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Vers une Europe supranationale, une Europe des régions, des communautés ethniques, des décideurs déliés de tout contrôle

Langues régionales ou minoritaires

Françoise OLIVIER-UTARD

La question de la ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires devait revenir cet été sur la scène publique, mais le débat a finalement été une fois de plus repoussé.

Plus le temps passe, plus cette charte soulève des questions graves, sur lesquelles le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont rendu par trois fois un avis défavorable argumenté. La pertinence de la ratification n’apparaît pas, mais le danger d’y procéder.

En tout état de cause, la simple lecture de ce qui est proposé à ratification laisse percevoir qu’il n’y est pas seulement question de linguistique et de culture, comme son titre tendrait à le faire croire, mais aussi d’intégration politique européenne. Il s’agit en effet, pour la France, d’une remise en cause de l’unité nationale par la reconnaissance de minorités, d’une remise en cause de l’égalité en droits des citoyens par l’abandon de la notion de langue nationale au profit de langues officielles diverses, et d’une remise en cause des rouages de notre démocratie par une modification de la Constitution qui rendra possible et facile la ratification d’articles supplémentaires.

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, lancée en 1975, ne s’inscrit pas dans l’axe « Culture » mais dans celui de « Minorités » des travaux du Conseil de l’Europe. Or, les minorités ethniques n’existent pas en France : cet État se situe sur le terrain de l’universalité des droits des citoyens et non sur celui de la diversité des droits selon l’origine ethnique. Allons- nous renoncer à nos principes fondamentaux ? Le gouvernement avance que la ratification sera accompagnée d’une « déclaration interprétative » visant la notion de « groupes ». C’est, comme l’a fait remarquer le Conseil d’État le 30 juillet dernier, en parfaite contradiction avec l’esprit et le texte de la Charte. La valeur juridique d’une telle déclaration sera contestable et contestée au niveau international. Plus grave : le conseil des ministres a déclaré, le 31 juillet dernier, que la déclaration interprétative pourra être levée quand la Constitution aura été changée. Autrement dit, la voie sera libre à l’adoption de nouveaux articles.

Les langues ont une histoire, c’est une banalité de le dire. Les pays qui ont signé la Charte ont des problèmes de diversité linguistique : l’Allemagne, la Finlande, Chypre, l’Arménie, etc. Ce n’est pas le cas de la France. Le français est devenu la langue officielle de l’état civil et des actes administratifs en 1539, par l’édit de Villers-Cotterêts. Il a remplacé le latin, que personne ne parlait plus dans la vie courante. Le français est ensuite devenu la langue nationale à la Révolution. C’est l’armée qui a donné l’exemple : il fallait que les soldats comprennent les ordres pour défendre la République attaquée par la coalition des émigrés et des monarchies européennes. L’économie a suivi car elle avait besoin de l’unification des termes désignant les produits et marchandises, parallèle à l’unification des poids et des mesures. Les parlers des provinces ont alors connu des sorts variables. Certains ont disparu, d’autres ont subsisté. Le français aujourd’hui n’est pas la langue officielle, mais bien la langue nationale : tout le monde le comprend et le parle, pour l’avoir appris à l’école publique. Une autre question, bien différente, est celle du développement des langues vivantes, dans lesquelles les élèves français sont censés se débrouiller très mal. Il s’agit là de former à l’anglais, l’espagnol, l’allemand, le russe ou le chinois pour ouvrir les élèves sur le monde et les aider à trouver leur place dans les échanges avec les autres sociétés. La charte les exclut et fait un sort aussi aux langues « étrangères » parlées par les « migrants ». Outre le fait que certains migrants se sont fixés et sont devenus des immigrés puis des citoyens, leur langue d’origine, que ce soit l’arabe ou le turc, ne sera pas prise en compte par la charte. La multiculturalité annoncée sera ainsi bien étriquée. Réformer la pédagogie ne pousse pas forcément à remettre en cause la langue nationale, même si l’on peut s’appuyer sur les langues régionales proches d’une langue nationale différente, comme l’occitan pour l’espagnol ou l’alsacien pour l’allemand. Les langues régionales relèvent de la culture personnelle, au pire du folklore. De plus, les réintroduire dans la vie publique est incohérent avec la nouvelle carte des régions françaises, dans lesquelles la diversité des langues selon la Charte sera ingérable, mais on voit ce qui se dessine en filigrane : l’Europe des régions, dans lesquelles se décideront les contrats de travail, la formation professionnelle, les juridictions etc., toutes choses évoquées dans les articles autres que la culture, l’enseignement et les medias. La ratification est donc, au bout du compte, la soumission à une transformation politique de grande ampleur, introduite de façon sournoise.

Le troisième danger à pointer du doigt est celui de la procédure choisie pour ratifier la Charte. La ministre de la justice, garde des Sceaux, propose une loi qui modifie la Constitution. Elle exclut tout recours à un referendum. Comme la procédure normale de convocation du Congrès est lourde, il est question de l’alléger en comptabilisant simplement les votes des deux assemblées. Modifier la Constitution de cette façon n’est pas seulement désinvolte, c’est un signal donné qu’on peut se passer du fonctionnement démocratique. De plus, une fois adoptée, la nouvelle loi permettra de prendre de nouvelles décisions en matière linguistique sans réunir le Congrès. La Constitution en ressortira affaiblie.

Sur le plan pratique, si l’on regarde de près les 39 articles que la France se propose de ratifier, on constate qu’ils correspondent à des mesures qui existent déjà, puisqu’ils visent en particulier la culture, l’enseignement et les médias. Les nouveautés contraignantes se situeront dans le bilinguisme des administrations, des lois « régionales », sans toutefois préciser quelles seront les langues reconnues parmi les 76 parlers répertoriés sur le territoire.

La ratification de la Charte, dans ces conditions, ne peut donc être interprétée que comme la preuve de la volonté de s’intégrer à une Europe supranationale, une Europe des régions, des communautés plus ou moins ethniques, des décideurs déliés de tout contrôle. Non merci, Nein Danke.

Françoise Olivier-Utard est responsable des questions de laïcité à l’Union rationaliste.

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COMMENTAIRES  

07/12/2015 19:54 par Aris-Caen

Je n’aurais pas dit mieux !

07/12/2015 21:04 par Christian DEL.

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, lancée en 1975, ne s’inscrit pas dans l’axe « Culture » mais dans celui de « Minorités » des travaux du Conseil de l’Europe. Or, les minorités ethniques n’existent pas en France : cet État se situe sur le terrain de l’universalité des droits des citoyens et non sur celui de la diversité des droits selon l’origine ethnique.

Minorité ethnique sonne racisation et ce n’est pas acceptable !
Il manque de liens pour appuyer la démonstration !

08/12/2015 00:49 par euskalzale

Le basque, cette langue que je parle depuis ma tendre enfance. Cette langue que mes parents, mes grands-parents, mes cousins et mes amis parlent ; cette langue que les états impérialistes français et espagnols ont tentés d’exterminer (il s’agit exactement de cela) au cour des siècles derniers, pour mieux assurer leur supériorité face aux peuples qu’ils ont jugés (et jugent encore) comme inférieurs.
Lorsque qu’il fut décidé que la langue nationale serait le français, ce pays n’avait pas les frontières qu’il a aujourd’hui. Le Royaume de Navarre existait toujours, et malgré le fait que ce soit un état basque, il reconnaissait les autres langues comme l’Occitan de l’époque ou encore le Castillan sans aucune discrimination pour les gens parlant ces langues.
Lorsque eu lieu la Révolution (bourgeoise) française, certains des révolutionnaires bourgeois les plus extrémistes et les plus dangereusement nationalistes ont voulu exterminer les autres cultures non françaises du territoire. Au Pays Basque, ce sont des milliers de personnes qui ont été déportées, les coutumes locales abolies, et des hommes comme des femmes guillotinées en place publique, coupable d’actes de résistance...

En 1936, en Espagne, lors du coup d’État fasciste initié par Franco et les nationalistes espagnols, le gouvernement basque, à l’époque dirigé par M. Agirre du Parti Nationaliste Basque "EAJ/PNV" (modéré, centriste), a affirmé sa fidélité à la République et au gouvernement dirigé par le Front Populaire. Pour ce faire plusieurs bataillons basque ont été formés : certains dépendant directement du gouvernement basque, d’autres du PNV, d’autres du Parti Communiste, et enfin quelques uns de EAE/ANV parti indépendantiste et marxiste basque.
Un peut plus tard, en 1945 le bataillon basque Gernika (dont certains sont issus du PNV) participera activement aux côtés du bataillon Liberta et des FFI à la liberation de plusieurs village français des griffes nazies.

Lors des dernières élections qui se sont tenues en Navarre, au Pays Basque espagnol ; une coalition composée d’autonomistes de centre-gauche, d’indépendantistes marxistes, de Ahal Dugu (Podemos local, le nom est en basque), et de Izquierda-Ezkerra (le Front de Gauche d’Espagne), a prit la tête du gouvernement régional au PSN (espagnoliste -droite (très)conservatrice) pour la première fois depuis la fin du franquisme.

Pourquoi toutes ces histoires ? Simplement pour vous montrer que la multiplicité des langues et des peuples dans un seul ou plusieurs états n’est en AUCUN CAS un obstacle au revendication progressistes. Je pense même qu’elles peuvent les renforcer dans la mesure où elles pourraient empêcher ou atténuer les idées réactionnaires et d’intolérance grâce à une formidable diversité culturelle.

Je pense aussi, que ceux qui s’opposent à une reconnaissance des autres langues, ne font qu’exprimer leurs sentiments nationaliste et d’arrogance que nous retrouvons dans toutes les "grandes" nations.

Enfin, je tiens à dire que je suis basque, communiste, anti-euro et anti-UE. Cela ne m’empêche pas de penser qu’il y a certains projets européens qui vont dans le bon sens. J’invite donc le plus de gens possible à ne pas mélanger tout et à ne pas avaler bêtement la propagande du gourou Asselineau.

Je finirait ce post avec ceci :
"Il est très important d’apprendre les petites langues. Avec les petites langues tout change ; la mentalité, les idées, les points de vue. Il ne peut y avoir de remise en cause, de changement de point de vue avec une seule langue, surtout si elle est la langue dominante et celle des dominants"...

08/12/2015 10:47 par Calame Julia

Les langues dites minoritaires racontaient une histoire dans l’Histoire du pays !
Aujourd’hui que racontent-elles ?
Inutile de venir me chercher puisque j’en connais plusieurs que j’ai grand joie à pratiquer lorsque
l’occasion s’en présente. D’ailleurs, je faisais l’objet de quolibets et autres qualificatifs genre "rétrograde"
lorsque certains m’intimaient de m’initier à la langue étatsunienne ! Marrant non ?
Et comme un bonheur ne vient jamais seul, il se trouve que je parle aussi plusieurs langues "officielles".
Sur LGS ce n’est pas le premier article concernant cette situation.

Il est clair que l’odeur et même le goût de l’oignon, du piment ne sont pas les mêmes selon qu’on les pratique en dialecte et/ou certains patois !
Ne parlons même pas du vieux cantal avec un bon coup de rouge "qui tâche".

08/12/2015 12:48 par cunégonde godot

euzkalzal :
Je pense aussi, que ceux qui s’opposent à une reconnaissance des autres langues, ne font qu’exprimer leurs sentiments nationaliste et d’arrogance que nous retrouvons dans toutes les "grandes" nations.

Je ne sais pas qui s’oppose à une reconnaissance des "autres" langues, mais ce que je sais c’est que les langues dites régionales sont reconnues en France, et jusqu’à maintenant enseignées, et donc parlées. Ne pas le reconnaître est simplement du délire paranoïaque. La question des langues dites "régionales" est une question d’abord anglo-saxonne (allemande) derrière laquelle se dissimulent ceux qui, en plus de refaire l’Histoire, veulent faire disparaître, non seulement la langue française mais la France elle-même. Dans une "Europe" à l’anglo-saxonne, la langue officielle sera l’anglais + la langue de la "petite nationalité" enseignée au rabais, et le français en option avec le latin, p.ex...
Pleurer sur le roman impérialiste d’hier et d’avant-hier ne fera jamais disparaître celui dont nous subissons le joug aujourd’hui. Bien au contraire. Les nazis, racialistes et impérialistes – leur "nationalisme" allemand n’était qu’un attrape-couillons – furent de grands défenseurs des petites "nationalités" (ou ethnies, ou communautés) avec langues du terroir, comprenant combien cette "diversité" était un puissant moyen de domination. Il serait bon de se souvenir quelles "nationalités" (ou ethnies) firent allégeance au racialisme nazi entre 1940 et 1945. Intéressant...

08/12/2015 15:07 par Fald

D’abord un détail par rapport à l’article : l’occitan (et le catalan) ont des prononciations plus latines que le français, mais sont gallo-romans, pas ibéro-romans.

Sinon, si l’Europe voulait avoir une politique linguistique digne de ce nom, elle pousserait bien sûr à la reconnaissance des langues non officielles, mais surtout, elle donnerait des directives pour que ses citoyens puissent vraiment communiquer.

Il faudrait d’abord faire que les enfants gardent l’oreille "internationale", qui se perd très tôt, en leur faisant faire à la maternelle des jeux de prononciation des sons qui n’existent pas dans leur langue maternelle (chansons, comptines, etc., en diverses langues). Ainsi, il développeraient leur capacité à apprendre des langues à tout âge.

Ensuite, il faudrait faire ce qui manque le plus aujourd’hui : les amener à une maîtrise correcte de leur langue et à une connaissance réelle de sa grammaire. C’est là qu’il faudrait que ceux qui ont la chance de grandir avec deux langues (régionale ou de l’immigration) puisent continuer de maîtriser les deux.

Enfin, il faudrait, dans les deux ou trois dernières années de l’école primaire, enseigner l’espéranto. D’abord pour sa facilité et sa capacité à faire communiquer des gens de langues différentes qui n’ont pas poussé très loin leurs études linguistiques. Ensuite pour sa structure très rationnelle dont la connaissance permet de mieux comprendre la grammaire des autres langues et d’admettre les différences entre ces grammaires.

Il est à noter que l’espéranto a été imaginé par un polyglotte et que les enfants éduqués par des parents espérantistes deviennent souvent polyglottes.

Je n’insiste pas, il y a de quoi écrire un bouquin sur le sujet. La seule chose sure, c’est que l’UE n’a aucune envie que ses sujets (qui ne sont justement pas des citoyens) possèdent autre chose qu’un vague vernis de globish pour obéir et de sous-espagnol pour le tourisme.

Un peuple instruit, maîtrisant sa langue et au moins l’espéranto, et plus selon les affinités, ça peut être dangereux.

09/12/2015 07:06 par jean-marie Défossé

Je suis moi-même partisan de la langue NEUTRE : l’ Esperanto .
Malheureusement mon emploi du temps surchargé ne me permet plus de le pratiquer et de le perfectionner en compagnie d’autres espérantistes .
Je suis , malheureusement pour moi , le contraire d’un polyglotte , avec de tout temps , d’énormes difficultés à pratiquer une autre langue que ma langue maternelle .

Etant communiste et de surcroît internationaliste , je me suis intéressé à l’Esperanto et à tous les avantages insoupçonnables pour l’AVENIR de cette langue NEUTRE par excellence .
Elle est d’une facilité d’apprentissage déconcertante (surtout pour un réticent comme moi aux autres langues) , car pleine de bon sens , et peut s’apprendre en l’espace de 6 mois .

Contrairement à ce qui est avancé par de nombreux détracteurs du français ou propagandistes masqués du TOUT ANGLAIS , l’Esperanto n’est pas un danger pour notre langue nationale , le français , pas plus d’ailleurs que pour notre riche patrimoine de langues régionales ; mais bien au contraire , il serait ASSUREMENT le dernier rempart de protection à venir de notre langue nationale qui subit au quotidien des agressions perpétuelles et quotidiennes , amplifiées principalement par nos médias prétendument au service de la nation France . La réalité est toute autre et ces derniers nous prouvent que chacune de leurs déclarations (infos ou autres) , même les plus anodines , sont un apprentissage dissimulé au TOUT ANGLAIS , préconisé ou insufflé par notre gouvernement Européen , plus proche des valeurs monarchiques que des valeurs républicaines et laïques à la française .

A l’inverse de nos cousins québécois (entre autres) , lesquels ont beaucoup plus de mérites que nous , en protégeant la langue française par tous les moyens dans un environnement exclusivement anglophone , en France , nous croyons nous glorifier alors que nous devrions avoir HONTE , en incorporant dans nos phrases le plus possible de mots anglais ou en parlant couramment cette langue hégémonique , langue TRES LOIN D’ÊTRE NEUTRE POUR NOTRE AVENIR .

A tel point de servilité avancée de notre part et surtout de COLLABOration irresponsable ou félonne de nos dirigeants de tous bords , nos panneaux de signalisation routière sont marqués du mot STOP (mot anglais) , alors que nos cousins québécois , beaucoup moins serviles et plus combatifs que nous , ont adopté depuis fort longtemps sur les mêmes panneaux le mot ARRET (mot français).

Tout un symbole en France de notre capacité à courber l’échine devant l’INACCEPTABLE !

17/12/2015 13:38 par BEAUDOIN Guilaume
18/12/2015 16:22 par Aris-Caen

BERLIN VICHY BRETAGNE, un bon documentaire.

https://www.youtube.com/watch?v=RoDH7tVgylo

19/12/2015 08:09 par Calame Julia

Terrifiante la "citation du jour" signée Guy DEBORD !
J’ai failli passer sans la lire...

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