans les moments les plus sombres de l’Europe, comme les invasions mongoles, les expansions ottomanes ou la conférence de Yalta, les puissances européennes ont toujours eu leur mot à dire dans les négociations concernant leur avenir.

Pour être clair, le principal coupable n’est pas les États-Unis ou Trump : tout étudiant en histoire sait que nous vivons dans un monde profondément injuste où, comme l’a écrit l’historien grec Thucydide il y a 2 500 ans, « les forts font ce qu’ils peuvent faire et les faibles subissent ce qu’ils doivent subir. » En tant que tel, la faute repose presque entièrement sur nous, Européens, ou plutôt sur nos dirigeants immensément incompétents. Et je tiens à souligner ce dernier point : ils sont d’une incompétence si colossale, si abyssale, qu’ils ont réussi à réduire l’Europe à une position qui n’a aucun équivalent historique, une situation où l’on attend d’elle qu’elle accepte et mettre en œuvre des accords de sécurité que d’autres ont décidé pour elle.

Trump fait ce qui est le mieux pour les États-Unis – « l’Amérique d’abord », vous vous souvenez ? - et pour être juste envers lui, l’administration Biden lui a laissé de bien mauvaises cartes en main. Il est clair comme de l’eau de roche que la Russie a gagné la guerre en Ukraine, malgré tous les efforts de l’OTAN, et les États-Unis risquaient donc fort de passer pour le perdant qu’ils sont en réalité. La stratégie de Trump consiste clairement à redéfinir cette défaite en une victoire de « l’art du deal » en garantissant l’accès des États-Unis aux ressources naturelles de l’Ukraine tout en se déchargeant sur l’Europe des coûts et des responsabilités de l’accord de sécurité de l’après-guerre. Pendant ce temps, l’Europe, qui n’a pas réussi à développer une autonomie stratégique significative au cours des dernières décennies (en fait, elle a évolué dans la direction opposée), n’a pas les moyens de l’empêcher.

En fait, les « dirigeants » européens, dont la servilité confine à la traîtrise, donnent déjà tous les signes qu’ils se résigneront à leur sort. Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN, a par exemple incité les Européens à ne pas se plaindre de la situation : « à mes amis européens, je dirais : participez au débat, non pas en vous plaignant d’être ou pas à la table des négociations, mais en proposant des propositions concrètes, des idées, des augmentations des dépenses (de défense) ».

Keir Starmer, invité par Macron à un « sommet de crise » à Paris pour discuter de la situation, a déclaré que son principal objectif lors de la réunion serait de « veiller à ce que les États-Unis et l’Europe restent unis. Nous ne pouvons pas permettre que des divisions au sein de l’alliance détournent notre attention des ennemis extérieurs auxquels nous sommes confrontés ».

Je vous laisse apprécier la parfaite illustration de l’état d’esprit qui a conduit l’Europe à cette position de faiblesse sans précédent : répondre à l’humiliation diplomatique par des appels à encore plus de soumission.

Que pouvait donc faire l’Europe ? Après tout, il est vrai qu’elle n’a que très peu de moyens de pression, principalement en raison du fait qu’elle est « protégée » par la puissance même qui a décidé de la mettre au menu plutôt qu’à la table.

Une idée pourrait être de surpasser Trump et de chercher à obtenir un accord dans lequel les États-Unis, et non l’Europe, seraient perdants. Ils pourraient par exemple enfin dire la vérité sur ce qui a conduit à la guerre, à savoir l’expansion de l’OTAN poussée par les États-Unis, ainsi que le coup d’État mené par les États-Unis en Ukraine en 2014, et s’en dissocier, tout comme Trump essaie très commodément de se dissocier des politiques antérieures de son propre pays.

Ils pourraient dire clairement qu’ils rejettent tout accord qui donne aux États-Unis l’accès à toutes les ressources de l’Ukraine, et signaler à la Russie qu’ils sont ouverts à un autre type d’architecture de sécurité en Europe - une architecture qui ne repose pas sur le leadership des États-Unis ou de l’OTAN. Après tout, si Trump peut dire qu’il conclura des accords avec Poutine, pourquoi l’Europe ne pourrait-elle pas faire de même ?

Ils pourraient également tendre la main à la Chine, qui a déjà fait savoir très clairement qu’elle s’opposait à un accord en Ukraine sans la présence de l’Europe à la table des négociations et qui est de toute façon bien mieux placée que Trump pour négocier avec la Russie.

Nous pourrions nous retrouver avec une Europe libérée de la tutelle américaine pour la première fois depuis 1945, établissant un nouvel équilibre multipolaire avec la Chine et la Russie – transformant la tentative de Trump d’exclure l’Europe en un catalyseur qui permettrait enfin à l’Europe d’acquérir une autonomie stratégique.

Mais cela nécessiterait un niveau de réflexion stratégique dont les dirigeants européens actuels se sont toujours montrés incapables. Au lieu de cela, je crains qu’ils ne continuent à tenter de maintenir la façade de l’unité transatlantique alors même qu’ils sont ouvertement humiliés.

https://x.com/RnaudBertrand/status/1891684524356223358

Arnaud Bertrand (@RnaudBertrand)
est un entrepreneur et un commentateur économique et géopolitique basé à Shanghai. Il a plus de 100 millions de lecteurs mensuels sur X.
Georges Kuzmanovic l’interviewe ici sur l’IA :
https://www.republique-souveraine.fr/kuzma2022/

Traduction : Dominique Muselet

 https://x.com/RnaudBertrand/status/1891684524356223358

COMMENTAIRES  

21/02/2025 09:41 par cunégonde godot

Pour être clair, le principal coupable n’est pas les États-Unis ou Trump : tout étudiant en histoire sait que nous vivons dans un monde profondément injuste où, comme l’a écrit l’historien grec Thucydide il y a 2 500 ans, « les forts font ce qu’ils peuvent faire et les faibles subissent ce qu’ils doivent subir. » En tant que tel, la faute repose presque entièrement sur nous, Européens, ou plutôt sur nos dirigeants immensément incompétents. Et je tiens à souligner ce dernier point : ils sont d’une incompétence si colossale, si abyssale, qu’ils ont réussi à réduire l’Europe à une position qui n’a aucun équivalent historique, une situation où l’on attend d’elle qu’elle accepte et mettre en œuvre des accords de sécurité que d’autres ont décidé pour elle.

Ces gens ne sont pas incompétents (pas seulement), mais idéologisés, fanatisés, et in fine castrés par la religion européiste. Comme le furent avant eux des Schumann, Monnet, Giscard, Rocard, Lecanuet, Jospin, Balladur, Mélenchon, Mitterrand, Aubry, Delors et tant d’autres.

Et tous ceux de gauche comme de droite qui les ont suivis sans même se l’avouer à eux-mêmes – LFI p.ex.

L’ "Europe" a toujours été ce que pourquoi elle été mise en œuvre : une machine à abêtir et broyer les peuples et se coucher devant le capital financier mondialiste et tous ses impérialismes – américain et islamique p.ex. Toujours.
Voilà les faits...

21/02/2025 11:04 par michel PAPON

L’Europe representait un danger pour l’economie US apres la reconstruction post 1945, ce n’est plus le cas aujourd’hui particulierement apres la destruction du gazoduc Nordstream.
Il est donc logique que D.Trump se desinteresse d’un rival devenu inexistant pour se consacrer au suivant : la Chine.

21/02/2025 12:25 par xiao pignouf

le capital financier mondialiste et tous ses impérialismes – américain et islamique par ex

Le diamant est sorti du sillon de notre disque rayé et il a ripé.

Ça aurait pu donner quelque chose d’intéressant, des exemples pertinents, comme le sionisme ou le néo-colonialisme...

Finalement, on se retrouve avec un concept inattendu : l’impérialisme islamique.

Ça doit être un synonyme du Grand Remplacement...

De quoi faire rêver les sionistes : voilà une bonne idée pour recycler le Hamas...

Du coup, on se dit que derrière les leçons bien apprises à force d’être récitées subsistent de grosses lacunes.

21/02/2025 21:13 par Chico

Ce que devrait faire l’Europe !? Mais c’est évident . l’Europe devrait corriger sa gravissime erreur d’avoir pendant 3 ans et même avant ces 3 années, défendu la politique et les intérêts des E.U. en faisant via l’Ukraine la guerre à la Russie, payée par les ukrainiens et par les européens chacun à sa manière . Après ce volte face des E.U. qui ont enfin montré leur vrai visage et leurs véritables projets qu’ils avaient depuis toujours, l’Europe devrait au plus vite se tourner vers les BRICS et donc vers la Russie et la Chine aussi, étant donné qu’elle n’a ni la puissance militaire et économique, ni l’organisation politique pour former une force autonome et indépendante . Ce serait la seule politique intelligente et prometteuse que l’Europe pourrait avoir . Coute ce qu’il en coute . Mais elle ne le fera pas . Elle continuera à vivre sur la corde raide entre l’illusion d’être une force du camp occidental et celle d’être une force indépendante qu’elle n’a jamais été et ne pourra jamais être, ce parce que le poids de son histoire récente ne le permet pas . Après deux guerre mondiales récentes, comment une Europe unie pourrait exister ? L’Europe a toujours été le larbin à tout faire des E.U. et de la GB aussi, qui elle après en avoir fait parti, en est sortie pour retrouver sa liberté . De Gaulle avait raison dès le début . Et avec le temps qui passe, les doutes s’en vont toujours plus . Si l’Europe continue avec son absence de direction et de politique intelligente et réaliste, ce sera le "jamais deux sans trois" . Un champ de bataille idéal et empiriquement nécessaire entre les E.U. et les BRICS .

22/02/2025 08:37 par cunégonde godot

L’expanssionisme (l’impérialisme) islamique progresse dans une Europe – et singulièrement en France –, préalablement asséchée par l’impéraialisme américaniste (hollywoodien).

C’est ainsi...

22/02/2025 18:15 par xiao pignouf

En outre, il ressort clairement des déclarations antérieures de Trump (comme ici) que les États-Unis chercheront à inclure dans l’accord le contrôle des minerais de terres rares de l’Ukraine en paiement de l’aide militaire qu’ils ont fournie, ne laissant vraisemblablement rien à l’Europe.

Ce point est contredit dans un article de MoA :

Il y a beaucoup d’illusions dans tout cela. Les terres rares et autres gisements précieux en Ukraine, dont l’exploitation est économiquement viable, ont déjà été vendus à divers hommes d’affaires et sociétés internationales (traduction automatique) :

Pour que les États-Unis puissent travailler avec les minéraux ukrainiens, les permis d’exploitation des gisements doivent être retirés aux propriétaires actuels, en particulier à l’ancien ministre de l’Écologie et président de Burisma Mykola Zlochevsky.
C’est ce qu’a déclaré sur sa chaîne Telegram le chef du comité, le ministre des Finances, de la fiscalité et de la politique douanière de la Cour suprême, Daniil Hetmantsev.

la Chine, qui a déjà fait savoir très clairement qu’elle s’opposait à un accord en Ukraine sans la présence de l’Europe à la table des négociations et qui est de toute façon bien mieux placée que Trump pour négocier avec la Russie.

Peut-être parce que la Chine voit clair dans le jeu de Trump : et si derrière ses mamours à Poutine, il y avait le souhait de mettre de l’eau dans le gaz de la relation russo-chinoise ?

(Commentaires désactivés)