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Les illusions mortelles

Il y a un texte qu'il faut lire, absolument lire. Il a été écrit par un Palestinien étasunien, Ahmad Ibsais (1). C'est un étudiant en droit de l'Université du Michigan. qui est à l'avant-garde de la solidarité avec la Palestine (2). Il écrit dans le bulletin d'information "State of Siege".

Il représente à merveille la génération de Gaza, cette nouvelle génération qui est née à la conscience politique dans ce drame historique imprescriptible, ontologique pourrait-on dire, que constitue pour le genre humain le martyre de Gaza. Son texte est d’une logique implacable, dur, d’une lucidité poussée à l’extrême, sans concession aucune, et à la limite brutal. Il ne dénonce pas seulement Israël comme bien d’autres textes, mais les israéliens. Il ne dénonce pas seulement les Israéliens mais l’Occident tout entier. Il s’agit bien sûr de l’Occident géopolitique, de cet Occident hégémonique, dominateur et prédateur, que dénoncent, dans les pays occidentaux eux-mêmes, les immenses manifestations de solidarité avec le peuple palestinien.

Il faudrait citer chaque phrase de ce texte de Ahmad Ibsais, tant il est dense, tant chacune de ses lignes est une information, une idée, une vérité, une réflexion, une conclusion. J’en donne ici le lien en Anglais et en Français (1) , et j’ai choisi une citation du texte qui, à mon avis, en résume l’esprit. Voici ce qu’il dit à propos de l’entreprise de déshumanisation menée par Israël en Palestine et à Gaza : "Mais peut être que la condamnation la plus accablante de cette déshumanisation systématique n’est pas ce qu’elle révèle sur la société israélienne mais ce qu’elle expose sur le monde occidental dans son ensemble qui la rend possible".

Le fond du problème

Ce texte, qui provient du cœur de la domination occidentale, les Etats-Unis d’Amérique, exhorte sans cesse à ne se faire aucune illusion, ni sur Israël, ni sur l’Occident.

N’a-t-il pas touché là au fond du problème ? N’y a- t-il pas en effet des illusions persistantes, qui demeurent même chez ceux qui se battent le plus courageusement contre la domination israélienne ? Ne faut-il pas chercher dans ces illusions l’explication de bien des revers, de bien des échecs, de bien des souffrances, de la résistance à la domination israélienne et occidentale sur le Moyen Orient ?
Il y a là, comme enfoui dans un inconscient accumulé de siècles d’aliénation et de soumission, cachée tout au fond de chacun, l’idée, non, le préjugé que l’Occident a des valeurs et des règles, bref qu’il est civilisé et qu’il ne saurait lui-même les enfreindre.

Ces illusions sont mortelles. Des généraux, des responsables iraniens, des intellectuels, des scientifiques ont été tués dès les premiers instants des frappes israéliennes, comme au tir au pigeon. Ils dormaient tranquilles, parfois chez eux, sûrs probablement que les négociations de paix en cours avec Trump allaient ouvrir la voie à un accord, et qu’Israël n’oserait quand même pas. Eh bien, Israël a osé. Ces personnalités iraniennes n’étaient pourtant que la suite d’une longue liste d’assassinats, perpétrés dans les mêmes conditions, par les Etats-Unis et Israël, parfois en plein jour et à Téhéran même.

Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas et ancien premier ministre de l’Autorité palestinienne, aurait-il jamais pu imaginer qu’Israël l’assassinerait en pleine négociation de cessez-le-feu, et qu’il assassinerait le négociateur lui-même ? Avait-on jamais vu cela dans l’Histoire contemporaine ? Et il a été tué non pas au combat dans sa Palestine, mais en Iran, dans le pays hôte. Quelle honte à ce moment pour ses hôtes ! Mais qu’allait-il faire lui aussi en Iran, au moment même où il s’ouvrait à Gaza un combat décisif ? Ne connaissait-il pas assez l’ennemi qui avait déjà tué quelques semaines avant ses enfants et ses petits-enfants ? Et il y a aussi, Nasrallah, chef lucide et rationnel s’il en est parmi les dirigeants de la résistance arabe, magnifique de courage, de persévérance et de combativité, qui est tué. Et où ? Dans son siège avec pignon sur rue. Peut-être avait-il l’illusion, lui aussi, que les israéliens n’iraient pas jusqu’à là et qu’ils avaient besoin d’un vis-à-vis ayant autorité, et avec qui parler. Peut-être avait-t-il cru qu’Israël allait respecter certaines règles de la guerre, celles qu’on ne tue pas les présidents, les chefs d’Etats, les dirigeants de la partie adverse.

Israël parle désormais d’assassiner les chefs de l’Etat iranien, Ali Khamenei et Massoud Pezeshkian, ni plus ni moins. Le président Trump avait affirmé qu’il avait empêché ce plan d’assassinat mais n’était-ce pas encore là une ruse pour mieux tromper les dirigeants iraniens ? D’ailleurs l’Occident n’avait-il pas songé un temps et peut être aujourd’hui encore, tuer le président Poutine. ? Les médias occidentaux y appelaient sans cesse au début de la guerre en Ukraine (3). C’est dire le délire occidental.

Et puis ces règles, ces normes occidentales des relations entre Etats, sont réservés aux "civilisés". Mais, voilà, les arabes, les musulmans, ne sont pas inclus dans la définition des "civilisés". Les concernant, tout est permis. Allez-y. Qui pourra l’empêcher ?

Les "civilisés" et les autres

On pourrait allonger la liste des conséquences mortelles de ces illusions. Ces illusions sont peut-être le secret de ce lien invisible par lequel l’oppresseur domine l’opprimé, se le soumet, se l’aliène, le subjugue. Non pas seulement par sa force matérielle, mais par sa capacité à dominer son esprit, même bien après la fin de sa domination directe. Ne se faire aucune illusion, n’est-ce pas la condition pour enfin vaincre, trouver la sortie ?

C’est le jour où l’Algérie a abandonné toute illusion, des illusions qui avaient touché jusqu’à ses grands hommes, comme l’Emir Abdelkader, et ravager un temps ses élites, c’est le jour où elle a compris le message silencieux transmis par les processions interminables de ses ancêtres martyrisés, c’est ce jour qu’elle a été prête à se libérer. On ne célèbrera jamais assez la lucidité historique de ce groupe de jeunes qui a déclenché la révolution du 1er novembre 1954.

Mais ces illusions, il faut le dire, peuvent revenir. Elles sont nourries et renouvelées sans cesse par ceux parmi les élites dirigeantes qui, pour une raison ou pour une autre, succombent aux charmes de la domination d’un Occident, en déclin certes, mais qui conserve de beaux restes.

On peut aussi dire, à la décharge du monde arabo-musulman, que ces illusions en ont touchés plus d’un, et des pays apparemment mieux armés pour y résister. L’URSS s’est effondrée lorsque Gorbatchev, et le courant occidentaliste russe, a cru qu’il suffirait de liquider le communisme, le socialisme , l’OTAN et le Pacte de Varsovie, pour entrer dans le paradis occidental, et que s’ouvre une ère de paix entre l’Est et l’Ouest. Cela n’a rien changé. Le problème n’était ni le communisme ni le Pacte de Varsovie, il était la Russie. Elle était trop grande, trop puissante encore, avec une trop grande volonté d’indépendance et de souveraineté en face de l’Occident, trop insoumise. Il fallait la circonvenir, l’encercler, l’achever après son effondrement.

Les illusions de la Russie

Même le président Poutine, à un moment, s’était bercé d’illusions. Il avait ainsi essayé de faire partie du G7, et donc de l’Europe, et de l’Occident sous les applaudissements des élites russes occidentalisées. Il avait même été berné, dans les accords de Minsk de 2014 et 2015 qui n’avaient servi à l’Allemagne et à la France, qu’à "gagner du temps pour préparer l’Ukraine à la guerre", selon les dires de leurs chefs d’Etat respectifs eux-mêmes. C’est après avoir compris ses propres illusions sur l’Occident, que Poutine a pu redresser la Russie, lui redonner des forces, et rejoindre à l’autre pôle la Chine. Celle-ci est peut-être la seule à ne s’être jamais bercé d’illusions, à cause de sa profondeur civilisationnelle quatre fois millénaire. Une seule expérience lui avait servi, la "Guerre de l’opium" que lui avaient imposée les puissances occidentales, pour n’avoir plus, à jamais, d’illusions sur l’Occident. Mais c’est un autre sujet.

Le conflit qui se déclenche en Ukraine, a marqué, au fond, la fin de toutes les illusions pour la Russie. La Russie et la Chine se sont rejointes créant un nouvel espace de développement humain, voire de civilisation, l’Eurasie. Les BRICS sont nés et se sont développés, renforcés. Et lorsque le président Trump essaie aujourd’hui de séduire la Russie, de lui faire miroiter un avenir exceptionnel dans l’alliance avec les Etats Unis et son éloignement de la Chine, cela "ne marche plus". La Russie semble dire qu’"on ne la lui refait pas". Poutine reste intraitable : il exige que soient supprimées ce qu’il appelle "les causes profondes de la guerre", c’est-à-dire l’encerclement de la Russie par l’OTAN, et la guerre par procuration menée par l’Occident contre elle. L’expérience historique a servi.

L’Histoire se répète

Mais voilà que l’Histoire se répète. Israël attaque encore une fois traitreusement. Et l’Iran se laisse surprendre.

L’Iran s’est-il laissé endormir par les négociations qui étaient en cours avec les Etats-Unis, comme la Russie à Minsk ? Le pouvoir iranien n’a-t-il pas compris que le véritable objectif était de l’abattre et non le prétexte des armes nucléaires ? C’est, dans une forme et un contexte différents un remake des "armes de destruction massive". Que le président Trump ait participé à la tromperie ou qu’il se soit laissé tromper lui aussi, importe peu en définitive. Cette ambiguïté, cette duplicité éventuelle lui permettra en même temps de convaincre son électorat qu’il n’est pas belliciste, d’intervenir éventuellement, comme de se présenter en médiateur le cas échéant. De toute façon, les faits sont là, Israël, militairement, ne peut rien faire sans les Etats-Unis et les autres puissances occidentales. Les preuves d’ailleurs, s’il en était besoin, s’accumulent sans cesse.

Il suffit d’écouter le Président Macron dire qu’ "en cas de représailles, la France défendra Israël" pour comprendre ce dont est capable le camp occidental. Plus que le ridicule du propos, plus que l’insulte à l’intelligence qu’il représente, il faut y voir le mépris sans limite qu’il traduit pour le monde arabo-musulman. Peu importe, pour les dirigeants occidentaux, la cohérence, Il suffit de faire parvenir la menace à l’Iran et ces alliés éventuels. La légalité, le droit international, la morale même, n’ont rien à faire là-dedans. Le président Macron en profite aussi pour saisir l’occasion de se réconcilier avec Israël après sa fausse querelle sur la nécessité d’un Etat palestinien, d’ailleurs déjà vite oubliée. Preuve encore qu’il n’y a là aucune confiance à avoir.

Le 17 juin, le porte-avions étasunien à propulsion Nemitz fonce sur l’Iran avec son escadre. Un autre porte-avions serait en route. Trump confirme maintenant qu’il ne compte pas "éliminer (tuer) Ali Khamenei du moins pour le moment". Il exige "une capitulation sans condition de l’Iran" (Le Monde" 17 juin). Cynisme majeur. Il se disait non belliciste. Mais l’Iran n’est pas la Russie. Chassez le naturel, il revient au galop. L’Europe applaudit. Elle retrouve les Etats-Unis comme elle les aime. Mais jusqu’à quand ? Les surprises ne manqueront pas dans cette nouvelle aventure étasunienne. Si le président Trump ne se ravise pas, puisqu’il se dit non belliciste, elle ne peut se terminer que par un désastre, comme les autres précédentes, et peut être plus encore. Les Etats-Unis ne sont plus ce qu’ils étaient, malgré les apparences. Ils n’ont plus la puissance, les réserves qui leur permettaient de se relever. Les rapports de forces mondiaux, économiques et stratégiques ont changé.

Mais décidément, l’impérialisme reste un mauvais élève, surtout quand il radote.

Ils sont capables de tout

Après le génocide en cours à Gaza, après cette attaque traitresse contre l’Iran, et celles qui ont précédé contre les pays voisins, on ne peut plus ne pas savoir qu’Israël et ses commanditaires soient capables de tout au sens littéral du terme. Israël n’est pas un Etat comme les autres, il n’est pas un pays comme les autres. C’est ce que s’acharne à démontrer chaque jour Israël lui-même. Il ne peut vivre sans la guerre. La preuve, il la fait de façon continue depuis 77 ans. Netanyahu est, non pas une excroissance monstrueuse d’Israël mais son expression parfaite, son résumé, son essence. Israël est le seul pays qui risque de disparaitre en cas de défaite. Est-ce normal ? Cela prouve l’absence de ses racines. Il est une entité, le mot s’impose de lui-même. Mais une entité de quoi ? Eh bien de l’Occident, de l’Hégémonie occidentale. Il est la quintessence de ses tromperies, de ses perfidies, de ses génocides répétés. Il est son concentré.

La résistance des palestiniens de Gaza, dans son incroyable héroïsme, aura au moins ouvert les yeux au monde entier à ce sujet. Israël est un projet mortel conçu par l’Occident. Et vouloir l’amender, est une mortelle illusion. Le texte avec lequel nous avons commencé notre propos, se termine sur ces lignes, en disant au sujet de Gaza, de la Palestine et de la société israélienne : "La seule question qui se pose désormais est de savoir si le monde continuera à permettre cette solution finale ou s’il finira par la reconnaitre pour ce qu’elle est et agira pour y mettre fin. Car si l’Histoire nous a appris quelque chose, c’est que les sociétés capables d’un tel consensus génocidaire ne retrouvent pas spontanément leur humanité. Il faut les arrêter."

Les illusions des uns, les illusions des autres

Mais il y a d’autres illusions. Elles sont le fait, celles-là, de l’Occident hégémonique et d’Israël. C’est leur illusion qu’ils pourront vaincre la résistance des peuples d’Orient. Ces illusions ont leur origine dans le mépris et la sous-estimation qu’ils ont des autres peuples et leur croyance en leur supériorité originelle, malgré tous les signes actuels de leur sénilité et de leur déclin.

Malgré la trahison de l’attaque israélienne et de la complicité manifeste des Etats Unis et des autres puissances occidentales, le temps de la surprise passée, l’Iran a réagi. L’Iran, malgré tous les aléas, a lui aussi appris. Il donne la preuve qu’il n’avait pas perdu du temps ces dernières décennies, depuis la chute du shah si chéri d’Israël et de l’Occident, et qu’il a accumulé des capacités technologiques, scientifiques, militaires. Il est devenu un pays capable de fabriquer lui-même ses armes pour se défendre, et être autonome en la matière. Il a une industrie de guerre tandis qu’Israël ne survit qu’avec les armes américaines et occidentales, et au rythme de leur livraison.

Les israéliens, habitués à mépriser leur adversaire, à le sous-estimer, sont en réalité surpris par la riposte iranienne. Ils sont obligés aujourd’hui de se terrer dans leurs abris, preuve que leur courage n’existe que quand ils sont seuls à frapper. Il ne s’agit plus de frapper un peuple sans défense comme à Gaza.

A Gaza même, la résistance surhumaine des Palestiniens est la preuve de leur supériorité morale sur Israël et ses protecteurs occidentaux. Les israéliens seraient-ils capables de résister ainsi, sous un déluge de bombes, dans la mort , dans la famine, la soif et la faim, non pas 618 jours comme le peuple de Gaza, mais seulement un mois, une semaine. Ils auraient depuis longtemps quitté "la Terre Promise". Les palestiniens donnent, eux, bien la preuve ainsi qu’il s’agit, de leur terre, qu’ils y sont accrochés, enracinés.

Entre les illusions des uns et des autres, celles des opprimés et celles des oppresseurs, il y a une différence majeure : les uns perdront leurs illusions, quand elles existent, tôt ou tard et se libèreront, mais pour les autres, quand ils les perdront, il sera trop tard.


(1) https://ahmadibsais.substack.com/p/the-genocidal-heart-of-israeli-society
https://www.aljazeera.com/author/ahmad_ibsais_190919183810495
https://mondoweiss.net/author/ahmad-ibsais/
(2) https://www.youtube.com/watch?v=epmjiTZsxuA
(3) ""Quand sur la Chaîne d’information LCI, on discute de « l’élimination » du Président Vladimir Poutine !" https://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5310737&archive_date=2022-03-15

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COMMENTAIRES  

19/06/2025 13:27 par RV

https://ahmadibsais.substack.com/p/the-genocidal-heart-of-israeli-society
Le cœur génocidaire de la société israélienne

Comment 75 ans de logique coloniale de peuplement ont atteint leur conclusion inévitable – et Netanyahu n’est pas à blâmer
Ahmad Ibsais – 4 juin 2025

La fiction confortable selon laquelle Benjamin Netanyahu serait seul responsable du génocide à Gaza s’effondre, et ce qui se révèle est bien plus terrifiant que la simple malveillance d’un homme. C’est la mise à nu d’une société tout entière qui, pendant des décennies, a nourri et normalisé la déshumanisation des Palestiniens au point que le génocide n’est plus seulement toléré, mais devenu populaire.

Lorsque 82 % des Israéliens soutiennent l’expulsion forcée des Palestiniens de Gaza, nous ne sommes pas face aux manigances d’un seul dirigeant extrémiste. Lorsque 47 % approuvent le massacre biblique de Jéricho — où « tous les habitants » furent tués — comme modèle d’action militaire, nous regardons dans l’abîme d’un effondrement moral collectif. Lorsque 56 % souhaitent l’expulsion des citoyens palestiniens d’Israël de leur propre patrie, nous sommes face à l’ADN génocidaire d’un projet colonial de peuplement qui a finalement abandonné tout vernis libéral.
Ces chiffres, issus d’un sondage de l’université de Penn State, ne sont pas des anomalies. Ils sont l’aboutissement logique de 75 ans de déshumanisation systématique, qui ne commence pas avec l’arrivée au pouvoir de Netanyahu, mais avec la fondation même de l’État. Ce n’est pas « la guerre de Netanyahu » — c’est le génocide d’Israël, et cela fait des décennies qu’il se prépare.

Considérons l’ironie perverse : tandis que les progressistes occidentaux comme Bernie Sanders et Elizabeth Warren s’efforcent de rejeter la faute sur un seul homme, la société israélienne a depuis longtemps dépassé ce type de bouc émissaire commode. Le sondage révèle que même parmi les Juifs laïcs — censés incarner la conscience libérale d’Israël — 70 % soutiennent le nettoyage ethnique de Gaza. Chez les religieux, ce chiffre atteint un stupéfiant 97 %. Il ne s’agit pas d’une dérive politique ; c’est un consensus idéologique.

Ce à quoi nous assistons, c’est au dévoilement final du projet sioniste. Trop longtemps, le monde a été bercé par le mythe d’un Israël démocratie progressiste détournée par des extrémistes. Mais lorsque le ministre des Finances Bezalel Smotrich déclare ouvertement son intention de « rayer la descendance d’Amalek » et parle de Palestiniens « concentrés » dans le sud avant d’être expulsés « massivement vers des pays tiers », il ne s’éloigne pas des valeurs israéliennes — il les exprime avec une franchise inédite.

La rhétorique religieuse est particulièrement révélatrice. Lorsque 65 % des Juifs israéliens croient à un « Amalek » moderne — l’ennemi biblique que Dieu ordonna aux Israélites d’exterminer « jusqu’au dernier bébé » — et que 93 % appliquent ce commandement aux Palestiniens aujourd’hui, il ne s’agit plus de discours politique. Nous sommes face à un génocide théologique, où le nettoyage ethnique devient un mandat divin.

C’est cette société qui a produit non seulement Netanyahu, mais tous les dirigeants israéliens ayant supervisé l’étranglement progressif de la vie palestinienne. C’est cette société qui a applaudi lorsque Golda Meir déclara en 1969 que « les Palestiniens n’existent pas ». C’est cette société qui a passé des décennies à perfectionner l’art de rendre l’existence palestinienne impossible, tout en maintenant une façade de respectabilité démocratique.
La nature systématique de cette déshumanisation ne saurait être exagérée. Les enfants israéliens sont élevés dans un système éducatif qui, selon les chercheurs, a subi un « processus de radicalisation » depuis le début des années 2000. Ils grandissent en consommant des médias qui appellent régulièrement à l’expulsion et à la mise à mort des Palestiniens. Ils servent dans une armée pour qui les vies palestiniennes sont jetables. Est-il alors surprenant que seulement 9 % des hommes juifs de moins de 40 ans — ceux qui exécutent la violence — rejettent les idées d’expulsion et d’extermination ?

Ce qui rend cela particulièrement glaçant, c’est que ce consensus génocidaire traverse tous les secteurs de la société israélienne. La gauche laïque qui protestait autrefois contre les réformes judiciaires de Netanyahu est restée en grande partie silencieuse pendant que son armée affame deux millions de personnes. Les kibboutz que les progressistes occidentaux idéalisent comme des utopies socialistes ont été construits sur les ruines de villages palestiniens. La démocratie qu’Israël prétend défendre n’a jamais été étendue aux millions de Palestiniens vivant sous son contrôle.

Le moment actuel ne représente pas une aberration, mais une accélération. Le plan de Trump visant à « nettoyer » Gaza et à en faire une « Riviera » peuplée de « personnes internationales » s’aligne parfaitement avec le fantasme israélien d’une Palestine sans Palestiniens. Lorsque Netanyahu annonce que les forces israéliennes ne feront plus que « rentrer et sortir », mais maintiendront désormais un contrôle permanent sur les territoires conquis, il ne fait que rendre explicite ce qui a toujours été implicite dans le projet sioniste.

La réponse de la communauté internationale — ou son absence — ne fait qu’encourager cette trajectoire génocidaire. Lorsque les États-Unis continuent de fournir des armes pendant que des responsables israéliens discutent ouvertement de plans de nettoyage ethnique, lorsque les dirigeants européens expriment leur « inquiétude » tout en maintenant des contrats d’armement lucratifs, lorsque des politiciens progressistes rejettent toute la faute sur Netanyahu en dédouanant la société qui l’a produit et le soutient, ils deviennent complices de la machine d’extermination.

Les sondages révèlent quelque chose d’encore plus inquiétant que les chiffres eux-mêmes : l’absence totale d’humanité palestinienne dans la conscience israélienne. Lorsque l’on interroge les Israéliens sur le fait de tuer « tous les habitants » des villes ennemies, il ne s’agit pas d’une question de stratégie militaire — mais bien d’extermination d’êtres humains. Lorsqu’on leur parle « d’expulsion forcée », il est question de la destruction de familles, de communautés et de modes de vie entiers. Le fait que des majorités soutiennent régulièrement de telles mesures suggère que les Palestiniens ne sont tout simplement pas perçus comme pleinement humains dans l’imaginaire israélien.

Cette déshumanisation n’est pas accidentelle — elle est fondatrice.
Un projet colonial de peuplement qui nécessite l’effacement d’une population autochtone ne peut se permettre de reconnaître l’humanité de cette population. La dissonance cognitive serait insupportable.
À la place, les Palestiniens doivent être transformés en menaces existentielles, en ennemis bibliques, en problèmes démographiques à résoudre. Nous devons devenir tout, sauf ce que nous sommes : un peuple ayant le même droit à la vie, à la dignité et à l’autodétermination que n’importe quel autre.

Et pourtant, la condamnation la plus accablante de cette déshumanisation systématique ne réside peut-être pas dans ce qu’elle révèle sur la société israélienne, mais dans ce qu’elle expose du monde occidental au sens large, celui-là même qui la rend possible. Alors même que le nombre de morts à Gaza dépasse les 62 000 Palestiniens — avec des estimations suggérant que le chiffre réel pourrait dépasser les 80 000 en tenant compte des sous-déclarations —, alors même que 57 enfants sont morts de malnutrition depuis mars seulement, alors que 71 000 enfants de moins de cinq ans devraient souffrir de malnutrition aiguë au cours de l’année à venir, la réaction occidentale demeure une indifférence calculée déguisée en compassion. Quand les trois quarts de la population de Gaza sont confrontés à une insécurité alimentaire d’urgence ou catastrophique, quand 15,6 % des enfants de moins de deux ans dans le nord de Gaza souffrent de malnutrition aiguë, quand des bébés meurent de faim pendant que leurs mères s’effondrent d’épuisement, la principale préoccupation de l’Occident reste le « droit d’Israël à se défendre ». Il ne s’agit pas d’un simple calcul politique — c’est l’arithmétique du racisme, la logique froide de qui est considéré comme humain, et qui ne l’est pas.

La tragédie ne réside pas seulement dans ce que cela révèle de la société israélienne, mais dans ce que cela annonce pour notre avenir. Lorsqu’une société atteint un tel niveau de consensus génocidaire, lorsque le nettoyage ethnique devient une politique populaire plutôt qu’un fantasme extrémiste, lorsque le langage religieux est mobilisé pour justifier des meurtres de masse, nous ne sommes pas face à un problème que l’on peut résoudre en changeant de dirigeants ou en réformant des institutions. Nous avons affaire à une société qui a fondamentalement perdu toute boussole morale.

La communauté internationale ne peut plus se réfugier derrière la fiction selon laquelle tout cela ne relèverait que d’un mauvais dirigeant ou d’un extrémisme temporaire.

Les sondages sont sans équivoque : il s’agit de la logique d’un projet colonial de peuplement ayant atteint sa conclusion inévitable — l’élimination complète de la présence palestinienne sur cette terre. La seule question qui reste est de savoir si le monde continuera à permettre cette solution finale, ou s’il la reconnaîtra enfin pour ce qu’elle est — et agira pour l’arrêter.

Car si l’histoire nous a appris une chose, c’est que les sociétés capables d’un tel consensus génocidaire ne retrouvent pas spontanément leur humanité.

Elles doivent être arrêtées.

19/06/2025 15:35 par pourunretouràl'anciensiteceluiciesttoutpourri

J’en donne ici le lien en Anglais et en Français (1) ,

en anglais oui mais en français non, pas trouvé en tout cas

19/06/2025 21:53 par tobor

@ pourunretouràl’anciensiteceluiciesttoutpourri :
La traduction est postée dans le premier commentaire, juste ici au-dessus...

19/06/2025 21:58 par Louise de Bretagne

Tout parti et totalitaire en germe et en aspiration.
"Simone Weil"

Quand un peuple est assis sur des richesses convoitées par des pays avec qui il ne commerce pas, alors pour atteindre la manne, les belliqueux créent de fausses vérités et font du pays visé un ennemi et ça justifie le pillage.
"Jack Sully"

La diplomatie occidentale, c’est gagner du temps pour attaquer en traître , c’est comme quand enfants on disait pouce, pouce !
Il a dit qu’il fallait rendre à l’Amérique sa grandeur. Mais au détriment de quoi et de Qui et comment ?
Les pays d’Occident n’ont jamais respecté ni pacte ni accord ni cessez-le-feu ni aucun traité, leur but a toujours été d’envahir de conquérir et de prendre coûte que coûte.
Gabriel C.C.S....

19/06/2025 23:24 par D.Vanhove

> rv : vous avez parfaitement résumé le fond du problème... qu’avec qqs’uns, nous dénonçons depuis des décennies, par les maigres moyens qui sont les nôtres, mais que personne n’écoute ni n’entend

tout ce à quoi nous assistons auj’hui en Palestine, n’est en fait possible que pcq nous sommes dans des sociétés toujours profondément animées par une mentalité coloniale (et donc raciste) dont nous ne parvenons pas à nous départir... pcq’il faudrait d’abord le reconnaître et se l’avouer... ce qui semble le plus dur à faire pour l’écrasante majorité des gens et a fortiori des dirigeants... et tant que nous n’aurons pas produit ce travail, tant que nous n’y aurons pas mis les moyens pour revoir de fond en comble nos repères, nos bases et nos modes de fonctionnement, nous persisterons dans l’erreur et l’horreur qui l’accompagne... jsq’au jour où, dans le balancier de l’Histoire, nous serons à notre tour renversés par des peuples qui n’auront qu’une idée en tête, et que l’on ne pourra leur reprocher : prendre leur revanche sur des décennies d’injustices que nous leur avons infligées...

20/06/2025 06:44 par ozzy

Merci à Djamel Labidi, d’abord pour ce texte, pour ses textes, mais aussi pour m’avoir fait lire celui d’Ahmad Ibsais.

Un pas de géant dans la compréhension des choses. L’innocence des Palestiniens face à la corruption du peuple israélien.

À ceux qui ne maîtrisent pas l’anglais, lire un texte dans une autre langue que le français n’est plus aussi compliqué sur Internet : faites un clic droit sur la page et traduisez en français.

20/06/2025 10:08 par RV

@ 19/06/2025 23:24 par D.Vanhove
Merci pour le compliment mais il faut rendre à César ce qui appartient à César !
Je n’ai fait que traduire le texte dont il est question dans cette page.

Il y a un texte qu’il faut lire, absolument lire. Il a été écrit par un Palestinien étasunien, Ahmad Ibsais (1). C’est un étudiant en droit de l’Université du Michigan. qui est à l’avant-garde de la solidarité avec la Palestine (2)

https://ahmadibsais.substack.com/p/the-genocidal-heart-of-israeli-society

20/06/2025 11:00 par pourunretouràl'anciensiteceluiciesttoutpourri

@ tobor

merci, lorsque j’ai commenté il n’y avait aucun commentaire...

Plus que jamais donc : pourunretouràl’anciensiteceluiciesttoutpourri

20/06/2025 14:48 par sylvain66

Il y a une forme de chance a pouvoir en 2025 croire encore en une humanité mauvaise et une humanité bonne. Plus que de la naïveté, de l’aveuglement, mais d’une certaine manière de la chance aussi.

Je n’arrive pas à comprendre comment on peut croire que la Russie de poutine ou la Chine de xi soient des oppressés face a des oppresseurs. De même d’ailleurs pour la théocratie iranienne. Bon ce sont les ennemis plus ou moins déclarés de l’empire occidental, c’est un argument. Mais qu’y a t il de plus humain dans le fonctionnement de leurs sociétés ?? Ce sont toutes, l’occident compris, des oligarchies ou une petite partie de la population - les oligarques - vivent dans le luxe alors que la grande majorité galère pour manger ou se soigner. Ou l’oligarchie est tout entière absorbée dans ses jeux de pouvoir, en interne comme en externe et ou, in fine, la logique industrielle domine toute considération humaine.
Cette vision manichéenne, ou est sans cesse évoquée la destruction des méchants (dont on peine a voir ou se situe la limite, mais dont on comprend bien dans ce texte qu’elle inclut des populations entières), si elle a quelque chose de simple et séduisante ne fait que participer a la venue de cette catastrophe planétaire que l’humanité semble si soigneusement préparer

20/06/2025 22:10 par RV

Le sionisme et son destin
Frédéric Lordon, 19 juin 2025
https://blog.mondediplo.net/le-sionisme-et-son-destin

Le premier dit : « Le sionisme n’aurait jamais pu gagner sans l’holocauste ». Le second ajoute : « Netanyahou, il a fait un peu exprès de laisser faire pour reconquérir Gaza ». Qui sont-ils ? Où s’expriment-ils ? Combien de temps s’écoulera-t-il avant qu’ils ne soient injuriés dans tous les médias, convoqués par la police et gardés à vue ?
Eh bien il s’agit respectivement de Daniel Cohn-Bendit et de Luc Ferry, ça se passe sur LCI et nous sommes le 19 mai 2025. Quant à la réprobation publique et à la convocation au commissariat, nous attendons encore. Ainsi va la tectonique des plaques.

21/06/2025 17:07 par Louise de Bretagne

1) Qu’importe la démesure des empires & des sectes leur façon hégémonique de vouloir exister fait qu’ils s’écroulent inexorablement comme un château de cartes car ce qui se bâtit sur le mensonge ne dure pas. C’est maintes fois prouvé dans l’histoire de l’humanité.
2) Plus rapide est la montée, plus dure sera la chute, d’avoir voulu être plus grands que grand ils sont sur le déclin et seront remplacés par autres choses de meilleurs, c’est l’évolution et la mutation naturelle du système universel.
3) Comme ceux du passé qui finirent déchus, les empires d’aujourd’hui disparaîtront car ils n’existent que par le matériel mal acquis et par les guerres à outrance aux peuples qui ont été lésés de leurs droits et de leurs richesses ...
4) Qu’importe l’ampleur des catastrophes l’être humain d’où qu’il soit a toujours surmonté d’une manière ou d’une autre toutes ces épreuves en survivant une fois pour vivre toujours
5) Quelles que soient leurs lois scélérates et la démesure de leur ignominie, ces oligarques & leurs complices ne dureront pas très longtemps. " Rien n’est éternel ni immuable." 
6) Quelle que soit la démesure de la cupidité de l’Empire capitaliste, il a commencé à s’écrouler déjà depuis longtemps, la chute sera brutale et irréversible…
7) Quelles que soient leurs lois scélérates et la démesure de leur ignominie, ces oligarques de la franc-maçonnerie et leurs complices ne dureront pas très longtemps, la consanguinité est la raison première de leur disparition prochaine…
Comme le passé a fui le présent qui se vit à chaque instant nous avançons vers le futur dans la courbure du temps immuable de l’espace en expansion, c’est ainsi… ! « Rien n’est éternel ni immuable »
Donc cette malfaisante entité doit-être considérée comme une menace et doit-être détruite par tout moyens comme tous les nuisibles partout où ils sévissent. 
De toute façon l’art et la maîtrise sont nées en Orient, même les plus grosses montagnes finissent par s’effondrer un jour, puis les fonds marins remontent à la surface pour faire de nouvelles chaînes de montagnes qui s’écrouleront-elles aussi un jour...

Quand Sion enfin vaincu sera à terre et demandera grâce, même les regards de ses alliés d’autrefois se détourneront et personne cette fois ne relèvera plus Israël de ses cendres comme il fut accompli au temps jadis ...

Même le Juif allemand naturalisé américain du nom de Henry Kissinger a dit un jour que la politique d’apparthead sioniste d’Israël le mènera à sa perte et disparition.
Gabriel C.C.S....

22/06/2025 00:22 par D.Vanhove

> rv : merci pour les précisions

absorbé par la justesse de cette analyse, j’en ai oublié les références pourtant indiquées au début...

b à v

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