Reprenant une ancienne expression d’Obama, Serge Halimi expose ce qu’est une guerre « imbécile » : « Je ne suis pas contre toutes les guerres. Ce à quoi je m’oppose, c’est à une guerre imbécile, une guerre irréfléchie, une guerre fondée non pas sur la raison mais sur la colère. » Ainsi parlait, le 2 octobre 2002, un élu de l’Illinois nommé Barack Obama. La « colère » consécutive aux attentats du 11 septembre 2001 n’était pas retombée aux Etats-Unis, et le président George W. Bush avait choisi de la rediriger non pas vers l’Arabie saoudite, d’où provenaient la plupart des membres des commandos d’Al-Qaida, mais vers l’Irak, qu’il attaquerait six mois plus tard. Les médias voulaient la guerre ; la plupart des sénateurs démocrates, dont Mme Hillary Clinton, s’y rallièrent. Et l’invasion de l’Irak créa le chaos qui servirait d’incubateur à l’Organisation de l’Etat islamique (OEI). »
Nabile Mouline décortique la genèse du djihadisme : « Effort d’élévation spirituelle, le djihad peut aussi signifier le combat contre les infidèles et les hypocrites. Ceux qui s’en réclament aujourd’hui pour justifier une conduite ultraviolente s’inspirent d’une idéologie rigoriste issue d’une double filiation : les Frères musulmans et le salafisme wahhabite, diffusé depuis l’Arabie saoudite. »
Pierre Conesa évoque les “ Cinq conflits entremêlés ” : L’engouement quasi unanime des responsables politiques pour la « guerre » traduit une grave méconnaissance de la réalité du terrain. Décidé durant l’été 2014, l’engagement militaire occidental ajoute une cinquième strate à une superposition de conflits qui embrasent l’aire arabo-islamique.
Pour Akram Belkaid, En Syrie, l’issue politique est bien incertaine : « Les pays occidentaux voudraient détruire l’Organisation de l’Etat islamique sans mener d’intervention terrestre, ce qui imposerait d’en passer par une réunification des principales factions armées syriennes et par la mise en place d’un processus politique de transition. Mais un tel scénario fait fi de nombreuses réalités. »
Les djihadistes circulent, le gouvernement français réprime les manifestants (Patrick Baudouin) : « Alors que la facilité avec laquelle circulent les djihadistes souligne l’insuffisance des moyens mis au service de la justice, le gouvernement répond par un déni de justice supplémentaire, avec la prolongation de l’état d’urgence. »
Qu’en est-il du printemps arabe (Hicham Alaoui) ? : « Depuis la vague de révoltes qui a débuté en Tunisie en janvier 2011, le « printemps arabe » semble pris dans un étau, entre retour des Etats autoritaires et menace djihadiste. Mais l’exigence de dignité et l’aspiration à la liberté n’ont pas disparu. »
Pour Ibrahim Warde de graves périls viennent d’Arabie saoudite : « Accusée de défendre la même doctrine rigoriste que les djihadistes, l’Arabie saoudite combat les mêmes ennemis chiites. La famille royale, divisée, boude son allié américain et subit les conséquences de la guerre des prix du pétrole qu’elle a lancée. »
Que se passerait-il, bon sang mais c’est bien sûr, si les vaches mangeaient de l’herbe (Gérard Le Puill), : « Dans le cadre de la conférence de Paris sur le climat, l’Union européenne réfléchira-t-elle à son modèle agricole, qui accompagne plus que jamais la mondialisation libérale ? En développant l’agroécologie, une idée neuve, la France pourrait réduire considérablement son empreinte carbone tout en produisant des aliments de qualité en quantité suffisante. »
Pour Nicolas Pinsault et Richard Monvoisin, la kinésithrapie est piégée par les mages : « L a demande de soins du corps ne cesse de croître et entraîne un engouement pour les traitements manuels. Mais l’émiettement de l’offre laisse perplexe : kinésithérapie, ostéopathie, chiropractie, biokinergie, kinésiologie appliquée ou microkinésithérapie ; même les professionnels en perdent leur latin ! Pour la personne en attente de soins, faire un choix revient à jouer à la loterie. Les raisons de ce flou sont multiples. Sur le plan pratique, la technique la plus saugrenue peut donner l’illusion d’être efficace : l’écoute, le toucher et l’empathie contribuent à produire certains bénéfices de l’effet placebo. Sans bienfaits spécifiques démontrés scientifiquement, beaucoup de gestes semblent « marcher » et satisfont les patients… à court terme. Dans ce domaine comme pour les autres pratiques médicales, seules les preuves acquises par l’expérience clinique permettent de déterminer les thérapies efficaces. Or, très peu de thérapeutes manuels s’y réfèrent : bon nombre préfèrent suivre leur ressenti, bien moins chronophage et qui semble leur conférer une sorte de don.
Pour Akram Belkaïd, il faut relire les textes sacrés : « Il n’est guère facile d’aborder la question de l’islam et de ses origines en échappant à l’actualité et aux thématiques récurrentes qu’elle impose, tel l’incontournable « djihad ». C’est donc un tour de force que réalise le documentaire en sept épisodes de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur consacré à l’influence majeure du christianisme sur l’islam, du moins celui des premiers temps de la révélation. Ce travail a pour premier mérite de montrer que l’étude multidisciplinaire – c’est-à-dire au-delà du seul commentaire théologique – du Coran est une science en devenir. Le livre saint des musulmans est souvent présenté comme un « texte sans contexte » en raison de sa structure littéraire complexe et de l’impossibilité de dater ses sourates (chapitres) ou même de déterminer la totalité de l’ordre chronologique de leur révélation. L’enjeu est de taille, car une meilleure connaissance du contexte historique et social dans lequel est apparue la dernière des trois grandes religions monothéistes aiderait à surmonter les défis politico-religieux contemporains.
Pierre Rimbert évoque les méthodes pendables de Volkswagen : « L’Europe n’échappe pas à la manie du déni bureaucratique consistant à supprimer les problèmes qu’on ne souhaite pas résoudre. L’Union européenne devait imposer en 2017 des tests de pollution automobile sur route plutôt qu’en laboratoire. Problème : aucun moteur diesel ne les aurait passés. Assiégés par les lobbyistes, les régulateurs des pays membres et la Commission ont décidé fin octobre, au beau milieu du scandale Volkswagen, de relever le seuil d’émission des oxydes d’azote de... 110 %. Comme le rappelle Wolfgang Münchau, chroniqueur au Financial Times (9 novembre 2015), « ces polluants tuent. Le nombre de décès imputés aux émissions des moteurs diesel dépasse largement celui des tués sur la route. On peut ainsi interpréter cette réglementation technique de l’Union comme la décision de tuer plusieurs milliers de personnes ».
Dans l’article de Bernard Friot et Christine Jakse sur la sécurité sociale, tout y est : « Depuis sa création en 1945, le régime général de la Sécurité sociale subit le feu des « réformateurs » de tout poil. Comment expliquer cet acharnement contre un système que l’on réduit souvent à une simple couverture des risques de la vie ? C’est qu’au-delà de l’assurance sociale, les pionniers de la « Sécu » forgeaient un outil d’émancipation du salariat géré par les travailleurs. »
Que se passe-t-il aux Etats-Unis quand des citoyens élisent leur shérif (“ Prions pour notre shérif et sa victoire aux élections ”) ? : « Tous les quatre ans, les Américains sont invités à élire leurs shérifs et leurs procureurs. Bien souvent, ils n’ont de choix qu’entre des candidats répressifs. D’ailleurs, l’inflation carcérale aux Etats-Unis est devenue telle que le sujet s’est invité ans la campagne pour la présidentielle de 2016. »
“ Qui a peur de la vérité en Colombie ? ”, demande Maurice Lemoine : « Le 23 septembre dernier, la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et le gouvernement se sont entendus pour conclure des accords de paix dans un délai de six mois. Un tribunal spécial devra juger les acteurs du conflit… Reste à savoir s’il aura l’audace (et les moyens) de remonter la chaîne des responsabilités jusqu’à son sommet. »
Pour Renaud Egreteau, “ La Birmanie est en liberté surveillée ” : « Lors des élections du 8 novembre, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) de Mme Aung San Suu Kyi a remporté la majorité absolue des sièges à pourvoir dans les deux chambres du Parlement national, ainsi que dans dix des quatorze assemblées provinciales. Un succès retentissant ; mais la junte conserve une capacité de blocage considérable. »
Après l’un des pires crimes de masse du XXe siècle, en Indonésie, c’est toujours la “ mémoire de l’impunité ” qui règne (Lena Bjurström) : « Cinquante ans après le massacre par l’armée indonésienne de centaines de milliers de citoyens communistes ou soupçonnés de l’être, les survivants et leurs familles luttent pour obtenir justice. A ce jour, aucun des responsables de cette campagne de terreur n’a été jugé. Et le gouvernement du président Joko Widodo, arrivé au pouvoir en octobre 2014, hésite à ouvrir de véritables enquêtes. »
Tierno Monénembo explique pourquoi en Afrique les présidents à vie sont de retour : « La démocratie progresse partout en Afrique. Pourtant, de vieilles habitudes persistent dans plusieurs pays : dans l’indifférence internationale, des chefs d’Etat manipulent sans vergogne la Constitution pour prolonger leur règne. Ces dictateurs sortis des urnes se trouvent surtout en Afrique francophone, en raison d’une infernale accumulation de handicaps. »
Pablo Jensen se demande si les théories scientifiques ne pourraient pas être des croyances parmi d’autres : « Selon le juriste Alain Supiot. aucune société ne peut subsister durablement sans des croyances communes, qui sont placées au-dessus des individus et cimentent le corps social. Ainsi, c’est au nom de droits humains proclamés sacrés que la République française est censée « assujettir le bon plaisir des plus forts à quelque chose de plus fort qu’eux, qui s’impose à tous et évite que la société des hommes ne se transforme en jungle ». Au cours de l’histoire, ce sont les rites, les religions ou — grande invention de la Rome antique — un ordre juridique autonome qui ont rempli ce rôle. »
Sommes nous tous, potentiellement, des délateurs en pantoufles (Ignacio Ramonet) ? : « Beaucoup de personnes se moquent de la protection de la vie privée. Elles réclament, au contraire, le droit de montrer et d’exhiber leur intimité. Cela peut surprendre, mais, en y réfléchissant, un faisceau de signes et de symptômes annonçaient depuis quelque temps l’inéluctable arrivée de ce type de comportement qui mêle inextricablement voyeurisme et exhibitionnisme, surveillance et soumission. Sa matrice lointaine se trouve peut-être dans un célèbre film d’Alfred Hitchcock, Rear Window (Fenêtre sur cour, 1954), dans lequel un reporter photographe (James Stewart), immobilisé chez lui, une jambe dans le plâtre, observe par désœuvrement le comportement de ses voisins d’en face. Dans un dialogue avec François Truffaut, Hitchcock expliquait : « Oui, l’homme était un voyeur, mais est-ce que nous ne sommes pas tous des voyeurs ? » Truffaut l’admettait : « Nous sommes tous des voyeurs, ne serait-ce que lorsque nous regardons un film intimiste. D’ailleurs, James Stewart, à sa fenêtre, se trouve dans la situation d’un spectateur assistant à un film. » Puis Hitchcock observait : « Je vous parie que neuf personnes sur dix, si elles voient de l’autre côté de la cour une femme qui se déshabille avant d’aller se coucher, ou simplement un homme qui fait du rangement dans sa chambre, ne pourront pas s’empêcher de regarder. Elles pourraient détourner le regard en disant : “Cela ne me concerne pas”, elles pourraient fermer leurs volets, eh bien ! elles ne le feront pas, elles s’attarderont pour regarder. »