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Le Monde Diplomatique, février 2015

Cette livraison de février du Monde Diplomatique est à l’image de l’époque que nous vivons : dure.

Serge Halimi nous dit qu’il faut « choisir ses combats »  : Août 1914 : l’union sacrée. En France comme en Allemagne, le mouvement ouvrier chancelle ; les dirigeants de la gauche politique et syndicale se rallient à la « défense nationale » ; les combats progressistes sont mis entre parenthèses. Difficile de faire autrement alors que, dès les premiers jours de la mêlée sanglante, les morts se comptent par dizaines de milliers. Qui aurait entendu un discours de paix dans le fracas des armes et des exaltations nationalistes ? En juin, en juillet peut-être, il restait possible de parer le coup.

Un siècle plus tard, nous en sommes là. Le « choc des civilisations » ne constitue encore qu’une hypothèse parmi d’autres. La bataille qui semble s’engager en Europe, en Grèce puis en Espagne permettra peut-être de la conjurer. Mais les attentats djihadistes favorisent le scénario du désastre ; une stratégie de « guerre contre le terrorisme » et de restriction des libertés publiques aussi. Ils risquent d’exacerber toutes les crises qu’il importe de résoudre. Telle est la menace. Y répondre sera l’enjeu des mois qui viennent.

Laurent Bonelli analyse « les chemins de la radicalisation » des Français qui ont choisi le djihadisme : Passé la stupeur des attentats, lorsque se dissipent les sentiments d’indignation et d’impuissance et que la peine se rétracte sur l’entourage des victimes, subsiste une lancinante question. Pourquoi, dans un contexte de paix, de jeunes Français ont-ils pu s’attaquer avec une telle violence à des individus choisis en raison de leurs opinions, de leur confession religieuse présumée ou de l’uniforme qu’ils portent ? Des assassinats commis par Mohamed Merah en mars 2012 à ceux des 7, 8 et 9 janvier 2015, revendiqués par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, en passant par l’attaque du Musée juif de Belgique, le 24 mai 2014, dont est accusé M. Mehdi Nemmouche, pas moins de vingt-huit personnes ont trouvé la mort sous les balles de leurs meurtriers.

Faut-il parler d’islamophobie ou de prolophobie, demande Benoît Bréville : Au lendemain des assassinats perpétrés à Charlie Hebdo et dans le magasin Hyper Cacher, des élèves ont refusé d’observer la minute de silence en hommage aux victimes. Un des arguments avancés par les récalcitrants touchait aux « deux poids, deux mesures » de la liberté d’expression en France : pourquoi parle-t-on autant de cette tuerie alors que des gens meurent dans l’indifférence au Proche-Orient ? Pourquoi Charlie Hebdo pourrait-il injurier une figure sacrée de l’islam quand Dieudonné se voit interdire de critiquer les juifs ? La question est jugée si cruciale que Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, a estimé, le 15 janvier dernier, qu’il était nécessaire de former les enseignants pour y répondre.

Comment tarir les sources du recrutement salafiste armé, demande Pierre Conesa  : Le combat contre les djihadistes ne se livrera pas sur des terres lointaines. Il ne peut se résumer non plus à une affaire de police et de justice. Lutter contre les idéologies religieuses sectaires requiert une vaste politique de contre-radicalisation s’appuyant sur la mobilisation des élites et des institutions musulmanes de France.

Pour de nombreux jeunes, le Prophète est la seule chose en laquelle ils croient (Pierre Souchon) : Tous deux fils d’ouvriers algériens, Wissem et Nabil ont grandi dans le même quartier, où ils ont fait les quatre cents coups. Mais l’un a fini par se tourner vers la religion et l’autre vers le syndicalisme. Retour sur des histoires parallèles.

« Deux jours. Ils ont mis deux jours à retrouver les Kouachi et à les flinguer. » Un grand soleil d’hiver éclaire l’autoroute où Wissem, 22 ans, slalome entre les voitures. « Je pense à mes frères... Tu vois ? » On voit. On voit Wissem s’assombrir, monter le son de l’autoradio et plonger dans le silence de ses souvenirs. Ses deux frères aînés sont morts avant d’être trentenaires, leurs assassins sont en liberté. Voilà un peu plus de deux ans, Bachir cambriolait une villa avec un ami. De retour de la chasse aux sangliers, un voisin passe par là et l’exécute d’une balle dans la tête. Le tireur est placé une heure en garde à vue, et l’instruction débouche sur un non-lieu. Il n’y eut pas plus de procès que de légitime défense — Bachir a été abattu alors qu’il s’enfuyait en voiture... Quelques mois plus tard, Yassine est fauché par une rafale de kalachnikov en pleine rue. « Toute la ville sait qui a fait ça. Les flics aussi, mais ils font rien : un Arabe de moins, ça les arrange... » C’est une certitude tranquille, énoncée sur le ton de la banalité, sans colère, presque, et appuyée par un rap que Wissem se met à fredonner : « Plus de jeunes à la morgue ça fait moins de jeunes à la barre / La vie que j’ai tu la connais par cœur vu que c’est partout la même / J’baiserai la France jusqu’à ce qu’elle m’aime. »

Dominique Vidal perçoit « un antisémitisme virulent mais marginal »  : L’assassinat de quatre otages par Amedy Coulibaly à la supérette kasher de la porte de Vincennes a sidéré de nombreux juifs de France. Après l’enlèvement et la mise à mort d’Ilan Halimi par M. Youssouf Fofana en 2006, puis le massacre perpétré par Mohamed Merah à l’école Ozar-Hatorah de Toulouse en 2012, nombre d’entre eux y ont vu l’expression d’une vague d’antisémitisme qui déferlerait sur notre pays.

Difficile de ne pas laisser l’émotion l’emporter sur la raison. Ce qui est moins compréhensible, c’est que beaucoup d’analystes font une confusion dans les indices qu’ils utilisent. Il convient en effet, pour mieux cerner le phénomène, de distinguer opinions antisémites et actes antisémites.

Julien Théron analyse la « funeste rivalité entre Al-Qaida et l’Organisation de l’Etat islamique » :

La revendication de la tuerie à Charlie Hebdo par la branche d’Al-Qaida dans la péninsule arabique replace sur le devant de la scène un mouvement évincé des médias par les succès militaires de l’Organisation de l’Etat islamique. Portant les mêmes aspirations et agissant avec la même cruauté, les deux formations ont des stratégies divergentes.

Pour Anne-Cécile Robert, les Lumières sont attaquées : Les religions occupent de nouveau une partie substantielle du débat public alors que la philosophie des Lumières affronte des critiques radicales, y compris de la part de penseurs progressistes. Ne serait-il pas temps de revisiter une pensée fondatrice de la démocratie et de la République ?

« Comment conjoindre la liberté d’expression des caricaturistes et l’interdiction dans les écoles du port du voile, qui participe de l’expression de l’identité ? », écrit le sociologue Hugues Lagrange. Sans entrer dans le débat sur le port des signes religieux, ce type de comparaison traduit une confusion philosophique majeure. En effet, il place sur le même plan des pratiques qui relèvent de l’exercice de la raison et des comportements qui expriment une foi.

Philippe Leymarie relève qu’en Afrique existent d’autres foyers du djihadisme : Sur les huit conflits les plus meurtriers et dévastateurs du moment, sept se déroulent en Afrique, où la désintégration de la Libye alimente en armes les groupes djihadistes. L’Union africaine a longtemps semblé impuissante à prendre en charge la sécurité des populations, abandonnée aux initiatives franco-américaines. Mais une première force d’urgence continentale pourrait voir le jour cette année...

Hicham Ben Abdallah El-Alaoui déplore la « surdité des gouvernements arabes »  : En se lançant dans une guerre froide régionale, les régimes du Proche-Orient imaginent se protéger de la contagion du « printemps arabe ». La logique : exacerber les tensions avec leurs voisins pour préserver le statu quo intérieur. Leur stratégie débouche sur une impasse lourde de menaces nouvelles.

Pierre Rimbert perçoit un recul des libertés en France : « Soyez libres, c’est un ordre » : Chacun le redoutait, mais nul n’imaginait que le drame surviendrait ainsi : vendredi 9 janvier, le footballeur de Montpellier Abdelhamid El-Kaoutari ne porte pas le maillot « Je suis Charlie » lors de l’échauffement préparatoire au match contre l’Olympique de Marseille. Aussitôt, les réseaux sociaux crépitent. Invité le dimanche sur Canal Plus, l’entraîneur Rolland Courbis est sommé de s’expliquer. Le lendemain, la polémique enfle : trois joueurs de Valenciennes n’acceptent de revêtir le fameux maillot qu’à condition d’escamoter le « je suis » sous un bout de Scotch. Sur le plateau d’« Afterfoot », une émission-phare de RMC, le ton monte. « On se bat depuis une semaine pour la liberté d’expression, explique l’animateur Gilbert Brisbois, laissons-les s’exprimer et attendons leurs explications. » Furieux, le journaliste Daniel Riolo enchaîne : « … la liberté d’expression qui va être l’argument de tous les abrutis pour sortir toutes les bêtises ».

Alain Supiot dénonce « Le rêve de l’harmonie par le calcul » : L’essor de la gouvernance par les nombres n’est pas un accident de l’histoire. La recherche des principes ultimes qui président à l’ordre du monde combine depuis longtemps la loi et le nombre au travers de la physique et des mathématiques, s’agissant de l’ordre de la nature ; du droit et de l’économie, s’agissant de l’ordre social. La situation est comparable dans l’ordre religieux, où la soumission à la loi divine et la contemplation mystique de vérités absolues ont été reconnues comme deux voies différentes d’accès au divin.

Thierry Vincent voit dans la victoire de Syriza « Un espoir tempéré et la crainte des coups tordus » : La percée récente des forces progressistes aux élections grecques bouleverse un appareil d’Etat contrôlé depuis quarante ans par deux familles politiques. Si les dégâts de l’austérité ont convaincu une bonne partie de la fonction publique de choisir la coalition de gauche Syriza, des réseaux extrémistes s’activent autour des corps de sécurité.

Pour Julien Vercueil, l’économie russe est en pleine tempête  : « Avis de gros temps sur l’économie russe » : A chaque saison son choc. Après l’annexion de la Crimée au printemps, l’escalade des sanctions cet été, la chute brutale du prix des hydrocarbures cet automne, l’économie russe subit l’effondrement du rouble depuis novembre dernier. Rouvrant les cicatrices des années 1990, cette crise de change laissera des traces. Car elle expose au grand jour des faiblesses structurelles longtemps sous-estimées par le pouvoir.

Maxime Robin nous emmène dans les Apalaches « décapitées par les marchands de charbon » : Malgré le boom du pétrole et du gaz de schiste, le charbon demeure la principale source d’énergie aux Etats-Unis. Pour en accroître la production, les compagnies minières privilégient désormais l’exploitation à ciel ouvert en arasant les sommets à l’explosif. Ce procédé, très utilisé dans les Appalaches, a des conséquences environnementales désastreuses.

Tandis que Michael T. Klare nous rappelle que « la guerre du pétrole se joue en mer : « Les escarmouches succèdent aux escarmouches en Asie-Pacifique. La dernière livraison de « Manière de voir » en dresse l’inventaire, plonge dans l’histoire de la région pour en comprendre les ressorts et analyse les motivations nationales contemporaines. Parmi elles, la course au pétrole — qui ne concerne pas que la mer de Chine.

Les Papous sont désormais minoritaires en Papouasie (Philippe Pataud Célérier) : Le président indonésien Joko Widodo, investi en octobre 2014, a été présenté comme un homme d’ouverture, un sentiment renforcé par la libération de deux journalistes français arrêtés en Papouasie. Mais leur accompagnateur papou, lui, risque la prison à vie, et son avocate est menacée de mort. Plus encourageante est la volonté de concorde entre les indépendantistes papous pour dénoncer les massacres.

A propos du chômage, Hadrien Clouet dénonce « le mythe des emplois vacants » : A écouter de nombreux discours sur les emplois vacants ou non pourvus, la France serait assise sur d’immenses gisements de travail salarié. De tels propos alimentent une proposition politique : renforcer le contrôle des chômeurs pour que l’aiguillon de la contrainte les tire de l’apathie. Pourtant, les chiffres mis en avant ne signifient pas ce que l’on cherche à leur faire dire, bien au contraire.

Pour Aurélien Bernier, pas de châtiment pour les crimes économique : En délocalisant leur production dans les pays les plus pauvres, les entreprises multinationales ne recherchent pas seulement une main-d’œuvre à bon marché. La faiblesse des lois sociales et environnementales les protège des poursuites judiciaires. Cette impunité prospère aussi faute d’instances internationales ou de tribunaux compétents en la matière dans les pays consommateurs.

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